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Date : 20220726


Dossier : A-148-22

Référence : 2022 CAF 139

CORAM:

LA JUGE RIVOALEN

LE JUGE LEBLANC

LA JUGE ROUSSEL

 

ENTRE :

GERMAINE SIEWE

appelante

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

intimé

Décidé sans comparution des parties sur la base du dossier écrit.

Ordonnance rendue à Ottawa, le 26 juillet 2022.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE LEBLANC

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE RIVOALEN

LA JUGE ROUSSEL

 


Date : 20220726


Dossier : A-148-22

Référence : 2022 CAF 139

CORAM:

LA JUGE RIVOALEN

LE JUGE LEBLANC

LA JUGE ROUSSEL

 

ENTRE :

GERMAINE SIEWE

appelante

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

intimé

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE LEBLANC

[1] Le 27 juin 2022, l’appelante soumettait pour dépôt un Avis d’appel à l’encontre d’un jugement de la juge Martine St-Louis de la Cour fédérale (dossier IMM-4514-21). Ce jugement rejetait la demande de l’appelante visant à être autorisée à contester par voie de contrôle judiciaire la décision d’un agent de visa en poste à l’Ambassade du Canada à Paris, de lui refuser un permis d’études.

[2] Le jugement de la juge St-Louis a été rendu aux termes de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi). Or, suivant l’alinéa 72(2)(e) de la Loi, ce jugement n’est pas susceptible d’appel. L’appelante concède dans son Avis d’appel qu’à la lumière de cette disposition de la Loi, elle ne peut en appeler de ce jugement mais elle plaide que sa situation tombe sous l’une des exceptions à cette fin de non-recevoir énoncées par la jurisprudence de cette Cour, soit celle où la Cour fédérale refuse d’exercer sa discrétion. Elle soutient en effet que le jugement de la juge St-Louis n’étant pas motivé, il lui est impossible de déterminer les critères juridiques sur lesquels la juge St-Louis s’est appuyée pour exercer sa discrétion. Ce qu’il faut comprendre de l’Avis d’appel, c’est que la juge St-Louis aurait ainsi refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire de trancher l’affaire.

[3] Dans une directive émise le 7 juillet 2022, la Cour acceptait pour dépôt l’Avis d’appel, le tout sujet toutefois à ce que, conformément à l’article 74 des Règles des Cours fédérales, SORS/98-106 (les Règles), l’appelante explique, par écrit, en quoi la Cour devrait, dans ces circonstances, se saisir de son appel. La règle 74 confère à la Cour le pouvoir d’ordonner, à tout moment, de sa propre initiative et après avoir donné aux parties l’occasion de faire des observations, que soit retiré du dossier de la Cour un document qui n’a pas été déposé en conformité avec les Règles, une ordonnance de la Cour ou encore une loi fédérale (voir : Wong c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 229, aux paras. 5-6 (Wong)).

[4] Dans sa réponse à cette directive, l’appelante soutient, pour l’essentiel, que le jugement de la juge St-Louis porte atteinte au principe de la primauté du droit, ce qui justifie qu’il soit dérogé à l’interdiction prévue à l’alinéa 72(2)(e) de la Loi. Il y aurait ici atteinte au principe de la primauté du droit parce que, selon elle, le fardeau à remplir pour se voir autoriser à soumettre au contrôle judiciaire une décision prise aux termes de la Loi – celui d’une cause défendable au sujet d’une question sérieuse à trancher – est peu exigeant et qu’un examen sommaire du présent dossier démontre que la juge St-Louis ne pouvait raisonnablement conclure que ce fardeau n’avait pas été rencontré.

[5] Il y aurait une autre atteinte au principe de la primauté du droit, selon l’appelante, et elle découlerait d’une étude publiée en 2012 par le professeur Sean Rehagg (Sean Rehagg, « Judicial Review of Refugee Determinations : The Luck of the Draw » (2012) 38:1 Queen’s LJ 1) qui tendrait à démontrer, selon elle, que les juges de la Cour fédérale de sexe féminin, francophones et de Montréal, ce qui est le cas de la juge St-Louis, seraient moins enclines que leurs collègues à autoriser des contrôles judiciaires aux termes de l’article 72 de la Loi.

[6] Ces prétentions sont sans fondement.

[7] Il y a lieu de rappeler, d’entrée de jeu, que le droit d’appel en matière de contrôles judiciaires institués en vertu de la Loi, est aménagé de manière particulière. En effet, les décisions permettant ou refusant l’institution d’un contrôle judiciaire d’une décision prise en vertu de la Loi et les décisions interlocutoires rendues en cours d’instance, ne sont pas susceptibles d’appel alors que celles rendues sur le mérite d’un contrôle judiciaire, lorsque celui-ci est autorisé, ne le sont, aux termes du paragraphe 74d) de la Loi, que si la Cour fédérale « certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci ».

[8] Il est utile de rappeler également que le Parlement a réglé les questions de conflits possibles entre le droit d’appel en matière d’immigration et celui, général, prévu à l’article 27 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, lequel comprend le droit d’en appeler de tout jugement interlocutoire rendu par la Cour fédérale, en prévoyant, au paragraphe 75(2) de la Loi, que les dispositions de la Loi aménageant ce droit d’appel « l’emportent sur les dispositions incompatibles de la Loi sur les Cours fédérales ».

[9] Il est vrai que notre Cour a reconnu un certain nombre d’exceptions à ces dispositions limitant le droit d’appel en matière d’immigration. Il doit s’agir, cependant, d’instances soulevant des « questions très fondamentales — des questions exceptionnelles qui touchent directement la primauté du droit » (Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 144, au para. 19; Harkat v. Canada (Attorney General), 2021 FCA 209, au para. 24 (Harkat)). Le refus par la Cour fédérale d’exercer sa compétence est l’une de ces exceptions (Wong au para. 12; Subhaschandran c. Canada (Solliciteur général) (C.A.F.), 2005 CAF 27, [2005] 3 C.F. 255, (Subhaschandran)).

[10] Il est manifeste, toutefois, que cette exception ne s’applique pas ici. En effet, la juge St-Louis a de toute évidence exercé sa juridiction aux termes de l’article 72 de la Loi puisqu’elle a refusé l’autorisation sollicitée par l’appelante (voir : Wong au para. 12).

[11] Comme je l’ai déjà mentionné, l’appelante prétend essentiellement que la juge St-Louis aurait dû l’autoriser à entreprendre un contrôle judiciaire, étant d’avis que sa contestation de la décision de l’agent de visa de lui refuser un permis d’études présentait une cause défendable. La présente situation est en tout point semblable à celle dont la Cour a été saisie dans l’affaire Rahman c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CAF 220 et où elle a rappelé que lorsqu’elle statue sur le fond d’une affaire, la Cour fédérale exerce sa compétence :

[5] M. Rahman soutient qu’il devrait être autorisé à poursuivre son appel parce que la Cour fédérale a refusé d’exercer sa compétence en rejetant sa demande d’autorisation. Il fonde ses observations sur le fait qu’il existait, selon lui, des motifs plus que suffisants pour accueillir sa demande d’autorisation.

[6] Bien que notre Cour, dans l’arrêt Wong c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 229, ait reconnu que le refus de la Cour fédérale d’exercer sa compétence constituait une exception à l’interdiction prévue à l’alinéa 72(2)e), elle a également confirmé que la Cour fédérale exerçait sa compétence lorsqu’elle statue sur le fond d’une affaire :

[12] La jurisprudence de la Cour a reconnu un certain nombre d’exceptions limitées et bien définies à l’interdiction aux termes de l’alinéa 72(2)e). L’une d’entre elles est le refus par la Cour fédérale d’exercer sa compétence, par exemple Subhaschandran c. Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 27, [2005] 3 R.C.F. 255. Les appelants prétendent que cette exception s’applique en l’espèce. Ce n’est pas le cas : la Cour fédérale a rendu une ordonnance sur le bien-fondé de la requête en réexamen et a donc exercé sa compétence.

[7] Il est clair que M. Rahman conteste le rejet de sa demande d’autorisation relative à la présentation d’une demande de contrôle judiciaire. Cependant, le désaccord portant sur une décision de la Cour fédérale ne signifie pas que la Cour fédérale a refusé d’exercer sa compétence. Lorsqu’elle a examiné la demande d’autorisation de M. Rahman et qu’elle l’a rejeté, la Cour fédérale a exercé sa compétence.

[12] Cette Cour a maintes fois indiqué qu’il ne suffit pas, pour justifier une dérogation aux interdictions énoncées à l’alinéa 72(2)(e) ou au paragraphe 74d) de la Loi, de prétendre que le refus d’autoriser la présentation d’une demande de contrôle judiciaire est le fruit d’erreurs, et ce même si ces erreurs apparaissent très défendables, ou encore qu’elles ont une saveur constitutionnelle ou qu’elles concernent le rôle de la Cour lors de la tenue du contrôle judiciaire (Wong au para. 15; Harkat au para. 35; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Tennant, 2018 CAF 132, au para 15; Es-Sayyid c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CAF 59, au para. 28 (Es-Sayyid); Huntley c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 273, aux paras 7-8; Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 294, au para. 12 (Mahjoub 2011)).

[13] Or, c’est exactement le fondement de l’appel que souhaite entreprendre l’appelante. Elle souhaite en fait que cette Cour révise, sur le fond, le jugement de la juge St-Louis. Lui permettre, dans de telles circonstances, d’entreprendre cet appel serait là trahir l’intention du législateur et aller, comme on l’a vu, à contre sens de la jurisprudence de cette Cour.

[14] Comme le souligne à juste titre l’intimé, aucun des jugements invoqués par l’appelante, où la Cour a dérogé aux interdictions prévues à l’alinéa 72(2)(e) et au paragraphe 74d) de la Loi, ne l’assiste. En effet, il s’agissait, dans Subhaschandran, d’un cas flagrant où un juge de la Cour fédérale avait refusé d’exercer sa juridiction en ajournant la requête en sursis dont il était saisi, plutôt qu’en statuant sur son bien-fondé. Dans l’affaire Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Tennant, 2019 CAF 206, l’appelant soutenait que le juge de la Cour fédérale s’était arrogé un pouvoir que seul le ministre responsable de l’application de la Loi sur la citoyenneté pouvait exercer. Il s’agissait là d’un cas allégué d’excès de compétence dans sa forme la plus pure.

[15] Le fait que la juge St-Louis n’ait pas motivé sa décision n’avance pas davantage la cause de l’appelante puisque la Cour fédérale ne motive pas ses décisions de faire droit ou non à une demande d’autorisation présentée aux termes de l’article 72 de la Loi. C’est là la pratique générale de la Cour fédérale (Hinton c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1007, [2008] A.C.F. N° 1252 (QL/Lexis), au para. 15). Il importe de rappeler que, suivant l’alinéa 72(2)(d) de la Loi, la Cour fédérale est appelée à statuer sur les demandes d’autorisation qui lui sont soumises en vertu du paragraphe 72(1), « à bref délai et selon la procédure sommaire et, sauf autorisation d’un juge de la Cour, sans comparution en personne ».

[16] Dans l’affaire Krishnapillai c. Canada, 2001 CAF 378, au paragraphe 35, qui concernait le prédécesseur de l’article 72 de la Loi (l’article 82.1 de la Loi sur l’immigration, L.R.C. (1985), ch. I‑2), cette Cour a statué que l’obligation, suivant l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, qui s’imposait dorénavant aux décideurs administratifs de motiver leurs décisions dans certains cas « n’emport[aient] en aucune façon une telle obligation pour les décisions judiciaires qui refusent l’autorisation de déposer une demande de contrôle judiciaire ». En l’absence d’une obligation de motiver inscrite dans la Loi, j’ajouterais que le choix de ne pas motiver une décision prise en vertu de l’article 72 de la Loi ne saurait être considéré comme un refus de la part de la Cour fédérale d’exercer sa compétence et comme permettant, par conséquent, de déroger aux limitations au droit d’appel prévues à l’alinéa 72(2)(e) et au paragraphe 74d) de la Loi.

[17] Quant à l’argument fondé sur le « profil » de la juge St-Louis, il n’a aucune valeur. D’une part, l’étude du professeur Rehagg portait spécifiquement sur le taux de succès des demandes d’autorisation présentées en vertu de l’article 72 de la Loi en lien avec les déterminations du statut de réfugié. Ici, nous sommes en présence d’une toute autre catégorie de décisions, celles liées aux demandes de permis d’études. L’étude du professeur Rehagg n’est donc d’aucune pertinence en l’espèce. D’autre part, dans la mesure où l’argument fondé sur cette étude est en fait une attaque oblique contre l’impartialité de la juge St-Louis, une des exceptions jurisprudentielles aux limitations du droit d’appel en matière d’immigration, je note que l’Avis d’appel déposé par l’appelante est muet à cet égard. Autrement dit, l’appréhension de partialité ne figure pas au document qui énonce ce que l’appelante reproche au jugement de la juge St-Louis.

[18] Mais même en supposant l’étude du professeur Rehagg pertinente aux fins de la présente affaire, les affirmations qu’en tire l’appelante sont truffées d’erreurs et de raccourcis hautement questionnables. En effet, comme l’intimé le souligne, la juge St-Louis a été nommée à la Cour fédérale deux ans après la publication de cette étude. En étendre les constats au travail de la juge St-Louis apparait pour le moins téméraire. Par ailleurs, rien dans cette étude ne semble soutenir les affirmations de l’appelante sur le travail des juges de la Cour fédérale de sexe féminin, francophones et de Montréal.

[19] Ces affirmations sont extrêmement sérieuses car elles mettent en cause « non seulement l’intégrité personnelle du juge mais également celle de l’administration de la justice toute entière » (R. c. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, aux paras.32 et 113 (R.D.), citée dans Es-Sayyid au para.38). Je rappelle qu’il existe une « forte présomption selon laquelle les juges exerceront leurs fonctions de façon appropriée et avec intégrité » et que cette présomption « ne peut être réfutée que par une démonstration "sérieuse" reposant sur une "preuve concluante en ce sens » (Es-Sayyid au para. 39, citant R.D. au para. 32).

[20] Or, même en étant généreux, et au-delà du fait que l’étude du professeur Rehagg porte sur une tranche bien spécifique des demandes d’autorisation présentées en vertu de l’article 72 de la Loi, tranche qui ne comprend pas les demandes pour permis d’études, les affirmations de l’appelante n’ont rien de concluant. Comme le note l’intimé, l’étude spécifie que la ville d’où émanent les demandes d’autorisation « cannot account for the massive variations in grant rates across judges » (Commentaire sur le Tableau 6 de l’étude, p. 29). Quant aux taux d’autorisation, lorsque la demande est décidée par une juge de sexe féminin, non seulement l’auteur souligne-t-il l’écart ténu entre ce taux et celui des juges masculins de la Cour mais il note aussi qu’en revanche, les juges de sexe féminin sont plus enclines que leurs collègues masculins à faire droit, au mérite, à une demande de contrôle judiciaire en matière de réfugiés.

[21] En somme, non seulement l’étude du professeur Rehagg est-elle dépourvue de toute pertinence aux fins de la présente affaire, mais les affirmations qu’en tire l’appelante ne résistent pas à l’analyse.

[22] Comme la Cour l’a rappelé dans Mahjoub 2011, la plupart des tentatives visant à se soustraire aux interdictions d’interjeter appel prévues à la Loi « sont vouées à l’échec » (Mahjoub 2011, au para. 11). C’est le cas de la tentative de l’appelante en l’espèce.

[23] Pour toutes ces raisons, j’ordonnerais, comme l’autorise l’article 74 des Règles, que l’Avis d’appel soit retiré du dossier et que celui-ci soit fermé, le tout sans dépens puisque l’intimé ne les réclame pas.

« René LeBlanc »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Marianne Rivoalen j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Sylvie E. Roussel j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-148-22

 

INTITULÉ :

GERMAINE SIEWE c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

DECIDÉE SANS COMPARUTION DES PARTIES SUR LA BASE DU DOSSIER ECRIT

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE LEBLANC

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE RIVOALEN

LA JUGE ROUSSEL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 26 juillet 2022

 

REPRÉSENTATIONS ÉCRITES PAR:

Alain-Guy Sipowo

 

Pour l'appelante

 

Daniel Latulippe

 

Pour l'intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

AGS Avocat Inc.

 

Pour l'appelante

GERMAINE SIEWE

 

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour l'intimé

 

 

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