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Date : 20220729


Dossier : A-461-19

Référence : 2022 CAF 140

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

 

 

YACINE AGNAOU

 

 

demandeur

 

 

et

 

 

SERVICES DES POURSUITES PÉNALES DU CANADA

 

 

BRIAN SAUNDERS

 

 

GEORGES DOLHAI

 

 

ANDRÉ A. MORIN

 

 

DENIS DESHARNAIS

 

 

COMMISSAIRE À L'INTÉGRITÉ DU SECTEUR PUBLIC

 

 

défendeurs

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 4 mai 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 29 juillet 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

Y A (ONT) SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LEBLANC

 


Date : 20220729


Dossier : A-461-19

Référence : 2022 CAF 140

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

 

 

YACINE AGNAOU

 

 

demandeur

 

 

et

 

 

SERVICES DES POURSUITES PÉNALES DU CANADA

 

 

BRIAN SAUNDERS

 

 

GEORGES DOLHAI

 

 

ANDRÉ A. MORIN

 

 

DENIS DESHARNAIS

 

 

COMMISSAIRE À L'INTÉGRITÉ DU SECTEUR PUBLIC

 

 

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE DE MONTIGNY

[1] La présente demande de contrôle judiciaire est le point culminant d’une longue saga impliquant le demandeur et certains gestionnaires du Service des poursuites pénales du Canada. Elle découle plus directement d’une décision de la Cour fédérale (Agnaou c. Procureur général du Canada, 2017 CF 338) ordonnant au Commissaire à l’intégrité du secteur public (le Commissaire) de demander au Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs du Canada (le Tribunal) d’instruire la plainte de représailles du demandeur, conformément au paragraphe 20.4(1) de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, L.C. 2005, ch. 46 (la Loi).

[2] Au terme d’une audition d’une durée de dix-neuf jours au cours de laquelle une trentaine de témoins ont été entendus, le Tribunal a conclu que Me Agnaou n’avait pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’il avait fait une divulgation protégée en vertu de l’article 12 de la Loi en avril 2009, ni que le fait de ne pas avoir été nommé à un poste de niveau supérieur constituait une mesure de représailles au sens de la Loi.

[3] Après avoir soigneusement pris connaissance du dossier ainsi que des représentations écrites et orales des parties, je suis d’avis que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

I. Les faits

[4] Les faits à l’origine du présent litige ont été maintes fois repris dans le cadre des nombreuses décisions rendues par cette Cour et par la Cour fédérale suite à la divulgation d’actes répréhensibles déposée auprès du Commissaire le 13 octobre 2011. Le Tribunal a également procédé à une revue exhaustive de la preuve qui lui a été soumise et en a fait une synthèse méticuleuse qui s’étend sur plus de 50 paragraphes dans sa décision. Je n’entends pas refaire le même exercice et m’en tiendrai donc aux éléments les plus pertinents aux fins de trancher les questions qui nous sont soumises. Le résumé qui suit s’appuie pour l’essentiel sur les conclusions de fait qu’a tirées le Tribunal.

[5] Je suis conscient que le demandeur conteste plusieurs de ces constats, et il s’est d’ailleurs longuement attardé lors de sa plaidoirie à tenter de nous démontrer que le Tribunal avait erré dans son interprétation de la preuve. Le rôle de cette Cour n’est cependant pas de refaire le procès et de procéder à sa propre évaluation de la preuve, à moins que des erreurs manifestes ou des lacunes fondamentales puissent être démontrées. C’est donc dans cette perspective qu’il faut lire la trame narrative qui suit. Je reviendrai dans le cadre de mon analyse des questions en litige sur les principaux points de désaccord entre le demandeur et le Tribunal eu égard à la preuve.

[6] Me Agnaou est avocat et membre du Barreau du Québec. Il s’est joint à l’Équipe des crimes économiques du Service des poursuites en 2003 à titre de procureur de la Couronne fédérale, pour ensuite devenir membre du Service des poursuites pénales du Canada (le SPPC) toujours au sein du Bureau régional du Québec (BRQ).

[7] En janvier 2006, l’Agence du Revenu du Canada (l’ARC) remet un rapport d’enquête au SPPC recommandant qu’une poursuite soit intentée contre une entreprise ayant fait défaut de répondre à ses demandes péremptoires de renseignement. Me Agnaou se voit confier la responsabilité du dossier, et doit déterminer si des accusations criminelles devraient être déposées. Il en vient rapidement à la conclusion que des poursuites devraient effectivement être prises, mais ses supérieurs et des avocats d’expérience expriment des réticences à cet égard et estiment qu’il serait prématuré d’aller de l’avant. Parallèlement à ce désaccord, il semble que les relations entre Me Agnaou et ses supérieurs se soient détériorées pour différentes raisons, notamment à cause de son comportement en milieu de travail.

[8] Suite à la décision prise par ses supérieurs de ne pas intenter de poursuites, Me Agnaou saisit directement le procureur fédéral en chef du BRQ, Me André Morin, un des défendeurs en l’instance, et lui fait part de l’impasse dans laquelle il se trouve suite à son désaccord avec ses gestionnaires. Il lui demande également de relever d’une autre gestionnaire, ce que Me Morin accepte.

[9] Étant donné le désaccord qui persiste entre Me Agnaou et ses gestionnaires, le Comité des avocats généraux du BRQ est saisi d’une demande de recommandation quant à l’opportunité de prendre des poursuites dans le dossier. Suite à une réunion tenue le 9 mars 2009 à laquelle Me Agnaou n’est pas invité, le Comité recommande de ne pas intenter de poursuite. Me Agnaou est informé de cette décision par sa gestionnaire le 23 mars 2009. Lors d’une rencontre avec ses gestionnaires le lendemain, il reçoit une note de service de Me Morin consignant la décision de ne pas intenter de poursuite et lui demandant de fermer le dossier. Me Agnaou transmet le jour même à Me Morin une longue note de service lui demandant de revenir sur sa décision et exposant les motifs pour lesquels il estime qu’une poursuite devrait être engagée.

[10] Après avoir reçu confirmation par Me Morin le 1er avril 2009 que sa décision demeurait inchangée, Me Agnaou a transmis le courriel suivant à sa supérieure hiérarchique:

Par ailleurs, comme je vous l’ai annoncé, je ne peux, en mon âme et conscience, ne pas soumettre cette affaire au directeur des poursuites pénales. Il est patent que la gestion du BRQ avait dès l’automne 2008 (si ce n’est pas dès l’intervention du ministère de la Justice en septembre 2007) pris la décision de trouver un moyen pour fermer le dossier. Les arguments avancés à la rencontre du 4 novembre 2008, du 24 février 2009 et dans le procès-verbal du 9 mars 2009 sont quasiment identiques.

Je prétends que la consultation du Comité des avocats généraux était destinée à « crédibiliser » une décision prise à l’extérieur du processus régulier prévu au Chap 15 du Guide du SFP. Je prétends également que la rencontre d’aujourd’hui n’a jamais eu pour but de permettre au Procureur en chef de reconsidérer sa décision qui a vraisemblablement été discutée par la gestion du BRQ, et ce, avant la réception de la dernière mouture du rapport de poursuite (janvier 2009). Ces forums n’ont pas été mis en place pour débattre de façon véritable des faits de cette affaire. D’ailleurs, les erreurs factuelles dans le procès-verbal du Comité des avocats généraux et la méconnaissance du rapport de poursuite que j’ai relevé chez les membres de la gestion du BRQ disent tout sur les raisons de son intervention dans le présent dossier.

Ainsi, pourrais-tu, s’il te plaît, m’indiquer comment soumettre ce cas à l’attention du directeur des poursuites pénales. Je pourrais transmettre à la personne-ressource que vous m’indiquerez mon exposé des faits ci-joint, ses annexes (que André n’a pas lues avant de confirmer sa décision) ainsi que le rapport de poursuite complet.

[11] Après avoir été informé que l’ARC avait été avisée de la décision de ne pas intenter de poursuite, Me Agnaou achemine un second courriel à sa gestionnaire le 2 avril 2009, avec copie conforme à Me Morin et un avocat général :

Compte tenu que les intervenants externes ont déjà été avisés de la décision de notre Procureur en chef, je ne peux que réévaluer le caractère opportun de mes démarches visant à faire valoir au directeur des poursuites pénales que cette décision a été prise contrairement aux politiques de notre organisation et qu’elle dessert l’intérêt public.

Je vais, les prochaines semaines, me concentrer sur mes dossiers actifs et réfléchirai sur les suites à donner à cette grave affaire. Mes décisions seront définies par mes responsabilités de procureur de la Couronne telles qu’elles ont précisées dans nos Lois et nos politiques. Le cas échéant, notre Procureur en chef sera informé par les autorités compétentes.

[12] Dans le cadre de sa plainte de représailles soumise au Commissariat en janvier 2013, Me Agnaou identifiera ces deux courriels comme des divulgations protégées d’actes répréhensibles en vertu de l’article 12 de la Loi.

[13] Le 3 avril 2009, Me Morin recommande à Me Agnaou de prendre congé et de consulter son médecin quant à sa capacité de travailler. Ce même jour, Me Agnaou dépose trois griefs, quatre plaintes en matière de harcèlement et une plainte en vertu de l’article 127.1 du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2. Il avait également déposé, en février 2009, une plainte auprès du Tribunal de la dotation de la fonction publique contestant les résultats d’un processus de sélection lancé par le BRQ. Il est clair que le lien de confiance entre Me Agnaou et ses supérieurs est alors rompu. Me Agnaou reviendra néanmoins au bureau le 2 juin, après avoir reçu une attestation de son médecin et du médecin de Santé Canada selon laquelle il est apte au travail.

[14] En mai et juin 2009, Me Agnaou communique anonymement avec le Commissariat pour s’informer de ce qui pourrait constituer un cas grave de mauvaise gestion ainsi que sur le fonctionnement du Commissariat. Puis, dans une deuxième communication, il s’identifie et relate au Commissariat les faits reliés au dossier de l’ARC, indiquant qu’il songeait à déposer une divulgation d’acte répréhensible officielle.

[15] En juin 2009, lors d’une séance de médiation tenue dans le cadre de la plainte qu’il avait déposée auprès du Tribunal de la dotation, Me Agnaou négocie une entente avec le directeur adjoint du SPPC, M. George Dolhai. Dans ce Protocole d’entente signé le 26 juin 2009, le SPPC accorde à Me Agnaou un congé avec pleine rémunération de dix-huit mois, puis un congé d’études sans solde mais avec pleine indemnité d’un an, au terme duquel il sera considéré comme une priorité pendant un an par la Commission de la fonction publique. En contrepartie, Me Agnaou s’engage à retirer toutes ses plaintes et griefs, à quitter le SPPC, libérer son bureau au plus tard le 3 juillet 2009, ainsi qu’à ne pas y retourner pendant le congé ou à la fin de celui-ci, ni pendant que durera sa période de priorité à la Commission de la fonction publique. Quelques jours après avoir quitté le SPPC, le demandeur apprend qu’il s’est qualifié dans un bassin créé à partir d’un processus de sélection pour des postes de niveau LA-2B.

[16] Le 13 octobre 2011, Me Agnaou transmet au Commissaire à l’intégrité une lettre à laquelle il joint un formulaire de divulgation d’actes répréhensibles et 86 annexes. Son formulaire indique que l’acte commis est un cas grave de mauvaise gestion dans le secteur public, tel que prévu à l’alinéa 8c) de la Loi, et que ledit acte a été signalé à un superviseur ou à un collègue. Me Agnaou indique également avoir signalé l’acte répréhensible au Commissariat le 25 mai 2009.

[17] Dans sa lettre d’allégations, Me Agnaou identifie trois gestionnaires du BRQ, dont Me Morin, comme les exécutants des actes répréhensibles qu’il allègue avoir été commis, tout en ajoutant qu’ils n’en sont probablement pas les principaux commanditaires. Par contre, sa lettre ne reproduit pas les courriels du 1er et du 2 avril 2009, et ni sa lettre ni le Formulaire de divulgation ne réfère à ces courriels comme étant des divulgations d’actes répréhensibles. Ce n’est qu’en janvier 2013, en réponse aux questions d’un analyste du Commissariat dans le cadre de l’examen de sa plainte, qu’il formulera cette prétention.

[18] Le Commissaire s’étant récusé du fait qu’il connaît certaines des personnes mentionnées dans la lettre de Me Agnaou, notamment le directeur du SPPC, M. Brian Saunders, le Sous-Commissaire prend en charge le dossier. Le 6 septembre 2012, le Sous-Commissaire décide de ne pas enquêter sur la divulgation de Me Agnaou; se fondant sur les alinéas 24(1)e) et f) de la Loi, il conclut que les faits visés par la divulgation résultent de la mise en application d’un processus décisionnel équilibré et informé qui ne suggère pas d’acte répréhensible.

[19] Le 1er octobre 2012, Me Agnaou dépose une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de cette décision. La Cour fédérale rejette sa demande le 27 janvier 2014 (Agnaou c. Canada (Procureur général), 2014 CF 86). L’appel de cette décision a été rejeté par cette Cour le 2 février 2015 : Agnaou c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 30. La Cour s’est dite d’avis que le juge de première instance pouvait conclure que la décision du Commissaire est raisonnable, vu l’existence d’une différence honnête d’opinion entre un employé et ses supérieurs, et la discrétion que confère au Commissaire l’article 24 de la Loi.

[20] Parallèlement à ces événements, le SPPC faisait face aux pressions exercées par deux avocates depuis au moins le printemps 2011. Ces dernières estimaient remplir des fonctions de niveau supérieur à celles du poste qu’elles occupaient. Me Dolhai a d’abord tenté de répondre à leurs préoccupations en éliminant les postes LA-2A qu’elles occupaient et en les remplaçant par deux postes de niveau LA-2B. Lorsqu’il a eu l’autorisation d’agir de la sorte, il a utilisé le bassin du processus de sélection dans lequel ces deux avocates s’étaient qualifiées pour proposer leur nomination dans ces deux postes.

[21] Informé de ces développements, Me Agnaou a saisi la Commission de la fonction publique (CFP) et a fait valoir son droit de priorité. Surpris d’apprendre que Me Agnaou voulait se prévaloir de sa priorité alors même qu’il s’était engagé à ne plus revenir au SPPC, il a été décidé d’abandonner le processus de nomination et de procéder par voie de reclassification des postes occupés par les deux avocates. Il faut dire que la CFP avait informé le SPPC que la clause du protocole d’entente par laquelle Me Agnaou s’engageait à ne pas revenir au SPPC n’était pas exécutoire du fait que son droit de priorité est prévu par la loi et qu’il ne peut y être dérogé par entente.

[22] Lorsqu’il a été informé que le SPPC avait abandonné le processus de nomination au profit d’une reclassification, Me Agnaou s’y est opposé et a écrit le 31 août 2012 à son directeur, Me Saunders, lui demandant d’indiquer les raisons pour lesquelles le Service a procédé de la sorte. Le directeur général des ressources humaines au SPPC, M. Denis Desharnais, lui a répondu le 10 septembre 2012 qu’une reclassification des postes était plus appropriée dans les circonstances, et qu’une telle action n’exige pas la prise en considération des droits de priorité, tout en l’assurant que ses droits de priorité n’étaient pas touchés. C’est cette lettre, selon Me Agnaou, qui constituerait la mesure alléguée de représailles.

[23] Suite à cette réponse, Me Agnaou s’est adressé à la CFP le 17 septembre 2012 pour manifester son mécontentement. La vice-présidente de la direction générale des politiques de la Commission lui a répondu le 19 octobre 2012 que la décision relevait de l’autorité du SPPC, et non de la Commission, et que la Commission en avait néanmoins discuté avec le Service pour s’assurer qu’elle n’avait pas été prise afin d’éviter la priorité de Me Agnaou. Ce dernier a par la suite demandé la tenue d’une enquête, ce qui lui sera refusé le 31 décembre 2012 au motif que la Commission n’est pas compétente sur des processus de nomination interne. Le demandeur n’a pas contesté cette décision, pas plus d’ailleurs que la décision du SPPC de procéder par reclassification.

[24] Le 7 janvier 2013, Me Agnaou dépose une plainte en matière de représailles au Commissariat, dans laquelle il allègue que les défendeurs individuels auraient exercé des représailles à son égard en refusant de le nommer à un poste LA-2B au motif qu’il avait fait une divulgation d’actes répréhensibles auprès du Commissaire en 2011. Il y réfère de façon spécifique à la lettre de M. Desharnais du 10 septembre 2012 confirmant la décision du SPPC d’aller de l’avant avec la reclassification des postes des deux avocates.

[25] Le 12 février 2013, le sous-commissaire refuse de statuer sur la plainte de représailles, la jugeant irrecevable en vertu de l’alinéa 19.3(1)c) de la Loi. Il conclut que les reclassifications pourraient constituer une mesure de représailles au sens de la Loi, de telle sorte que la première condition pour que le Commissaire puisse enquêter est rencontrée. Par contre, il estime que le courriel du 2 avril 2009 ne peut pas constituer une divulgation interne au sens de la Loi, dans la mesure où l’on n’y trouve « aucune mention de divulgation, d’actes répréhensibles tels que définis à l’article 8 de la Loi, de la Loi ou de quelque organisme que ce soit ». D’autre part, l’administrateur général concerné – le SPPC – n’a jamais été informé en lien avec la divulgation auprès du Commissariat, puisqu’aucune enquête n’a été initiée en lien avec cette divulgation conformément au paragraphe 27(1) de la Loi. Me Agnaou n’ayant pu démontrer comment ses gestionnaires auraient pu en avoir pris connaissance, la mesure de représailles ne peut découler de l’existence d’une divulgation protégée et la deuxième condition pour que le Commissaire puisse être saisi d’une plainte n’est pas remplie.

[26] La Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire déposée à l’encontre de cette décision par Me Agnaou (Agnaou c. Canada (Procureur général), 2014 CF 87), mais cette Cour a accueilli l’appel logé contre ce jugement : Agnaou c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 29 (Agnaou CAF 2015). Au terme d’une longue analyse, la juge Gauthier (au nom d’une formation unanime) a déterminé que le Commissaire ne pouvait raisonnablement conclure qu’il était évident et manifeste que les courriels mentionnés par Me Agnaou ne pouvaient constituer une divulgation interne au sens de l’article 12 de la Loi. En guise de remède, cette Cour a déclaré la plainte recevable, et l’a renvoyée au Commissaire pour qu’il la traite de façon appropriée.

[27] Le Commissaire a donc mené son enquête, au terme de laquelle il a rejeté la plainte du fait qu’il n’y avait pas de motifs raisonnables de croire que des représailles auraient été exercées à l’encontre de Me Agnaou. Vu les termes du Protocole d’entente, le Commissaire indique qu’il n’a aucun motif raisonnable de croire que la non-nomination de Me Agnaou au poste convoité avait un lien avec sa divulgation alléguée. Il rejette donc la plainte en application de l’article 20.5 de la Loi. Me Agnaou dépose une nouvelle demande de contrôle judiciaire à l’encontre de cette décision du Commissaire, qui sera accueillie par la Cour fédérale le 31 mars 2017 : Agnaou c. Canada (Procureur général), 2017 CF 338. Cette fois, la Cour ordonne au Commissaire de demander au Tribunal d’instruire la plainte et de décider s’il avait été victime de représailles, conformément au paragraphe 20.4(1) de la Loi. C’est ce que fit le Commissaire le 18 juillet 2017.

II. La décision contestée

[28] Avant même la tenue de l’audition, le Tribunal a rendu trois décisions interlocutoires, deux desquelles sont contestées par le demandeur. Dans la première, rendue le 13 novembre 2018 (Agnaou c. Service des poursuites pénales du Canada et al., 2018 TPFD 2) (Agnaou 1), le Tribunal devait trancher une requête en divulgation de documents déposés par le demandeur. En s’appuyant sur la jurisprudence, le Tribunal a déterminé qu’une demande de divulgation de documents devait être pertinente eu égard à l’objet du litige, qu’elle ne devait pas être vague ou équivaloir à une partie de pêche, et que les documents demandés devaient être décrits de manière suffisamment précise.

[29] S’agissant de la première catégorie de documents réclamés, qui se rapportaient tous à la décision de ne pas intenter de poursuites criminelles, le Tribunal n’a eu aucune difficulté à conclure que ces documents n’étaient pas pertinents, puisque la question de savoir si les défendeurs avaient commis un acte répréhensible n’était pas une question en litige dont il était saisi. L’autorité et la compétence du Tribunal sont en effet tributaires de la portée de l’Avis de demande du Commissaire : El-Helou c. Service administratif des tribunaux judiciaires, 2011 TPFD 1 (El-Helou 1).

[30] Quant aux autres catégories de documents réclamés, le Tribunal a établi que ceux-ci devaient être décrits de manière suffisamment précise de telle sorte qu’il ne s’agisse pas d’une partie de pêche : Turner c. Agence des services frontaliers du Canada, 2018 TCDP 9. En l’occurrence, le Tribunal a conclu que le demandeur ne décrivait pas et n’identifiait aucunement les documents dont il demandait la divulgation, se limitant à énoncer des catégories de documents sans donner aucun détail permettant de conclure à leur existence même. Le Tribunal a donc rejeté la requête du demandeur, se disant d’avis qu’il s’agissait ni plus ni moins d’une chasse à l’aveuglette.

[31] Dans sa deuxième décision interlocutoire rendue le 6 mai 2019 (Agnaou c. Services des poursuites pénales du Canada et al., 2019 TPFD 3) (Agnaou 2), le Tribunal devait trancher des requêtes déposées par tous les défendeurs visant la réduction de la liste de cinquante-cinq témoins du demandeur. Avant de se prononcer sur ces requêtes, le Tribunal a rappelé qu’il était maître de sa procédure, et qu’il lui appartenait de réduire le nombre de personnes appelées à témoigner afin de respecter le principe de la proportionnalité, tout en s’assurant de respecter les principes d’équité procédurale et de permettre au plaignant de présenter son dossier. En revanche, un demandeur ne peut se lancer dans une chasse à l’aveuglette et doit établir que les témoins pour lesquels il prévoit demander une assignation à témoigner fourniront probablement des éléments de preuve pertinents et non répétitifs.

[32] Appliquant ces principes, le Tribunal a accueilli en partie les requêtes des défendeurs. Comme dans le cadre de sa première décision interlocutoire, le Tribunal a déterminé que les témoins liés au dossier dans lequel le demandeur voulait déposer des accusations criminelles n’étaient pas pertinents, étant donné que le Tribunal n’était pas appelé à déterminer si un acte répréhensible avait été commis. Dans la même logique, le Tribunal a aussi retiré de la liste de témoins du demandeur les témoins liés à ses plaintes de harcèlement, ses demandes d’accès à l’information, et la manière dont le commissaire conduisait ses enquêtes et traitait des plaintes, au motif que ces questions n’étaient pas pertinentes dans le cadre du litige. Le Tribunal a aussi écarté d’autres témoins potentiels requis par Me Agnaou, du fait que leur témoignage annoncé constituait une chasse à l’aveuglette.

[33] Enfin, le Tribunal a retranché de la liste de témoins de Me Agnaou l’ancien avocat ministériel du SPPC. Le Tribunal a conclu que le demandeur n’avait pas démontré que les communications entre le SPPC et la CFP dans lesquelles ce témoin aurait été impliqué n’auraient pas de répercussions sur le privilège avocat-client.

[34] Le 13 novembre 2019, le Tribunal (la juge St-Louis) a rejeté la plainte sur le fond : Agnaou c. Service des poursuites pénales du Canada et al., 2019 TPFD 3 (Agnaou 3). Après avoir établi qu’il tire sa compétence de l’avis présenté par le Commissaire en vertu du paragraphe 20.4(1) de la Loi, le Tribunal a conclu que : 1) seuls les courriels du 1er et du 2 avril 2009 peuvent être examinés à titre de divulgation interne; 2) seule la communication au Commissaire du 13 octobre 2013 peut être considérée à titre de divulgation externe et 3) la mesure de représailles alléguée est la reclassification des deux postes LA-2B dans le but d’éviter de nommer Me Agnaou à l’un de ces deux postes malgré son droit de priorité.

[35] S’appuyant sur la jurisprudence antérieure et sur la définition du terme « représailles » énoncée au paragraphe 2(1) de la Loi, le Tribunal s’est ensuite prononcé sur la norme et le fardeau de preuve. Selon le Tribunal, il appartient au plaignant de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, 1) qu’il a fait une divulgation protégée au sens de la Loi, 2) qu’il a été visé par l’une des mesures énumérées dans la définition de « représailles » au terme de la Loi, et 3) que la mesure a été prise à son endroit pour le motif qu’il a fait une divulgation protégée. Ce faisant, le Tribunal a rejeté l’argument de Me Agnaou selon lequel il convenait d’assouplir le fardeau de preuve du plaignant de façon à ne pas miner l’efficacité du régime de protection des fonctionnaires divulgateurs.

[36] En ce qui concerne le premier élément, le Tribunal accepte tout d’abord l’accord des parties selon lequel la communication faite au Commissaire le 13 octobre 2011 constitue une divulgation protégée en vertu de l’article 13 de la Loi, dont le premier paragraphe se lit comme suit :

Divulgation au commissaire

Disclosure to the Commissioner

Le fonctionnaire peut faire une divulgation en communiquant au commissaire tout renseignement visé à l’article 12.

A public servant may disclose information referred to in section 12 to the Commissioner.

[37] Le Tribunal en arrive cependant à la conclusion que les courriels du 1er et du 2 avril 2009 ne constituaient pas une divulgation interne au sens de l’article 12 de la Loi, qui stipule :

Divulgation au supérieur hiérarchique ou à l’agent supérieur

Disclosure to supervisor or senior officer

Le fonctionnaire peut faire une divulgation en communiquant à son supérieur hiérarchique ou à l’agent supérieur désigné par l’administrateur général de l’élément du secteur public dont il fait partie tout renseignement qui, selon lui, peut démontrer qu’un acte répréhensible a été commis ou est sur le point de l’être, ou qu’il lui a été demandé de commettre un tel acte.

A public servant may disclose to his or her supervisor or to the senior officer designated for the purpose by the chief executive of the portion of the public sector in which the public servant is employed any information that the public servant believes could show that a wrongdoing has been committed or is about to be committed, or that could show that the public servant has been asked to commit a wrongdoing.

[38] Après avoir tenu compte de l’objectif visé par la Loi et de l’interprétation large et libérale qu’elle doit recevoir, ainsi que des définitions des termes « divulgation » et « divulguer » que l’on retrouve dans les dictionnaires, le Tribunal s’est dit d’avis que l’objectif d’une divulgation, pour un fonctionnaire, est de dénoncer un acte qui porte atteinte à l’intégrité de la fonction publique (au para. 104). Le Tribunal estime également qu’une divulgation doit « communiquer tout renseignement susceptible de démontrer objectivement qu’un acte répréhensible a été commis ou est sur le point de l’être » (au para. 106). Le Tribunal note que les destinataires des courriels adressés par Me Agnaou étaient bel et bien ses supérieurs hiérarchiques, et que cette Cour avait déterminé dans sa décision de 2015 que les renseignements communiqués dans ses courriels du 1er et 2 avril 2009 pouvaient référer à un cas grave de mauvaise gestion.

[39] En revanche, le Tribunal a déterminé, en s’appuyant sur la preuve, que les supérieurs hiérarchiques à qui étaient destinés les courriels ignoraient que ces communications constituaient une divulgation et croyaient plutôt que Me Agnaou exprimait son intention de continuer le débat à l’interne (aux paras. 107-108). Toujours en s’appuyant sur la preuve au dossier, le Tribunal a également conclu que Me Agnaou n’avait pas prouvé selon la prépondérance des probabilités qu’il avait lui-même l’intention de divulguer un acte répréhensible en vertu de la Loi au moment où il a envoyé ses courriels (aux paras. 109-112).

[40] En ce qui concerne le deuxième élément, le Tribunal a conclu que la reclassification des postes constituait une mesure au sens de la Loi et que cet élément avait été établi par le demandeur (aux paras. 118-123). Le Tribunal a cependant précisé que Me Morin n’avait pas participé à l’exécution de cette mesure.

[41] Enfin, le Tribunal a déterminé que Me Agnaou n’avait pas établi le lien nécessaire entre la mesure alléguée et une divulgation protégée. Aux yeux du Tribunal, même si l’on prenait pour acquis que les courriels du 1er et du 2 avril 2009 constituaient une divulgation interne au sens de la Loi, il était plus probable selon la preuve que la mesure avait été prise pour s’assurer que les deux avocates accèdent aux postes LA-2B, pour s’assurer de suivre le processus approprié pour reconnaître leurs tâches, pour éviter que des fonctionnaires prioritaires ne soient nommés à l’un de ces postes, et pour éviter que le demandeur ne revienne au SPPC (au para. 127).

[42] Au surplus, le Tribunal note que la preuve du lien entre la mesure et la divulgation exige que soit démontrée la connaissance de l’existence de la divulgation par ceux qui ont pris la décision. Or, le Tribunal a conclu que Me Agnaou ne s’était pas déchargé de son fardeau de preuve à cet égard et n’a offert aucune preuve à l’effet que les défendeurs savaient, en septembre 2012, que les courriels du 1er et 2 avril 2009 constituaient, ou pouvaient constituer, une divulgation d’acte répréhensible (aux paras. 139-145).

[43] En ce qui concerne le lien entre la mesure et la divulgation faite par le demandeur auprès du Commissariat, le Tribunal a conclu que le demandeur n’avait pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que le commissariat aurait informé le SPPC qu’une divulgation lui avait été acheminée avant ou le 10 septembre 2012 (date à laquelle le demandeur avait été informé de la reclassification des deux postes). Conclure le contraire, d’ajouter le Tribunal, exigerait d’écarter tous les témoignages entendus au cours de l’audience à l’exception de celui de Me Agnaou, et de conclure que le Commissariat n’a pas respecté sa loi habilitante et informé le SPPC de la divulgation qui lui a été faite. Par conséquent, le Tribunal a décidé que le plaignant n’avait pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, l’existence d’un lien entre sa divulgation au Commissariat et la reclassification des deux postes. La plainte a donc été rejetée parce que Me Agnaou n’avait pas démontré que les défendeurs avaient exercé des représailles contre lui.

III. La demande de récusation

[44] Quelques jours avant l’audition de la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur a fait parvenir une lettre à la Cour dans laquelle il soulevait le conflit d’intérêt potentiel dans lequel se trouverait l’un des membres de cette formation. Le demandeur faisait valoir que l’honorable juge LeBlanc s’était déjà récusé dans le cadre d’un dossier (T-2064-15) impliquant les mêmes parties alors qu’il siégeait à la Cour fédérale. Le juge LeBlanc s’en était expliqué en précisant que le conflit d’intérêt appréhendé résultait du fait qu’un employé du Commissariat qui avait participé au processus décisionnel ayant entraîné le rejet de sa plainte en représailles était un ami de longue date.

[45] Après avoir donné l’opportunité à Me Agnaou de s’expliquer plus longuement sur sa demande de révocation au début de l’audition, la Cour s’est retirée pour considérer sa demande. Au retour, le juge LeBlanc a fait lecture des motifs suivants, que je reproduis in extenso :

Après avoir considéré la lettre de l’appelant, datée du 28 avril 2022, de même que les représentations qu’il vient de nous faire, j’estime qu’une personne bien renseignée, sensée et raisonnable, qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, ne croirait pas que, selon toute vraisemblance, je ne rendrai pas une décision juste en l’instance, et ce pour les raisons suivantes :

a) D’une part, l’instance qui est devant nous ici concerne une décision du Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs du Canada, et non une décision du Commissaire à l’intégrité du secteur public; en d’autres termes, elle ne concerne ni la décision du Commissaire de rejeter la plainte de représailles, dossier dans lequel je me suis récusé en novembre 2017, ni quel qu’autre décision de ce décideur;

b) D’autre part, tel qu’en fait foi le jugement de la Cour fédérale disposant du contrôle judiciaire pour lequel je m’étais récusé, soit le jugement du 31 mars 2017, le Commissaire avait, à cette date, fait volte-face et était disposé à référer la plainte de représailles de l’appelant au Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs du Canada; donc, la question de la raisonnabilité de la décision au processus duquel cet ami avait participé ne se posait plus, à toutes fins utiles;

Finalement, l’ami qui est à la base de ma récusation dans le dossier de novembre 2017, a pris sa retraite de la fonction publique fédérale en juin 2017, soit quelques semaines avant que le Commissaire ne réfère formellement la plainte de représailles de l’appelant au Tribunal, ce qui s’est fait en août 2017; en d’autres termes, cet ami n’était plus à l’emploi du Commissariat de l’intégrité du secteur public au moment où se sont amorcées, déroulées et conclues, les procédures devant le Tribunal en lien avec la plainte de représailles de l’appelant.

Je ne vois donc pas matière à me récuser dans le présent dossier.

IV. Questions en litige

[46] Le demandeur a soulevé plusieurs questions dans son mémoire et ses représentations orales, que le défendeur André A. Morin a reprises pour l’essentiel. Le Commissaire a pour sa part énoncé 12 points en litige, tandis que le procureur général, Me Saunders, Me Dolhai et M. Desharnais ont axé leur argumentation autour de la norme de contrôle, de la raisonnabilité des décisions du Tribunal et du respect des principes d’équité procédurale.

[47] Tout compte fait, j’estime que tous les arguments soulevés par les parties peuvent être regroupées autour des questions suivantes :

  • 1) Le Tribunal a-t-il erré en statuant que les courriels du 1er et du 2 avril 2009 n’étaient pas des divulgations protégées en vertu de l’article 12 de la Loi?

 

  • 2) Le Tribunal a-t-il erré en concluant que Me Agnaou n’a pas démontré le lien de causalité nécessaire entre sa divulgation et la mesure alléguée?

 

  • 3) Le Tribunal a-t-il erré en refusant la requête de divulgation?

 

4) Le Tribunal a-t-il respecté le principe de l’équité procédurale?

V. Analyse

[48] Le demandeur soutient que la norme de contrôle applicable devrait être celle de la décision correcte, au motif que la Loi est de nature quasi-constitutionnelle. Or, il ne s’est appuyé sur aucun précédent pour soutenir sa prétention, et a tout au plus fait vaguement allusion au lien entre la protection des divulgateurs et les valeurs qui sous-tendent la Constitution. Sans vouloir nier l’importance de la Loi dans l’architecture de nos institutions gouvernementales, cela me paraît bien insuffisant pour lui insuffler un caractère fondamental au même titre que la Loi sur les langues officielles. Quoiqu’il en soit, la Cour fédérale a déjà refusé de reconnaître le statut quasi-constitutionnel de la Loi dans son arrêt Chopra c. Canada (Procureur général), 2013 CF 644, aux paras. 74-75. Bien que cette question n’ait pas fait l’objet de commentaires explicites en appel, il n’en demeure pas moins que cette Cour a entériné la décision de la Cour fédérale (2014 CAF 179), et le demandeur n’a pas expliqué pourquoi il conviendrait d’écarter ces décisions.

[49] En supposant même que la Loi puisse être qualifiée de quasi-constitutionnelle, le demandeur n’a pas expliqué en quoi cela devrait suffire pour écarter le principe suivant lequel un décideur administratif interprétant sa loi constitutive a droit à la déférence : Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2018 CSC 31 (Commission des droits de la personne), au para. 29. Cette présomption n’a pas été remise en cause par la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65; au contraire, le plus haut tribunal du pays y a réitéré la présomption selon laquelle la norme applicable lorsqu’une cour examine une décision administrative est celle de la décision raisonnable. Il est vrai que cette présomption sera écartée lorsque des questions constitutionnelles, des questions de droit générales d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble, et des questions liées aux délimitations de compétence sont en cause. Toutefois, l’on ne saurait confondre la nature constitutionnelle d’une loi (si tant est que la Loi en soit une de cette nature) et les questions particulières qui se soulèvent dans l’application de cette loi, comme l’a d’ailleurs reconnu la Cour suprême dans l’arrêt Commission des droits de la personne (au para. 30).

[50] Lorsqu’elle se prononce sur le caractère raisonnable d’une décision administrative, la cour de révision doit déterminer si cette décision est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle, et si elle est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes : Vavilov, au para. 85; Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, au para. 31; Caron Transport Ltd. c. Williams, 2020 CAF 106, au para. 16. Cette norme s’applique à tous les aspects substantifs d’une décision administrative.

[51] En revanche, la norme de la décision raisonnable n’est pas pertinente eu égard à la question de savoir si l’obligation d’agir dans le respect de l’équité procédurale a été satisfaite. En fait, la question de savoir si les principes d’équité procédurale ont été respectés se prête mal à une analyse fondée sur la norme de contrôle, dans la mesure où cet exercice porte sur l’examen des résultats alors que l’équité procédurale vise plutôt la procédure suivie pour atteindre ces résultats. Comme l’écrivait le juge Binnie dans l’arrêt S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539 (au paragraphe 102), « [l]’équité procédurale concerne la manière dont le ministre est parvenu à sa décision, tandis que la norme de contrôle s’applique au résultat de ses délibérations ». Voir aussi l’analyse exhaustive qu’a fait cette Cour de cette question dans l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, aux paragraphes 32-56. Bien que l’on applique généralement la norme de la décision correcte à ces questions, ce qui importe en dernière analyse est de déterminer si le processus suivi par le décideur administratif était équitable pour toutes les parties. Tout en reconnaissant que les tribunaux administratifs jouissent d’une grande latitude dans le choix des procédures suivies, un demandeur doit toujours être traité équitablement, connaître la preuve qu’il doit réfuter et avoir la possibilité d’y répondre. Ce sont là des exigences incontournables dont le non-respect ne peut faire l’objet d’aucune déférence : Algoma Tubes Inc. v. Canada (Attorney General), 2022 FCA 89, au paragraphe 8.

A. Le Tribunal a-t-il erré en statuant que les courriels du 1er et du 2 avril 2009 n’étaient pas des divulgations protégées en vertu de l’article 12 de la Loi?

[52] Le demandeur a soutenu que le Tribunal avait erré en considérant que les courriels du 1er et du 2 avril 2009 ne constituaient pas des divulgations protégées en ne considérant que le texte de ces courriels, sans tenir compte du contexte dans lequel ces courriels avaient été transmis, des événements qui les ont précédés, qui étaient concomitants ou qui les ont suivis. Il a également fait valoir que ces courriels doivent s’analyser en tenant compte des fins visées par leur auteur, soit de communiquer à ses supérieurs hiérarchiques des renseignements qui, selon lui, pouvaient démontrer qu’un acte répréhensible a été commis.

[53] Tel que mentionné précédemment, la Loi ne définit pas le terme « divulgation ». Pour lui donner un sens, le Tribunal a eu recours à l’objet de la Loi, au contexte dans lequel elle a été promulguée, ainsi qu’aux définitions qu’en donnent les dictionnaires de la langue française. Le Tribunal en a déduit qu’une divulgation au sens de la Loi vise à dénoncer, révéler ou lancer l’alerte d’un acte qui porte atteinte à l’intégrité de la fonction publique. L’article 12 de la Loi prévoit par ailleurs que la divulgation peut être faite à l’interne, au supérieur hiérarchique ou à l’agent supérieur désigné par l’administrateur général, tandis que l’article 13 autorise le fonctionnaire à faire une divulgation au Commissaire. Dans le cas présent, le Tribunal n’a eu aucune difficulté à reconnaître qu’une communication avait été faite au Commissaire le 13 octobre 2011, mais s’est dit d’avis que les courriels du 1er et du 2 avril 2009 ne constituaient pas une divulgation interne.

[54] Il convient tout d’abord d’insister sur le fait que le Tribunal, s’inspirant des décisions rendues dans les affaires El- Helou 1 et Agnaou CAF 2015, a reconnu que la Loi doit recevoir une interprétation large et libérale. D’autre part, le Tribunal a pris soin de préfacer son analyse d’une mise en garde à l’effet que ses conclusions eu égard à son interprétation d’une divulgation au sens de l’article 12 de la Loi ne se voulaient pas de portée générale mais ne s’appliquaient qu’aux circonstances de la présente affaire, étant donné l’absence de représentations de Me Agnaou à cet égard.

[55] Contrairement à ce qu’affirme le demandeur, j’estime que le Tribunal a tenu compte du contexte dans lequel s’inscrivent les courriels du 1er et du 2 avril 2009. Le Tribunal était bien au fait, au terme d’une audition d’une durée de 19 jours, de la trame historique dans laquelle s’inscrivent ces courriels. En réponse à l’argument de Me Agnaou selon lequel Mes Boileau et Morin ne pouvaient pas « ne pas savoir » qu’il s’agissait d’une divulgation, le Tribunal a répondu que Me Agnaou n’avait pas précisé quels éléments de preuve soutenaient cet argument, et a référé à plusieurs éléments de preuve contextuels qui tendaient à démontrer le contraire (Décision, paragraphe 108). Or, il est bien établi que l’évaluation de la preuve est une question qui relève de l’expertise du Tribunal, et Me Agnaou n’a pas fait la démonstration d’une erreur qui justifierait l’intervention de cette Cour. Tout au plus est-il en désaccord avec les conclusions tirées par le Tribunal et tente-t-il de nous convaincre de sa version des faits. Or, le rôle de cette Cour dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire n’est pas de procéder à sa propre évaluation de la preuve : Vavilov, paragraphe 125; Kalonji c. Administrateur général (Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada), 2018 CAF 8, au paragraphe 7.

[56] Quant à l’argument de Me Agnaou selon lequel il ne faudrait tenir compte que de sa perspective pour déterminer si les courriels du 1er et du 2 avril 2009 constituaient une divulgation protégée, il se heurte à deux obstacles. D’une part, comme le fait valoir avec à-propos le Tribunal, la preuve n’établit pas qu’il est « plus probable qu’improbable » qu’il ait lui-même eu l’intention de divulguer un acte répréhensible (Décision, paragraphe 109). Je suis d’accord avec le Commissaire lorsqu’il allègue que le choix par Me Agnaou de transmettre ses messages aux personnes mêmes qu’il allègue avoir voulu dénoncer plutôt qu’au coordonnateur de la protection des divulgateurs au sein du SPPC ne peut être déterminant, compte tenu du fait que la Loi elle-même donne le choix au fonctionnaire de faire sa divulgation à son supérieur hiérarchique, à l’agent supérieur désigné par l’administrateur général, ou au Commissariat. Il n’en demeure pas moins que le choix d’envoyer ses courriels à ses supérieurs immédiats peut être révélateur de l’état d’esprit de Me Agnaou les 1er et 2 avril 2009.

[57] Je suis également d’accord avec le Commissaire que l’on ne saurait davantage prendre en considération la compréhension qu’ont pu avoir les destinataires des courriels pour déterminer l’intention de Me Agnaou. La nature d’une communication ne saurait dépendre de la perception que s’en font les personnes qui la reçoivent. Ce n’est qu’à la dernière étape de l’analyse, lorsque vient le moment de déterminer si un lien a été établi entre la mesure de représailles et la divulgation protégée, que la question de savoir si les personnes qui ont pris des mesures de représailles étaient au fait de la divulgation se posera.

[58] Ceci étant dit, le fait qu’aucun témoin impliqué dans le fameux Dossier « A » ne croyait que les courriels du 1er et 2 avril 2009 constituaient une divulgation, y compris le délégué syndical de Me Agnaou, peut certainement être pris en considération. Comme le note par ailleurs le Tribunal, il appert que Me Agnaou n’a jamais indiqué avant le mois de janvier 2013 que ses courriels constituaient une divulgation en vertu de la Loi, et ni le Formulaire de divulgation ni la lettre d’allégations de 36 pages envoyés au Commissaire par Me Agnaou en octobre 2012 ne réfèrent aux courriels comme des divulgations internes (Décision, paragraphe 111). La preuve révèle par ailleurs qu’il n’est pas inhabituel qu’un procureur soit en désaccord avec la décision prise par les gestionnaires de poursuivre ou de ne pas poursuivre, et Me Agnaou lui-même réfère dans sa lettre d’allégations au Commissaire à son « différend » avec les gestionnaires (Dossier du demandeur, p. 729). En conséquence, il n’était pas déraisonnable pour le Tribunal de conclure que Me Agnaou n’avait pas établi selon la prépondérance des probabilités qu’il voulait lui-même faire une divulgation au sens de la Loi lorsqu’il a envoyé ses courriels les 1er et 2 avril 2009.

[59] Compte tenu de cette conclusion, il n’est pas nécessaire de se prononcer sur l’autre prétention de Me Agnaou, à savoir que l’existence d’une divulgation doit s’apprécier du point de vue subjectif de la personne qui procède à la divulgation. Même en supposant que Me Agnaou ait raison sur ce point, il n’a pas démontré qu’il avait bel et bien l’intention de faire une divulgation en envoyant ses courriels.

[60] Ceci dit, il me semble important d’ajouter les observations suivantes. En précisant à son article 12 que « [l]e fonctionnaire peut faire une divulgation en communiquant […] tout renseignement qui, selon lui, peut démontrer qu’un acte répréhensible a été commis ou est sur le point de l’être, ou qu’il lui a été demandé de commettre un tel acte » (je souligne), il m’apparaît évident que le législateur entendait protéger le fonctionnaire de bonne foi. Comme le précisait cette Cour dans l’arrêt Agnaou CAF 2015 (au paragraphe 73), « [n]e pas accorder la protection de la Loi en matière de représailles, à un fonctionnaire congédié qui a communiqué de l’information sur ce qu’il croyait de bonne foi être un acte répréhensible tel que défini dans la Loi, rendrait le système totalement inefficace ». Pour qu’une communication soit considérée comme une divulgation susceptible d’entraîner des représailles, il suffira donc qu’elle soit faite au supérieur hiérarchique ou à l’agent supérieur désigné par l’administrateur général, et qu’elle révèle une information pouvant démontrer qu’un acte répréhensible a été, est ou sera commis.

[61] Encore faudra-t-il, cependant, que la communication révèle une intention de dénoncer ou de révéler un acte répréhensible tel que défini à l’article 8 de la Loi. S’il n’est pas nécessaire que le fonctionnaire précise qu’il est en train de faire une divulgation ou réfère explicitement à la Loi, comme l’a reconnu cette Cour dans l’arrêt Agnaou CAF 2015 (au paragraphe 75), encore faudra-t-il que l’on puisse déduire cette intention du langage utilisé et des circonstances qui entourent sa communication. C’est précisément à ce chapitre que les courriels du 1er et du 2 avril 2009 sont déficients, tel que mentionné plus haut.

[62] Bref, je suis d’avis que le Tribunal n’a pas erré en concluant que Me Agnaou n’avait pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, avoir fait une divulgation protégée en vertu de l’article 12 de la Loi. Le Tribunal pouvait donc raisonnablement conclure qu’il ne pouvait bénéficier, à cet égard, de la protection que la Loi accorde à un fonctionnaire qui a fait une divulgation interne.

B. Le Tribunal a-t-il erré en concluant que Me Agnaou n’a pas démontré le lien de causalité nécessaire entre sa divulgation et la mesure alléguée?

[63] Tel que mentionné précédemment, le Tribunal a conclu que même dans l’hypothèse où les courriels du 1er et du 2 avril 2009 pourraient être considérés comme des divulgations internes, Me Agnaou n’avait pas démontré un lien entre ces divulgations et le fait de ne pas avoir été nommé à un poste LA-2B. Ce dernier conteste cette conclusion, au motif que le Tribunal aurait mal interprété la preuve et aurait été trop exigeant quant au lien qui doit être démontré entre la divulgation et la mesure de représailles alléguée.

[64] À mon avis, le Tribunal a convenablement expliqué les raisons pour lesquelles la reclassification des deux postes et la décision de ne pas le nommer dans l’un de ces postes n’était pas reliée à ses courriels. Le Tribunal s’est appuyé sur le fait qu’il était plus probable que la mesure avait été prise pour répondre aux préoccupations des deux avocates qui, depuis 2011, exerçaient des pressions pour que l’on reconnaisse le niveau des tâches qu’elles accomplissaient. Le Tribunal a également retenu le témoignage de Me Dolhai, selon qui son unité n’avait pas les fonds nécessaires pour procéder à la fois à la reclassification des deux postes et à l’embauche d’un employé prioritaire. Le Tribunal a également constaté que les gestionnaires avaient été surpris d’apprendre que Me Agnaou avait exercé sa priorité malgré le Protocole d’entente, lequel avait été signé en raison des relations tendues et du bris du lien de confiance avec la direction. Enfin, les exécuteurs de la mesure de représailles alléguée n’avaient aucune connaissance de la divulgation interne au moment où cette mesure a été prise. Que le demandeur soit en désaccord avec les conclusions tirées par le Tribunal est parfaitement compréhensible. Cela ne suffit cependant pas pour établir le caractère déraisonnable de sa décision. À moins de circonstances exceptionnelles dont on n’a pas fait la preuve ici, c’est au Tribunal d’apprécier la preuve soumise et non à cette Cour.

[65] Il en va de même du lien (ou plutôt de l’absence de lien) entre la mesure de représailles alléguée et la divulgation faite au Commissaire en octobre 2011. Le Tribunal a conclu que la preuve n’étayait aucunement la thèse de Me Agnaou selon laquelle sa divulgation aurait fait l’objet d’une fuite et aurait été communiquée à ses employeurs. Au paragraphe 151 de sa décision, le Tribunal écrit :

Afin de conclure que les défendeurs connaissaient, en septembre 2012, l’existence de la divulgation de Me Agnaou au Commissaire, je devrais écarter ou ignorer les témoignages rendus au cours de l’audience, sauf celui de Me Agnaou, ce que je n’ai aucun motif de faire. En outre, je devrais conclure que le commissariat n’aurait pas respecté sa loi habilitante et qu’il aurait informé le SPPC qu’une divulgation d’acte répréhensible lui avait été présentée. Or, rien dans la preuve présentée ne me permets (sic) de douter de ces témoignages et d’en venir à une telle conclusion.

[66] Le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve démontrant que le Commissaire aurait contrevenu à son serment d’office et au secret auquel il est tenu en ce qui concerne les renseignements qui lui sont communiqués. Le Commissaire a d’ailleurs témoigné qu’il n’avait communiqué l’existence de la divulgation externe à personne au sein du SPPC ou à l’extérieur du Commissariat. Compte tenu du fait que Me Agnaou a lui-même reconnu non seulement que la preuve du lien entre la mesure et la divulgation est de nature purement circonstancielle mais également qu’il n’a pas démontré ce lien par prépondérance des probabilités, le Tribunal était en droit de conclure que sa plainte de représailles devait être rejetée. Comme le soulignait la Cour suprême dans l’arrêt Newfoundland Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708 (au paragraphe 14), le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas « une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (repris dans Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, [2013] 2 R.C.S. 458, au paragraphe 53 et Vavilov, paragraphe 102).

[67] Tout en se disant d’accord avec la décision du Tribunal à l’effet que le demandeur n’avait pas établi le lien entre les divulgations protégées et les mesures reprochées, le Commissaire a invité la Cour à clarifier le fardeau de preuve requis pour établir un tel lien. S’appuyant sur la définition du mot « représailles » que l’on retrouve au paragraphe 2(1) de la Loi, et en particulier sur les mots « pour le motif », le Commissaire estime qu’il sera suffisant, pour établir selon la balance des probabilités qu’une mesure correspondant aux paragraphes a) à e) de cette définition a été prise en tant que représailles, que le plaignant démontre un lien avec la divulgation protégée. Il ne serait donc pas nécessaire, selon le Commissaire, de prouver que la divulgation protégée est le seul motif pour lequel la mesure a été prise, contrairement à ce qu’a décidé le Tribunal.

[68] Le Tribunal appuie son argumentation sur la jurisprudence émanant du Tribunal canadien des droits de la personne dans le cadre de l’article 14.1 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6) (LCDP). Selon cette disposition, constitue un acte discriminatoire le fait pour la personne visée par une plainte d’exercer ou de menacer d’exercer des représailles contre le plaignant ou la victime présumée. Or, selon la jurisprudence du Tribunal des droits de la personne, il suffit de prouver que la plainte a constitué l’un des facteurs ayant entraîné l’effet préjudiciable pour qu’elle soit accueillie : voir, par exemple, Dixon c. La Première Nation de Sandy Lake, 2018 TCDP 18, au paragraphe 24. Les tribunaux ont retenu la même interprétation dans le cadre des lois provinciales interdisant la discrimination : voir notamment Québec (Commission des droits de la personne et de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, [2015] 2 R.C.S. 789, au paragraphe 48 (Bombardier), citant Québec (Commission des droits de la personne & et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville), 2000 CSC 27, [2000] 1 R.C.S. 665, au paragraphe 67 (Ville de Montréal); Ward c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse), 2021 CSC 43, 463 D.L.R.(4th) 567, au paragraphe 96; Peel Law Assn. c. Pieters, 2013 ONCA 3916, au paragraphe 59.

[69] Malgré les similitudes que peuvent comporter la Loi et les lois anti-discriminatoires à certains égards, une distinction importante doit être notée. Comme le notait la Cour suprême dans les arrêts Bombardier, Ville de Montréal et Stewart c. Elk Valley Coal Corp., 2017 CSC 30, [2017] 1 R.C.S. 591 (au paragraphe 24), une plainte de discrimination est axée non pas sur l’intention de discriminer, mais plutôt sur l’effet discriminatoire d’une décision, d’un acte ou d’un geste, si bien que la discrimination peut prendre diverses formes et même survenir de façon involontaire. Dans cette perspective, s’attarder uniquement à l’intention du responsable minerait forcément l’objet de lutter contre toutes les formes de violation des droits de la personne comme la discrimination. Qui plus est, les lois protégeant les droits de la personne sont de nature quasi-constitutionnelle : voir Office régional de la santé du Nord c. Horrocks, 2021 CSC 42, 462 D.L.R.(4th) 585, au paragraphe 14; Canada (Chambre des communes) c. Vaid, 2005 CSC 30, [2005] R.C.S. 667, au paragraphe 8.

[70] En revanche, la Loi n’est pas de nature quasi-constitutionnelle et son objet est d’accroître la confiance du public dans l’intégrité de la fonction publique et de ses fonctionnaires. La Loi permet donc à ces derniers de divulguer des informations qui pourraient révéler l’occurrence ou l’imminence d’un acte répréhensible au sein de la fonction publique. En contrepartie, les divulgateurs sont protégés contre toutes représailles qui pourraient être exercées à leur endroit, définies comme des mesures prises « pour le motif » d’une divulgation. En l’absence de toute démonstration que l’objet de la Loi ne sera pas réalisé si l’on exige que les représailles constituent une mesure prise à l’encontre d’un fonctionnaire principalement en raison d’une divulgation, j’estime qu’il ne serait pas approprié d’adopter la thèse du demandeur et du Commissaire.

C. Le Tribunal a-t-il erré en refusant la requête de divulgation?

[71] Le demandeur soutient que le Tribunal a mal interprété les alinéas 20(1)c) et e) des Règles de pratique du Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, DORS/2011-170 (les Règles) en rejetant sa demande de divulgation. Ces dispositions prévoient que chaque partie doit signifier et déposer un exposé des précisions qui contient, entre autres, une liste des documents qui sont en sa possession ou qui ne sont plus en sa possession et qui sont pertinents aux questions en litige. Le demandeur soutient que le Tribunal a appliqué une norme de pertinence trop sévère en exigeant une description précise des documents recherchés. Il fait valoir que la norme de communication de documents doit être la même que dans le processus pénal, que le Tribunal a erré en s’appuyant sur la jurisprudence relative aux droits de la personne, que l’approche retenue doit tenir compte du déséquilibre entre les parties et du fait que la Loi ne vise pas seulement l’intérêt privé des plaignants mais également le bien commun.

[72] À mon avis, ces prétentions sont sans fondement. Il importe tout d’abord de souligner qu’une instance devant le Tribunal ne relève pas du droit criminel mais plutôt du droit administratif, de telle sorte que la norme de communication des documents énoncée dans l’arrêt Stinchcombe ne s’applique pas en l’espèce : May c. Établissement Ferndale, 2005 SCC 82, [2005] 3 R.C.S. 809, au paragraphe 91; El-Helou c. Service administratif des tribunaux judiciaires, 2011 TPFD 4, au paragraphe 54 (El-Helou 2).

[73] D’autre part, le processus établi par la Loi à son paragraphe 21.6(1) pour traiter des plaintes de représailles est très semblable à celui qui est prévu au paragraphe 50(1) de la LCDP. Dans les deux cas, on donne aux parties la possibilité de comparaître et de présenter des éléments de preuve ainsi que leurs observations. D’autre part, la Règle 6 des Règles de procédure sous le régime de la LCDP (03-05-04) en vigueur au moment de la décision rendue par le Tribunal contenait des dispositions similaires aux Règles concernant l’exposé des précisions, la divulgation et la production des documents. Dans les deux cas, les parties doivent identifier les divers documents en leur possession qui sont pertinents à un fait, une question ou une forme de redressement demandée. Par conséquent, le Tribunal était tout à fait justifié de s’appuyer sur la jurisprudence développée sous la LCDP pour évaluer la requête du demandeur : Agnaou CAF 2015, au paragraphe 62.

[74] Dans sa décision, le Tribunal s’est appuyé sur l’article 20 des Règles ainsi que sur l’arrêt Turner c. Agence des services frontaliers du Canada du TCDP (2018 TCDP 9) pour conclure que la communication demandée doit être pertinente au litige, ne doit pas être vague ou équivaloir à une partie de pêche, et donc que les documents doivent être décrits d’une manière suffisamment précise (Agnaou 1, au paragraphe 26). Du même souffle, le Tribunal a ajouté qu’il doit exister un lien rationnel entre les documents demandés et le litige, tout en reconnaissant que le fardeau imposé à la personne demandant le document ne devait pas être trop onéreux (ibid, au paragraphe 30). À mon avis, il s’agit là d’une description exacte de la règle de pertinence que se devait d’appliquer le Tribunal.

[75] Il est bien établi que la compétence du Tribunal est délimitée par la portée de l’avis de demande du Commissaire, qui constitue en quelque sorte l’acte introductif d’instance auprès du Tribunal: voir El Helou 1, aux paras. 77, 77-81, 89, 91 et 94; El-Helou 2, aux paras. 43, 45. Dans le cas présent, le Commissaire n’a pas demandé au Tribunal de se prononcer sur le caractère répréhensible de la décision du SPPC de ne pas intenter des poursuites; cette question n’était donc pas en litige. De fait, le Sous-commissaire avait antérieurement conclu qu’aucun renseignement ne suggérait qu’un acte répréhensible avait été commis au sens de la Loi, et cette décision avait été maintenue par la Cour fédérale et par cette Cour. Au surplus, le demandeur aurait pu contester la portée de l’avis de demande du Commissaire s’il avait des préoccupations quant à sa portée, ce qu’il n’a pas fait. Dans ce contexte, il était donc tout à fait raisonnable pour le Tribunal de conclure que les documents liés à la décision de ne pas intenter des poursuites criminelles n’étaient pas pertinents au litige.

[76] Quant aux autres catégories de documents demandés par Me Agnaou dans sa requête, ce dernier s’est contenté de prétendre qu’il pouvait être inféré des pièces au dossier qu’il y avait nécessairement d’autres documents non divulgués. Le Tribunal était parfaitement justifié de conclure que cette demande équivalait à une chasse à l’aveuglette, dans la mesure où Me Agnaou ne fournit aucun détail et ne donne aucune liste des documents dont il sollicite la divulgation, se contentant d’énoncer des catégories de documents sans donner aucune précision permettant de conclure à l’existence même de ces documents (Agnaou 1, au para. 35). Même en adoptant une interprétation large et libérale de l’article 20 des Règles, un simple soupçon qui ne s’appuie sur aucun élément de preuve concret ne saurait suffire pour ordonner la production de documents : Grand River Enterprises Six Nations Ltd. c. Canada, 2011 CAF 121, aux paras. 15-16.

[77] Je suis donc d’avis que le demandeur n’a pas réussi à démontrer que la décision du Tribunal de rejeter sa requête pour divulgation de documents n’était pas raisonnable, compte tenu des circonstances et des informations dont disposait le Tribunal.

D. Le Tribunal a-t-il respecté le principe de l’équité procédurale?

[78] Le demandeur a prétendu, dans ses représentations écrites et dans son argumentation orale, que le Tribunal avait manqué à son obligation d’équité procédurale. Il a fait valoir que le Tribunal ne rendait pas justice à la preuve soumise, n’avait pas fait les liens qui s’imposaient entre certains éléments de preuve et son argumentation et n’a donc pas considéré les éléments de preuve appuyant sa thèse, aurait fait preuve de partialité dans son analyse microscopique des faits, a permis au Commissaire de participer aux audiences alors que ses interventions ne visaient pas à faire valoir l’intérêt public, et a refusé d’assigner certains des témoins qu’il voulait faire entendre en plus de limiter les questions qu’il souhaitait poser en contre-interrogatoire. Après avoir soigneusement pris connaissance de l’ensemble du dossier, je ne peux me ranger à ces arguments.

[79] Comme tout autre décideur administratif, le Tribunal est maître de sa procédure, et peut prendre les mesures nécessaires pour éviter qu’une partie se livre à une partie de pêche et s’assurer que le processus soit équitable :, Lukacs c. Swoop Inc., 2019 CAF 145, citant notamment AstraZeneca Canada Inc. c. Novopharm Limited, 2010 CAF 112, au para. 5 et Kastner c. Painblanc, [1994] A.C.F. no 1671 (QL), au para. 4. En bout de ligne, la question à laquelle doit répondre cette Cour est de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu la possibilité complète d’y répondre : Chemin de fer Canadien Pacifique, aux paras. 54 et 56; Doyle c. Canada (Procureur général), 2020 CF 259, aux paras. 28-30.

[80] En l’espèce, il ne me semble pas faire de doute à la lecture des transcriptions et de la décision que le demandeur connaissait la preuve à réfuter et a eu tout le loisir d’y répondre. Les défendeurs ont signifié et déposé près de dix-huit mois avant l’audition un exposé des précisions en vertu des Règles dans lequel ils ont référé aux faits importants qu’ils comptaient présenter en preuve, incluant les motifs pour lesquels le SPPC avait opté pour un processus de reclassification, leur position à l’égard de chacune des questions en litige et les témoins qu’ils comptaient produire (Dossier des défendeurs, vol. 1, onglet C, pp. 17-33). Au surplus, le SPPC et les défendeurs individuels ont signifié et déposé un an avant l’audition les résumés des témoins qu’ils comptaient produire (Dossier des défendeurs, vol 1, aux pp 54-55 et 69-73). Le demandeur était donc bien au fait de la preuve qu’il devait réfuter.

[81] Il est vrai que le Tribunal a réduit le nombre de témoins que voulait assigner le demandeur, écartant de sa liste plus de la moitié d’entre eux. Il s’en est cependant expliqué en notant le caractère laconique du résumé de nombreux témoignages présentés par le demandeur et leur absence de pertinence eu égard aux questions en litige. Le Tribunal s’est également dit d’avis que plusieurs des témoignages proposés constitueraient une chasse à l’aveuglette. Ces considérations étaient tout à fait appropriées. Le Tribunal se devait de trouver un juste équilibre entre le droit d’une partie de présenter sa preuve et le droit des autres parties à une procédure équitable. Je note par ailleurs que le Tribunal a donné au demandeur la possibilité de répondre aux requêtes des défendeurs avant de prendre sa décision. Ultimement, le Tribunal est maître de sa procédure. Il a pris sa décision de réduire le nombre de témoins du demandeur après avoir tenu compte des représentations du demandeur, et en appliquant les critères développés par la jurisprudence relative aux assignations à témoigner. Le Tribunal a notamment tenu compte du principe de la proportionnalité, des privilèges que pourraient faire valoir un témoin, de la célérité avec laquelle doit se dérouler une audience et de son caractère équitable, ainsi que de la pertinence et de l’importance du témoignage à être livré : Zundel (Re), 2004 CF 798, aux paras. 5-10; Laboratoires Servier c. Apotex Inc., 2008 CF 321, aux paras. 19-20.

[82] J’ajouterais que le Tribunal a consacré dix-neuf jours à l’audition de ce dossier, et que Me Agnaou a bénéficié d’une grande latitude dans la présentation de son dossier, ainsi que dans l’interrogatoire et le contre-interrogatoire des témoins. Contrairement à ce qu’a soutenu le demandeur, le Tribunal avait l’autorité de restreindre certains interrogatoires et contre-interrogatoires pour s’assurer de la pertinence des questions et de leur lien avec les questions en litige, : Forrest c. Canada (Procureur général), [2002] F.C.J. No 713, au para. 31; Lukacs, au para. 18; Adventure Tours Inc. c. Administration portuaire de St.John’s, 2011 CAF 198, aux paras. 62-63; Merchant Law Group c. Canada (Agence du Revenu), 2010 CAF 184, au para. 34. À cet égard, je note que le Tribunal a utilisé ce pouvoir avec circonspection et de façon limitée.

[83] Me Agnaou insinue également que le Tribunal aurait fait preuve de partialité dans son traitement de la preuve, en déclarant qu’il ne lui revenait pas d’identifier pour lui les éléments de preuve pertinents susceptibles d’appuyer ses allégations. Or une telle allégation doit normalement être soulevée à la première occasion possible, et c’est au demandeur qu’incombe le fardeau de démontrer qu’une personne raisonnable et bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, craindrait que le décideur ne sera pas impartial : Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, au para. 19; R c S.(R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, au para. 114; Davidson c. Canada (Procureur général), 2021 FCA 226, au para. 15. Il m’apparaît clair que la mention par le Tribunal qu’il ne lui appartient pas d’identifier les éléments de preuve pertinents susceptibles d’appuyer les allégations du demandeur ne rencontre pas ce test, d’autant plus qu’elle est tout à fait conforme au droit applicable en matière de preuve.

[84] Quant à la participation du Commissaire aux auditions du Tribunal, je n’y vois absolument rien de répréhensible. D’une part, le paragraphe 21.4(2) précise que le Commissaire est une partie à la procédure devant le Tribunal, et à ce titre il a la possibilité pleine et entière d’y prendre part, de comparaître et de présenter des éléments de preuve ainsi que des observations. Le Tribunal ne pouvait donc pas limiter sa participation, alors qu’il peut le faire en vertu du paragraphe 21.6(3) pour les personnes identifiées comme étant celles qui auraient exercé des représailles. D’autre part, le Commissaire ne représente pas le plaignant devant le Tribunal mais plutôt l’intérêt public (Loi, para. 21.6(2)). Il lui était donc loisible de prendre la position selon laquelle la preuve ne démontrait pas la prise de représailles. Comme cette Cour l’a écrit dans l’arrêt El-Helou c. Canada (Service administratif des tribunaux judiciaires), 2016 CAF 273 (au para. 73), « le Commissaire agirait contre l’intérêt public s’il devait appuyer une plainte en matière de représailles, même s’il est d’avis que lesdites représailles n’ont pas été exercées ».

[85] Bref, pour tous les motifs qui précèdent, je suis d’avis que le Tribunal a observé tous les principes d’équité procédurale, et que le demandeur a eu droit à une audition impartiale et indépendante de sa cause. Les différentes mesures et décisions prises par le Tribunal dans la gestion du dossier et au cours de l’audience étaient conformes à sa loi habilitante et ont adéquatement permis au demandeur de faire valoir ses droits tout en préservant ceux des défendeurs.

VI. Conclusion

[86] Je rejetterais la demande de contrôle judiciaire du demandeur, avec dépens.

« Yves de Montigny »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Richard Boivin j.c.a. »

« Je suis d’accord.

René LeBlanc j.c.a. »


 

ANNEXE

Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, L.C. 2005, ch. 46

Définitions

Definitions

2(1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

2(1) The following definitions apply in this Act.

[…]

représailles L’une ou l’autre des mesures ci-après prises à l’encontre d’un fonctionnaire pour le motif qu’il a fait une divulgation protégée ou pour le motif qu’il a collaboré de bonne foi à une enquête menée sur une divulgation ou commencée au titre de l’article 33 :

reprisal means any of the following measures taken against a public servant because the public servant has made a protected disclosure or has, in good faith, cooperated in an investigation into a disclosure or an investigation commenced under section 33:

a) toute sanction disciplinaire;

(a) a disciplinary measure;

b) les cas la rétrogradation du fonctionnaire;

(b) the demotion of the public servant;

c) son licenciement et, s’agissant d’un membre de la Gendarmerie royale du Canada, son renvoi ou congédiement;

(c) the termination of employment of the public servant, including, in the case of a member of the Royal Canadian Mounted Police, a discharge or dismissal;

d) toute mesure portant atteinte à son emploi ou à ses conditions de travail;

(d) any measure that adversely affects the employment or working conditions of the public servant; and

e) toute menace à cet égard. (reprisal)

 

(e) a threat to take any of the measures referred to in any of paragraphs (a) to (d). (représailles)

[…]

Actes répréhensibles

Wrongdoings

8. La présente loi s’applique aux actes répréhensibles ci-après commis au sein du secteur public ou le concernant :

8. This Act applies in respect of the following wrongdoings in or relating to the public sector:

a) la contravention d’une loi fédérale ou provinciale ou d’un règlement pris sous leur régime, à l’exception de la contravention de l’article 19 de la présente loi;

(a) a contravention of any Act of Parliament or of the legislature of a province, or of any regulations made under any such Act, other than a contravention of section 19 of this Act;

b) l’usage abusif des fonds ou des biens publics;

(b) a misuse of public funds or a public asset;

c) les cas graves de mauvaise gestion dans le secteur public;

(c) a gross mismanagement in the public sector;

d) le fait de causer — par action ou omission — un risque grave et précis pour la vie, la santé ou la sécurité humaines ou pour l’environnement, à l’exception du risque inhérent à l’exercice des attributions d’un fonctionnaire;

(d) an act or omission that creates a substantial and specific danger to the life, health or safety of persons, or to the environment, other than a danger that is inherent in the performance of the duties or functions of a public servant;

e) la contravention grave d’un code de conduite établi en vertu des articles 5 ou 6;

(e) a serious breach of a code of conduct established under section 5 or 6; and

f) les le fait de sciemment ordonner ou conseiller à une personne de commettre l’un des actes répréhensibles visés aux alinéas a) à e).

(f) knowingly directing or counselling a person to commit a wrongdoing set out in any of paragraphs (a) to (e).

g) [Abrogé, 2006, ch. 9, art. 197]

(g) [Repealed, 2006, c. 9, s. 197]

[…]

Divulgation au supérieur hiérarchique ou à l’agent supérieur

Disclosure to supervisor or senior officer

12. Le fonctionnaire peut faire une divulgation en communiquant à son supérieur hiérarchique ou à l’agent supérieur désigné par l’administrateur général de l’élément du secteur public dont il fait partie tout renseignement qui, selon lui, peut démontrer qu’un acte répréhensible a été commis ou est sur le point de l’être, ou qu’il lui a été demandé de commettre un tel acte.

 

12. A public servant may disclose to his or her supervisor or to the senior officer designated for the purpose by the chief executive of the portion of the public sector in which the public servant is employed any information that the public servant believes could show that a wrongdoing has been committed or is about to be committed, or that could show that the public servant has been asked to commit a wrongdoing.

Divulgation au commissaire

Disclosure to the Commissioner

Le fonctionnaire peut faire une divulgation en communiquant au commissaire tout renseignement visé à l’article 12.

 

A public servant may disclose information referred to in section 12 to the Commissioner.

[…]

Irrecevabilité

Refusal to deal with complaint

19.3(1) Le commissaire peut refuser de statuer sur une plainte s’il l’estime irrecevable pour un des motifs suivants :

19.3(1) The Commissioner may refuse to deal with a complaint if he or she is of the opinion that

[…]

c) la plainte déborde sa compétence;

(c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commissioner; or

[…]

Demande présentée au Tribunal

Application to Tribunal

Si, après réception du rapport d’enquête, le commissaire est d’avis que l’instruction de la plainte par le Tribunal est justifiée, il peut lui demander de décider si des représailles ont été exercées à l’égard du plaignant et, le cas échéant :

If, after receipt of the report, the Commissioner is of the opinion that an application to the Tribunal in relation to the complaint is warranted, the Commissioner may apply to the Tribunal for a determination of whether or not a reprisal was taken against the complainant and, if the Tribunal determines that a reprisal was taken, for

a) soit d’ordonner la prise des mesures de réparation à l’égard du plaignant;

(a) an order respecting a remedy in favour of the complainant; or

b) soit d’ordonner la prise des mesures de réparation à l’égard du plaignant; soit d’ordonner la prise des mesures de réparation à l’égard du plaignant et la prise de sanctions disciplinaires à l’encontre de la personne ou des personnes identifiées dans la demande comme étant celles qui ont exercé les représailles.

(b) an order respecting a remedy in favour of the complainant and an order respecting disciplinary action against any person or persons identified by the Commissioner in the application as being the person or persons who took the reprisal.

[…]

Rejet de la plainte

Dismissal of complaint

20.5 Si, après réception du rapport d’enquête, le commissaire est d’avis, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, que l’instruction de celle-ci par le Tribunal n’est pas justifiée, il rejette la plainte.

 

20.5 If, after receipt of the report, the Commissioner is of the opinion that an application to the Tribunal is not warranted in the circumstances, he or she must dismiss the complaint.

[…]

Droits des parties

Rights of parties

21.6(1) Dans le cadre de toute procédure, il est donné aux parties la possibilité pleine et entière d’y prendre part et de se faire représenter à cette fin par un conseiller juridique ou par toute autre personne, et notamment de comparaître et de présenter des éléments de preuve ainsi que leurs observations.

21.6(1) Every party must be given a full and ample opportunity to participate at any proceedings before the Tribunal — including, but not limited to, by appearing at any hearing, by presenting evidence and by making representations — and to be assisted or represented by counsel, or by any person, for that purpose.

Obligation du commissaire

Duty of Commissioner

21.6(2) Dans le cadre de toute procédure, le commissaire adopte l’attitude qui, à son avis, est dans l’intérêt public, compte tenu de la nature de la plainte.

21.6(2) The Commissioner must, in proceedings before the Tribunal, adopt the position that, in his or her opinion, is in the public interest having regard to the nature of the complaint.

Limite imposée à la participation

Limitation — proceedings relating to remedy

21.6(3) Malgré le paragraphe (1), le Tribunal peut limiter la participation de la personne ou des personnes identifiées comme étant celles qui auraient exercé les représailles lors de la partie de la procédure qui traite uniquement de la prise de mesures de réparation à l’égard du plaignant.

21.6(3) With respect to the portions of proceedings that relate solely to the remedy, if any, to be ordered in favour of the complainant, the Tribunal may, despite subsection (1), limit the participation of any person or persons identified as being the person or persons who may have taken the alleged reprisal.

[…]

Refus d’intervenir

Right to refuse

24(1) Le commissaire peut refuser de donner suite à une divulgation ou de commencer une enquête ou de la poursuivre, s’il estime, selon le cas :

24(1) The Commissioner may refuse to deal with a disclosure or to commence an investigation — and he or she may cease an investigation — if he or she is of the opinion that

a) que l’objet de la divulgation ou de l’enquête a été instruit comme il se doit dans le cadre de la procédure prévue par toute autre loi fédérale ou pourrait l’être avantageusement selon celle-ci;

(a) the subject-matter of the disclosure or the investigation has been adequately dealt with, or could more appropriately be dealt with, according to a procedure provided for under another Act of Parliament;

b) que l’objet de la divulgation ou de l’enquête n’est pas suffisamment important;

(b) the subject-matter of the disclosure or the investigation is not sufficiently important;

c) que la divulgation ou la communication des renseignements visée à l’article 33 n’est pas faite de bonne foi;

(c) the disclosure was not made in good faith or the information that led to the investigation under section 33 was not provided in good faith;

d) que cela serait inutile en raison de la période écoulée depuis le moment où les actes visés par la divulgation ou l’enquête ont été commis;

(d) the length of time that has elapsed since the date when the subject-matter of the disclosure or the investigation arose is such that dealing with it would serve no useful purpose;

e) que les faits visés par la divulgation ou l’enquête résultent de la mise en application d’un processus décisionnel équilibré et informé;

(e) the subject-matter of the disclosure or the investigation relates to a matter that results from a balanced and informed decision-making process on a public policy issue; or

f) que cela est opportun pour tout autre motif justifié.

(f) there is a valid reason for not dealing with the subject-matter of the disclosure or the investigation.

[…]

Avis à l’administrateur général

Notice to chief executive

27(1) Au moment de commencer une enquête, le commissaire informe l’administrateur général concerné de la tenue de celle-ci et lui fait connaître l’objet de la divulgation en cause.

27(1) When commencing an investigation, the Commissioner must notify the chief executive concerned and inform that chief executive of the substance of the disclosure to which the investigation relates.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-461-19

 

INTITULÉ :

YACINE AGNAOU c. SERVICES DES POURSUITES PÉNALES DU CANADA, BRIAN SAUNDERS, GEORGES DOLHAI, ANDRÉ A. MORIN, DENIS DESHARNAIS, COMMISSAIRE À L'INTÉGRITÉ DU SECTEUR PUBLIC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 mai 2022

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

 

Y ONT (A) SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LEBLANC

 

 

DATE DES MOTIFS :

LE 29 JUILLET 2022

 

 

COMPARUTIONS :

Yacine Agnaou

 

Pour le demandeur

(se représentant lui-même)

Kétia Calix

 

Pour les défendeurs

SERVICES DES POURSUITES PÉNALES DU CANADA, BRIAN SAUNDERS, GEORGES DOLHAI, et DENIS DESHARNAIS

Antoine Aylwin

 

ANDRÉ A. MORIN

Claudine Patry

Sherri Anderson

COMMISSAIRE À L'INTÉGRITÉ DU SECTEUR PUBLIC

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

 

Pour les défendeurs

SERVICES DES POURSUITES PÉNALES DU CANADA, BRIAN SAUNDERS, GEORGES DOLHAI, DENIS DESHARNAIS et COMMISSAIRE À L'INTÉGRITÉ DU SECTEUR PUBLIC

 

Fasken Martineau Du Moulin S.E.N.C.R.L, S.R.L

Montréal (Québec)

André A. Morin

 

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