Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20220719


Dossier : A‑317‑21

Référence : 2022 CAF 135

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MONAGHAN

 

ENTRE :

FIBROGEN, INC.

appelante

et

AKEBIA THERAPEUTICS, INC. ET

OTSUKA CANADA PHARMACEUTICAL INC.

intimées

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 3 mai 2022.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 19 juillet 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MONAGHAN

 


Date : 20220719


Dossier : A‑317‑21

Référence : 2022 CAF 135

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MONAGHAN

 

 

ENTRE :

FIBROGEN, INC.

appelante

et

AKEBIA THERAPEUTICS, INC. ET

OTSUKA CANADA PHARMACEUTICAL INC.

intimées

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE RENNIE

Le contexte

[1] La compréhension des questions soulevées dans le présent appel et du dispositif que je propose exige, curieusement, mais nécessairement, que je commence par une description des procédures interlocutoires dans une action à la Cour fédérale qui n’a jamais fait l’objet d’un procès.

[2] Akebia Therapeutics, Inc. et Otsuka Canada Pharmaceutical Inc. (Akebia) ont intenté une action en vue de faire invalider trois brevets canadiens dont FibroGen, Inc. (FibroGen) est titulaire. Un litige parallèle était également en instance entre les parties aux États‑Unis relativement au brevet américain.

[3] Conformément à la pratique habituelle des avocats en propriété intellectuelle, les parties ont conclu une entente de non‑divulgation (l'entente). L'entente visait à établir des règles [traduction] « concernant le maintien et la protection de la confidentialité de certains documents et renseignements susceptibles d’être communiqués dans le cadre de l'action » (entente, préambule). Selon l'entente, il y a quatre catégories de renseignements : les renseignements publics, les renseignements non publics, les [traduction] « renseignements confidentiels » et les [traduction] « renseignements hautement confidentiels ».

[4] Les renseignements publics sont ceux qui relèvent du domaine public, comme le brevet. Les renseignements non publics sont des renseignements qui ne sont pas confidentiels, mais qui ne sont pas généralement mis à la disposition du public, comme le curriculum vitae des inventeurs. Les renseignements confidentiels sont tous les autres renseignements de nature exclusive, non exclusive ou commerciale, notamment les protocoles d'études cliniques, les données scientifiques, les résultats de tests, les notes de laboratoire et les documents relatifs à l'approbation réglementaire et aux plans de commercialisation. Les renseignements hautement confidentiels constituent un sous‑ensemble des renseignements confidentiels qui se limite aux renseignements commerciaux de nature délicate, comme les stratégies commerciales et les renseignements [traduction] « dont la communication pourrait, selon une partie qui le croit de bonne foi, causer un préjudice à la partie qui les produit s'ils étaient mis à la disposition de la partie destinataire » (entente, article 1(p)(iv)). Selon FibroGen, sont compris dans cette dernière catégorie ses [traduction] « renseignements les plus secrets et les plus délicats, car ils font référence à des composés qui pourraient être utiles au développement de thérapies ayant un succès commercial » (affidavit de Mme Walkinshaw au para. 11, compendium de l'appelante, onglet 14).

[5] Selon l'entente, la partie qui communique des renseignements confidentiels précise s'il s'agit de renseignements confidentiels ou hautement confidentiels. La distinction entre ces deux types de renseignements est subtile, mais importante : elle permet de savoir quelles personnes peuvent consulter les documents communiqués entre les parties pendant le litige, qu'il s'agisse d'avocats, d'experts ou de conseillers scientifiques, internes ou externes. À l'exception des avocats internes, les employés d'une partie ne peuvent consulter les renseignements hautement confidentiels de la partie adverse.

[6] L'entente décrit la manière de coter les pièces qui comportent des renseignements confidentiels et hautement confidentiels, et les personnes qui peuvent assister aux interrogatoires préalables, et la distribution et le contrôle des transcriptions des interrogatoires préalables et des pièces. Elle prescrit la forme des engagements à la non‑divulgation que doit signer chaque personne autorisée à consulter les documents et, fait important pour les questions en litige dans le présent appel, il y est expressément prévu que l'entente n'a aucune incidence l'engagement implicite concernant l'utilisation des documents (entente, article 23a)). L'article 19 évoque également la règle de l'engagement implicite; il prévoit que les renseignements confidentiels et hautement confidentiels doivent être utilisés [traduction] « uniquement pour la présente instance; ils ne peuvent être utilisés à aucune autre fin ». Selon l'article 32 de l'entente, à l'issue de l'instance à la Cour fédérale, tous les exemplaires de documents comportant des renseignements confidentiels ou hautement confidentiels devaient être détruits dans les 90 jours, à l'exception d'un seul qui devait être conservé par un avocat externe.

[7] L'entente, aux articles 4, 11, 13 et 24, prévoit les situations dans lesquelles il faut présenter une requête en confidentialité au titre de la règle 151 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles). Il y est précisé que lorsqu'on présente une telle requête, les documents sont déposés sous scellés et identifiés comme étant soit confidentiels, soit hautement confidentiels. Selon l'entente, lorsqu'une partie ne peut facilement séparer les renseignements confidentiels ou hautement confidentiels des renseignements non confidentiels, elle peut déposer le document entier sous scellés, à la condition qu'une version caviardée soit déposée en même temps dans le dossier public.

[8] Je fais remarquer, incidemment, que cinq mois avant la signature de l'entente en août 2020, la Cour a tranché la question de l'applicabilité du critère établi dans l'arrêt Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41, [2002] 2 R.C.S. 522 [Sierra Club] , aux ordonnances conservatoires (essentiellement les ententes de non‑divulgation imposées par les tribunaux) et aux ententes de non‑divulgation, comme celle visée en l'espèce. En février 2020, dans l'arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. BNSF Railway Company, 2020 CAF 45, [2020] 3 R.C.F. 124 [CN], la Cour a jugé que le critère établi dans l'arrêt Sierra Club ne s'appliquait pas aux ordonnances conservatoires.

[9] Les ordonnances conservatoires et les ententes de non‑divulgation régissent la communication, entre les parties, des documents et des renseignements avant le procès, de sorte qu'elles n'entraînent pas l'application du principe de la publicité des débats judiciaires et du critère énoncé dans l'arrêt Sierra Club. En revanche, les ordonnances de mise sous scellés retirent du dossier public les documents qui seraient normalement publics. Dans l'arrêt CN, notre Cour s'est exprimée en ces termes au paragraphe 24 de ses motifs :

Soulignons que les intérêts qui motivent les parties à solliciter une ordonnance conservatoire ou une ordonnance de confidentialité sont très différents. Le juge des requêtes l'a reconnu en l'espèce lorsqu'il a fait remarquer que « l'ordonnance conservatoire ne porte pas atteinte au principe de la publicité des débats judiciaires », contrairement à l'ordonnance de confidentialité. Pourtant, il estime que « les critères énoncés aux paragraphes 53 et suivants de l'arrêt Sierra Club qui s'appliquent aux ordonnances de confidentialité devraient également s'appliquer aux ordonnances conservatoires » (motifs de l'ordonnance du juge des requêtes, au paragraphe 19). Ce raisonnement n'est pas cohérent, car les critères énoncés dans l'arrêt Sierra Club sont censés concerner des intérêts, tout particulièrement le principe de la publicité des débats judiciaires, qui n'interviennent tout simplement pas à l'étape de l'enquête préalable au procès dans le cas d'une ordonnance conservatoire. La Cour suprême le précise dans l'arrêt Juman c. Doucette, 2008 CSC 8, [2008] 1 R.C.S. 157 en ces termes au paragraphe 21 :

[...] L'enquête préalable n'a pas lieu en audience publique et l'immense majorité des affaires civiles n'atteignent pas l'étape du procès. Les avocats examinent ou échangent les documents à l'endroit de leur choix. De façon générale, l'interrogatoire préalable n'a pas lieu devant un juge. Le seul moment où le principe de la « publicité des débats en justice » entre en jeu est celui de l'instruction où les documents de la partie interrogée au préalable ou les réponses tirées des transcriptions de l'interrogatoire préalable sont introduits en preuve au procès.

[10] Les ordonnances conservatoires et les ententes de non‑divulgation font partie intégrante du déroulement des litiges à la Cour fédérale. Ces ententes – souvent conclues sans l'intervention de la Cour, ou si peu – garantissent que le processus préalable à l'instruction se déroule de manière efficace et que les parties s'entendent sur la manière de communiquer les documents afin d'éviter que leurs intérêts commerciaux légitimes soient compromis. Ces ententes visent à ce que les interrogatoires préalables aient lieu sans retards et se déroulent de manière prévisible, ce qui est particulièrement important compte tenu des délais impératifs dans lesquels les affaires en matière de propriété intellectuelle, longues et complexes, doivent être entendues à la Cour fédérale. Les ordonnances conservatoires et les ententes de non‑divulgation demeurent soumises à la surveillance de la Cour, plus particulièrement à celle des juges responsables de la gestion de l'instance, à qui il arrive de devoir modifier les délais ou résoudre les différends qui concernent les modalités.

[11] La compétence de la Cour relativement aux ententes de non‑divulgation ainsi qu'à toute question soulevée après le procès au sujet des documents n'est pas tributaire du consentement des parties. Notre Cour, comme la Cour fédérale, a implicitement compétence pour contrôler tous les documents du dossier dont elle est saisie, tant pendant le litige qu'après sa conclusion (Société Radio‑Canada c. Manitoba, 2021 CSC 33 aux para. 36 et 62 [SRC]).

[12] Les dispositions de l'entente selon lesquelles les parties reconnaissent la compétence de la Cour fédérale pour en surveiller la mise en œuvre n'étaient pas nécessaires, quoiqu'on comprenne pourquoi elles ont été ajoutées par excès de prudence. La Cour interviendra si nécessaire et imposera au besoin des ordonnances en vertu du pouvoir implicite de surveillance des instances dont elle jouit pendant le litige et après celui‑ci (SRC, Dugré c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 8 et Hershkovitz c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 38).

[13] Revenons à la description du processus préalable au procès.

[14] Le 9 novembre 2020, peu de temps avant le début du procès, la protonotaire Milczynski a convoqué les parties à une conférence de gestion de l'instance. Elle a rendu une directive orale selon laquelle l'échéancier préalable au procès que les parties avaient proposé était acceptable pour la Cour fédérale et que les prochaines étapes de l'instance suivront cet échéancier. D'après l'étape no 43 de cet échéancier, les parties devaient s'échanger les déclarations de leurs témoins des faits deux semaines avant la tenue du procès. J'ouvre une parenthèse pour souligner que la directive de la protonotaire Milczynski est conforme à l'article 22 des « Lignes directrices sur la gestion des instances et des instructions pour les procédures complexes et les procédures visées par le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) » (les Lignes directrices), dont voici le texte :

Échange d'une description des éléments proposés pour les témoignages des témoins de fait. Les parties doivent échanger une description concise, mais suffisamment détaillée des sujets sur lesquels témoigneront les témoins des faits, et ce au moins deux (2) semaines avant l'instruction.

Je reviens sur ce point plus loin dans les présents motifs.

[15] Conformément à la directive de la protonotaire, FibroGen a signifié les déclarations de deux témoins des faits, M. Guenzler‑Pukall et M. Seeley. Au titre de l'entente, FibroGen a désigné ces déclarations et les pièces qui y étaient annexées, soit plus de 2000 pages de documents produits aux interrogatoires préalables, comme étant soit confidentielles, soit hautement confidentielles.

[16] Le 16 février 2021, la veille de la tenue du procès, l'action a fait l'objet d'un désistement sur consentement.

La requête d'Akebia et la décision de la Cour fédérale

[17] Deux mois plus tard, Akebia a déposé auprès de la Cour fédérale une requête en contestation de la désignation de confidentialité, par FibroGen, des déclarations des témoins des faits et des pièces annexées. Akebia a sollicité une ordonnance pour que soient déclarées non confidentielles et non hautement confidentielles les déclarations de MM. Guenzler‑Pukall et Todd Seeley ainsi que les pièces annexées, caviardées par Akebia. Dans son dossier de requête, Akebia a déposé sous scellés les déclarations et les pièces annexées et, dans sa demande de réparation, elle a sollicité une ordonnance de levée des scellés. Si elle était accordée, une telle ordonnance ferait en sorte que tous les documents ne répondant pas au critère énoncé dans l'arrêt Sierra Club seraient versés au dossier public de la Cour pour l'action ayant fait l'objet du désistement, et que le public pourrait les consulter et les utiliser.

[18] FibroGen a soulevé deux objections préliminaires relativement à la requête. Elle a affirmé que la requête d'Akebia, déposée après le désistement, était théorique. FibroGen a également fait valoir que tous les renseignements dans les déclarations des témoins étaient assujettis à la règle de l'engagement implicite et qu'Akebia ne pouvait les utiliser à quelque fin que ce soit. Selon FibroGen, Akebia cherchait, au moyen de sa requête, à se soustraire aux obligations que lui impose la règle de l'engagement implicite.

[19] La Cour fédérale (le juge Barnes, 2021 CF 1179) a rejeté les deux objections de FibroGen.

[20] Le juge de la Cour fédérale a conclu que la requête n'était pas théorique, car Akebia pourrait utiliser les éléments de preuve lors de la poursuite parallèle opposant les parties aux États‑Unis. Il a estimé que l'utilisation possible des déclarations des témoins pour contester les témoignages de MM. Guenzler‑Pukall et Todd Seeley dans l'instance aux États‑Unis était une question réelle qui ne pouvait être laissée en suspens. En outre, l'obligation prévue dans l'entente selon laquelle les parties sont tenues de détruire tous les documents confidentiels et hautement confidentiels a des conséquences sur les droits des parties ainsi que des effets pratiques.

[21] Le juge a conclu qu'Akebia n'avait pas enfreint la règle de l'engagement implicite lorsqu'elle a déposé sous scellés les déclarations des témoins; pour qu'Akebia puisse contester la désignation de confidentialité, la Cour fédérale devait examiner les documents produits dans leur intégralité. L'entente prévoit en outre que certains des documents produits avant la tenue du procès pourraient se trouver dans le domaine public. Comme l'entente prévoit la possibilité que les renseignements deviennent publics, FibroGen ne pouvait pas invoquer la règle de l'engagement implicite pour empêcher que cette situation se produise. Enfin, le juge a décidé – et selon ma compréhension, il s'agit du facteur déterminant qui l'a mené à rejeter l'objection de FibroGen fondée sur la règle de l'engagement implicite – que la question était prématurée. FibroGen pourrait soulever son objection de nouveau si Akebia cherchait à utiliser les documents en question dans le litige aux États‑Unis. Je fais cependant remarquer que le juge n'a pas précisé la marche à suivre en pareil cas ni à quel tribunal s'adresser.

[22] La Cour fédérale a ordonné que les documents demeurent sous scellés en attendant le dépôt d'une version caviardée ou publique des documents relatifs à la requête, à défaut de quoi l'ensemble du dossier de la requête serait rendu public (ordonnance de la Cour fédérale au para. 1) :

Les documents relatifs à la requête déposés précédemment sous scellés dans le cadre de la requête resteront sous scellés à condition que, dans un délai de trente [30] jours, les parties, ou l'une d'entre elles, déposent un nouveau dossier de requête caviardé conformément à l'Entente entre les parties qui figure à la note de bas de page 13 des observations écrites de la demanderesse déposée en réplique. Si un dossier de remplacement n'est pas déposé dans les trente [30] jours, le dossier de la requête tel qu'il a été déposé sera descellé et versé au dossier public.

[23] Notre Cour a sursis à l'exécution de l'ordonnance (2021 CAF 235, la juge Gleason, le 1er décembre 2021, le juge Boivin, le 26 janvier 2022) en attendant l'issue du présent appel.

[24] Après le prononcé de l'ordonnance de la Cour fédérale, mais avant l'audition du présent appel, l'action en instance aux États‑Unis a également fait l'objet d'un désistement. À la suite d'une requête que FibroGen a présentée au titre de la règle 351 des Règles, ce désistement a été admis, dans le dossier d'appel, à titre de nouvel élément de preuve.

[25] Nous en arrivons aux questions que la Cour doit trancher. FibroGen soutient que la Cour fédérale a eu tort de ne pas rejeter l'appel au motif qu'il était théorique. Elle soutient également que la Cour a eu tort de ne pas conclure qu'Akebia était liée par la règle de l'engagement implicite.

[26] Je suis du même avis que FibroGen. Le juge a commis une erreur sur ces deux points et il y a lieu d'accueillir l'appel.

Le caractère théorique

[27] Depuis la décision de la Cour fédérale, les faits ont changé, et il en va de même pour le raisonnement principal qui a mené la Cour fédérale à conclure que l'appel n'était pas théorique. Vu le désistement intervenu dans l'action aux États‑Unis, il n'y a plus de litige pendant lequel les témoignages de MM. Guenzler‑Pukall et Todd Seeley pourraient être contestés sur le fondement de leurs déclarations produites dans l'instance à la Cour fédérale.

[28] Quoi qu'il en soit, la Cour fédérale s'est fondée à tort sur l'utilisation « éventuelle » des déclarations des témoins en contre‑interrogatoire (motifs du juge Barnes au para. 10). Il s'agissait simplement d'une conjecture, et, selon l'enseignement de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342 [Borowski], les tribunaux ne doivent pas se fonder sur des hypothèses pour apprécier le caractère théorique (aux pp. 361-362). L'éventualité n'avait pas le caractère immédiat, la certitude et la précision qui justifient une exception à la règle générale selon laquelle il n'y a pas lieu d'examiner les questions théoriques.

[29] La Cour fédérale a également estimé que la question de savoir quels documents devaient être détruits était toujours en litige. Comme je le mentionne plus haut, l'entente exige que tous les documents comportant des renseignements confidentiels et hautement confidentiels soient détruits dans les 90 jours suivant la fin du litige (à l'exception d'un seul exemplaire de chacun de ces documents que doivent conserver les avocats externes des parties). Akebia affirme que, vu la requête présentée à la Cour fédérale et le dépôt des documents en lien avec cette requête, ces documents font désormais partie du dossier public et elle n'est pas tenue de détruire les documents qui ne répondent pas aux critères énoncés dans l'arrêt Sierra Club. Dès lors qu'il aura été statué sur la requête présentée au titre de la règle 151 des Règles, les documents feront partie du dossier public et Akebia pourra les utiliser comme elle l'entend.

[30] Pour décider si elle doit ou non entendre un appel qui est théorique, la Cour doit se demander si le différend concret et tangible a disparu (Borowski). Elle doit décider s'il existe encore un « litige actuel ». S'il n'y a plus de litige actuel entre les parties, la Cour décide si elle doit néanmoins exercer son pouvoir discrétionnaire d'instruire l'affaire (Hakizimana c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2022 CAF 33 au para. 11).

[31] Habituellement, on peut énoncer simplement les circonstances juridiques et factuelles qui sous‑tendent l'argument sur le caractère théorique. La présente affaire est unique en ce qu'elle exige l'analyse de la question principale, qu'on dit non théorique, c'est‑à‑dire l'étendue de l'obligation de détruire des documents, afin de comprendre si le seul fait de se la poser constitue un exercice théorique. J'estime que la question à laquelle Akebia veut obtenir une réponse est théorique, et je n'exercerais pas mon pouvoir discrétionnaire de l'examiner.

[32] Akebia affirme que la revendication de confidentialité de FibroGen est trop large. Peut‑être est‑ce le cas, mais le fait que les demandes de confidentialité soient justifiées ou non n’a aucune conséquence. La désignation de confidentialité a été faite et était toujours valide au moment où le litige a pris fin. Si Akebia souhaitait garder son droit de contester quelque objection précédemment soulevée, elle n'aurait pas dû déposer l'avis de désistement, ou elle aurait dû exprimer une réserve en ce sens, mais elle ne l'a pas fait. L'avis de désistement est rédigé en ces termes, tout simplement :

[traduction]

Les demanderesses se désistent entièrement de la présente action, sans dépens, avec le consentement de la défenderesse.

[33] Après le dépôt d'un avis de désistement, une partie ne peut contester une objection à la communication de documents sur le fondement du secret professionnel de l'avocat, ni une objection à la production sur le fondement de la pertinence. Rien ne laisse croire que le résultat devrait être différent en l'espèce. L'action ayant pris fin, la question de savoir si les documents étaient correctement classifiés ne se présente plus. La curiosité n'est pas une raison valable pour justifier qu'une cour se penche sur une question périmée.

[34] Selon l'article 31 de l'entente, celle‑ci reste en vigueur après la fin de l'instance. Cependant, selon mon interprétation, l'entente n'autorise pas la poursuite du litige relatif à la confidentialité.

[35] Le préambule de l'entente indique qu'elle a pour objet de régir la communication de renseignements [traduction] « dans le cadre de l'action », et que son application et son interprétation relèvent [traduction] « du pouvoir discrétionnaire du juge saisi de l'affaire », à savoir l'action (entente, article 26). L'article 31 est rédigé en ces termes :

[traduction]

La fin de la présente instance ne dégage pas les personnes à qui les renseignements confidentiels ou hautement confidentiels ont été communiqués conformément aux modalités de l'entente de leur obligation de préserver le caractère confidentiel de ces renseignements conformément à l'entente. Ces dispositions continuent d'être en vigueur après le règlement définitif de la présente instance, et la Cour conserve sa compétence pour trancher toute question relative à la présente entente, notamment en ce qui concerne son application.

[36] On ne saurait raisonnablement interpréter l'entente, prise globalement au vu de son objet et compte tenu du texte clair de l'article 31, de manière à ce que les parties puissent continuer de contester la désignation de confidentialité. L'entente met plutôt l'accent sur le fait que la Cour conserve sa compétence pour faire respecter la règle de l'engagement implicite, au besoin (entente, articles 19 et 23). Encore une fois, ces dispositions n'étaient pas nécessaires, puisque la Cour continue d'avoir compétence pour faire respecter la règle. Il ne faut pas oublier que c'est envers la Cour qu'est pris l'engagement.

[37] L'obligation dont il est question dans l'entente est claire. Tous les exemplaires des documents comportant des renseignements confidentiels et hautement confidentiels [traduction] « doivent être détruits ». Les dispositions de l'entente ne comportent aucune ambiguïté ou incertitude quant aux obligations qui exigerait l'intervention de la Cour ou l'exercice de son pouvoir discrétionnaire d'entendre la question. Comme je le souligne plus haut, la question de savoir si les documents ont été désignés à raison n'est plus pertinente. En outre, les dispositions de l'entente n'ont pas le sens que leur donne Akebia, à savoir que l'obligation de détruire les documents ne s'applique qu'aux documents qui satisfont, selon la Cour, au critère énoncé dans l'arrêt Sierra Club, même après la conclusion de l'instance. Si Akebia avait raison, notre Cour pourrait être saisie d'un appel de la décision de la Cour fédérale sur la requête présentée au titre de l'article 151 des Règles des mois, voire des années, après le désistement, et une demande d'autorisation à la Cour suprême pourrait aussi être présentée des mois plus tard. Je ne suis pas disposé à donner une telle interprétation à l'article 31 de l'entente.

[38] L'arrêt SRC confirme que le principe de la publicité des débats judiciaires comporte le droit de consulter les documents produits lorsqu'une instance est terminée, mais les documents en cause en l'espèce n'ont jamais été versés au dossier public de la Cour. Par conséquent, la requête d'Akebia au titre de la règle 151 des Règles place la Cour dans une situation intenable. L'arrêt Sierra Club exige que la Cour examine et soupèse l'intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires par rapport aux intérêts que l'on cherche à protéger. Or, en l'espèce, on ne pouvait comparer ces intérêts et la publicité des débats judiciaires, vu qu'il avait été mis fin à l'action. Il n'y a rien à soupeser, puisque les documents, peu importe la façon dont ils ont été désignés, n'ont jamais été versés au dossier public. En bref, au moyen de sa requête, Akebia demandait à la Cour fédérale de se livrer à un exercice qu'elle ne pouvait logiquement entreprendre. La requête était mal conçue dès le départ, et on aurait dû le reconnaître.

[39] Aucun des facteurs discrétionnaires qui pourraient inciter la Cour à entendre la requête d'Akebia n'était en jeu ou n'existait au moment où la Cour fédérale a rendu sa décision. Il n'y avait aucun intérêt jurisprudentiel à établir si la désignation de confidentialité était justifiée ou non. La désignation de confidentialité est une question où les faits prédominent et à laquelle des réponses différentes peuvent être données selon l'évaluation des risques commerciaux, l'évolution de la science et les circonstances. De plus, la question ne saurait échapper à un examen : si la question devait être soulevée entre les parties lors d'une instance future, la Cour fédérale et les parties seraient à même de débattre d'une requête présentée au titre de la règle 151 des Règles.

[40] Le règlement de l'action à la Cour fédérale a eu lieu à la veille du début du procès [traduction] « et, lors de ce règlement, [l'action] a fait l'objet d'un désistement » (mémoire des faits et du droit d'Akebia au para. 16). Dans ce cas, qualifier une requête comme celle‑ci – une requête fantôme – de litige actuel minerait la confiance et la certitude qu'ont les parties raisonnables et leurs avocats à l'égard des avis de désistement. La Cour fédérale peut être saisie, de manière distincte, de tout différend concernant le respect des modalités du règlement.

[41] Le désistement d'une action dans son intégralité met fin à l'instance et entraîne la fermeture du dossier de la Cour. Il signale aux parties qu'elles peuvent considérer que l'affaire est réglée, même si, en théorie, une nouvelle action peut être intentée relativement au même objet. Une fois qu'il est mis fin à l'instance par désistement, comme c'est le cas en l'espèce, toutes les requêtes en instance s'éteignent (Olumide c. Canada, 2016 CAF 287, [2017] 2 R.C.F. F‑8 au para. 30, Philipos c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 79, [2016] 4 R.C.F. 268 au para. 8, Mayne Pharma (Canada) Inc. c. Pfizer Canada Inc., 2007 CAF 1, [2007] A.C.F. no 1 (QL) et Garry D. Watson et Derek McKay, Holmested and Watson: Ontario Civil Procedure, feuilles mobiles, Toronto, Thomson Reuters, 2022, § 39:8, Effect of Discontinuance).

[42] Akebia a été priée de signaler un intérêt reconnu qui justifierait d'entendre la requête malgré l'absence de litige. Akebia a fait valoir que l'on peut admettre d'office que les sociétés pharmaceutiques sont constamment en litige les unes avec les autres et que de nouveaux litiges surviendront un jour, quelque part, au Canada, sinon aux États‑Unis ou en Europe. Elle a affirmé qu'un futur litige entre les parties est inévitable et que les avis de désistement déposés à la Cour fédérale et la Cour de district pour le district du Delaware, aux États‑Unis, ne l'empêchent pas d'intenter une nouvelle action. Selon Akebia, même si la Cour n'était pas disposée à admettre d'office que l'industrie pharmaceutique est litigieuse de nature, elle était en droit de se servir des versions publiques des déclarations comme outils de formation, comme modèles ou même comme papier peint, si elle le souhaitait.

[43] À de rares exceptions près, par exemple, lorsqu'une question échappe au contrôle ou qu'il existe une importante question de droit qui présente un intérêt et une portée plus vastes, l'existence possible d'un litige futur n'est pas une raison valable pour exercer le pouvoir discrétionnaire de la Cour d'entendre une affaire théorique. Un tribunal ne devrait pas entendre une affaire en raison de circonstances qui pourraient se produire, de sorte que des questions théoriques ne le soient plus. La simple possibilité d'un futur litige entre les parties concernant le brevet ne suffit pas pour préserver la pertinence du présent appel (Amgen Canada Inc. c. Apotex Inc., 2016 CAF 196 au para. 20, et Sanofi‑Aventis Canada Inc. c. Apotex Inc. 2006 CAF 328 au para. 18).

La règle de l'engagement implicite

[44] Je souscris à l'observation de FibroGen selon laquelle l'effet de la requête d'Akebia est de contourner la règle de l'engagement implicite. Cette règle oblige les parties à ne pas utiliser les renseignements ou les documents qu'elles sont tenues de produire lors d'une instance civile à d'autres fins. L'engagement implicite est une obligation continue qui subsiste malgré la fin de l'instance et qui ne s'éteint que lorsque les réponses ou les documents sont utilisés lors d'une audience publique. L'engagement est pris envers la Cour et est exécutoire par voie de requête. Akebia cherche, au moyen de la requête qu'elle a présentée après la fin de l'instance et sous prétexte qu'elle sollicite une ordonnance visant l'élargissement des documents « publics » ou « non publics », à se soustraire aux obligations de l'engagement (Juman c. Doucette, 2008 CSC 8, [2008] 1 R.C.S. 157 aux para. 21, 27 et 51 [Juman], et Duncan v. Lessing, 2018 BCCA 9 au para. 5 [Duncan]).

[45] La règle de l'engagement implicite s'applique aux documents obtenus et aux déclarations faites pendant l'interrogatoire préalable; ces éléments de preuve ne peuvent être utilisés, sauf pour le litige, à moins qu'une ordonnance du tribunal ne modifie l'engagement (Juman au para. 4) ou que les documents soient admis en preuve et versés au dossier public de la Cour. Il n'est pas pertinent de savoir si les réponses données ou les documents produits relèvent du secret professionnel ou sont confidentiels (Juman au para. 27).

[46] Le juge a commis une erreur dans son interprétation de la règle de l'engagement implicite, tant sur le plan analytique que sur le fond. Il a examiné la question de l'engagement implicite d'un mauvais angle.

[47] Le juge de la Cour fédérale a rejeté l'argument de FibroGen fondé sur la règle de l'engagement implicite au motif que cet argument était prématuré, ajoutant que l'application éventuelle de cette règle dépend du moment où Akebia cherchera à faire usage des documents et dans quelles circonstances (motifs du juge Barnes au para. 15). Cette analyse est erronée. Les documents et les renseignements étaient déjà assujettis à l'engagement et il incombait à Akebia de démontrer à la Cour pourquoi, au regard de toutes les circonstances, elle devait échapper aux conséquences de cet engagement. De même, l'ordonnance du juge, dont je fais mention au paragraphe 22 des présents motifs et qui impose à FibroGen l'obligation de déposer une version caviardée et une version publique des documents confidentiels, n'est pas conforme à la règle.

[48] Autrement dit, l'objection de FibroGen n'était pas prématurée; c'est plutôt la requête d'Akebia qui l'était. Akebia était liée par la règle et le désistement n'a pas levé l'engagement. Si elle souhaitait utiliser les documents dans le litige aux États‑Unis, elle aurait d'abord dû présenter une requête en vue de faire lever l'engagement. En fait, la procédure qu'Akebia a suivie était parfaitement contraire à celle que la Cour suprême décrit dans l'arrêt Juman au para. 30; voir aussi Goodman v. Rossi 120 D.L.R. (4th) 557, 1994 CanLII 10551 (C.A. Ont.) aux pp. 575-576 [Goodman].

[49] La personne qui demande la levée de son engagement implicite doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, l'existence d'un intérêt public plus important que les valeurs visées par l'engagement implicite, à savoir la protection de la vie privée, la franchise et le déroulement efficace du litige. La Cour fédérale n'a pas appliqué ce critère et Akebia n'a pas fait valoir que la prépondérance penchait en sa faveur (Juman au para. 32, Lubrizol Corp. c. Imperial Oil Ltd., [1991] 1 C.F. 325 (C.F. 1re inst.) au para. 3, conf. par 41 F.T.R. 234, 1990 CarswellNat 1058). Le juge a eu tort de tenir pour acquis que l'existence d'un litige à l'étranger pouvait justifier une dérogation à l'engagement implicite, alors que rien ne démontrait que les déclarations protégées par l'engagement étaient pertinentes quant aux questions à trancher dans le litige à l'étranger, ou même qu'il était certain que la question serait soulevée ou qu'elle aura un caractère immédiat.

[50] Le juge a également eu tort d'interpréter l'entente de manière à écarter la protection que FibroGen tirait de l'engagement implicite. Il a estimé que, puisque la Cour fédérale pouvait trancher les questions de confidentialité découlant de l'entente, FibroGen avait reconnu qu'une partie ou l'ensemble des documents produits pouvaient devenir publics. Par conséquent, FibroGen ne pouvait pas se prévaloir de la protection découlant de la règle de l'engagement implicite pour empêcher que cette situation se produise (motifs du juge Barnes au para. 14).

[51] Je ne peux retenir ce raisonnement.

[52] Selon l'article 19 de l'entente, les renseignements confidentiels et hautement confidentiels [traduction] « sont utilisés uniquement pour la présente instance; ils ne peuvent être utilisés à aucune autre fin », et selon l’article 23a), l'entente [traduction] « n'a aucune incidence sur quelque engagement implicite ». Ainsi, le juge ne pouvait pas interpréter l'entente comme si elle dérogeait tacitement à l'engagement implicite. Cet engagement est pris envers la Cour et n'est pas tributaire de l'entente; la règle s'applique peu importe si les renseignements sont confidentiels ou hautement confidentiels en vertu de l'entente, ou s'ils sont autrement privilégiés.

[53] L'arrêt Juman nous enseigne que la règle de l'engagement implicite s'applique à tout le moins aux documents produits conformément à une obligation légale, quelle que soit la manière dont ils doivent être traités ou distribués selon l'entente conclue entre les parties. Elle s'applique à la fois aux documents confidentiels et publics, aux documents pertinents et non pertinents ainsi qu'aux documents qui seraient admissibles en preuve au procès et à ceux qui ne le seraient jamais. La règle de l'engagement implicite s'applique aux documents produits conformément à une obligation légale pendant le processus préalable au procès et l'engagement demeure en ce qui concerne les documents qui n'ont pas été versés au dossier public.

[54] Akebia fait également valoir que la règle de l'engagement implicite ne s'applique pas en l'espèce parce que FibroGen n'était pas légalement tenue par les Règles de produire les déclarations des témoins. Elle renvoie à la règle 222 des Règles, qui au contraire exige la production de documents.

[55] Là encore, je ne souscris pas à cette thèse. Akebia a raison de dire que les Règles n'exigent pas la production des déclarations des témoins, mais l'article 22 des Lignes directrices exige l'échange d'une description des sujets sur lesquels porteront les témoignages proposés.

[56] Comme je le souligne plus haut, la protonotaire Milczynski a donné, le 9 novembre 2021, une directive détaillant la suite des étapes préalables au procès. Selon cette directive, l'échéancier y afférent [traduction] « régit les prochaines étapes applicables à l'instance ». Toujours selon cette directive, les déclarations des témoins devaient être remises deux semaines avant la tenue du procès. Conformément à l'article 22 des Lignes directrices, l'obligation énoncée dans la directive de la protonotaire n'avait rien de discrétionnaire.

[57] La règle 53(1) des Règles dispose : « La Cour peut assortir toute ordonnance qu'elle rend [...] des conditions et des directives qu'elle juge équitables. » La règle 53 des Règles vise à garantir que la procédure de la Cour soit efficace. Lorsqu'on ne respecte pas les directives qu'elle donne, la Cour a implicitement compétence pour infliger des sanctions, y compris le rejet de l'instance. Les directives de la Cour ont tout le poids d'une décision judiciaire : elles ne sont pas de simples suggestions concernant la façon dont une affaire devrait se dérouler, mais plutôt les attentes de la Cour quant au déroulement de l'affaire (Canadian Slovak League c. Canada, 2003 CAF 369, [2003] A.C.F. no 1441 (QL) au para. 7, et Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2013 CF 1036, [2013] A.C.F. no 1115 (QL) au para. 16).

[58] Par ailleurs, la Haute Cour de l'Australie a adopté une interprétation élargie et téléologique de ce qui, dans le cas de la règle de l'engagement implicite, constitue une obligation légale. Dans l'arrêt Hearne v. Street, [2008] HCA 36, 235 C.L.R. 125, la Haute Cour s'exprime en ces termes au paragraphe 96 :

[traduction]

Lorsqu'une partie à un litige est contrainte, en raison d'une règle de pratique ou d'une ordonnance précise du tribunal, ou pour une autre raison, de communiquer des documents ou des renseignements, la partie destinataire ne peut, sans l'autorisation du tribunal, les utiliser à d'autres fins que celle pour laquelle ils ont été communiqués, à moins qu'ils soient versés en preuve. Les types de documents communiqués auxquels ce principe s'applique sont notamment les documents examinés après l'interrogatoire préalable, les réponses aux interrogatoires, les documents produits conformément à un subpœna, les documents produits aux fins de la taxation des dépens, les documents produits conformément à la directive d'un arbitre, les documents saisis conformément à une ordonnance de type Anton Piller, les déclarations de témoins signifiées conformément à une directive du tribunal et les affidavits. [Non souligné dans l'original.]

[59] Je tiens également à souligner que les cours d'appel de la Colombie‑Britannique et de l'Ontario, ainsi que la Cour fédérale, ont interprété l'engagement implicite de telle sorte qu'il s'applique aux renseignements qui, autrement, n'auraient pas pu être obtenus par un moyen légitime indépendant du litige (Duncan au para. 5, Andersen Consulting c. Canada, [2001] 2 C.F. 324, [2001] A.C.F. no 57 (QL) au para. 4, qui cite l'arrêt Goodman à la p. 617, et N.M. Paterson & Sons Ltd. c. Corporation de Gestion de la Voie Maritime du Saint‑Laurent, 2002 CFPI 1247, [2002] A.C.F. no 1713 (QL) au para. 4, conf. par 2004 CAF 210, [2004] A.C.F. no 946 (QL)). Le juge John B. Laskin a observé, dans l'article intitulé « The Implied Undertaking in Ontario » (1990), 11 Advocates Q. 298 à la p. 312, qu'aucune raison de principe ne justifie que la règle ne s'applique pas à d'autres formes d'obligations légales. Les déclarations de MM. Guenzler‑Pukall et Seeley seraient donc aussi visées.

[60] À mon avis, cela signifie que la règle de l'engagement implicite s'applique aux déclarations des témoins. Quelque 2000 pages de pièces, qui devaient en principe être produites en preuve, ont été annexées aux déclarations. Il n'y a aucune différence entre cette situation et celle où les avocats préparent, comme ils le font souvent, des recueils de pièces communiquées lors de l'interrogatoire préalable en vue de les verser en preuve au procès. Nul n'affirmerait que la compilation, avant le procès, des documents communiqués lors de l'interrogatoire préalable, mais non versés en preuve, soustrait ces documents à l'application de la règle de l'engagement implicite. Ce n'est que lorsque les documents sont versés en preuve au procès en séance publique qu'il y a levée de l'engagement, et en aucune autre circonstance, sauf sur consentement ou sur ordonnance du tribunal.

[61] Akebia souligne à bon droit que les déclarations des témoins n'étaient pas requises, que FibroGen n'était pas tenue de convoquer des témoins. L'argument est étonnant, vu que c'est Akebia qui a intenté une poursuite contre FibroGen. C'est comme si elle disait que FibroGen n'était pas tenue de se défendre. Akebia n'aurait pas dû avancer un tel argument.

[62] Supposons, également, que FibroGen ait convoqué des témoins sans avoir fourni leurs déclarations : la réponse d'Akebia est facilement prévisible. Akebia ne peut tout avoir, bénéficier de la communication des documents lors du processus préalable et affirmer du même coup que cette communication équivaut au renoncement à la règle de l'engagement implicite. De même, si Akebia affirme que la communication des déclarations n'était pas obligatoire, les 2000 pages de pièces, qui y sont annexées et qui ont été produites lors de l'interrogatoire préalable, sont incontestablement assujetties à l'engagement. Je ne souscris pas à l'interprétation que fait Akebia de l'engagement.

[63] Akebia invoque trois décisions à l'appui de sa thèse selon laquelle la règle de l'engagement implicite ne s'applique pas puisque la rédaction et la communication des déclarations étaient volontaires. J'estime que ces décisions n'appuient pas cette thèse.

[64] Akebia s'appuie sur l'arrêt de notre Cour Canada. c. Fio Corporation, 2015 CAF 236, [2015] A.C.F. no 1335 (QL) [Fio], mais les faits de cette affaire sont fort différents. Dans l'arrêt Fio, notre Cour a conclu que la règle de l'engagement implicite ne s'appliquait pas aux documents communiqués volontairement avant le début de l'instance. La contribuable avait volontairement communiqué les documents en question à l'Agence du revenu du Canada lors d'une vérification. Aucun litige n'était en instance.

[65] De même, dans l'arrêt J‑Sons Inc. v. N.M. Paterson & Sons Limited, 2003 MBCA 156, la Cour d'appel du Manitoba a examiné la décision stratégique, prise volontairement, d'inclure un rapport d'expert dans un mémoire préparatoire au procès (au para. 21), rapport qui a ensuite été communiqué à un avocat de l'Alberta chargé d'une procédure connexe contre la défenderesse. Il n'y a toutefois eu aucun manquement à la règle de l'engagement implicite, car les règles de procédure du Manitoba limitent la vaste portée de la règle de la common law de manière à couvrir uniquement certaines communications préalables à l'instruction. Ni ces règles ni aucune ordonnance n'exigeait la communication du rapport avant l'instruction.

[66] Dans la décision Gilead Sciences, Inc. c. Teva Canada Limitée, 2016 CF 31, [2016] A.C.F. no 378 (QL) [Gilead], il était question des circonstances dans lesquelles une partie est relevée de son engagement, notamment lorsque l'on entend utiliser les documents dans une instance parallèle entre les mêmes parties et où sont examinées des questions identiques ou similaires. Dans l'affaire Gilead, la cour a relevé une partie de son obligation parce qu'on invoquait la règle de l'engagement implicite uniquement pour retarder l'accès à certains documents dans une instance, alors que cette partie savait que ces documents feraient inévitablement partie du dossier public dans une poursuite parallèle. En insistant sur le respect de la règle dans ces circonstances, la partie nuisait à l'administration efficace de la justice (au para. 19).

[67] Je termine avec une question de pratique et de procédure. D'après la Cour fédérale, Akebia n'avait d'autre choix que de déposer les déclarations auprès de la Cour. Mais ce n'était pas le cas.

[68] Dans de nombreuses affaires – et c'est le cas en l'espèce –, il n'est pas nécessaire que la partie qui demande la levée de son engagement implicite dépose les documents en question. La Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a souligné, dans l'arrêt AM Gold Inc. v. Kaizen Discovery Inc., 2021 BCCA 70, qu'il est souvent tout à fait inutile d’inclure les renseignements au dossier de requête pour être relevée de son engagement (aux para. 34 et 35). Je fais mienne l'observation du juge Groberman selon laquelle [traduction] « une description générale des circonstances qui ne divulgue aucun renseignement confidentiel pourra normalement permettre au tribunal de décider s'il y a lieu d'assouplir l'application de la règle de l'engagement implicite » (au para. 34).

Conclusion

[69] Pour ces motifs, j'accueillerais l'appel, j'annulerais l'ordonnance prononcée le 4 novembre 2021 et je rejetterais la requête d'Akebia. J'adjugerais les dépens à Fibrogen, tant devant notre Cour que devant la Cour fédérale. Avec l'accord des parties, les dépens devant notre Cour sont fixés à 30 000 $.

[70] FibroGen affirme que, du 4 novembre 2021 (date de l'ordonnance de la Cour fédérale) au 15 novembre 2021 (date du dépôt de l'avis d'appel), Akebia a fourni des extraits des déclarations des témoins à des personnes inconnues. FibroGen demande une mesure de réparation supplémentaire afin [traduction] d'« atténuer le préjudice » causé par ce qui serait un manquement à l'engagement implicite. Elle demande à notre Cour d'ordonner des mesures qui tiennent compte de ce manquement apparent à l'engagement implicite. (Je tiens à ajouter, incidemment, que je ne tire aucune conclusion de fait à cet égard.) Je propose que ces mesures soient traitées dans l'ordonnance rendue en même temps que le jugement et les motifs du jugement dans le présent appel.

« Donald J. Rennie »

j.c.a.

« Je suis d'accord.

J. B. Laskin, j.c.a. »

« Je suis d'accord.

K. A. Siobhan Monaghan, j.c.a. »


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A‑317‑21

 

INTITULÉ :

FIBROGEN, INC. c. AKEBIA THERAPEUTICS, INC. ET OTSUKA CANADA PHARMACEUTICAL INC.

 

LIEU DE L'AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 3 mai 2022

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MONAGHAN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 19 juillet 2022

 

COMPARUTIONS :

Brian Daley

David Yi

Pardeep Heir

 

POUR L'APPELANTE

 

Sarit E. Batner

Michael Burgess

POUR LES INTIMÉES

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L./s.r.l.

Montréal (Québec)

 

POUR L'APPELANTE

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L./s.r.l.

Toronto (Ontario)

POUR LES INTIMÉES

 

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