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Date : 20220323


Dossier : A-254-21

Référence : 2022 CAF 48

[TRADUCTION FRANÇAISE]

En présence de madame la juge Gleason

ENTRE :

LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelants

et

LA NATION CRIE ERMINESKIN et COALSPUR MINES (OPERATIONS) LTD.

intimées

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 23 mars 2022.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LA JUGE GLEASON

 


Date : 20220323


Dossier : A-254-21

Référence : 2022 CAF 48

En présence de madame la juge Gleason

ENTRE :

LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelants

et

LA NATION CRIE ERMINESKIN et COALSPUR MINES (OPERATIONS) LTD.

intimées

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LA JUGE GLEASON

[1] L’intimée Coalspur Mines (Operations) Ltd. (Coalspur) a déposé une requête demandant le rejet du présent appel au motif qu’il est théorique, bien qu’elle ait consenti à ce que l’appel soit entendu de façon accélérée et que l’appel soit maintenant prêt à être entendu.

[2] Pour les motifs exposés ci-dessous (lesquels sont nécessairement brefs compte tenu de la conclusion que j’ai tirée), la présente requête devrait être renvoyée à la formation qui entendra le présent appel et l’appel connexe dans le dossier de la Cour no A-261-21, lesquels seront entendus consécutivement.

[3] Résumons le contexte. Dans le présent appel, les appelants demandent l’annulation de la décision de la Cour fédérale Nation crie Ermineskin c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2021 CF 758 (Ermineskin CF).

[4] Dans la décision Ermineskin CF, la Cour fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire déposée par la Nation crie Ermineskin (la Nation Ermineskin) et a annulé l’arrêté de désignation pris le 30 juillet 2020 par le ministre de l’Environnement et du Changement climatique (le ministre) en vertu du paragraphe 9(1) de la Loi sur l’évaluation d’impact, L.C. 2019, ch. 28, art. 1 (la LEI), à l’égard des projets de mine de charbon de Coalspur en Alberta (le premier arrêt de désignation).

[5] La Nation Ermineskin avait conclu une entente sur les répercussions et les avantages avec Coalspur, aux termes de laquelle, selon Coalspur, la Nation Ermineskin et au moins certains de ses membres devaient bénéficier d’avantages importants découlant des projets de mine de charbon. La Cour fédérale a conclu que la Couronne ne s’était pas acquittée de son obligation de consulter la Nation Ermineskin avant de prendre le premier arrêté de désignation. Par conséquent, elle a annulé cet arrêté de désignation et a renvoyé l’affaire au ministre pour nouvel examen.

[6] La Cour fédérale était également saisie d’une demande de contrôle judiciaire déposée par Coalspur, qui demandait également l’annulation du premier arrêté de désignation. La Cour fédérale a rejeté la demande de Coalspur, concluant qu’elle était devenue théorique du fait qu’avait été accueillie la demande de contrôle judiciaire de la Nation Ermineskin (Coalspur Mines (Operations) Ltd. c. Canada (Environnement et Changement climatique), 2021 CF 759). Coalspur a fait appel de cette décision devant notre Cour dans le dossier no A-261-21.

[7] Le 29 septembre 2021, soit le jour où les deux appels ont été interjetés, le ministre a pris un second arrêté de désignation en vertu de la LEI, désignant de nouveau les mêmes deux projets en vertu de la LEI, après des consultations avec la Nation Ermineskin et d’autres groupes autochtones (le second arrêté de désignation).

[8] Coalspur soutient que la nouvelle désignation faite par le ministre à l’égard des projets en vertu de la LEI a pour effet de retarder le début de leur réalisation et de reporter le moment où la Nation Ermineskin et d’autres groupes autochtones recevront les bénéfices des ententes sur les répercussions et les avantages qui ont été signées.

[9] Coalspur, la Nation Ermineskin et la Première Nation de Whitefish (Goodfish) Lake no 128 (la Première Nation de Whitefish Lake) ont chacune déposé une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale dans le but de faire annuler le second arrêté de désignation. Dans ces demandes, parmi les motifs invoqués, se trouvent des allégations selon lesquelles le ministre n’a pas consulté de manière appropriée la Nation Ermineskin, la Première Nation de Whitefish Lake et d’autres groupes autochtones et a ainsi manqué à son obligation de se conformer à la décision Ermineskin CF. Ces demandes ont été regroupées à la Cour fédérale (les demandes regroupées).

[10] Le 12 janvier 2022, la protonotaire Ring a rendu une ordonnance par laquelle elle suspendait les demandes regroupées jusqu’à ce que soient tranchés les appels dans le présent dossier et le dossier connexe no A-261-21 (ordonnance de la Cour fédérale du 12 janvier 2022 rendue dans les dossiers de la Cour nos T-1651-21, T-1654-21 et T-1688-21). La protonotaire a conclu qu’il existait un lien étroit entre les demandes regroupées et les appels, que, si le présent appel devait être accueilli, il rendrait théoriques les demandes regroupées et que, même s’il n’était pas accueilli, il pourrait bien restreindre la portée des questions en litige dans les demandes regroupées.

[11] Coalspur soutient maintenant que le second arrêté de désignation rend le présent appel théorique, puisque l’effet du second arrêté de désignation est de l’empêcher de mettre en œuvre ses projets. Ainsi, selon Coalspur, il importe peu que le présent appel soit entendu, puisqu’il n’a aucun effet concret. Coalspur affirme que, s’il devait être rejeté, elle consentirait à une ordonnance rejetant ou annulant son appel dans le dossier no A-261-21. Coalspur ajoute qu’il était abusif de la part du ministre de prendre le second arrêté de désignation et affirme que les appelants auraient plutôt dû demander la suspension de l’ordonnance de la Cour fédérale dans la décision Ermineskin CF en attendant que soit tranché le présent appel.

[12] Les appelants contestent ce point et affirment qu’il était loisible au ministre de prendre le second arrêté de désignation pendant qu’un appel visant le premier arrêté était en instance, et ils font observer que Coalspur n’affirme pas qu’elle aurait consenti à une suspension du premier arrêt de désignation. Les appelants affirment de plus qu’une suspension n’aurait que retardé davantage le nouvel examen que devait effectuer le ministre en application de l’ordonnance rendue dans la décision Ermineskin CF.

[13] Sur la question du caractère théorique, les appelants soutiennent qu’il existe un litige actuel entre les parties, en grande partie parce que les demanderesses dans les demandes regroupées soutiennent que la décision de la Cour fédérale Ermineskin CF était correcte.

[14] Les appelants soutiennent également que les décisions que rendra notre Cour dans le présent appel et l’appel connexe du dossier no A-262-21 pourraient rendre théoriques les demandes regroupées ou en restreindre la portée de manière à mieux définir les questions en litige que la Cour fédérale sera appelée à trancher dans les demandes regroupées. Le ministre note que le présent appel et les demandes consolidées soulèvent la question de la portée de l’obligation de consulter les groupes autochtones qui ont signé des ententes comme l’entente sur les répercussions et les avantages conclue avec la Nation Ermineskin.

[15] À titre subsidiaire, le ministre fait valoir que, même si le présent appel est théorique, notre Cour devrait néanmoins décider de l’entendre au titre de la seconde étape de l’analyse de l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, 1989 CanLII 123, à la page 353, qui prévoit que la Cour a le pouvoir discrétionnaire d’entendre des affaires qui sont devenues théoriques.

[16] Après avoir examiné les documents qui m’ont été soumis dans la présente requête, je suis d’avis que la requête devrait être renvoyée à la formation qui sera chargée de se prononcer sur le fond du présent appel et de l’appel connexe dans le dossier no A-261-21.

[17] Pour déterminer s’il vaut mieux que je statue sur la requête ou que je la renvoie à la formation chargée de trancher les appels sur le fond, il faut prendre en compte les facteurs pertinents, dont les suivants : (1) la décision satisfait-elle à l’exigence consistant à apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible, conformément à l’article 3 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106? (2) l’issue de la requête est-elle relativement claire? (3) les circonstances penchent-elles en faveur d’une décision immédiate à l’égard de la requête? (4) la requête soulève-t-elle de nouvelles questions? (5) des deux solutions, laquelle est la plus conforme au principe de l’économie judiciaire? (Bande indienne Coldwater c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 292, par. 10; Amgen Canada Inc. c. Apotex Inc., 2016 CAF 196, par. 7 à 10).

[18] En l’espèce, la majorité de ces facteurs font pencher la balance en faveur du renvoi.

[19] Il n’est pas clair que le présent appel soit théorique, surtout compte tenu du degré de chevauchement entre d’une part l’appel et d’autre part les demandes regroupées et les thèses défendues par les demanderesses dans ces demandes. J’estime également que les interactions entre le présent appel et le pouvoir du ministre de prendre le second arrêté de désignation soulèvent des questions qui méritent d’être examinées par une formation complète de notre Cour.

[20] De plus, je ne dispose que d’un dossier tronqué. La formation qui sera chargée de trancher l’appel sur le fond sera mieux placée pour se prononcer sur le caractère théorique de l’appel au regard de tout le dossier d’appel. Fait à souligner, en ce qui concerne la possibilité d’exercer le pouvoir discrétionnaire d’entendre un appel par ailleurs théorique, compte tenu des circonstances et du chevauchement des procédures, il me semble qu’il vaut mieux que ce pouvoir soit exercé par une formation complète pouvant examiner tout le dossier.

[21] Les principes de rapidité et d’économie favorisent également le renvoi, parce que le présent appel est maintenant prêt à être entendu et peut être mis au rôle pour une audience. Renvoyer la question du caractère théorique de l’appel à la formation qui sera saisie de l’appel n’entraînera pas de retard additionnel, et les parties ont déjà consacré une grande part de leurs dépenses à la préparation de l’appel. L’appel dans le dossier no A-261-21 est également prêt à être entendu. En outre, si le présent appel est jugé sur le fond, il est possible que les procédures relatives aux demandes regroupées soient écourtées, si ce n’est rendues inutiles.

[22] Par conséquent, je conclus que la présente requête devrait être renvoyée à la formation qui sera saisie du présent appel et de l’appel connexe dans le dossier no A-261-21.

« Mary J.L. Gleason »

j.c.a.

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-254-21

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. LA NATION CRIE ERMINESKIN ET COALSPUR MINES (OPERATIONS) LTD.

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LA JUGE GLEASON

DATE DES MOTIFS :

Le 23 mars 2022

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Joe McArthur

Joanne Lysyk

Sean Gallagher

 

POUR LES APPELANTS

 

Kerry Bond

James Elford

Katherine Starks

 

POUR LES INTIMÉES

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Blake, Cassels & Graydon S.E.N.C.R.L./s.r.l.

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LES APPELANTS

 

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

POUR LES INTIMÉES

 

 

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