Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20220613


Dossier : A-262-21

Référence : 2022 CAF 113

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

appelant

et

XY

intimé

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 13 juin 2022.

Jugement rendu à l’audience à Vancouver (Colombie-Britannique), le 13 juin 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LA JUGE MACTAVISH

 


Date : 20220613

Dossier : A-262-21

Référence : 2022 CAF 113

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

appelant

et

XY

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Vancouver (Colombie-Britannique), le 13 juin 2022.)

LA JUGE MACTAVISH

[1] Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile interjette appel d’un jugement de la Cour fédérale, par lequel elle a accueilli la demande de contrôle judiciaire présentée par l’intimé XY à l’encontre de la décision d’un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) d’établir un rapport d’interdiction de territoire en application de l’article 44 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). Le rapport indiquait qu’il existait des motifs raisonnables de croire que XY était interdit de territoire pour activités de criminalité organisée, parce qu’il était membre d’une organisation soupçonnée de participer ou d’avoir participé à des activités de criminalité organisée. XY a également demandé le contrôle judiciaire de la décision d’un délégué du ministre de déférer le rapport établi en application de l’article 44 à la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour une audience d’interdiction de territoire. La Cour fédérale a également accueilli cette demande.

[2] La Cour fédérale a tenu compte de la jurisprudence de notre Cour qui soutient que l’obligation d’équité procédurale est peu contraignante dans le cas de personnes faisant l’objet d’un rapport établi en application de l’article 44 : voir, par exemple, Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c. Cha), 2006 CAF 126, par. 52; Sharma c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CAF 319, par. 29. Cela s’explique par le fait que le processus prévu à l’article 44 s’apparente à un exercice d’évaluation préalable, en ce sens qu’il n’y a pas de conclusion d’interdiction de territoire ni de modification du statut de la personne : Lin c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2021 CAF 81, par. 4.

[3] La Cour fédérale a néanmoins accueilli la demande de contrôle judiciaire de XY. Elle a conclu que la nature des questions en litige en l’espèce justifiait que XY ait droit à un niveau élevé d’équité procédurale, à titre de résident permanent faisant l’objet d’une allégation d’interdiction de territoire pour criminalité organisée. La Cour fédérale a de plus conclu que XY n’avait pas eu droit au degré d’équité procédurale qu’exigeait le processus prévu à l’article 44, et sa demande de contrôle judiciaire a par conséquent été accueillie.

[4] En accueillant la demande de XY, la Cour fédérale a certifié la question suivante :

Dans quelle mesure un délégué du ministre agissant en application du paragraphe 44(2) de la LIPR est-il tenu de prendre en considération les obligations du Canada aux termes de la Convention sur les réfugiés, y compris la fiabilité de la preuve sur laquelle il s’appuie, que les allégations soient liées aux efforts de persécution consentis par l’État, ou que les allégations puissent ultimement donner ouverture au recours à une exception au principe de non-refoulement au moment de déterminer s’il faut déférer le dossier d’un demandeur d’asile à la Section de l’immigration pour criminalité organisée?

[5] Les décisions de la Cour fédérale dans les affaires d’immigration sont généralement finales. L’alinéa 74d) de la LIPR dispose qu’un appel ne peut être interjeté auprès de notre Cour que si la Cour fédérale, en rendant son jugement, certifie une question grave de portée générale et énonce cette question.

[6] Les exigences de la LIPR en matière de certification ont été qualifiées d’élément pouvant « justifi[er] l’appel » : Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, par. 44, renvoyant à Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, 243 N.R. 22, par. 12.

[7] Il existe une jurisprudence considérable de notre Cour traitant de ce qui constitue une question grave de portée générale et fournissant des directives à cet égard. Entre autres choses, notre Cour a conclu que :

  • a)Une question grave de portée générale est une question déterminante quant à l’issue de l’appel : Lunyamila c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, par. 46; Varela c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CAF 145, par. 28; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Zazai, 2004 CAF 89, par. 11; Lewis c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130, par. 36;

  • b)Le corollaire de la proposition selon laquelle une question doit permettre de régler l’appel est qu’il doit s’agir d’une question qui a été soulevée et qui a été examinée dans la décision de la Cour fédérale : arrêt Zazai, précité, par. 12; arrêt Lunyamila, précité, par. 46; Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, par. 9. Autrement, la certification de la question constitue en fait un renvoi à la Cour d’appel fédérale : arrêt Zazai, précité, par. 12;

  • c)Si la Cour fédérale décide qu’il n’est pas nécessaire d’examiner la question, il ne s’agit pas d’une question qu’il convient de certifier : arrêt Zazai, précité, par. 12;

  • d)Il est erroné de tenir le raisonnement que toutes les questions qui peuvent être soulevées en appel peuvent être certifiées parce que l’on peut examiner tous les points soulevés dans l’appel dès lors qu’une question a été certifiée : arrêt Varela, précité, par. 43; arrêt Zhang, précité, par. 10;

  • e)Le processus de certification ne doit pas être assimilé au processus de renvoi prévu à l’article 18.3 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, ni être utilisé comme un moyen d’obtenir, de la Cour d’appel fédérale, des jugements déclaratoires à l’égard de questions qu’il n’est pas nécessaire de trancher pour régler un litige donné : Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Liyanagamage), 176 N.R. 4, 51 A.C.W.S. (3d) 910, par. 4 (S.A.C.F.).

[8] Nous sommes d’accord avec l’intimé que la question certifiée par la Cour fédérale en l’espèce n’aurait pas dû l’être, puisqu’elle n’est pas déterminante quant à l’issue de l’appel.

[9] Il est vrai que les parties ont présenté des observations à la Cour fédérale concernant l’obligation, à laquelle est tenue le personnel de l’ASFC, qui rédige et défère des rapports d’interdiction de territoire en application de l’article 44, de tenir compte des obligations du Canada aux termes de la Convention sur les réfugiés, et de s’assurer que ces décisions sont prises dans le respect de ces obligations. Toutefois, la question certifiée ne portait pas en fin de compte sur la décision de la Cour fédérale.

[10] La Cour fédérale n’a parlé que brièvement de cette question, sans s’y engager sérieusement. La Cour a conclu que « [l]es faits ne permettent pas de conclure que l’agent de l’ASFC et le délégué du ministre ont invoqué le motif d’interdiction de territoire pour criminalité organisée dans le but d’empêcher le demandeur d’avoir accès à la Section de la protection des réfugiés ». La Cour a également fait brièvement référence au fait que les choix de principe du législateur en ce qui concerne l’interdiction de territoire pour criminalité organisée, et l’importance accordée à la question dans le régime législatif, n’appuient pas l’idée qu’il faille tenir compte des obligations du Canada aux termes de la Convention sur les réfugiés. La décision ne portait pas sur le fond des obligations du Canada selon le droit international, et n’indiquait pas non plus si elles entraient ou non en compte en l’espèce.

[11] En fait, la Cour fédérale a tranché le litige en fonction d’une autre question – soit que l’obligation d’équité procédurale exigeait que l’on donne à XY la possibilité de faire part d’observations sur le fond des allégations d’interdiction de territoire dont il faisait l’objet, et qu’on lui assure un degré de divulgation approprié de manière à ce qu’il comprenne ce qui lui était reproché.

[12] Le fait que la Cour fédérale n’a pas fondé sa décision sur la question certifiée est corroboré par le fait que le ministre ne traite pas de la question soulevée par la question certifiée dans son mémoire des faits et du droit. Plutôt que de s’intéresser à la question certifiée, le mémoire du ministre porte sur les questions ayant constitué le fondement de la décision de la Cour fédérale : le contenu de l’obligation d’équité procédurale en l’espèce, et la portée du pouvoir discrétionnaire conféré au personnel de l’ASFC de tenir compte des circonstances personnelles de la personne concernée.

[13] Pour appuyer cette approche, le ministre souligne que, lors d’un appel comme en l’espèce, notre Cour n’est pas tenue de se limiter à la question ou aux questions certifiée(s) par la Cour fédérale, et qu’il est loisible à notre Cour de traiter de toute question en litige dans l’appel. Cet exposé du droit est exact : Mudrak c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 178, par. 19; arrêt Lewis, précité, par. 37; arrêt Sharma, précité, par. 13. Toutefois, il présume de l’existence d’une question dûment certifiée.

[14] L’exigence relative à l’existence d’une question certifiée prévue à l’alinéa 74d) de la LIPR constitue une condition préalable au droit d’appel. Lorsqu’une question ne satisfait pas au critère pour une certification, la condition préalable n’est pas remplie et l’appel doit être rejeté : arrêt Varela, précité, par. 43; arrêt Zhang, précité, par. 10; Nguesso c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CAF 145, par. 21. Comme c’est le cas en l’espèce, l’appel est rejeté.

« Anne L. Mactavish »

j.c.a.

Traduction certifiée conforme.

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-262-21

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE c. XY

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 juin 2022

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE LASKIN

LA JUGE MACTAVISH

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :

LA JUGE MACTAVISH

COMPARUTIONS :

Brett J. Nash

Boris Kozulin

Pour l’appelant

Erica Olmstead

Aiden Campbell

Pour l’intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Pour l’appelant

Edelmann & Company

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour l’intimé

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.