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Date : 20220608


Dossier : A-220-20

Référence : 2022 CAF 107

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

ÉRIC MANNEH

demandeur

et

UNIFOR

défendeur

Audience tenue à Montréal (Québec), le 7 juin 2022.

Jugement rendu à Montréal (Québec), le 8 juin 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LEBLANC

 


Date : 20220608


Dossier : A-220-20

Référence : 2022 CAF 107

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

ÉRIC MANNEH

demandeur

et

UNIFOR

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GLEASON

[1] Nous sommes saisis d’une demande de contrôle judiciaire par laquelle le demandeur cherche à obtenir une ordonnance annulant la décision du Conseil canadien des relations industrielles rendue le 18 février 2020 (2020 CCRI LD 4287). Le Conseil a conclu que la plainte du demandeur était non-recevable puisqu’elle avait été déposée au-delà du délai de présentation de 90 jours prévu au paragraphe 97(2) du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, c. L-2 (le Code). Le Conseil a également déterminé que la plainte du demandeur, alléguant le défaut de représentation juste aux termes de l’article 37 du Code, était mal fondée.

[2] En premier lieu, j’estime que la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée puisqu’elle n’a été déposée devant notre Cour que le 21 septembre 2020, bien au-delà du délai de 30 jours prescrit pour son dépôt au paragraphe18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F-7. Le demandeur n’a déposé aucune demande visant à proroger ce délai et n’a offert aucune raison valable pour expliquer son retard. Conséquemment, il n’y a pas lieu de proroger le délai pour le dépôt de la demande de contrôle judiciaire.

[3] D’autre part, même s’il y avait matière à proroger ce délai, cette demande devrait tout de même être rejetée pour les motifs suivants.

[4] Il est de jurisprudence constante que la norme de la décision raisonnable s’applique aux décisions comme celle en l’espèce (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, 441 D.L.R. (4th) 1, para. 16 [Vavilov]; Lairenjam c. Conseil national 4000 d'Unifor, 2020 CAF 96, para. 7 et 9; FedEx Freight Canada, Corp. c. Fraternité internationale des Teamsters, section locale 31, 2017 CAF 78 para. 23; Fairhurst c. Unifor, section locale 114, 2017 CAF 152 para. 21).

[5] Dans le cas présent, la décision du Conseil est raisonnable puisqu’elle est bien motivée et puisque le Conseil a suivi ses décisions antérieures et a tiré des conclusions factuelles raisonnables qui trouvent appui dans les faits qui étaient devant lui.

[6] Le paragraphe 97(2) du Code énonce une exigence stricte selon laquelle les plaintes doivent être déposées devant le Conseil dans un délai de présentation de 90 jours. Le Conseil a statué à maintes reprises que ledit délai commence à courir dès qu’un plaignant prend connaissance, ou, de l'avis du Conseil, aurait dû prendre connaissance, des circonstances donnant lieu à la plainte (voir Madrigga c. Conférence ferroviaire de Teamsters Canada, 2016 CAF 151 para. 32; Lang c. Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2017 CCRI 848 para. 71). Le Conseil a également conclu à maintes reprises qu'une confirmation ultérieure de la décision antérieure du syndicat, ou un nouveau refus ne remettent pas le compteur à zéro (voir Pinel, 1999 CCRI 19 para.17 et 18; Blakely, 2003 CCRI 241 para. 24; Payton c. section locale 938 de la Fraternité internationale des Teamsters, 2013 CCRI 673 para. 40; Frank Scrivo et autres c. Syndicat des Métallos, TC section locale 1976, 2016 CCRI 833 para. 68).

[7] En l’instance, le Conseil a conclu que la date à laquelle le demandeur a su ou aurait dû savoir que le défendeur ne poursuivrait pas le contrôle judiciaire de la sentence arbitrale était le 12 décembre 2018, soit la date à laquelle le défendeur a avisé qu’il ne procèderait pas avec sa demande de contrôle judiciaire devant la Cour supérieure du Québec. Contrairement à ce que le demandeur a soutenu devant le Conseil, ce dernier a déterminé que le délai de 90 jours n'a pas commencé à courir lorsque le défendeur s’est désisté de sa demande devant la Cour supérieure. La plainte n’a été déposée devant le Conseil que le 16 avril 2019. Le Conseil a ainsi déterminé qu’elle était prescrite.

[8] Devant nous, le demandeur soutient que le Conseil a refusé sans raison d'exercer son pouvoir discrétionnaire de proroger le délai de présentation, comme il aurait dû le faire en vertu de l'alinéa 16(m.1) du Code, parce que son avocat aurait été négligent dans le calcul du délai de présentation. Il ajoute que le Conseil aurait dû comprendre qu’il ne pouvait raisonnablement pas savoir que le défendeur ne poursuivrait pas le recours devant la Cour supérieure avant de recevoir une réponse à son courriel du 14 décembre 2018 demandant la permission de poursuivre le recours à ses propres frais.

[9] Le demandeur n’a pas soulevé ces arguments devant le Conseil, mais il aurait pu le faire. Ainsi, il ne peut pas les faire valoir devant notre Cour puisqu’une cour de révision n'examinera pas une question dans le cadre d'un contrôle judiciaire lorsque cette question aura pu être soulevée devant le décideur administratif, mais ne l'a pas été (voir Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers' Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654 para. 21-26; Canada (Procureur général) c. Valcom Consulting Group Inc., 2019 CAF 1 para. 36; Oleynik c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 5 para. 71; Sigma Risk Management Inc. v. Canada (Attorney General), 2022 FCA 88 para. 6).

[10] En outre, il me semble que de toute façon certains de ces arguments auraient été voués à l’échec devant le Conseil puisque tous ceux qui ne respectent pas le délai de 90 jours pour présenter une plainte devant le Conseil ont possiblement fait preuve de négligence. De plus, comme l'a fait remarquer le Conseil en l’espèce, pour obtenir une prorogation, un demandeur doit démontrer l'existence de circonstances impérieuses qui n’existaient pas en la présente instance, tel qu’elle a été articulée devant le Conseil (voir Maria Antonia Jaime c. CanJet Airlines, une division de I.M.P. Group limitée, 2017 CCRI 864 para. 90; Torres, 2010 CCRI 526 para. 18-22).

[11] Finalement, considérant les faits en l’espèce, notamment le fait que le défendeur n’a décidé de ne pas poursuivre la demande de contrôle judiciaire visant la sentence arbitrale qu’après avoir reçu une opinion juridique externe à l’effet que ladite demande de contrôle n’avait que très peu de chances de succès, la conclusion du Conseil statuant que la plainte était mal fondée me semble irréprochable.

[12] J’ajouterais, en terminant, que, comme nous l’a rappelé la Cour suprême du Canada dans l’affaire Vavilov, le rôle de la Cour, lorsqu’elle est saisie, comme ici, d’une demande de contrôle judiciaire et qu’elle est appelée à appliquer la norme de la décision raisonnable, n’est pas de trancher elle-même les questions en litige. En d’autres termes, elle « ne se demande […] pas quelle décision elle aurait rendue à la place du décideur administratif, ne tente pas de prendre en compte l’« éventail » des conclusions qu’aurait pu tirer le décideur, ne se livre pas à une analyse de novo et ne cherche pas à déterminer la solution « correcte » au problème ». Son rôle revient plutôt « à décider du caractère raisonnable de la décision rendue par le décideur administratif-- ce qui inclut à la fois le raisonnement suivi et le résultat obtenu » (Vavilov au para. 83). Comme je l’ai déjà mentionné, je suis satisfaite en l’espèce, à la lumière du dossier qu’il avait devant lui, de la raisonnabilité de la décision du Conseil.

[13] Pour ces motifs, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire. Dans les circonstances de cette affaire, je propose qu’il n’y ait pas de dépens d’adjugés.

« Mary J.L. Gleason »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Richard Boivin j.c.a. »

« Je suis d’accord.

René LeBlanc j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-220-20

INTITULÉ :

ÉRIC MANNEH c. UNIFOR

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 juin 2022

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

 

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE LEBLANC

 

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 juin 2022

 

 

COMPARUTIONS :

Éric Manneh

 

Pour le demandeur

Se représentant seul

 

Daphné Blanchard-Beauchemin

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Unifor

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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