Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20220304


Dossiers : A-299-20

A-300-20

Référence : 2022 CAF 37

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE RENNIE

LA JUGE GLEASON

 

 

Dossier : A-299-20

 

 

ENTRE :

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

appelante

 

 

et

 

 

KRISTEN MARIE WHALING

(ANCIENNEMENT CONNUE SOUS LE NOM DE CHRISTOPHER JOHN WHALING)

 

 

intimée

 

 

Dossier : A-300-20

 

 

ET ENTRE :

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

appelante

 

 

et

 

 

WILLIAM WEI LIN LIANG

 

 

 

intimé

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 30 novembre 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 4 mars 2022.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE GLEASON

 


Date : 20220304


Dossiers : A-299-20

A-300-20

Référence : 2022 CAF 37

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LE JUGE RENNIE

LA JUGE GLEASON

 

 

Dossier : A-299-20

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

KRISTEN MARIE WHALING

(ANCIENNEMENT CONNUE SOUS LE NOM DE CHRISTOPHER JOHN WHALING)

intimée

Dossier : A-300-20

ET ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

WILLIAM WEI LIN LIANG

 

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

I. Introduction

[1] Les motifs suivants portent sur deux appels, l’un interjeté par Mme Whaling, dans le dossier no A-299-20, et l’autre interjeté par M. Liang, dans le dossier no A-300-20. Ces appels découlent d’une décision rendue par la Cour fédérale et publiée sous la référence 2020 CF 1074 (la décision) qui s’appliquait à deux recours collectifs envisagés dans lesquels Mme Whaling (dossier no T-455-16) et M. Liang (dossier no T-456-16) étaient les représentants demandeurs envisagés. Les présents motifs porteront sur ces deux dossiers, étant donné que les questions en litige qui y sont soulevées sont les mêmes. Une copie des présents motifs sera versée au dossier no A-300-20.

[2] Sa Majesté la Reine (SMR) interjette appel de l’ordonnance autorisant les recours collectifs qui découle de la décision de la Cour fédérale. Plus précisément, SMR s’oppose au refus par la Cour fédérale d’inclure dans l’ordonnance autorisant les recours collectifs trois questions préliminaires de fait et de droit et une question commune qui, selon ce qu’elle affirme, sont nécessaires pour satisfaire aux critères des questions communes et du meilleur moyen nécessaires à une autorisation.

[3] Pour les motifs qui suivent, je rejetterais les appels.

II. Les faits et la décision faisant l’objet de l’appel

[4] Mme Whaling et M. Liang (les intimés) sont tous deux d’anciens détenus fédéraux qui, du fait de leur statut de délinquants non violents qui en étaient à leur première infraction, étaient admissibles à la procédure d’examen expéditif qui relevait du régime législatif en place au moment où ils ont commis leurs infractions. L’entrée en vigueur de la Loi sur l’abolition de la libération anticipée des criminels, L.C. 2011, ch. 11 (la Loi) le 28 mars 2011, comme son nom l’indique, a retiré l’accès à un examen en vue d’une libération conditionnelle anticipée (ou à une procédure d’examen expéditif) auquel les détenus étaient admissibles auparavant.

[5] Dans leurs déclarations, les intimés sollicitent des dommages-intérêts en application du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11 [la Charte] étant donné que l’application rétrospective de la Loi contrevenait à leurs droits garantis par la Charte. Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Whaling, 2014 CSC 20, [2014] 1 R.C.S. 392, la Cour suprême a décidé que l’application rétrospective de la Loi contrevenait au droit garanti par l’alinéa 11h) de la Charte qui visait à protéger Mme Whaling contre le double péril.

[6] Dans le cas de M. Liang, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a conclu que la perte rétrospective du droit à un examen en vue d’une libération conditionnelle anticipée avait pour effet d’accroître la peine qui lui avait été infligée pour l’infraction dont il avait été déclaré coupable. La Cour a conclu qu’il s’agissait d’une violation du droit que garantit l’alinéa 11i) de la Charte de bénéficier de la peine la moins sévère, lorsque la peine qui sanctionne l’infraction est modifiée entre le moment de la perpétration de l’infraction et celui de la détermination de la peine : Liang v. Canada (Attorney General), 2014 BCCA 190, 311 C.C.C. (3d) 159, autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada refusée, 35972 (29 janvier 2015).

[7] Comme cela est souvent le cas dans les recours collectifs, ces actions ont progressé difficilement, mais elles sont désormais autorisées comme recours collectifs par les ordonnances qui font l’objet des présents appels. Les déclarations produites dans les deux actions sont essentiellement les mêmes.

[8] Comme je l’ai mentionné précédemment, Mme Whaling et M. Liang, en tant que représentants demandeurs des groupes d’anciens détenus similairement touchés par la Loi, sollicitent des dommages-intérêts en application du paragraphe 24(1) de la Charte pour violation de leurs droits garantis par la Charte. Ils allèguent que [traduction] « la Couronne, ainsi que ses employés, préposés ou mandataires » sont tenus de veiller, ou du moins de prendre des mesures de bonne foi pour veiller, à ce que toutes les lois qu’ils adoptent ou appliquent soient conformes à la Charte. En l’espèce, les intimés affirment que la Couronne et les personnes qui lui étaient associées savaient que la Loi contrevenait à la Charte, mais qu’elle l’a tout de même adoptée. Ils soutiennent que cela dénote une mauvaise foi de sorte que les groupes de demandeurs ont droit à des dommages-intérêts.

[9] En autorisant ces actions comme recours collectifs, la Cour fédérale a accepté l’argument des intimés selon lequel les questions suivantes étaient des questions de droit et de fait communes pertinentes à trancher à l’instruction :

1) La [Loi sur l’abolition de la libération anticipée des criminels] a-t-elle porté atteinte aux droits que l’alinéa 11h) de la Charte reconnaît aux membres du groupe?

2) Dans l’affirmative, la violation de l’alinéa 11h) de la Charte pouvait-elle se justifier au regard de l’article premier de la Charte?

3) Si la violation de l’alinéa 11h) ne pouvait se justifier au regard de l’article premier de la Charte, l’octroi de dommages-intérêts en vertu du paragraphe 24(1) constitue-t-il une réparation convenable et juste pour :

[les sous-groupes mentionnés dans chaque ordonnance d’autorisation]

4) La réclamation est-elle prescrite par application du paragraphe 39(1) de la Loi sur les Cours fédérales, et le paragraphe 39(2) s’applique-t-il?

[10] SMR reconnaît que ces questions sont pertinentes, mais elle affirme qu’une autre question (la question commune) devrait être ajoutée et tranchée à l’instruction :

[traduction]

Au vu des faits de la présente affaire, la Couronne peut‑elle, dans l’exercice de sa compétence exécutive, être tenue responsable de la mise en œuvre, par des représentants et ministres gouvernementaux, du paragraphe 10(1) de la [Loi sur l’abolition de la libération anticipée des criminels], soit une disposition législative qui a subséquemment été déclarée inopérante par un tribunal en application du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982?

[11] En outre, après un certain nombre de va-et-vient entre les parties, SMR a proposé que trois autres questions, qui devront être tranchées avant l’instruction (les questions de droit préliminaires) soient ajoutées à l’ordonnance d’autorisation :

[traduction]

La Couronne peut‑elle, dans l’exercice de sa fonction exécutive, être tenue de verser des dommages‑intérêts pour le compte des représentants et des ministres du gouvernement qui ont préparé et rédigé un projet de loi que le législateur a adopté et qui a été subséquemment déclaré inopérant par un tribunal en application du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982?

La Couronne peut‑elle, dans l’exercice de sa fonction exécutive, être tenue de verser des dommages‑intérêts par suite du fait que le législateur a adopté un texte législatif qui a plus tard été déclaré inopérant par un tribunal en application du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982?

Après qu’une loi a été déclarée inopérante dans un ressort par un tribunal, en application du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, la Couronne peut-elle, dans l’exercice de sa fonction exécutive, être tenue de verser des dommages-intérêts pour le compte des représentants et des ministres du gouvernement qui ont mis en application cette loi dans d’autres ressorts?

[12] Dans sa décision, la Cour fédérale a traité les deux premières questions de droit préliminaires, mais elle ne s’est pas exprimée en ce qui concerne la troisième question sur laquelle je reviendrai plus tard.

[13] La Cour fédérale a refusé d’ajouter dans l’ordonnance d’autorisation la question commune de SMR. Elle a conclu que la question ne permettrait pas de régler les présentes affaires et qu’elle ne ferait pas progresser celles-ci de manière significative, car la réponse à cette question ne permettra pas de trancher une bonne partie des arguments des intimés qui sont indiqués dans les autres questions communes. La Cour a conclu que les intimés avaient le droit d’établir le bien-fondé de leur cause de la même manière qu’ils l’ont plaidé.

[14] Quant aux trois questions de droit préliminaires présentées par SMR, la Cour a estimé qu’elles étaient hypothétiques et qu’elles ne seraient pas utiles pour déterminer l’éventuelle responsabilité de la Couronne :

Je ne suis pas convaincu qu’il soit nécessaire de répondre à l’une ou l’autre de ces questions avant l’instruction. Comme je l’ai déjà mentionné, à défaut de dossier de preuve, les questions proposées sont toutes hypothétiques et le fait d’y répondre ne serait pas utile pour déterminer l’éventuelle responsabilité du défendeur. Il faudrait encore déterminer les circonstances factuelles qui seraient suffisantes pour donner lieu à une condamnation à des dommages‑intérêts en vertu de la Charte. Ce sont là des questions mixtes de fait et de droit au sujet desquelles il sera nécessaire de présenter des éléments de preuve. J’ajouterais que les questions proposées par le défendeur sont comprises dans les questions de fait et de droit communes et qu’elles ne sont pas nécessaires pour le règlement des affaires.

Décision, au par. 19.

III. Énoncé des questions en litige

[15] Dans son mémoire des faits et du droit, SMR indique que la question en litige dans les présents appels porte sur le fait que la Cour fédérale a omis d’inclure dans son ordonnance d’autorisation sa question commune et ses questions de droit préliminaires proposées. Elle fait valoir que la Cour a commis une erreur en omettant de tenir compte comme il se devait des questions communes et du meilleur moyen énoncés à l’article 334.16 des Règles des Cours fédérales, D.O.R.S./98-106.

IV. Discussion

[16] Je commencerai par traiter une demande d’observations supplémentaires adressée aux parties leur demandant de répondre à la question de savoir si les conclusions, selon lesquelles les droits de Mme Whaling et de M. Liang garantis par la Charte avaient été violés, étaient chose jugée en ce qui concerne les autres membres du groupe. Cette demande s’est révélée inutile, puisque les parties ont poliment souligné que les membres du groupe n’étaient pas les mandataires des représentants demandeurs dans ces instances et que, par conséquent, le principe de la chose jugée n’était pas une question en litige. SMR a toutefois admis qu’elle n’avait pas l’intention de débattre de nouveau la question de savoir si les droits garantis par la Charte avaient été violés dans le cas de ces membres du groupe dont les demandes étaient assujetties aux conclusions de la Cour suprême et de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique selon le principe du stare decisis.

[17] Si SMR entend contester que les droits de certains membres du groupe qui ne sont pas assujettis à ces décisions n’ont pas été violés, cette question ne peut pas faire l’objet des présents appels.

[18] Les ordonnances d’autorisation sont discrétionnaires et susceptibles de révision selon la norme de la décision correcte, pour les questions de droit, et selon la norme de l’erreur manifeste et dominante, pour les questions mixtes de fait et de droit, à l’exception des erreurs de droit isolables qui sont susceptibles de révision selon la norme de la décision correcte : Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, [2017] 1 R.C.F. 331, au par. 79.

[19] SMR invoque l’arrêt Mahjoub c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157, [2018] 2 R.C.F. 344 [arrêt Mahjoub], au par. 74, pour énoncer le principe selon lequel il existait une erreur de droit isolable lorsqu’une décision discrétionnaire « était ‘entaché[e] ou vicié[e]’ d’une méconnaissance de la loi ou de la règle de droit » : mémoire de SMR, au par. 55. L’arrêt Mahjoub ne devrait pas être interprété comme modifiant le critère énoncé dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 [arrêt Housen] sur lequel il est fondé :

Les cours d’appel doivent cependant faire preuve de prudence avant de juger que le juge de première instance a commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu à la négligence, puisqu’il est souvent difficile de départager les questions de droit et les questions de fait. Voilà pourquoi on appelle certaines questions des questions « mixtes de fait et de droit ». Si le principe juridique n’est pas facilement isolable, il s’agit alors d’une « question mixte de fait et de droit », assujettie à une norme de contrôle plus rigoureuse.

Arrêt Housen, au par. 36.

[20] Comme les intimés le soulignent, une décision rendue par un juge à l’étape de l’autorisation (qui est généralement aussi le juge chargé de la gestion de l’instance) commande une « grande déférence ». Il va sans dire qu’elle ne s’applique qu’aux conclusions d’un juge quant aux questions de fait ou aux questions mixtes de fait et de droit. C’est du fait de la plus grande connaissance dont le juge fait montre relativement aux subtilités du dossier par rapport à une cour d’appel que sa décision commande la déférence, mais également parce qu’« elle suppose l’appréciation et la mise en balance de plusieurs facteurs » : Pearson c. Inco Ltd. (2006), 78 O.R. (3d) 641 (CA), 20 C.E.L.R. (3d) 258, au par. 43, renvoyant avec approbation à l’arrêt AIC Limitée c. Fischer, 2013 CSC 69, [2013] 3 R.C.S. 949, au par. 65.

[21] Ayant cela présent à l’esprit, je me pencherai maintenant sur l’analyse du problème soulevé par les présents appels.

A. Le contexte

[22] D’après ma lecture du mémoire des faits et du droit de SMR, sa thèse dans le litige repose sur les principes suivants :

[traduction]
Les principes constitutionnels, comme le privilège parlementaire et la séparation des pouvoirs, nous révèlent que les processus législatifs et l’élaboration des lois ne peuvent catégoriquement pas être examinés dans le contexte d’un appel en vue de présenter une demande de dommages-intérêts : mémoire de SMR, par. 78 (non souligné dans l’original).

Le juge des requêtes n’a pas admis que la conduite des représentants de l’État favorise le risque de responsabilité donnant lieu à une condamnation à des dommages-intérêts en application de la Charte et que ces questions sont des questions juridiques qui visent à déterminer si certaines catégories de conduite pourraient entraîner une responsabilité donnant lieu à une condamnation à des dommages-intérêts en application de la Charte, quels que soient les faits sous-jacents : mémoire de SMR, par. 66 (non souligné dans l’original).

Le deuxième principe vise un autre principe qui est [traduction] qu’« [une] cour devra déterminer à qui incombe la ‘faute’ qu’elle peut évaluer si elle s’apprête à envisager une responsabilité » : mémoire de SMR, au par. 75.

[23] Je m’arrête ici pour souligner que l’utilisation du terme [traduction] « responsabilité » dans ces actions est ambiguë. Dans des circonstances normales, on établit une distinction entre la responsabilité légale et l’accessibilité à des recours. Un défendeur pourrait, du fait d’une conduite fautive, comme une violation des droits du demandeur garantis par la Charte, être responsable envers celui-ci. La conclusion de responsabilité, toutefois, ne garantit pas l’accessibilité à chaque recours demandé. Des conditions régissent l’accessibilité de certaines formes de recours comme l’octroi de dommages-intérêts réclamés en application de la Charte. Par conséquent, dans le contexte d’une action en dommages-intérêts présentée en application de la Charte, une déclaration comme [traduction] « [une] cour devra déterminer à qui incombe la ‘faute’ qu’elle peut évaluer si elle s’apprête à envisager une responsabilité » peut renvoyer soit à l’évaluation du comportement de l’appelante, pour examiner s’il donne droit aux intimés à un recours, soit à la décision quant à la question de savoir si les faits satisfont aux conditions d’un recours particulier, en l’espèce, la condamnation à des dommages-intérêts en application de la Charte. Pour les besoins de la présente affaire, cette ambiguïté n’a aucune incidence, mais elle pourrait très bien en avoir une à l’avenir.

[24] En l’espèce, les thèses catégoriques de SMR évoquent les commentaires de la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, [2011] 3 R.C.S. 45, au par. 21 [arrêt Imperial Tobacco] :

Le droit n’est pas immuable. Des actions qui semblaient hier encore vouées à l’échec pourraient être accueillies demain. Avant qu’une obligation générale de diligence envers son prochain reposant sur la prévisibilité soit reconnue dans l’arrêt Donoghue c. Stevenson, [1932] A.C. 562 (H.L.), peu de gens auraient pu prévoir qu’une entreprise d’embouteillage puisse être tenue responsable, en l’absence de tout lien contractuel, du préjudice corporel et du traumatisme émotionnel causé par la découverte d’un escargot dans une bouteille de bière de gingembre. Avant l’arrêt Hedley Byrne & Co. c. Heller & Partners, Ltd., [1963] 2 All E.R. 575 (H.L.), l’action en responsabilité délictuelle pour déclarations inexactes faites par négligence aurait paru vouée à l’échec. L’histoire de notre droit nous apprend que souvent, des requêtes en radiation ou des requêtes préliminaires semblables, à l’instar de celle présentée dans Donoghue c. Stevenson, amorcent une évolution du droit. Par conséquent, le fait qu’une action en particulier n’a pas encore été reconnue en droit n’est pas déterminant pour la requête en radiation.

[25] Ces commentaires ont été formulés dans le contexte d’une requête en radiation visant des actes de procédure pour absence de cause d’action, mais le principe énoncé par la Cour s’applique également en l’espèce. L’application des principes établis dans l’arrêt Vancouver (Ville) c. Ward, 2010 CSC 27, [2010] 2 R.C.S. 28 [arrêt Ward] aux faits allégués dans les déclarations est nouvelle. Les demandes des demandeurs ne devraient pas être rejetées uniquement pour ce motif. Les demandeurs qui cherchent à élargir les limites des principes énoncés dans l’arrêt Ward n’ont pas le droit d’obtenir gain de cause, mais ils ont le droit de tenter de l’obtenir.

[26] Il se pourrait bien, en l’absence d’une inconduite de la part d’un ou de plusieurs représentants de l’État dont la « faute » peut être attribuée au Canada « dans son ensemble », que la responsabilité donnant lieu à une condamnation à des dommages-intérêts en vertu de la Charte ne puisse pas être évaluée, mais la déclaration de la Cour suprême dans l’arrêt Ward laisse peut-être la porte ouverte à cette possibilité :

[...] une action en dommages‑intérêts de droit public [traduction] « n’est pas une action de droit privé de la nature d’un recours délictuel fondé sur la responsabilité du fait d’autrui de l’État, [mais une action distincte] de droit public intentée directement contre l’État dont la responsabilité est invoquée à titre principal ». Cela vaut également dans le contexte constitutionnel canadien, compte tenu de l’art. 32 de la Charte.

Arrêt Ward, au par. 22.

[27] Pour ce qui est de l’équité, l’arrêt Ward laisse aussi la porte ouverte à cette possibilité :

[...] les considérations sous‑jacentes de politique générale qui interviennent dans la décision d’ordonner à des représentants de l’État de verser des dommages‑intérêts de droit privé peuvent être pertinentes lorsqu’il s’agit de contraindre directement l’État à verser des dommages‑intérêts de droit public. Ces considérations peuvent à bon droit être prises en compte.

Arrêt Ward, au par. 22.

[28] Mais cela ne signifie pas nécessairement que des dommages-intérêts ne sont accordés en vertu de la Charte que dans des cas où des dommages-intérêts de droit privé seraient octroyés en vertu de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, ch. C-50, qui traite explicitement de la responsabilité du fait d’autrui et qui exige à la fois un représentant de l’État identifiable et une faute identifiable.

B. Les questions de droit préliminaires de SMR sont-elles hypothétiques?

[29] La décision de la Cour fédérale s’appuie fortement sur la question de savoir si les questions proposées sont hypothétiques. La Cour fédérale met l’accent sur cette question, car elle considère que les questions hypothétiques ne sont d’aucune utilité pour déterminer la responsabilité éventuelle de SMR : voir la décision aux paragraphes 9, 12, 16 et 19.

[30] Les deux premières questions de droit préliminaires de SMR sont ainsi rédigées :

[traduction]

La Couronne peut‑elle, dans l’exercice de sa fonction exécutive, être tenue de verser des dommages‑intérêts pour le compte des représentants et des ministres du gouvernement qui ont préparé et rédigé un projet de loi que le législateur a adopté et qui a été subséquemment déclaré inopérant par un tribunal en application du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982?

La Couronne peut‑elle, dans l’exercice de sa fonction exécutive, être tenue de verser des dommages‑intérêts par suite du fait que le législateur a adopté un texte législatif qui a plus tard été déclaré inopérant par un tribunal en application du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982?

[31] Au paragraphe 9 de sa décision, la Cour fédérale a souligné que « [l]es questions purement hypothétiques ne devraient pas être approuvées ». Bien que la Cour fédérale ne se soit pas attardée sur ce point, il est ancré dans la jurisprudence. Poser des questions préliminaires purement hypothétiques peut écarter la possibilité d’obtenir des éléments de preuve qui pourraient présenter une question de droit sous un autre angle et conduire à une réponse différente. C’est pourquoi, par exemple, dans une requête visant à ce que la Cour statue sur un point de droit aux termes de l’alinéa 220(1)a) des Règles, la question doit être une pure question de droit :

[L’article 474, maintenant l’article 220 des Règles] attribue simplement à la Cour le pouvoir discrétionnaire d’ordonner, sur présentation d’une requête, qu’une telle décision soit rendue. Pour que la Cour soit en mesure d’exercer ce pouvoir discrétionnaire, elle doit être convaincue, comme l’a précisé l’arrêt Berneche, que les questions proposées sont de pures questions de droit, c’est-à-dire des questions auxquelles il est possible de répondre sans tirer quelque conclusion de fait que ce soit.

Perera c. Canada, [1998] 3 CF 381, 225 N.R. 162, p. 391 et 392 [décision Perera] (non souligné dans l’original).

[32] Cela ne signifie pas qu’une pure question de droit n’a pas de fondement factuel. Cela signifie qu’une pure question de droit est une question qui peut être tranchée sans que la Cour soit contrainte de tirer une conclusion de fait. Les faits n’ont pas besoin d’être établis par une entente, bien qu’ils puissent l’être, mais la trame factuelle dans laquelle s’inscrit la question de droit doit être précisée, notamment par exemple en considérant comme véridiques les allégations contenues dans la demande, aux fins du règlement de la question : voir la décision Perera, p. 392. La Cour ne peut pas trancher des questions de droit en se fondant sur un dossier insatisfaisant, p. ex. non réglé : Bruyere c. Canada, 2005 CF 1371, 281 F.T.R. 221, aux par. 10 à 13.

[33] Il en va de même lorsqu’il est question d’une requête visant à radier une allégation, au motif qu’elle ne révèle pas de cause d’action valable, aux termes du paragraphe 221(1) des Règles. L’existence de la cause d’action doit être établie en supposant que les faits allégués sont vrais : arrêt Imperial Tobacco, au par. 22. Les requêtes aux termes des articles 220 et 221 des Règles diffèrent considérablement, mais le raisonnement exposé dans ces articles est que les affaires sont tranchées en appliquant le droit aux faits. Dans le cas d’une question de droit préliminaire, la Cour ne doit pas être contrainte, à la lumière des faits de l’espèce, de tirer une conclusion de fait, en d’autres termes, les faits doivent être établis. Il en va de même dans le cas d’une requête en radiation d’une allégation, au motif qu’elle ne révèle pas de cause d’action valable, dans laquelle les faits allégués sont tenus pour avérés pour les besoins de la requête.

[34] Par conséquent, la Cour fédérale utilise un terme trompeur en qualifiant les questions de droit préliminaires de la Couronne d’« hypothétiques ». Elle estime qu’on ne peut pas répondre à ces questions dans leur forme actuelle. Il y a plutôt lieu de penser qu’il s’agit de questions pertinentes, mais seulement une fois que les fondements factuels pertinents ont été posés, de sorte que les questions ne sont pas aussi hypothétiques que prématurées. Une fois que les faits de l’espèce suffisants et adéquats sont établis, rien n’empêche la Couronne de présenter ces questions à la Cour et de défendre sa position exposée précédemment, dans les présents motifs. Il s’ensuit que les questions ne sont pas, à juste titre, des questions de droit préliminaires, mais qu’elles demeurent des questions légitimes.

[35] Cela signifie que la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur de quelque manière que ce soit justifiant notre intervention, lorsqu’elle a conclu que les questions de droit préliminaires de la Couronne ne devraient pas être autorisées en tant que telles.

[36] Je remarque que le paragraphe 12 du plan de déroulement de l’instance qui accompagne la décision énonce certaines questions de droit préliminaires. Les questions de droit préliminaires de SMR diffèrent de ces questions préliminaires en ce sens que ces dernières portent sur le point de savoir si une certaine loi, la Loi sur le transfèrement international des délinquants, L.C. 2004, ch. 21, s’appliquait à un certain sous-groupe défini à un moment donné, comment certaines dispositions législatives sont interprétées par rapport aux dates et comment le régime fédéral interagit avec certaines lois provinciales. Ces questions ne sont pas prématurées, étant donné qu’elles ont un fondement factuel et qu’elles ne nécessitent pas d’autres conclusions de fait pour être tranchées. Les questions de droit préliminaires de SMR commandent des conclusions de droit en cas d’absence d’un fondement factuel ou si, au mieux, il n’est pas défini.

[37] SMR affirme que la Cour fédérale a commis une erreur en ne traitant pas sa troisième question de droit préliminaire :

[traduction]

Après qu’une loi a été déclarée inopérante dans un ressort par un tribunal, en application du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, la Couronne peut-elle, dans l’exercice de sa fonction exécutive, être tenue de verser des dommages-intérêts pour le compte des représentants et des ministres du gouvernement qui ont mis en application cette loi dans d’autres ressorts?

[38] Il est vrai que les motifs de la Cour fédérale ne font pas explicitement référence à cette question. Les intimés soutiennent que la question a été pleinement et énergiquement débattue et qu’elle a été traitée implicitement lorsque la Cour a conclu qu’aucune question de droit préliminaire ne devait être autorisée si les parties ne s’entendaient pas sur l’utilité de cette question.

[39] Je comprends la thèse de SMR sur cette question, étant donné que, puisque la question avait été soulevée et débattue, SMR pouvait légitimement s’attendre à ce qu’elle soit examinée dans les motifs de la Cour. Étant donné que le juge, qui était responsable de la gestion de l’instance et qui a entendu la requête en autorisation, a pris sa retraite, l’affaire ne peut pas lui être renvoyée pour être tranchée. Renvoyer l’affaire pour qu’elle soit entendue par un autre juge ne fera que retarder encore plus la présente action.

[40] Dans ces circonstances, je pense qu’il convient que notre Cour tranche cette question. Bien que cette question ne soit pas prématurée, dans la mesure où elle comprend des faits substantiels, c.-à-d. [traduction] « une déclaration d’invalidité dans une province » et [traduction] « la mise en œuvre de cette loi dans d’autres ressorts », je ne crois pas que ce sont les seuls faits substantiels que les parties pourraient présenter à la Cour, étant donné qu’il y a neuf sous-groupes dans l’affaire Liang. Il s’agit d’une question légitime, mais je suis d’avis que l’équité à l’égard des membres des sous-groupes suggère que la meilleure façon de répondre à la question consiste à poser des fondements factuels pertinents.

C. Question commune de SMR

[41] La question commune de SMR est ainsi rédigée :

[traduction]

Au vu des faits de la présente affaire, la Couronne peut‑elle, dans l’exercice de sa compétence exécutive, être tenue responsable de la mise en œuvre, par des représentants et ministres gouvernementaux, du paragraphe 10(1) de la [Loi sur l’abolition de la libération anticipée des criminels], soit une disposition législative qui a subséquemment été déclarée inopérante par un tribunal en application du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982?

[42] Cette question n’est pas prématurée, contrairement aux questions tranchées dans un vide factuel, étant donné qu’elle sera tranchée dans une instance préalable au procès avec un fondement factuel pertinent ou après que les faits ont été constatés par le juge de première instance. La Cour fédérale a estimé que cette question ne permettrait pas de régler les affaires dont font l’objet les intimés et qu’elle ne ferait pas progresser ces affaires de manière significative : décision, au par. 10.

[43] SMR affirme que la Cour fédérale a commis une erreur en n’autorisant pas sa question commune et en décidant, dans une instance antérieure, d’ajourner le règlement de cette question qui est de savoir si la Couronne, dans l’exercice de sa compétence exécutive, était tenue de verser des dommages-intérêts lorsque des membres du pouvoir exécutif ordonnaient à la fonction publique, par quelque moyen que ce soit, d’appliquer une loi qu’ils savaient, ou qu’ils auraient dû savoir, inconstitutionnelle.

[44] Les intimés affirment que [traduction] « la [question commune] proposée par l’appelante est de savoir si l’appelante peut être responsable ‘au vu des faits de la présente affaire’, et ce, indépendamment du cadre énoncé dans l’arrêt Ward. Cela révèle une méconnaissance de la loi, selon laquelle toutes les demandes de dommages-intérêts fondées sur la Charte doivent être analysées en respectant le cadre énoncé dans l’arrêt Ward » : mémoire des faits et du droit de Mme Whaling, l’intimée, au par. 85, italiques dans l’original.

[45] À mon avis, la question pertinente est celle de savoir si la question commune proposée ajoute quelque chose à la question commune autorisée par la Cour fédérale et qui est la suivante : « [s]i la violation de l’alinéa 11h) ne pouvait se justifier au regard de l’article premier de la Charte, l’octroi de dommages-intérêts en vertu du paragraphe 24(1) constitue-t-il une réparation convenable et juste [...]? » En partant du principe que cette question vise à déterminer les représentants et le comportement qui, selon les intimés, satisfait au critère d’un comportement clairement fautif ou de mauvaise foi ou d’un abus de pouvoir, il est difficile de voir dans quelle mesure la question commune ajoute quelque chose aux questions communes existantes.

[46] Par conséquent, je ne suis pas convaincu que la Cour fédérale a commis une erreur manifeste et dominante en n’autorisant pas la question commune de SMR.

D. Les questions communes et le meilleur moyen

[47] SMR a invoqué les questions communes et le meilleur moyen comme motifs pour accueillir les appels. Ces notions découlent des paragraphes 334.16(1) et (2) des Règles qui sont essentiellement libellés ainsi :

334.16 (1) Sous réserve du paragraphe (3), le juge autorise une instance comme recours collectif si les conditions suivantes sont réunies :

334.16 (1) Subject to subsection (3), a judge shall, by order, certify a proceeding as a class proceeding if

[…]

c) les réclamations des membres du groupe soulèvent des points de droit ou de fait communs, que ceux-ci prédominent ou non sur ceux qui ne concernent qu’un membre;

(c) the claims of the class members raise common questions of law or fact, whether or not those common questions predominate over questions affecting only individual members;

d) le recours collectif est le meilleur moyen de régler, de façon juste et efficace, les points de droit ou de fait communs;

(d) a class proceeding is the preferable procedure for the just and efficient resolution of the common questions of law or fact; and

[…]

(2) Pour décider si le recours collectif est le meilleur moyen de régler les points de droit ou de fait communs de façon juste et efficace, tous les facteurs pertinents sont pris en compte, notamment les suivants :

(2) All relevant matters shall be considered in a determination of whether a class proceeding is the preferable procedure for the just and efficient resolution of the common questions of law or fact, including whether

a) la prédominance des points de droit ou de fait communs sur ceux qui ne concernent que certains membres;

(a) the questions of law or fact common to the class members predominate over any questions affecting only individual members;

b) la proportion de membres du groupe qui ont un intérêt légitime à poursuivre des instances séparées;

(b) a significant number of the members of the class have a valid interest in individually controlling the prosecution of separate proceedings;

c) le fait que le recours collectif porte ou non sur des réclamations qui ont fait ou qui font l’objet d’autres instances;

(c) the class proceeding would involve claims that are or have been the subject of any other proceeding;

d) l’aspect pratique ou l’efficacité moindres des autres moyens de régler les réclamations;

(d) other means of resolving the claims are less practical or less efficient; and

e) les difficultés accrues engendrées par la gestion du recours collectif par rapport à celles associées à la gestion d’autres mesures de redressement.

(e) the administration of the class proceeding would create greater difficulties than those likely to be experienced if relief were sought by other means.

[48] On peut constater un certain chevauchement entre le critère des questions communes et celui du meilleur moyen. Le meilleur moyen porte sur la question de savoir si un recours collectif est le moyen privilégié pour régler les questions communes.

[49] La Cour suprême a expliqué que, lorsqu’elle effectue une analyse des questions communes, la « question sous-jacente » est de « savoir si le fait d’autoriser le recours collectif permettra d’éviter la répétition de l’appréciation des faits ou de l’analyse juridique » : Western Canadian Shopping Centres Inc. c. Dutton, 2001 CSC 46, [2001] 2 R.C.S. 534, au par. 39 [arrêt Dutton]. Il n’est pas nécessaire que la résolution des mêmes faits ou des questions communes règle « les demandes de chaque membre du groupe », mais la question doit être un « élément commun important » de la demande : arrêt Dutton, au par. 39; voir aussi les arrêts Pro‑Sys Consultants Ltd. c. Microsoft Corporation, 2013 CSC 57, [2013] 3 R.C.S. 477, aux par. 108 à 113 [arrêt Pro-Sys]; Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello, 2014 CSC 1, [2014] 1 R.C.S. 3, aux par. 44 à 46. Dans l’arrêt Canada c. Greenwood, 2021 CAF 186, [2021] A.C.F. no 1006, au par. 180, notre Cour a récemment conclu que « [l’]existence des questions communes sera confirmée si elles permettent de faire avancer les réclamations des membres du groupe, ce qui sera le cas à moins que des questions individuelles aient une importance beaucoup plus grande ».

[50] Ces principes ressortent du libellé des alinéas 334.16(1)c) et 334.16(2)a) précités des Règles et établissent le lien entre l’analyse des questions communes et celle du meilleur moyen.

[51] Dans les recours collectifs, les juges de première instance ont un grand pouvoir discrétionnaire pour gérer l’instance à mesure qu’elle progresse. L’article 334.19 des Règles, par exemple, confère au juge le pouvoir de modifier une ordonnance d’autorisation et la Cour suprême a déclaré que, même si, par exemple, une question portant sur la réparation appropriée n’est pas autorisée comme question commune, le juge du procès peut malgré tout la trancher s’il estime qu’il convient de le faire : arrêt Pro-Sys, au par. 134. En outre, un juge de première instance peut fournir une « réponse nuancée » à une question commune et il n’est pas contraint de répondre simplement par l’affirmative ou la négative : Rumley c. Colombie-Britannique, 2001 CSC 69, [2001] 3 R.C.S. 184, au par. 32.

[52] L’analyse du meilleur moyen permet de mieux trancher les questions de savoir s’il y a suffisamment de questions communes pour nécessiter un recours collectif ou si elles traitent un nombre suffisant des points de l’affaire, comme le souligne l’alinéa 334.16(2)a) des Règles.

[53] Compte tenu des pouvoirs conférés au juge de première instance pour modifier l’ordonnance d’autorisation ou pour trancher des questions qui n’ont pas été autorisées comme questions communes, je conclus que toutes les questions communes possibles n’ont pas besoin d’être autorisées en tant que telles.

[54] Dans son mémoire, SMR invoque la proposition suivante de l’arrêt Campbell v. Flexwatt Corp. (1997), 44 B.C.L.R. (3d) 343 (CA), [1998] 6 W.W.R. 275 [arrêt Campbell] :

[traduction]
Cette question sur l’existence de questions communes est au cœur du recours collectif, car son objectif est de permettre que les questions liées à la responsabilité soient tranchées pour tout le groupe, en fonction de la détermination de la responsabilité des défendeurs envers les représentants demandeurs envisagés.

Arrêt Campbell, au par. 52.

[55] En revanche, comme je l’ai souligné, il ne faut pas en déduire que chaque question, que les membres du groupe pourraient avoir en commun, doit être autorisée ou que chaque question doit être déterminante quant à la responsabilité du défendeur : arrêt Campbell, au par. 53.

[56] Le cœur de la position de SMR concernant la question de la communauté de ses questions de droit préliminaires est [traduction] qu’« elles doivent être tranchées pour établir si, sur le plan du droit, l’intimé a droit à des dommages-intérêts sur la base de sa théorie de la responsabilité » et que la [traduction] « [r]ésolution de ces questions communes proposées au début de l’instance donnerait lieu à un processus et à un recours collectif plus efficaces, justes et rapides, à un tel point qu’une autorisation n’aurait pas dû se produire sans elles » : mémoire de SMR, au par. 65. La position de SMR est compréhensible, compte tenu de la position exprimée dans les deux propositions citées précédemment dans la présente analyse.

[57] Cela dit, il devrait ressortir clairement de la discussion sur les questions prématurées que SMR, en cherchant à régler les questions, n’obtiendra pas une instance plus efficace, juste et rapide, étant donné qu’elles ne peuvent pas être tranchées dans un vide factuel. Si les faits doivent être établis pour trancher ces questions, il ne sera pas possible d’économiser du temps et des efforts et c’est pourquoi l’instance n’est pas plus « efficace, juste et rapide » qu’elle ne le serait autrement. Par conséquent, l’autorisation des questions de droit préliminaires de SMR comme questions communes n’aiderait pas à atteindre les objectifs recherchés à l’article 334.16 des Règles.

[58] Le meilleur moyen doit être établi en se fondant sur les critères énoncés au paragraphe 344.16(2) des Règles. Ces critères sont au nombre de cinq et ils visent à déterminer si le recours collectif est le meilleur moyen de régler de façon juste et efficace les questions communes de fait ou de droit. SMR ne s’est pas opposée à l’autorisation des quatre questions communes présentées par les intimés et que la Cour fédérale a autorisées : voir la décision, au par. 7. La question de savoir si ces questions, en elles-mêmes, ont satisfait au critère du meilleur moyen a supposé l’appréciation et la mise en balance d’un grand nombre de facteurs. Le fait que l’ordonnance d’autorisation ne comprenait ni la question commune ni les questions de droit préliminaires de SMR est une conclusion qui commande une « grande déférence ». Je ne suis pas convaincu qu’elle comporte une question de droit isolable à laquelle la Cour fédérale n’a pas répondu correctement.

V. Conclusion

[59] Par conséquent, je rejetterais les appels.

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Donald J. Rennie, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Mary J.L. Gleason, j.c.a. »

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-299-20

 

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LA REINE c. KRISTEN MARIE WHALING (ANCIENNEMENT CONNUE SOUS LE NOM DE CHRISTOPHER JOHN WHALING)

 

ET DOSSIER :

A-300-20

 

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LA REINE c. WILLIAM WEI LIN LIANG

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 30 novembre 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE GLEASON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 MARS 2022

 

COMPARUTIONS :

Susanna Pereira

Matt Huculak

Graham Hallson

 

Pour l’appelante

 

David Honeyman

Katherine Shortreed

 

Pour les intimés

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

A. François Daigle
Sous-procureur général du Canada

Pour l’appelante

Grace, Snowdon & Terepocki s.r.l.

Abbotsford (Colombie-Britannique)

Pour les intimés

 

 

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