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Date : 20211015


Dossier : A-272-20

Référence : 2021 CAF 202

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LA JUGE GLEASON

LA JUGE MONAGHAN

 

 

ENTRE :

MURLIDHAR GUPTA

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 12 octobre 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 15 octobre 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LA JUGE MONAGHAN

 


Date : 20211015


Dossier : A-272-20

Référence : 2021 CAF 202

CORAM :

LE JUGE WEBB

LA JUGE GLEASON

LA JUGE MONAGHAN

 

 

ENTRE :

MURLIDHAR GUPTA

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GLEASON

[1] L’appelant interjette appel du jugement rendu par la Cour fédérale dans la décision Gupta c. Canada (Procureur général), 2020 CF 952, par laquelle la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par l’appelant à l’encontre de la décision de son employeur d’accepter un rapport d’enquête administrative, ce qui a entraîné le rejet de sa demande de promotion avec effet rétroactif. La Cour fédérale a fondé sa décision sur le fait que l’appelant n’avait pas épuisé les autres recours qui s’offraient à lui, principalement la procédure de règlement des griefs prévue à l’article 208 de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, L.C. 2003, ch. 22, art. 2 (la LRTSPF).

[2] Il était, et il est, acquis de part et d’autre que l’appelant aurait pu contester la décision de l’employeur en déposant un grief en application de l’article 208 de la LRTSPF. L’appelant ne l’a pas fait avant le dépôt de sa demande de contrôle judiciaire. Les parties s’entendent également sur le fait qu’un tel grief, s’il avait été déposé, n’aurait pas pu être renvoyé à l’arbitrage aux termes de l’article 209 de la LRTSPF.

[3] La décision de la Cour fédérale fut rendue dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire. Par conséquent, notre Cour ne peut infirmer la décision que si la Cour fédérale avait commis une erreur de droit ou une erreur manifeste et dominante dans son examen des facteurs pertinents à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire : Canada c. Greenwood, 2021 CAF 186, para. 119 et 120; Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, [2017] 1 R.C.F. 331, para. 28, 71 et 72; Imperial Manufacturing Group Inc. c. Decor Grates Incorporated, 2015 CAF 100, [2016] 1 R.C.F. 246, para. 18 et 19.

[4] Les parties conviennent que la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur de droit; par conséquent, la seule question en litige est de déterminer si la Cour fédérale a commis une erreur manifeste et dominante dans son examen des facteurs pertinents à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[5] L’appelant soutient que la Cour fédérale a commis une telle erreur, car elle n’a pas tenu compte du caractère inadéquat de la procédure de règlement des griefs dans les circonstances particulières de l’espèce. L’appelant affirme plus précisément que la Cour fédérale devait déterminer si, conformément aux principes énoncés aux paragraphes 43 à 45 de l’arrêt Strickland c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 37, [2015] 2 R.C.S. 713 [Strickland], la procédure de règlement des griefs lui offrait un recours adéquat et approprié. Il fait valoir que la procédure de règlement des griefs ne pouvait lui offrir un tel recours, en raison de la longue durée du litige relatif à son droit à une promotion et de ce qu’il qualifie d’intransigeance de l’employeur sur cette question, deux facteurs qui, selon lui, témoignent de la prédisposition de l’employeur à rendre une décision défavorable à son endroit. Dans la documentation écrite qu’il a présentée à notre Cour et ses observations à la Cour fédérale, l’appelant a soutenu en outre que la procédure de règlement des griefs ne constitue pas un recours contre la violation de son droit à l’équité procédurale par l’enquêteur, ce qui ajoute au caractère inadéquat de cette procédure.

[6] Pour appuyer ce dernier point, l’appelant invoque la décision de la Cour fédérale dans Chickoski c. Canada (Procureur général), 2016 CF 1043, 2016 CarswellNat 10936 [Chickoski], laquelle, soutient-il, appuie le principe voulant que la procédure de règlement des griefs ne puisse remédier aux manquements à l’équité procédurale lorsque le grief ne peut être renvoyé à l’arbitrage aux termes de l’article 209 de la LRTSPF. En toute déférence, je ne suis pas de cet avis. Chickoski n’affirme rien de la sorte, mais confirme plutôt que la Cour fédérale a compétence pour instruire une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, lorsque le grief ne peut être renvoyé à l’arbitrage aux termes de l’article 209 de la LRTSPF et que le demandeur allègue qu’il y a eu violation de son droit à l’équité procédurale durant la procédure de règlement des griefs. Chickoski ne peut s’appliquer en l’espèce, car l’appelant n’a pas déposé de grief.

[7] Les principes visant à déterminer si la Cour fédérale aurait dû s’en remettre à la procédure de règlement des griefs sont plutôt ceux énoncés dans l’arrêt Canada (Agence des services frontaliers) c. C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61, [2010] A.C.F. no 274 [C.B. Powell]. Cet arrêt dispose qu’une partie ne peut, en l’absence de circonstances exceptionnelles, introduire une demande de contrôle judiciaire avant d’avoir épuisé les autres recours administratifs prévus – comme la procédure de règlement des griefs. De plus, comme l’a mentionné notre Cour au paragraphe 33 de l’arrêt C.B. Powell, le critère permettant de qualifier des circonstances d’exceptionnelles est élevé et il ne comprend généralement pas les manquements à l’équité procédurale commis avant le prononcé de la décision administrative définitive. (Dans la même veine, voir aussi Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561, (1979), 96 D.L.R. (3d) 14, p. 584 et 585, et Nosistel c. Canada (Procureur général), 2018 CF 618, 2018 CarswellNat 10225 [Nosistel], para. 41, qui est invoquée par la Cour fédérale dans la présente instance).

[8] Ces principes s’appliquent lorsqu’il est allégué qu’un manquement à l’équité procédurale, commis dans le cadre d’une enquête, mène à une décision de gestion qui pourrait faire l’objet d’un grief (voir, par exemple, Nosistel, para. 41 à 44, et McCarthy c. Canada (Procureur général), 2020 CF 930, para. 35).

[9] Contrairement à ce que fait valoir l’appelant, la Cour fédérale a appliqué fidèlement ces principes dans ses motifs et a invoqué un long extrait de l’arrêt C.B. Powell. L’examen des faits par la Cour fédérale montre qu’elle a tenu compte du contexte factuel pertinent, notamment de la période à l’égard de laquelle un recours était sollicité et de la position de l’employeur. Bien que la Cour fédérale n’ait commenté aucun de ces points dans l’analyse présentée dans ses motifs, il ressort de ses motifs que les observations formulées par l’appelant devant cette cour portaient principalement sur l’affirmation erronée fondée sur la décision Chickoski, précitée.

[10] Je ne crois pas que la décision de la Cour fédérale de refuser d’examiner plus en détail la question du temps écoulé ou l’intransigeance alléguée de l’employeur requière l’intervention de notre Cour, car la Cour fédérale n’a pas commis d’erreur manifeste et dominante en déterminant que les circonstances n’étaient pas suffisamment exceptionnelles pour justifier son intervention. Comme l’ont mentionné les juges majoritaires, au paragraphe 39 de l’arrêt Strickland, il n’appartient pas à une cour d’appel, qui siège en appel d’une décision discrétionnaire comme celle en litige en l’espèce, de substituer ses vues à celles du tribunal inférieur.

[11] Quant aux réserves exprimées au sujet de la durée du litige, il était loisible à la Cour fédérale de refuser d’instruire l’affaire malgré le temps écoulé. Qui plus est, les affaires invoquées par l’appelant dans ses observations orales présentées à notre Cour portaient sur des périodes encore plus longues que celle observée en l’espèce : ces périodes étaient de plus de dix ans dans l’affaire Almrei c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1002, 466 F.T.R. 159 et de plus de cinq ans dans l’affaire Boogaard c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1113, [2014] A.C.F. no 1162 (infirmé en appel pour d’autres motifs, Canada (Procureur général) c. Boogaard, 2015 CAF 150, 474 N.R. 121, 87 Admin L.R. (5th) 175, autorisation de pourvoi refusée 2016 CanLII 18911 [CSC]). En l’espèce, aux termes de l’accord de règlement, la période pertinente était celle comprise entre la date de cet accord et la date de la décision de l’employeur – soit une période d’environ deux ans – ce qui n’est pas anormalement long compte tenu de la nécessité de mener une enquête et du caractère détaillé des observations faites par l’appelant à l’enquêteur.

[12] J’ajouterais, incidemment, que le temps écoulé est encore moins pertinent maintenant, puisque l’appelant a récemment obtenu la promotion qu’il souhaitait (bien que la question du salaire rétroactif demeure en suspens).

[13] Quant à l’intransigeance alléguée de l’employeur, le même commentaire pourrait être formulé à l’égard de pratiquement toute situation où un employeur rend une décision avec laquelle l’employé n’est pas d’accord. Le refus d’un employeur de se plier à la demande d’un employé ne constitue pas un fondement suffisant permettant à la Cour fédérale de contourner la procédure de règlement des griefs et de rejeter les principes exposés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vaughan c. Canada, 2005 CSC 11, [2005] 1 R.C.S. 146 relativement à l’exclusivité de la procédure de règlement des griefs aux termes de l’article 208 de la LRTSPF. L’existence d’une clause restrictive à l’article 214 de la LRTSPF montre que l’intention du législateur est que les confits en milieu de travail, comme ceux mettant en cause l’appelant, se règlent par la procédure de règlement des griefs et que la Cour fédérale fasse preuve de déférence à l’égard des décisions rendues selon cette procédure.

[14] La Cour fédérale disposait donc de motifs amplement suffisants pour conclure que les circonstances de l’affaire en instance n’étaient pas à ce point exceptionnelles qu’elles justifient son intervention.

[15] J’aimerais formuler une dernière remarque. Comme certaines observations faites durant l’audience semblent indiquer que l’appelant pourrait avoir déposé, ou pourrait déposer, un grief en vue d’obtenir le salaire rétroactif auquel il affirme avoir droit, je tiens à souligner que rien dans la présente décision ne doit être interprété comme influant de quelque manière sur sa capacité à présenter un tel grief.

[16] Pour les motifs exposés ci-dessus, je rejetterais le présent appel, avec dépens.

« Mary J.L. Gleason »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Wyman W. Webb, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

« K.A. Siobhan Monaghan, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-272-20

INTITULÉ :

MURLIDHAR GUPTA c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 octobre 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE WEBB

LA JUGE MONAGHAN

DATE DES MOTIFS :

Le 15 OCTOBRE 2021

COMPARUTIONS :

Paul Champ

Bijon Roy

 

Pour l’appelant

 

Joel Stelpstra

 

Pour l’intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Champ & Associates

Ottawa (Ontario)

 

Pour l’appelant

 

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Pour l’intimé

 

 

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