Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20211008


Dossier : A-207-20

Référence : 2021 CAF 198

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE LOCKE

 

 

ENTRE :

CONNIE BRAUER

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

Audience tenue par vidéoconférence en ligne organisée par le greffe, le 15 septembre 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 8 octobre 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE LOCKE

 


Date : 20211008


Dossier : A-207-20

Référence : 2021 CAF 198

CORAM :

LE JUGE PELLETIER

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE LOCKE

 

 

ENTRE :

CONNIE BRAUER

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

[1] Mme Connie Brauer, l’appelante, a déposé une déclaration auprès de la Cour fédérale, dans laquelle elle demandait que soit rendue une injonction interdisant immédiatement tous les avortements au Canada et mettant immédiatement fin au financement des avortements au Canada. Elle avait initialement demandé une indemnisation pécuniaire d’un montant [traduction] « que le juge estime approprié », mais elle a par la suite modifié sa demande afin d’y ajouter une indemnisation de 500 millions de dollars en dommages-intérêts punitifs.

[2] Mme Brauer allègue que le Canada se livre à un « génocide » et que le fait d’autoriser les avortements constitue une violation de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11 (la Charte). Elle allègue également de nombreuses violations du droit international, notamment de l’article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, A.G. Rés. 217A (III), documents officiels UNGA, 3e session, suppl. no 13, Doc. N.U. A/810 (1948), p. 71, ainsi que des articles I à VIII de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, 9 décembre 1948, Recueil des traités des Nations Unies, vol. 78, p. 277 (entrée en vigueur le 12 janvier 1951).

[3] Dans la documentation qu’elle a présentée à notre Cour, Mme Brauer a formulé d’autres requêtes, visant notamment à protéger de la discrimination les personnes qui s’opposent à l’avortement et à rendre des ordonnances interdisant la vente de fragments humains provenant de bébés. Son avis d’appel, qui reproduit sa déclaration initiale, renferme également d’autres allégations du genre [traduction] « chaque jour, des milliers d’autres innocents bébés à naître sont torturés et tués au Canada ». Ces allégations ne sont étayées par aucun fait substantiel, mais l’avis d’appel et le mémoire des faits et du droit renferment tous les deux des imprimés provenant de sites Web, tels que Wikipedia.org et actionlife.org. Dans la mesure où Mme Brauer se fonde sur ces imprimés comme preuve pour étayer ses allégations, ceux-ci constituent de nouveaux éléments de preuve pour lesquels aucune autorisation n’a été obtenue aux termes de la Règle 351 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, et qui, par conséquent, ne seront pas pris en compte.

[4] Les instances inférieures ont rejeté ces allégations du fait que les actes de procédure étaient viciés, et je ne relève aucune erreur dans cette analyse. Pour ce motif, je rejetterais le présent appel.

I. Historique judiciaire

[5] La Couronne a déposé une requête en radiation de la déclaration de Mme Brauer, qui avait initialement été instruite par une protonotaire de la Cour fédérale. La Couronne a fait valoir que la déclaration devrait être radiée en application des alinéas 221(1)a et c) des Règles des Cours fédérales, car elle ne révélait aucune cause d’action valable et qu’elle était scandaleuse et vexatoire :

Requête en radiation

 

Motion to strike

 

221 (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

 

221 (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

 

a) qu’il ne révèle aucune cause d’action ou de défense valable;

 

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

 

[…]

 

 

c) qu’il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

 

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

 

[…]

 

 

Elle peut aussi ordonner que l’action soit rejetée ou qu’un jugement soit enregistré en conséquence.

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.

[6] La protonotaire a accepté la thèse de la Couronne et, notant que les actes de procédure ne comportaient aucun fait substantiel, elle a radié la déclaration sans autorisation de la modifier. Quant aux questions fondées sur la Charte, la protonotaire a souligné que Mme Brauer avait omis d’aborder la question de savoir si elle avait qualité pour présenter sa demande – une étape essentielle dans le cadre de litiges mettant en cause la Charte : Canada (Procureur général) c. Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, 2012 CSC 45, [2012] 2 R.C.S. 524, par. 1.

[7] Cette ordonnance a fait l’objet d’un appel auprès de la Cour fédérale, dont la décision est publiée sous la référence 2020 CF 828. Au paragraphe 20 de ses motifs, la Cour fédérale a énoncé trois motifs d’appel invoqués par Mme Brauer :

[...] (1) les allégations contenues dans la déclaration modifiée sont [traduction] « précises, claires et raisonnables » et ne sont ni scandaleuses ni vexatoires; (2) le paragraphe 221(1) des Règles ne s’applique pas et elle avait le droit de remodifier sa déclaration modifiée sans autorisation conformément à l’article 200 des Règles; (3) sur le fond, elle prétend qu’il faut agir immédiatement pour mettre fin aux avortements au Canada qui, selon elle, sont illégaux et inconstitutionnels, parce qu’ils contreviennent à l’article 7 de la Charte.

[8] La Cour fédérale a reconnu que, bien que les tribunaux fassent généralement preuve d’une certaine souplesse envers les parties qui se représentent elles-mêmes, celles-ci sont néanmoins tenues de suivre les règles de procédure. Elles doivent présenter des faits substantiels qui révèlent une cause d’action, et l’acte de procédure ne doit pas être à ce point vague et général qu’il soit considéré comme scandaleux, vexatoire et impossible à comprendre (par. 26 à 37).

[9] La Cour fédérale a rejeté l’appel et a conclu que la décision de la protonotaire de radier la déclaration sans autorisation de la modifier ne comportait aucune erreur. S’agissant des questions fondées sur la Charte, la Cour fédérale a déclaré que l’absence de faits substantiels posait particulièrement problème, car les allégations de manquements à la Charte ne peuvent être tranchées dans un vide factuel (par. 33).

[10] Mme Brauer interjette maintenant appel devant notre Cour. Dans son avis d’appel, elle ne relève aucune erreur précise dans la décision de la Cour fédérale, mais elle répond aux conclusions de la Cour en alléguant que sa cause d’action vise à protéger des vies et qu’il est immoral de considérer ses déclarations comme étant scandaleuses et vexatoires. Dans son mémoire, elle répète, de diverses façons, son allégation voulant que le Canada tue illégalement des bébés en autorisant les avortements. Elle soulève également de nouveau la question des avortements constituant une violation de l’article 7 de la Charte.

II. Norme de contrôle

[11] La question dont est saisie notre Cour est de savoir si la Cour fédérale a commis une erreur en refusant d’infirmer la décision de la protonotaire de radier la déclaration sans autorisation de la modifier. Notre Cour peut intervenir s’il existe une erreur de droit (qu’il s’agisse d’une erreur indépendante ou d’un élément pouvant être isolé d’une question de droit et de fait) ou encore une erreur de fait, ou une erreur de droit et de fait, manifeste et dominante (Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, [2017] 1 R.C.F. 331, par. 66 à 79).

III. Discussion

[12] Je ne relève aucune erreur dans la décision de la Cour fédérale, et Mme Brauer n’en expose aucune. La déclaration n’énonce que de simples affirmations et conclusions et ne présente aucun fait substantiel. La protonotaire a conclu que, pour cette raison, la déclaration de Mme Brauer était absconse et confuse et qu’elle n’avait aucune chance raisonnable d’être accueillie.

[13] Le mémoire des faits et du droit de Mme Brauer, et les observations verbales qu’elle nous a exposées, consistaient largement en une répétition des allégations formulées dans sa déclaration. Dans les derniers paragraphes de son mémoire, Mme Brauer exprime son mécontentement à l’égard des décisions de la Cour fédérale :

[traduction]

46. Que les juges des instances inférieures ont, en l’espèce, échoué à protéger ces bébés [avortés].

47. Que les juges des instances inférieures ont, en l’espèce, tenté de priver l’appelante de son droit à la liberté d’expression garanti par l’alinéa 2b) de la Charte.

48. Que les juges des instances inférieures ont, en l’espèce, tenté de priver l’appelante de son droit de déposer un acte portant sur une question morale liée aux droits de la personne – une question de vie ou de mort qui est dans l’intérêt supérieur de tous les humains vivant au Canada – et d’être entendue sur cette question.

49. Que les juges des instances inférieures ont, en l’espèce, tenté de priver l’appelante de son droit de modifier sa déclaration sans autorisation, comme le prévoit l’article 200 des Règles des Cours fédérales : Malgré les articles 75 et 76, une partie peut, sans autorisation, modifier l’un de ses actes de procédure à tout moment avant qu’une autre partie y ait répondu ou sur dépôt du consentement écrit des autres parties.

50. Que les juges tentent de rejeter la déclaration modifiée de l’appelante au titre du paragraphe 221(1) des Règles de procédure civile, qui ne s’applique pas. Aucune preuve contraire n’a été présentée par la défenderesse.

51. La cause d’action de l’appelante permettra de sauver la vie de millions de bébés.

52. Que l’appelante conserve le droit de présenter sa déclaration modifiée et le droit à une audience, et que sa déclaration modifiée ne devrait pas être radiée. La déclaration devrait rester valable.

53. L’appelante a le droit moral et reconnu par la loi de plaider la cause des bébés assassinés. Personne d’autre ne le fera.

[14] Il ressort clairement de ces passages que Mme Brauer cherche à faire valoir un objectif moral et qu’elle insiste sur le fait que le système judiciaire a l’obligation de l’y autoriser. Mme Brauer a le droit de chercher à faire valoir son objectif, mais, si elle désire avoir recours aux tribunaux pour le faire, elle doit se conformer aux Règles et au droit substantiel qui s’applique. Mme Brauer ne bénéficie pas d’un droit absolu d’invoquer des actes de procédure qui viciés, et la radiation de ces actes de procédure ne porte nullement atteinte à ses droits constitutionnels et procéduraux.

[15] Quant aux questions fondées sur la Charte, le défaut de Mme Brauer de tenir compte du critère à remplir pour avoir qualité pour agir dans l’intérêt public, à plus forte raison de satisfaire à ce critère, élimine toute possibilité pour elle d’être entendue sur ces questions.

IV. Conclusion

[16] Mme Brauer ne m’a pas convaincu que la Cour fédérale a commis une erreur en tirant ses conclusions. Je juge que ses actes de procédure ne révèlent aucune cause d’action valable et qu’ils sont scandaleux et vexatoires. Par conséquent, je suis d’avis de rejeter l’appel, avec dépens fixés à 1 000 $.

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Johanne Gauthier j.c.a. »

« Je suis d’accord.

George R. Locke j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-207-20

 

 

INTITULÉ :

CONNIE BRAUER c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

par vidéoconférence en ligne ORGANISÉE par le greffe

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 septembre 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE PELLETIER

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE GAUTHIER

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 8 octobre 2021

 

COMPARUTIONS :

Connie Brauer

 

Pour l’appelante

(pour son propre compte)

 

Amy Smeltzer

 

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Pour l’intimée

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.