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Date : 20210921


Dossier : A-250-20

Référence : 2021 CAF 187

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE MACTAVISH

LE JUGE LEBLANC

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

POMEROY ACQUIRECO LTD.

intimée

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 7 septembre 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 21 septembre 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE MACTAVISH

LE JUGE LEBLANC

 


Date : 20210921


Dossier : A-250-20

Référence : 2021 CAF 187

CORAM :

LE JUGE RENNIE

LA JUGE MACTAVISH

LE JUGE LEBLANC

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

POMEROY ACQUIRECO LTD.

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE RENNIE

[1] Sa Majesté la Reine interjette appel d’un jugement de la Cour canadienne de l’impôt (2020 CCI 107, motifs juge Sommerfeldt), qui a rejeté une requête en autorisation de déposer une réponse modifiée en application de l’article 54 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), D.O.R.S./90-688a. L’intimée, Pomeroy Acquireco Ltd., s’est opposée à la requête au motif que les modifications proposées soulevaient deux nouveaux arguments : l’argument du trompe-l’œil et l’argument relatif à la valeur.

[2] La décision d’autoriser la modification d’un acte de procédure est une décision discrétionnaire et ne sera pas annulée en appel à moins qu’il n’y ait une erreur de droit ou une erreur manifeste et dominante sur une question mixte de fait et de droit (Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, [2017] 1 R.C.F. 331 (Hospira); CBS Canada Holdings Co. c. Canada, 2017 CAF 65, [2017] A.C.F. no 347 (QL), par. 15). Dans la décision dont nous sommes saisis, trois erreurs de droit qui satisfont à ce critère ont été commises .

[3] La première erreur découle du fait que le juge n’a pas appliqué le bon critère juridique pour déterminer si la modification devait être autorisée. Le juge s’est fondé sur l’arrêt Sanofi-Aventis Canada Inc. c. Teva Canada Limited, 2014 CAF 65, [2014] A.C.F. no 254 (QL) (Sanofi-Aventis), au paragraphe 9, pour exiger que les modifications aient « une influence déterminante » sur l’issue de l’affaire pour être autorisées.

[4] Il n’est pas nécessaire qu’une modification ait « une influence déterminante » sur l’issue d’une affaire pour être autorisée. La règle générale est que la modification devrait être autorisée à tout stade de l’action si elle aide le tribunal à trancher les véritables questions en litige entre les parties, pourvu que cette autorisation ne cause pas à l’autre partie une injustice que des dépens ne pourraient réparer et qu’elle serve les intérêts de la justice. Le tribunal doit considérer soigneusement les modifications qui l’aideront à trancher les questions en litige (Apotex Inc. c. Bristol-Myers Squibb Company, 2011 CAF 34, [2011] A.C.F. no 147 (QL), par. 33; Canderel Ltée c. Canada, [1994] 1 C.F. 3, p. 6, 1993 CanLII 2990; Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, [2004] 2 R.C.F. 459, par. 39 et 46; Loewen c. La Reine, 2007 CCI 703, par. 4 et 6; Andersen Consulting c. Canada, [1998] 1 C.F. 605, 1997 CanLII 6376, par. 14 à 17).

[5] L’arrêt Sanofi-Aventis porte sur la norme de contrôle applicable dans les appels devant la Cour fédérale de décisions rendues par un protonotaire. L’arrêt Sanofi-Aventis a été rendu en 2014 suivant la jurisprudence en vigueur à l’époque. Dans cet arrêt, il a été conclu que les décisions discrétionnaires des protonotaires ne devaient pas être infirmées en appel à moins que la question soulevée dans la requête n’ait une influence déterminante sur la cause d’une partie. L’arrêt Sanofi-Aventis et l’exigence de l’« influence déterminante » n’avaient aucune incidence sur la question de savoir si la modification devait être autorisée. Par conséquent, il s’agissait d’une erreur de droit que d’introduire une exigence relative à la norme applicable en appel dans la jurisprudence concernant les circonstances dans lesquelles les modifications sont autorisées. Je fais observer, entre parenthèses, que la norme de contrôle énoncée dans l’arrêt Sanofi-Aventis n’est plus celle qui s’applique aux décisions discrétionnaires des protonotaires (Hospira).

[6] Je me penche maintenant sur la deuxième erreur. Au cours de l’audience, le juge a mentionné qu’il était convaincu que les faits énoncés dans la réponse existante suffisaient à étayer l’argument du trompe-l’œil. Se fondant sur cette affirmation, l’avocat de la Couronne a reconnu que les modifications concernant l’argument du trompe-l’œil contenues dans les paragraphes proposés n’étaient pas nécessaires. La Couronne a reconnu que, [traduction] « [s]i la Cour conclut, à la lumière des faits déjà allégués, que nous disposons de faits suffisants pour appuyer l’argument du trompe-l’œil – si nous avions à l’invoquer au procès – alors nous sommes convaincus [...] » (motifs de la CCI, par. 39).

[7] Dans ses motifs, le juge a reconnu que les déclarations qu’il a faites pendant l’audience pouvaient avoir causé un malentendu (motifs de la CCI, par. 29), mais il a néanmoins tranché la question contre la Couronne. Le juge a conclu que, « bien que la réponse existante ne permette pas à la Couronne d’invoquer la doctrine ou le concept du trompe-l’œil au procès, cette réponse est néanmoins suffisante pour lui permettre de contester la nature de l’opération en litige et d’affirmer que cette opération a été décrite d’une manière fallacieuse ou spécieuse » (motifs de la CCI, par. 32).

[8] En se fondant sur une concession faite par la Couronne alors qu’il était clair que cette concession découlait d’un malentendu, le juge a manqué aux principes de justice naturelle (Kibalian c. Canada, 2019 CAF 160). Ces principes comprennent le droit d’une partie d’être entendue et d’avoir une possibilité raisonnable de présenter sa preuve. N’eût été ce malentendu, la Couronne n’aurait pas fait cette concession.

[9] Un troisième motif justifie que le présent appel soit accueilli.

[10] Le juge a conclu que le fait d’autoriser les modifications causerait un préjudice à l’intimée, lequel ne pourrait être compensé financièrement. Le préjudice découlait du fait que Robert Pomeroy était décédé récemment et qu’il ne pouvait donc plus donner de directives à l’avocat de l’intimée au sujet des nouveaux arguments soulevés par la Couronne ni témoigner à l’égard de ces arguments.

[11] La conclusion du juge à l’égard du préjudice est incompatible avec sa conclusion précédente selon laquelle les arguments soulevés dans les modifications proposées se trouvaient déjà dans la réponse. Le juge a conclu que la réponse existante remettait déjà en question la nature véritable de l’opération au centre de la cotisation et permettait à la Couronne de soutenir que cette opération avait été « décrite d’une manière fallacieuse ou spécieuse » (motifs de la CCI, par. 32). Dans le même ordre d’idées, le juge a conclu que la Couronne avait déjà soutenu que la valeur des actions en question était nulle (motifs de la CCI, par. 27 et 36). La modification relative à la valeur, pour reprendre les termes du juge, ne faisait que « mieux formuler » les questions en litige.

[12] Les modifications proposées ne pouvaient pas porter préjudice à l’intimée puisque les questions figuraient déjà dans la réponse existante et avaient été portées à l’attention du juge pour décision. Puisque ces conclusions sont incompatibles, le juge a commis une erreur de droit.

[13] En évaluant le préjudice, le juge n’a accordé aucune valeur au critère primordial consistant à déterminer si les modifications servent l’intérêt de la justice. À cet égard, deux autres considérations favorisent l’autorisation des modifications.

[14] Le fait d’autoriser les modifications apportera clarté et certitude au procès.

[15] La jurisprudence sur ce qui constitue un trompe-l’œil est bien établie (Antle c. Canada, 2010 CAF 280, [2010] A.C.F. no 1317 (QL)), et le fait de refuser une modification qui permettrait à une partie de plaider le trompe-l’œil tout en lui permettant de valoir que l’opération a été « décrite d’une manière fallacieuse ou spécieuse » ajoute de l’incertitude à l’instance. Les deux parties ainsi que le juge de première instance se retrouveraient dans le noir quant aux règles de droit qui régiraient la présentation et l’appréciation de la preuve. Ce n’est pas dans l’intérêt de la justice.

[16] En second lieu, comme la transcription complète de l’interrogatoire préalable de feu M. Pomeroy a été admise à titre de nouvelle preuve en appel, notre Cour a bénéficié d’un avantage que le juge n’a pas eu dans l’appréciation du préjudice. Il ressort clairement de cette transcription que M. Pomeroy était peu au fait des opérations en cause. Par conséquent, rien n’indique que le fait que M. Pomeroy ne puisse pas témoigner sur la nature de ces opérations causerait un préjudice à l’intimée.

[17] L’intimée soutient qu’il devrait être ordonné à l’appelante, même si elle a gain de cause, de lui verser des dépens sur une base avocat-client ou, à titre subsidiaire, sur une base partie-partie. L’intimée soutient que les dépens devraient être calculés sur cette base parce que la Couronne n’a pas fait preuve de la diligence requise dans la préparation de sa réponse et que, par son comportement, elle a rendu la requête nécessaire (Terasen International Inc. c. La Reine, 2012 CCI 408, [2012] A.C.I. no 351 (QL), par. 68; Bradley Holdings Ltd. c. La Reine, 2004 CCI 221, par. 21).

[18] Je ne crois pas que ces considérations devraient guider l’adjudication des dépens. La Couronne a demandé à l’intimée de consentir à la requête, ce qu’elle a refusé, et il n’y a rien dans le comportement de l’appelante ou dans les circonstances en l’espèce qui justifierait que l’on s’écarte de la règle habituelle selon laquelle les dépens sont adjugés à la partie qui a gain de cause. Toutefois, comme l’appelante n’a pas demandé les dépens, je ne rendrai aucune ordonnance quant aux dépens.

[19] Par conséquent, j’accueillerais l’appel, j’annulerais la décision de la Cour canadienne de l’impôt et, en prononçant l’ordonnance que la Cour aurait dû prononcer, j’autoriserais les modifications.

« Donald J. Rennie »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Anne L. Mactavish, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

René LeBlanc, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-250-20

 

INTITULÉ :

SA MAJESTÉ LA REINE c. POMEROY ACQUIRECO LTD.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 septembre 2021

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE RENNIE

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE MACTAVISH

LE JUGE LEBLANC

DATE DES MOTIFS :

Le 21 septembre 2021

COMPARUTIONS :

Sara Jahanbakhsh

Simon Vincent

Pour l’appelante

Robert A. Neilson

Jeremy L. Comeau

Pour l’intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

Pour l’appelante

Felesky Flynn LLP

Edmonton (Alberta)

Pour l’intimée

 

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