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Date : 20210917


Dossier : A-297-20

Référence : 2021 CAF 183

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE RIVOALEN

LE JUGE LOCKE

 

 

ENTRE :

ADMINISTRATION PORTUAIRE DE VANCOUVER FRASER

appelante

et

GCT CANADA LIMITED PARTNERSHIP et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimés

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 10 septembre 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 17 septembre 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LOCKE

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE RIVOALEN

 


Date : 20210917


Dossier : A-297-20

Référence : 2021 CAF 183

CORAM :

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE RIVOALEN

LE JUGE LOCKE

 

 

ENTRE :

ADMINISTRATION PORTUAIRE DE VANCOUVER FRASER

appelante

et

GCT CANADA LIMITED PARTNERSHIP et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimés

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LOCKE

I. Les faits

[1] L’appelante, l’Administration portuaire de Vancouver Fraser (APVF), est une administration portuaire constituée en vertu de la Loi maritime du Canada, L.C. 1998, ch. 10. Parmi les diverses responsabilités qui lui ont été confiées, il y a celle d’autoriser la construction et l’exploitation de terminaux pour conteneurs. Les intimés sont GCT Canada Limited Partnership (GCT) et le procureur général du Canada, bien que ce dernier ne participe pas au présent appel. GCT est locataire de l’APVF et détient un permis de celle-ci pour exploiter le terminal de Roberts Bank situé à Delta en Colombie-Britannique.

[2] Le 5 février 2019, GCT a présenté une enquête préliminaire de projet (EPP) pour proposer un agrandissement du terminal de Roberts Bank. Le 1er mars 2019, l’APVF a informé GCT qu’elle n’examinerait pas l’EPP en partie parce qu’elle lui préférait un autre projet d’agrandissement de capacité pour conteneurs qui était déjà en cours et qu’elle dirigeait. Dans les présents motifs, cette décision est appelée la décision de mars 2019.

[3] En réponse à la décision de mars 2019, GCT a présenté une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale le même mois, en faisant valoir entre autres choses que l’APVF avait fait montre d’un parti pris réel dans sa décision. Quelques mois plus tard, l’APVF a dit avoir annulé la décision de mars 2019 pour examiner les propositions de GCT concernant le projet déposé. GCT a répondu que la soi-disant annulation ne changeait rien à ce qu’elle pensait de la partialité de l’APVF. De plus, GCT a déclinél’invitation ultérieure de l’APVF à lui présenter des observations sur la question de sa propre partialité.

[4] Le présent appel découle de la requête en radiation de l’avis de demande de GCT présentée par l’APVF. Cette requête a été accueillie en partie par la protonotaire Angela Furlanetto (maintenant juge à la Cour fédérale) par une ordonnance prononcée le 9 mars 2020 (2020 CF 348), mais les allégations de partialité n’ont pas été radiées. Cette décision a été confirmée en appel par le juge Michael Phelan, dans l’ordonnance qu’il a rendue le 17 novembre 2020 (2020 CF 1062). L’APVF fait maintenant appel de l’ordonnance du juge Phelan.

[5] Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l’appel.

II. Les décisions de la Cour fédérale

[6] La protonotaire Furlanetto a fait observer que le critère auquel il faut satisfaire pour qu’il y ait radiation de l’avis de requête est rigoureux, car celui-ci doit être « manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli » : David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (C.A.), p. 600, 1994 CanLII 3529.

[7] À titre de fondement de sa demande en radiation, l’APVF a invoqué le caractère théorique, la prématurité et le défaut de compétence. Seule la question de la prématurité est en litige dans le présent appel.

[8] Le motif de la prématurité invoqué par l’APVF est fondé sur le principe énoncé dans l’arrêt Canada (Agence des services frontaliers) c. C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61, [2011] 2 R.C.F. 332 (C.B. Powell), et d’autres décisions, selon lequel :

  1. en général, « une personne ne peut s’adresser aux tribunaux qu’après avoir épuisé toutes les voies de recours utiles qui lui sont ouvertes en vertu du processus administratif » (para. 30);

  2. « à défaut de circonstances exceptionnelles, les parties ne peuvent s’adresser aux tribunaux tant que le processus administratif suit son cours » (para. 31);

  3. « très peu de circonstances peuvent être qualifiées d’“exceptionnelles” et [...] le critère minimal permettant de qualifier des circonstances d’exceptionnelles est élevé [...] Les préoccupations soulevées au sujet [...] de l’existence d’un parti pris [...] ne constituent pas des circonstances exceptionnelles permettant aux parties de contourner le processus administratif dès lors que ce processus permet de soulever des questions et prévoit des réparations efficaces » (para. 33).

[9] L’APVF a fait valoir devant la protonotaire Furlanetto que le fait que GCT n’avait pas fait part d’abord à l’APVF de ses allégations de partialité, alors qu’elle avait été invitée à le faire, a privé l’APVF de l’occasion de répondre à ces allégations, de sorte que la Cour fédérale ne disposait d’aucun élément sur lequel faire porter son contrôle. Selon l’APVF, la demande de contrôle judiciaire était prématurée parce que l’APVF n’avait pas pu formuler d’observations sur le parti pris allégué.

[10] Même après avoir reconnu le principe de l’épuisement des recours dont il était question dans l’arrêt C.B. Powell, la protonotaire Furlanetto a refusé de radier l’avis de demande au motif de sa prématurité. Elle a noté que la validité de l’annulation de la décision de mars 2019 était en doute et que, par conséquent, l’APVF ne pouvait pas se fonder sur l’annulation pour soutenir qu’elle n’avait pas rendu la décision faisant montre du supposé parti pris réel. La protonotaire Furlanetto a conclu que, vu les circonstances, les mesures que l’APVF pouvait prendre pour répondre à ces allégations n’apparaissaient pas clairement. De plus, il semble qu’elle n’ait pas écarté la possibilité que l’APVF ait prétendu annuler la décision de mars 2019 afin d’éviter qu’un tribunal se penche sur la question de sa partialité. La protonotaire Furlanetto a cité le paragraphe 23 de la décision Whalen c. Première Nation no 468 de Fort McMurray, 2019 CF 732, [2019] 4 R.C.F. 217 (Whalen), pour étayer ce qu’elle a affirmé au paragraphe 36 de ses motifs, à savoir qu’un « organe décisionnel ne peut pas manipuler la doctrine de la prématurité de manière à se soustraire au contrôle judiciaire simplement en annonçant que sa décision n’est pas définitive, ou en l’espèce, que sa décision a été annulée ». Elle a conclu que les faits en l’espèce font partie des circonstances exceptionnelles visées dans l’arrêt C.B. Powell.

[11] En appel de cette décision, le juge Phelan a souscrit à la conclusion de la protonotaire Furlanetto. Il a affirmé que la thèse de la prématurité découlait de l’annulation alléguée de la décision de mars 2019, et il a estimé que c’est à juste titre que la protonotaire Furlanetto s’était fondée sur la décision Whalen et le principe qui y est énoncé.

III. Analyse

[12] L’APVF reconnaît que, conformément à l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c. Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215, [2017] 1 R.C.F. 331, la norme de contrôle que la Cour fédérale doit appliquer en appel d’une ordonnance rendue par un protonotaire est celle énoncée dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, soit la décision correcte en ce qui concerne les questions de droit et l’erreur manifeste et dominante en ce qui concerne les questions de fait ou les questions mixtes de fait et de droit ne comportant pas de question de droit isolable. Les mêmes normes s’appliquent dans le présent contrôle judiciaire visant l’ordonnance du juge Phelan.

[13] L’APVF soutient que le juge Phelan a commis une erreur de droit parce qu’il aurait [traduction] « omis de se pencher sur la question essentielle de l’appel, c’est-à-dire que, selon le droit, s’il n’y a pas de circonstances exceptionnelles, GCT était tenue de soulever ses allégations de partialité devant le décideur ». Je ne souscris pas à l’affirmation voulant que le juge Phelan ne se soit pas penché sur la question. Même s’il n’a pas mentionné explicitement le principe à l’œuvre, il a exprimé son accord avec la protonotaire Furlanetto sur ce point et celle-ci a discuté explicitement du principe en question. Elle a conclu qu’il y avait des circonstances exceptionnelles qui permettent de passer outre à ce principe. J’en conclus que le juge Phelan s’est bel et bien penché sur la question.

[14] L’APFV soutient également qu’il n’existait aucune circonstance exceptionnelle. Il s’agit là d’une question mixte de fait et de droit dont la conclusion ne devrait pas être modifiée s’il n’y pas d’erreur manifeste et dominante. Comme il a été mentionné plus haut, la protonotaire Furlanetto a indiqué clairement qu’elle avait conclu à l’existence de circonstances exceptionnelles, à savoir l’allégation de partialité visant la décision de mars 2019 et l’allégation voulant que l’APVF ait tenté d’éviter le contrôle judiciaire sur la partialité de sa décision en faisant mine d’annuler sa décision de mars 2019. Dans le présent appel, le rôle de notre Cour n’est pas de souscrire ou ne pas souscrire aux allégations de GCT ou à la conclusion de la protonotaire Furlanetto par laquelle elle a reconnu ces allégations dans le cadre de la requête en radiation, mais je ne vois aucune erreur manifeste et dominante dans la conclusion du juge Phelan selon laquelle la protonotaire Furlanetto n’a pas commis d’erreur sur ce point. Même si notre Cour a établi, dans l’arrêt C.B. Powell, un critère rigoureux quant à l’existence de circonstances exceptionnelles, elle y affirme que la restriction selon laquelle la partialité ne constitue pas une circonstance exceptionnelle ne vise pas les situations où le processus administratif ne permet pas que la question soit soulevée ou ne prévoit pas de mesures de redressement efficaces. Étant donné que l’APVF avait déjà rendu la décision de mars 2019 (une décision qui semblait être définitive au moment où elle a été rendue) et que l’annulation de cette décision est mise en doute, je ne suis pas convaincu que la restriction selon laquelle la partialité ne constitue pas une circonstance exceptionnelle s’appliquait à la requête en radiation en l’espèce.

[15] À l’audience sur le présent appel, l’APVF a présenté une nouvelle thèse qui ne figurait pas dans son mémoire des faits et du droit et qui, semble-t-il, n’avait pas été présentée au juge Phelan. Cette thèse est fondée sur le principe selon lequel les allégations de partialité doivent être soulevées le plus tôt possible. Une partie ne peut « demeurer tapie dans l’herbe » pour « bondir » en brandissant des allégations de partialité avant qu’un dossier ne puisse convenablement suivre son cours (Taseko Mines Limited c. Canada (Environnement), 2019 CAF 320, para. 46; Hennessey c. Canada, 2016 CAF 180, [2016] A.C.F. no 650 (QL), para. 20 et 21). L’APVF affirme que GCT avait eu connaissance, quelque temps avant de présenter l’EPP en février 2019, de l’autre projet d’agrandissement du terminal, celui que l’APVF préférait et qui est au cœur des allégations de partialité, et que GCT aurait dû communiquer plus tôt ses doutes à l’APVF ou, du moins, au plus tard lorsqu’elle a présenté l’EPP. L’APVF soutient que l’avis de demande de contrôle judiciaire ne constituait pas « la première occasion » de soulever les allégations de partialité.

[16] D’abord, cette nouvelle thèse est inappropriée parce qu’elle n’a pas été présentée dans le mémoire des faits et du droit de l’APVF. Qui plus est, elle est sans fondement de toute manière. GCT allègue que l’APVF a fait montre d’un parti pris réel dans sa décision de mars 2019. Je ne suis pas convaincu qu’il soit établi hors de tout doute que le fait que GCT savait qu’APVF préférait un autre projet lui montrait nécessairement que l’APVF refuserait d’examiner le projet concurrent de GCT. En d’autres mots, GCT peut raisonnablement faire valoir qu’elle a bel et bien soulevé ses allégations de partialité dès la première occasion.

[17] Le tribunal le mieux placé pour se prononcer sur la thèse de l’APVF selon laquelle la demande de contrôle judiciaire de GCT est prématurée est la Cour fédérale lorsqu’elle tranchera cette demande sur le fond. La Cour fédérale bénéficiera alors d’un dossier de preuve complet et d’observations complètes sur les questions en litige. Notre Cour joue un rôle bien plus restreint dans le présent appel. Nous devons examiner si le juge Phelan a commis une erreur de droit ou une erreur manifeste et dominante lorsqu’il a refusé de modifier la décision de la protonotaire. À cet égard, je ne constate aucune erreur.

IV. Conclusion

[18] Je rejetterais l’appel avec dépens.

[19] Il convient de préciser que rien dans les présents motifs ne vise à lier la Cour fédérale dans sa décision sur le fond de la demande de contrôle judiciaire. Mes conclusions sont fondées sur les critères rigoureux auxquels il faut satisfaire dans le présent appel, à savoir l’erreur manifeste et dominante pour ce qui est des décisions sur la requête en radiation et, pour ce qui est de la demande sous-jacente, la nullité des chances que celle-ci soit accueillie.

« George R. Locke »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Yves de Montigny, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Marianne Rivoalen, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-297-20

 

INTITULÉ :

ADMINISTRATION PORTUAIRE DE VANCOUVER FRASER c. GCT CANADA LIMITED PARTNERSHIP et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 septembre 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LOCKE

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE RIVOALEN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 17 septembre 2021

 

COMPARUTIONS :

Joan M. Young

Charlotte Conlin

Komal Jatoi

 

PouR l’appelante

ADMINISTRATION PORTUAIRE DE VANCOUVER FRASER

 

Matthew B. Lerner

Christopher Yung

 

POUR L’INTIMÉE

GCT CANADA LIMITED PARTNERSHIP

 

Sarah Bird

Shane Hopkins-Utter

Jordan Marks

 

POUR L’INTIMÉ

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

PouR l’appelante

ADMINISTRATION PORTUAIRE DE VANCOUVER FRASER

 

Lenczner Slaght LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR L’INTIMÉE

GCT CANADA LIMITED PARTNERSHIP

 

A. François Daigle

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

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