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Date : 20210805


Dossier : A-117-20

Référence : 2021 CAF 164

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

ELIZABETH BALKANYI

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 22 avril 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario) le 5 août 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LEBLANC

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE GLEASON

 


Date : 20210805


Dossier : A-117-20

Référence : 2021 CAF 164

CORAM :

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

ELIZABETH BALKANYI

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LEBLANC

I. Introduction

[1] La demanderesse Mme Balkanyi, demande l’annulation d’une décision rendue par la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (la Division d’appel), en date du 6 mars 2020 (2020 TSS 214), rejetant l’appel qu’elle avait interjeté à l’encontre d’une décision de la division générale de ce même tribunal (la Division générale) (2019 TSS 1591). Dans sa décision, la Division générale a conclu que la demanderesse n’était pas admissible à une pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), c. C-8 (le RPC) parce qu’elle conservait une certaine capacité de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice et qu’elle n’avait pas établi que ses efforts pour obtenir un emploi et le conserver avaient été infructueux en raison de son état de santé. Le ministre de l’Emploi et du Développement social (le Ministre) avait déjà rejeté sa première demande de pension d’invalidité et sa demande de révision.

II. Exposé des faits

[2] La demanderesse réside en Colombie-Britannique. Le 18 décembre 2015, elle a été blessée dans un accident de voiture. Au moment de l’accident, elle travaillait comme aide-soignante résidente et comme aide générale pour l’entreprise de plomberie de son mari. Ces deux emplois étaient exigeants sur le plan physique. Après l’accident, elle a reçu des prestations pour incapacité totale temporaire (ITT) de l’Insurance Corporation of British Columbia (ICBC), une société d’État provinciale participant à l’administration du régime d’assurance public de la Colombie-Britannique pour les victimes d’accidents de voiture.

[3] À l’automne 2017, l’ICBC a exigé de la demanderesse qu’elle demande des prestations d’invalidité du RPC, car les prestations pour ITT sont retranchées des prestations d’invalidité du RPC après 104 semaines de prestations. C’est ce que la demanderesse a fait le 31 octobre 2017. Elle avait alors 57 ans. La demanderesse a déclaré qu’à la suite de l’accident, l’amplitude du mouvement de son bras droit était limitée, qu’elle avait une douleur persistante au bras droit, à l’épaule droite et au cou, de l’enflure à la main droite, une capacité réduite de s’asseoir et de rester debout pendant de longues périodes et de la difficulté à dormir en raison de la douleur.

[4] Le 6 septembre 2019, la demanderesse a reçu son congé des traitements d’ergothérapie dispensés par l’ICBC parce qu’elle a été jugée incapable de travailler. Cependant, il n’est pas contesté qu’aux fins de sa demande de prestations du RPC, c’est l’état de santé de la demanderesse à la fin de sa période minimale d’admissibilité (PMA), soit le 31 décembre 2017, qui importe.

III. Décision de la Division générale

[5] La Division générale a conclu que la demanderesse n’était pas admissible à une pension d’invalidité au titre du RPC parce qu’à la fin de sa PMA, son invalidité n’était pas « grave » au sens de l’alinéa 44(2)a) du RPC. Selon la Division générale, même si la santé de la demanderesse l’empêchait de reprendre l’une ou l’autre de ses occupations antérieures, les renseignements médicaux au dossier indiquaient que le 31 décembre 2017, elle avait encore une certaine capacité de travailler et qu’elle pouvait donc détenir une occupation rémunératrice adaptée à sa situation.

[6] En concluant comme elle l’a fait, la Division générale a accordé plus de poids aux rapports des ergothérapeutes qu’à ceux du Dr Ervine, le médecin de famille de la demanderesse, et du Dr Cameron, un neurologue. La Division générale a déclaré qu’elle ne disposait d’aucune note clinique du cabinet du Dr Ervine à passer en revue en date de la PMA de la demanderesse. Quant à la preuve du Dr Cameron, qui consistaient en deux rapports, l’un en date du 31 août 2017, et l’autre, du 26 mars 2019, la Division générale a souligné que la demanderesse ne voyait pas le Dr Cameron régulièrement comme patiente, et que le deuxième des deux rapports portait une date nettement postérieure à la PMA. La Division générale a privilégié les rapports des ergothérapeutes parce qu’ils ont tenu compte de la santé globale de la demanderesse, ont pris des notes sur ses préoccupations et l’ont vue à plusieurs reprises au cours d’une période de deux ans, y compris pendant l’année de sa PMA.

[7] La Division générale a également conclu que la demanderesse « n’a[vait] pas essayé de travailler depuis son accident de voiture en 2015 », alors qu’elle était tenue d’établir que ses efforts pour obtenir un emploi et le conserver avaient été infructueux en raison de son état de santé (Décision de la Division générale aux para. 29 et 30). Il est indiqué que si la demanderesse « avait essayé d’occuper un emploi plus léger ou sédentaire et qu’elle n’avait pas réussi, cela aurait pu […] persuader [la Division générale] que son problème de santé était grave malgré ce que démontrait la preuve médicale » (Décision de la Division générale au para. 31).

IV. Décision de la Division d’appel

[8] En confirmant la décision de la Division générale, la Division d’appel a souligné qu’un appel n’est pas une nouvelle audience de la demande originale. Pour décider s’il y a lieu d’intervenir dans la décision de la Division générale, la Division d’appel doit plutôt se fonder sur les motifs d’appel énumérés au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, L.C. 2005, c. 34 (LMEDS).

[9] La Division d’appel a d’abord rejeté la prétention de la demanderesse selon laquelle la Division générale avait commis une erreur de droit en omettant de se demander si son incapacité de détenir une occupation véritablement rémunératrice était « régulière ». Elle a fait remarquer que la Division générale a fait référence à l’état de santé variable de la demanderesse, au fait qu’elle pouvait s’asseoir pendant une à deux heures, marcher et se tenir debout pendant 20 minutes, ainsi qu’aux moyens qu’elle prenait pour gérer la douleur. La Division d’appel a conclu que cela démontrait que la Division générale s’était demandé si l’incapacité de travailler de la demanderesse était régulière.

[10] La Division d’appel a par la suite rejeté l’argument de la demanderesse voulant que la Division générale ait commis une autre erreur de droit en ne tenant pas compte de ses caractéristiques personnelles pour évaluer si elle avait une certaine capacité de travail, comme notre Cour l’a exigé dans Villani c. Canada (Procureur général) (C.A.), 2001 CAF 248, [2002] 1 C.F. 130 (Villani). Elle a conclu que la demande de la demanderesse à cet égard équivalait à un désaccord avec la façon dont la Division générale avait apprécié la preuve.

[11] Enfin, la demanderesse a soutenu que la Division générale avait fondé sa décision sur deux erreurs de fait importantes, soit (1) qu’elle avait accordé plus de poids aux rapports des ergothérapeutes et (2) qu’elle n’avait pas tenu compte de la preuve de la demanderesse au sujet de sa douleur et de ses répercussions sur son état fonctionnel. En ce qui concerne la première erreur alléguée, la Division d’appel a conclu que la Division générale avait examiné les rapports des Drs Ervine et Cameron, et a expliqué pourquoi elle avait accordé plus de poids aux rapports des ergothérapeutes. La Division d’appel était également convaincue que la Division générale avait tenu compte de la douleur de la demanderesse et de ses répercussions sur son état fonctionnel, mais a souligné que, malgré les éléments de preuve à ce sujet, elle est « capable de s’occuper de ses petits-enfants certains jours après l’école et elle va à l’église une fois par semaine » (Décision de la Division d’appel au para. 23).

V. Question en litige et norme de contrôle

[12] La Cour doit trancher la question de savoir si la Division d’appel pouvait raisonnablement conclure que la Division générale n’avait commis aucune erreur au sens du paragraphe 58(1) de la LMEDS en concluant que la demanderesse n’était pas invalide au titre du RPC à la fin de sa PMA.

[13] Il n’est pas contesté que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable (voir Riccio c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 108 au para. 5 (Riccio); Parks c. Canada (Procureur général), 2020 CAF 91, [2020] A.C.F. no 618 (QL/Lexis) au para. 8 (Parks); voir également Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] A.C.S. no 65 (QL/Lexis) (Vavilov)). Comme l’a conclu la Cour suprême du Canada au paragraphe 85 de Vavilov, « une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (voir également Parks au para. 8).

[14] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la conclusion et les motifs de la Division d’appel sont déraisonnables et que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie.

VI. Discussion

[15] Sous le régime du RPC, une personne n’est considérée comme invalide que si elle est déclarée atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée. Les termes « grave » et « prolongée » sont définis aux sous-alinéas 42(2)a)(i) et (ii) du RPC. L’alinéa 42(2)a) énonce ce qui suit :

Personne déclarée invalide

When person deemed disabled

(2) Pour l’application de la présente loi :

(2) For the purposes of this Act,

a) une personne n’est considérée comme invalide que si elle est déclarée, de la manière prescrite, atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée, et pour l’application du présent alinéa :

(a) a person shall be considered to be disabled only if he is determined in prescribed manner to have a severe and prolonged mental or physical disability, and for the purposes of this paragraph,

(i) une invalidité n’est grave que si elle rend la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice,

(i) a disability is severe only if by reason thereof the person in respect of whom the determination is made is incapable regularly of pursuing any substantially gainful occupation, and

(ii) une invalidité n’est prolongée que si elle est déclarée, de la manière prescrite, devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès;

(ii) a disability is prolonged only if it is determined in prescribed manner that the disability is likely to be long continued and of indefinite duration or is likely to result in death; and

[…]

[16] Seul le sous-alinéa 42(2)a)(i) est en cause dans la présente demande de contrôle judiciaire. Selon Villani, cette disposition devrait recevoir une interprétation généreuse, quoique toujours dans les limites du libellé qui y est contenu, et le critère qu’il convient d’appliquer à la gravité requiert que chaque mot de la définition, y compris le mot « régulièrement », apporte sa contribution à l’exigence légale (Villani aux para. 29 et 44). Le sens de ces mots « doit être interprété d’une façon large et libérale, et toute ambiguïté découlant de ces mots doit se résoudre en faveur de la personne qui demande des prestations d’invalidité » (Villani au para. 29).

[17] Dans Villani, notre Cour a également déclaré l’importance d’appliquer l’exigence relative à la gravité énoncée au sous-alinéa 42(2)a)(i) dans un contexte « réaliste ». Pour ce faire, il est nécessaire de tenir compte de la situation particulière du prestataire, y compris son âge, son niveau d’instruction, ses aptitudes linguistiques, ses antécédents de travail et son expérience de la vie (Villani aux para. 38 et 39; voir également, par exemple, D’Errico c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 95, [2014] CarswellNat 2661 (WL Can) au para. 4 (D’Errico)).

[18] Lorsqu’il existe une preuve de la capacité de travailler, une partie requérante doit démontrer qu’elle n’a pas pu obtenir ou conserver un emploi en raison de son état de santé (Inclima c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 117, 2003 CarswellNat 579 (WL Can) au para. 3; voir également D’Errico au para. 4). Autrement dit, une conclusion de capacité de travail résiduelle « est une condition préalable à l’établissement de la pertinence des efforts déployés pour obtenir un autre emploi » (Canada (Procureur général) c. Poirier, 2020 CAF 98, 2020 CarswellNat 1669 (WL Can) au para. 17).

[19] Devant notre Cour, la demanderesse affirme que la définition du terme « grave » invoquée pour rejeter sa demande ne peut se justifier au regard du droit parce que ni la Division générale ni la Division d’appel n’ont tenu compte de la question de savoir si son incapacité de détenir une occupation véritablement rémunératrice était « régulière ». Elle prétend que la Division d’appel et la Division générale n’ont pas adopté une approche « réaliste » conformément à Villani, en évaluant sa capacité de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice.

[20] Elle soutient également que la Division générale s’est fondamentalement méprise sur la preuve concernant sa capacité de travailler, et que la Division d’appel a commis une erreur en ne modifiant pas les conclusions tirées par la Division générale à cet égard. Plus précisément, la demanderesse soutient que la Division générale n’était saisie d’aucun élément de preuve, y compris les rapports des ergothérapeutes, étayant une conclusion selon laquelle au 31 décembre 2017, elle avait une quelconque capacité de travailler. Le seul élément de preuve qui aurait pu étayer une telle conclusion, selon elle, était purement éventuel en ce sens qu’il évoquait la possibilité que sa situation puisse s’améliorer au point où elle pourrait envisager de reprendre le travail.

[21] Comme je l’ai déjà mentionné, la capacité de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice ne doit pas être évaluée de manière abstraite, mais en tenant compte de toutes les circonstances du prestataire, tant du point de vue du contexte que de l’état de santé. Dans Villani, la Cour a mis en garde les décisionnaires du RPC contre le fait d’ignorer le libellé de la loi « en concluant par exemple que, puisqu’un requérant est capable d’effectuer certaines tâches ménagères ou, à strictement parler, de demeurer assis pendant de courtes périodes, il est en mesure, en théorie, d’exercer un certain type d’occupation sédentaire non spécifiée qui correspond à “n’importe quelle” occupation au sens du sous-alinéa 42(2)a)(i) du [RPC] » (Villani au para. 47).

[22] Je suis d’avis que cela pourrait bien être ce qui s’est produit en l’espèce.

[23] La description qu’a effectuée la Division générale de la preuve soumise par la demanderesse peut se résumer ainsi :

a) « elle ne sait pas comment sera chacune de ses journées »;

b) elle « peut s’asseoir pendant une ou deux heures, mais ensuite sa tête devient lourde et elle doit s’allonger »;

c) elle « peut être debout et fonctionner pendant une à trois heures et ensuite elle a besoin de se reposer »;

d) « elle ne peut pas lever son bras au-dessus de son épaule, et [...] ne peut soulever aucun objet lourd »;

e) la nuit, elle « a de la difficulté à dormir et sent une pression à l’épaule », de sorte que « [p]arfois elle arrive à dormir pendant cinq heures et parfois pendant seulement deux heures »;

f) elle « a rappelé que son état en 2017 est le même qu’en 2019 ».

(Voir la Décision de la Division générale au para. 11)

[24] La Division générale a indiqué que l’opinion qu’a la demanderesse de la façon dont son problème de santé affecte sa capacité de travailler est importante (Décision de la Division générale au para. 16), mais elle a préféré la preuve médicale des ergothérapeutes, qu’elle a considérée comme « plus fiable que la mémoire de la [demanderesse] » (Décision de la Division générale au para. 31). Comme je l’ai mentionné précédemment, la Division générale a accordé plus de poids à ces rapports qu’à ceux des médecins de la demanderesse. Ces derniers étaient d’avis que la demanderesse était devenue totalement invalide en raison des effets négatifs résiduels des blessures subies au moment de son accident de voiture.

[25] La Division d’appel a reconnu que l’incapacité d’une personne doit être « régulière » pour que cette personne soit déclarée invalide au sens du RPC. Elle n’était toutefois pas d’accord avec la demanderesse, et a conclu que la Division générale avait examiné cet élément de l’invalidité pour la simple raison qu’elle avait noté que, selon le témoignage de la demanderesse, « son état variait de jour en jour et qu’elle pouvait s’asseoir pendant une heure ou deux, et marcher et se tenir debout pendant 20 minutes », et « soulag[er] sa douleur à l’aide du Tylenol au besoin, de médicaments à base de plantes et de crèmes pour son épaule ». La Division d’appel n’a fourni aucune analyse sur la façon dont les renvois de la Division générale (i) au témoignage de la demanderesse sur son état de santé variable et au fait qu’elle pouvait s’asseoir pendant une à deux heures, marcher et se tenir debout pendant 20 minutes; (ii) au fait que la demanderesse soulageait sa douleur à l’aide du Tylenol au besoin, pouvait avoir un lien avec sa conclusion selon laquelle la demanderesse avait une certaine capacité de travailler.

[26] À défaut d’une analyse expliquant la façon dont ces éléments de preuve étayent la conclusion voulant que la demanderesse ait une certaine capacité de travailler, rien ne justifie que la Division d’appel détermine que la Division générale avait évalué si l’incapacité de travailler de la demanderesse était régulière. Cette absence d’analyse indique que, tant la Division d’appel que la Division générale ont pu se tromper sur le critère à appliquer, et qu’elles ont effectivement écarté le terme « régulièrement » de la définition que la loi donne au terme « invalide ».

[27] Encore une fois, chacun des mots utilisés au sous-alinéa 42(2)a)(i) du RPC doit avoir un sens (Villani au para. 38). Cela indique que, selon le législateur, l’incapacité est grave si elle « rend le requérant incapable de détenir pendant une période durable une occupation réellement rémunératrice » (Villani au para. 38 (non souligné dans l’original)).

[28] Dans Villani, la Cour a examiné les définitions que donnent les dictionnaires aux mots « régulier » (« habituel, normal ou ordinaire ») et « régulièrement » (« à intervalles réguliers ») (Villani au para. 37, citant Patricia Valerie Barlow c. Ministre du Développement des ressources humaines, CP 07017 (22 novembre 1999)). Elle a alors insisté sur le fait que le sous-alinéa 42(2)a)(i) du RPC n’exige pas que le demandeur soit « incapable de détenir n’importe quelle occupation concevable », mais qu’il soit « incapable de détenir régulièrement une occupation véritablement rémunératrice » (Villani au para. 38 (italiques dans l’original); voir également Atkinson c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 187, [2015] 3 R.C.F. 461 au para. 37 (Atkinson)). Comme nous l’avons vu, la Cour a également mis en garde contre des conclusions qui ont pour effet de ne pas accorder de poids à chacun des mots de la définition législative du terme « grave », et qui déterminent, par exemple, qu’en raison du fait qu’un prestataire peut demeurer assis pendant de courtes périodes, il est en mesure d’exercer une occupation sédentaire (Villani aux para. 47 et 48).

[29] Dans Atkinson, notre Cour a réitéré ce qu’elle avait affirmé dans Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c. Scott, 2003 CAF 34, [2003] A.C.F. no 80 (QL/Lexis), à savoir que ce n’est pas à l’emploi que doit se rattacher la « régularité », mais plutôt à l’incapacité de travailler (Atkinson au para. 37, se reportant à Scott au para. 7). Elle a également souligné que « la prévisibilité est essentielle pour déterminer si une personne travaille régulièrement » (Atkinson au para. 38), une déclaration reprise dans Riccio, où la Cour a conclu que le terme « régulièrement » rend compte du fait que les employés, qu’ils soient à temps plein ou à temps partiel, « sont censés se présenter au travail aux dates et aux heures prévues » (Riccio au para. 23).

[30] En l’espèce, le peu de motifs fournis par la Division d’appel sur la question de savoir si la Division générale avait évalué si l’incapacité de travailler de la demanderesse était régulière révèle, comme dans Riccio, une absence de lien entre les éléments de preuve et la conclusion tirée par la Division d’appel. Pour reprendre les termes de Riccio, au paragraphe 22, la Division d’appel « est parvenue à la conclusion, sans donner aucune explication », que la Division générale avait évalué si l’incapacité de travailler de la demanderesse était régulière. Je suis d’avis que cela ne peut être soutenu à la lumière de la « culture de la justification » proposée dans Vavilov (Vavilov au para. 14; voir également Canada (Procureur général) c. Kattenburg, 2021 CAF 86, 2021 CarswellNat 1291 (WL Can) au para. 9).

[31] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la décision de la Division d’appel est déraisonnable. Elle manque de transparence, d’intelligibilité et de justification au point qu’il est impossible de déterminer si elle repose sur une analyse intrinsèquement rationnelle, qui est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques auxquelles la Division d’appel était assujettie.

VII. Conclusion

[32] J’accueillerais la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse, j’annulerais la décision de la Division d’appel et je renverrais l’affaire à la Division d’appel pour nouvel examen. Comme la demanderesse a eu gain de cause devant notre Cour, je lui accorderais les dépens.

« René LeBlanc »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Yves de Montigny, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Mary J.L. Gleason, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-117-20

 

 

INTITULÉ :

ELIZABETH BALKANYI c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience par vidéoconférence tenue par le greffe

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 avril 2021

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LEBLANC

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE GLEASON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 5 août 2021

 

COMPARUTION :

Sepideh Alimirzaee

Kirk H. Wirsig

 

Pour la demanderesse

 

Sandra L. Doucette

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McQuarrie Hunter LLP

Surrey (Colombie-Britannique)

 

Pour la demanderesse

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour le défendeur

 

 

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