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Date : 20210805


Dossier : A-348-19

Référence : 2021 CAF 161

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NEAR

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LEBLANC

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

BEST BUY CANADA LTD.

intimée

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 19 janvier 2021.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 5 août 2021.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NEAR

MOTIFS CONCOURANTS :

LA JUGE GLEASON

Y A SOUSCRIT :

LE JUGE LEBLANC

 


Date : 20210805

Dossier : A-348-19

Référence : 2021 CAF 161

CORAM :

LE JUGE NEAR

LA JUGE GLEASON

LE JUGE LEBLANC

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

BEST BUY CANADA LTD.

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NEAR

I. Aperçu

[1] Notre Cour est saisie d’un appel interjeté par le procureur général du Canada contre une décision rendue par le Tribunal canadien du commerce extérieur (TCCE), Best Buy Canada Ltd., 2019 CanLII 110846 (CA TCCE), 2019 CarswellNat 14480 (WL Can) [Best Buy (TCCE 2019)]. Dans cette décision, le TCCE a classé les supports de téléviseurs importés par l’intimée, Best Buy Ltd., dans la catégorie des « parties » de téléviseurs, soit dans le numéro tarifaire 8529.90.90 de l’annexe du Tarif des douanes, L.C. (1997), ch. 36.

[2] La décision du TCCE qui fait l’objet du présent appel est elle-même un réexamen d’une décision antérieure du TCCE, la décision Best Buy Canada Ltd., 2017 CanLII 149295 (CA TCCE), 2017 CarswellNat 3969 (WL Can) [Best Buy (TCCE 2017)]. Le Canada a interjeté appel de la décision de 2017 auprès de notre Cour, qui a renvoyé l’affaire au TCCE, Canada (Procureur général) c. Best Buy Canada Ltd., 2019 CAF 20, 2019 CarswellNat 14679 (WL Can) [Best Buy (CAF 2019)], lequel a ensuite maintenu sa décision initiale. Le Canada interjette de nouveau appel de la décision du TCCE.

[3] Dans le présent appel, notre Cour est appelée à décider si elle peut contrôler une décision du TCCE à l’égard de questions autres que des questions de droit, contrairement à ce que prévoit la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.). Je suis d’avis que le paragraphe 67(3) et l’article 68 de la Loi sur les douanes empêchent notre Cour de contrôler des décisions du TCCE pour déterminer si ce dernier a commis des erreurs de fait ou encore des erreurs mixtes de fait et de droit qui ne sont pas à ce point flagrantes qu’elles constituent des erreurs de droit.

[4] Le Canada soutient que le TCCE a commis non seulement une erreur de droit, mais aussi une erreur dans son application du droit aux faits de l’affaire. Je ne suis pas convaincu que le TCCE a commis une erreur de droit. Qui plus est, comme je conclus que notre Cour ne peut contrôler les décisions du TCCE qu’à l’égard de questions de droit, je rejetterais l’appel.

II. Les faits

[5] Les marchandises en cause, que j’appellerai « les supports de Best Buy », sont des supports sur pied pour téléviseurs à écran plat, qui sont faits de métal et de bois. Le 2 octobre 2014, Best Buy a demandé à l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) de rendre une décision anticipée relativement au classement tarifaire de ces marchandises. Best Buy, se fondant sur une décision antérieure du TCCE portant sur des supports sur pied semblables, Sanus Systems c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada (le 8 juillet 2010), AP-2009-007 (TCCE), 2010 CarswellNat 5289 (WL Can) [Sanus Systems], demandait que les marchandises soient classées dans le numéro tarifaire 8529.90.90.

[6] Avant de rendre sa décision anticipée à l’égard des supports de Best Buy, l’ASFC a présenté, en août 2015, une demande au Comité du Système harmonisé de l’Organisation mondiale des douanes (le Comité de l’OMD) afin d’obtenir un avis sur le classement tarifaire de chariots audiovisuels conçus pour supporter des téléviseurs et d’autres appareils audiovisuels. Dans sa demande, l’ASFC a informé le Comité de l’OMD de la décision Sanus Systems rendue par le TCCE et a fait savoir que l’ASFC était d’avis que les marchandises en cause dans la décision Sanus Systems n’étaient pas des « parties » de téléviseurs, mais plutôt des « meubles ».

[7] Le Comité de l’OMD a tenu un vote, puis a décidé de demander au Secrétariat de rédiger des avis de classement selon lesquels les supports de téléviseurs comme ceux en cause dans la décision Sanus Systems devaient être classés dans les « meubles » et non dans les « parties » de téléviseurs. Les avis de classement ont été publiés le 1er juin 2016. J’appellerai les supports visés par ces avis de classement « les supports de l’OMD ».

[8] En juillet 2016, l’ASFC a informé Best Buy de sa décision anticipée à l’égard des marchandises en cause, dans laquelle les marchandises ont été classées comme des « meubles » dans la position tarifaire no 94.03, conformément aux avis de classement.

[9] Best Buy a interjeté appel auprès du TCCE, qui a accueilli l’appel : Best Buy (TCCE 2017). Le Canada a fait appel de la décision du TCCE auprès de notre Cour, qui a accueilli l’appel et renvoyé l’affaire au TCCE pour réexamen.

[10] En renvoyant l’affaire au TCCE, notre Cour s’est fondée sur l’article 11 du Tarif des douanes, qui est rédigé ainsi :

Interprétation de la liste des dispositions tarifaires

Interpretation

11 Pour l’interprétation des positions et sous-positions, il est tenu compte du Recueil des Avis de classement du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises et des Notes explicatives du Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises et de leurs modifications, publiés par le Conseil de coopération douanière (Organisation mondiale des douanes).

11 In interpreting the headings and subheadings, regard shall be had to the Compendium of Classification Opinions to the Harmonized Commodity Description and Coding System and the Explanatory Notes to the Harmonized Commodity Description and Coding System, published by the Customs Co-operation Council (also known as the World Customs Organization), as amended from time to time.

[11] Notre Cour a conclu que « [l]es avis étaient pertinents parce qu’ils portaient sur des marchandises sensiblement les mêmes que celles en cause, mais le Tribunal n’en a pas tenu compte comme l’exige le Tarif des douanes » : Best Buy (CAF 2019), au para. 5. Notre Cour a donc renvoyé l’affaire au TCCE en lui enjoignant de tenir compte des avis de classement dans sa nouvelle décision.

III. La décision du TCCE faisant l’objet du présent appel

[12] Le TCCE a maintenu sa conclusion selon laquelle les avis de classement de l’OMD, qui portaient sur des meubles de sol munis de roulettes pour appareils audio/vidéo, n’étaient pas pertinents en ce qui concerne le classement des supports de Best Buy, car ces derniers n’étaient pas munis de roulettes et qu’ils étaient conçus expressément pour des téléviseurs. Le TCCE a répété que, « [a]yant tenu compte des avis de classement, le Tribunal conclut que les marchandises en cause ont une forme et une fonction différentes de celles des avis » : Best Buy (TCCE 2019), au para. 14. De l’avis du TCCE, cette distinction était importante, car les marchandises en cause s’apparentaient davantage à des meubles spéciaux qu’aux marchandises visées par les avis de classement. Or, les notes explicatives de la position no 85.29, laquelle porte sur les « [p]arties reconnaissables comme étant exclusivement ou principalement destinées aux appareils des nos 85.25 à 85.28 », englobent explicitement les meubles spéciaux conçus pour recevoir des téléviseurs : Best Buy (TCCE 2019), au para. 14.

[13] Enfin, le TCCE a expliqué en détail, comme dans sa décision initiale, pourquoi il avait rejeté la thèse du Canada selon laquelle les « parties » de téléviseurs doivent être des articles essentiels au fonctionnement des appareils : Best Buy (TCCE 2019), aux para. 19 et 20. Il a donc maintenu sa décision initiale, à savoir que les supports sur pied sont des « parties » de téléviseurs, et non des « meubles ».

IV. Les questions en litige et la norme de contrôle

[14] Le Canada a interjeté le présent appel en septembre 2019, avant que la Cour suprême du Canada ne rende l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Il a également déposé ses observations écrites en mars 2020, avant que notre Cour ne rende les arrêts Neptune Wellness Solutions c. Canada (Agence des services frontaliers), 2020 CAF 151, 2020 CarswellNat 7132 (WL Can) [Neptune], et Canada (Procureur général) c. Impex Solutions Inc., 2020 CAF 171, 2020 CarswellNat 4332 (WL Can) [Impex]. Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a modifié la manière dont les tribunaux doivent examiner les appels visant les décisions de tribunaux administratifs. Dans les arrêts Neptune et Impex, notre Cour s’est penchée sur l’incidence de ces modifications sur la manière dont elle doit entendre les appels visant les décisions du TCCE interjetés en vertu de l’article 68 de la Loi sur les douanes, lesquels se limitent aux points de droit. Dans l’arrêt Neptune, le juge Rennie a affirmé que « les questions de fait ou les questions mixtes de fait et de droit, desquelles on ne peut isoler une question de droit, peuvent néanmoins être contrôlées, au titre de principes généraux et de l’article 28 de la Loi sur les Cours fédérales » (au para. 15). Notre Cour a toutefois conclu, dans l’arrêt Neptune et dans l’arrêt Impex, que les questions dont elle avait été saisie étaient des questions de droit qui relevaient de l’article 68. Les observations du juge Rennie formulées dans l’arrêt Neptune étaient donc des remarques incidentes.

[15] Dans ses observations écrites, le Canada a soutenu que la question de savoir si le TCCE avait des motifs valables, en l’espèce, de faire fi des avis de classement de l’OMD est une question de droit. La norme de contrôle qui s’applique actuellement aux appels portant sur des questions de droit interjetés en vertu de l’article 68 de la Loi sur les douanes à l’encontre des décisions du TCCE est la norme de la décision correcte : Vavilov, au para. 37; Neptune, au para. 18; Impex, au para. 32.

[16] Cependant, le Canada a aussi soutenu que le TCCE avait fait une application déraisonnable du droit aux faits. Il a affirmé que le TCCE avait tenu compte de facteurs non pertinents pour conclure que l’avis de classement de l’OMD était inapplicable, à savoir les pratiques et procédures du Comité de l’OMD et l’opinion de l’architecte d’intérieur qui avait témoigné à l’audience. Le Canada a reconnu qu’il s’agissait, dans les deux cas, de questions mixtes de fait et de droit.

[17] À la lumière des remarques incidentes formulées dans l’arrêt Neptune, le Canada a demandé et obtenu du temps, après l’audition de la présente affaire, pour présenter des observations supplémentaires sur la question de savoir si des questions autres que des questions de droit sont susceptibles de contrôle et, le cas échéant, par quelle procédure et selon quelle norme de contrôle.

[18] Dans ses observations supplémentaires, le Canada a fait valoir qu’il est possible de demander le contrôle judiciaire de décisions du TCCE à l’égard de questions mixtes de fait et de droit qui ne peuvent être assimilées à des erreurs de droit en appliquant l’alinéa 28(1)e) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7. Dans ses observations supplémentaires, Best Buy a souscrit à cette observation. Les deux parties ont reconnu que la norme de contrôle qui s’appliquerait à de telles questions de fait ou mixtes de fait et de droit serait celle de la décision raisonnable.

[19] Cependant, le Canada a également reconnu que l’arrêt Vavilov de la Cour suprême du Canada remet maintenant en doute cette proposition et, jouant en quelque sorte le rôle, selon ses dires, d’intervenant désintéressé, le Canada a présenté des observations contre la thèse voulant que notre Cour ait compétence pour contrôler des décisions du TCCE à l’égard d’erreurs de fait ou d’erreurs mixtes de fait et de droit qui ne sont pas suffisamment flagrantes pour être assimilées à des points de droit, comme le prévoient le paragraphe 67(3) et l’article 68 de la Loi sur les douanes.

[20] Par conséquent, avant d’examiner si le TCCE a appliqué de manière raisonnable le droit aux faits, notre Cour doit d’abord déterminer si elle a compétence pour contrôler la décision du TCCE sur de telles questions mixtes de fait et de droit.

[21] Enfin, si notre Cour conclut qu’elle a compétence pour contrôler des décisions du TCCE à l’égard d’erreurs qui ne sont pas visées par le mécanisme d’appel prévu à l’article 68 de la Loi sur les douanes, elle doit aussi déterminer de quelle manière, sur le plan procédural, ce contrôle peut être mené. En règle générale, dans le cas d’appels interjetés sous le régime de la Loi sur les douanes, la pratique antérieure consistait à contrôler la décision du TCCE dans son ensemble selon la norme de la décision raisonnable : voir, par exemple, Igloo Vikski inc. c. Canada (Agence des services frontaliers), 2014 CAF 266, 2014 CarswellNat 6196 (WL Can), au para. 2 [Igloo Vikski (CAF)], infirmé, mais non sur ce point, par Canada (Procureur général) c. Igloo Vikski Inc., 2016 CSC 38, [2016] 2 R.C.S. 80 [Igloo Vikski (CSC)]. Les deux parties ont reconnu que, depuis l’arrêt Vavilov, il serait nécessaire de déposer une demande de contrôle judiciaire distincte. Par conséquent, si notre Cour devait conclure qu’elle a compétence pour contrôler la décision du TCCE à l’égard d’erreurs autres que celles visées à l’article 68 de la Loi sur les douanes, elle devrait aussi déterminer la manière dont elle doit composer avec la difficulté procédurale découlant de l’obligation d’intenter des procédures distinctes pour les contrôles concernant des questions de droit – en vertu de l’article 68 de la Loi sur les douanes – et ceux concernant tout autre motif de contrôle prévu par la Loi sur les Cours fédérales.

V. Analyse

[22] Je suis d’avis que le TCCE n’a pas commis d’erreur de droit en refusant de classer les supports de Best Buy conformément à l’avis de classement de l’OMD. Qui plus est, le seul mécanisme de contrôle d’une décision du TCCE rendue sous le régime de la Loi sur les douanes est le mécanisme d’appel prévu à l’article 68. Comme les appels prévus à l’article 68 se limitent aux points de droit, je suis d’avis que les décisions du TCCE portant sur le classement tarifaire ne peuvent être infirmées que s’il existe une erreur de droit isolable qui justifie l’intervention de notre Cour. Étant donné ma conclusion sur cette question, il est inutile d’examiner les problèmes de procédure que soulèverait un tel contrôle.

A. Le TCCE a-t-il commis une erreur de droit en ne suivant pas l’avis de classement de l’OMD?

[23] Le Canada soutient que le TCCE, en prenant en considération le processus suivi par l’OMD pour établir ses avis de classement, a commis une erreur de droit lorsqu’il a déterminé que les avis ne s’appliquaient pas en l’espèce. Selon le Canada, l’interprétation et l’application des notes explicatives et des avis de classement de l’OMD sont des questions de droit, susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte.

[24] Je suis d’avis que le Canada n’a pas réussi à démontrer que l’appel soulève une question de droit isolable à laquelle notre Cour doit fournir la réponse correcte. Bien que je reconnaisse que l’interprétation des interdépendances entre les différentes dispositions du Tarif des douanes soulève généralement des questions de droit (voir, par exemple, Impex, au para. 40; Neptune, au para. 18), l’application comme telle des dispositions à une série de faits est plus susceptible de constituer une question mixte de fait et de droit : Impex, au para. 34, renvoyant à l’arrêt Canada (Services frontaliers) c. Decolin inc., 2006 CAF 417, au para. 41. En d’autres termes, la question de savoir si un produit précis correspond à la description d’un numéro tarifaire, compte tenu de ses caractéristiques physiques et des notes explicatives et avis de classement pertinents, n’est pas généralement une question de droit.

[25] Il est possible qu’une erreur de droit susceptible de contrôle puisse être isolée d’une conclusion de fait du TCCE ou de la manière dont il a appliqué le droit aux faits. Par exemple, les conclusions de fait doivent généralement être étayées par des éléments de preuve, et les conclusions de fait tirées sans aucun élément de preuve à l’appui ont souvent été considérées comme étant des erreurs de droit, et non des erreurs de fait : voir, par exemple, Schuldt c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 592, 1985 CanLII 20, p. 604, cité avec approbation par R. c. J.M.H., 2011 CSC 45, [2011] 3 R.C.S. 197, au para. 25. Une conclusion de fait manifestement erronée et sans fondement est donc susceptible de contrôle dans un appel interjeté en vertu de l’article 68.

[26] L’application par le TCCE du droit pertinent peut également être susceptible de contrôle à l’égard d’erreurs de droit si, dans l’application d’une règle ou d’un principe de droit, le TCCE a effectivement mal interprété la règle ou le principe ou y porte atteinte. Comme l’a déclaré le juge Iacobucci de la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, 1997 CanLII 385 (CSC), au para. 39 :

[…] Après tout, si un décideur dit que, en vertu du critère applicable, il lui faut tenir compte de A, B, C et D, mais que, dans les faits, il ne prend en considération que A, B et C, alors le résultat est le même que s’il avait appliqué une règle de droit lui dictant de ne tenir compte que de A, B et C. Si le bon critère lui commandait de tenir compte aussi de D, il a en fait appliqué la mauvaise règle de droit et commis, de ce fait, une erreur de droit.

[27] À mon avis, l’analyse faite par notre Cour de l’une des questions soulevées dans l’affaire Impex illustre comment ce principe s’applique à une décision du TCCE portant sur un classement tarifaire. Dans cette affaire, il fallait déterminer si certains couvre-chaussures jetables étaient faits de matières plastiques ou de textiles. Notre Cour a conclu que le TCCE avait effectivement commis une erreur de droit en faisant une mauvaise application de l’annexe du Tarif. Les parties pertinentes de ce paragraphe sont rédigées comme suit :

[41] Je conclus également que le deuxième motif d’appel de l’appelant – à savoir l’omission par le Tribunal de considérer la Note 1 du Chapitre 39 lorsqu’il a déterminé que les marchandises en cause étaient des ouvrages en matières plastiques – soulève une question de droit. L’appelant soutient que, suivant cette Note, le Tribunal était tenu de déterminer d’abord si la matière constitutive des marchandises était un textile défini à la Section XI, et plus particulièrement, un nontissé défini dans les Notes explicatives de la position no 56.03, avant même d’examiner si le Chapitre 39 s’appliquait aux marchandises en cause. En passant outre à cette directive, le Tribunal aurait ainsi négligé, selon l’appelant, une étape analytique cruciale imposée par la Note 1 du Chapitre 39.

[42] Cette deuxième question exige du Tribunal qu’il détermine si, suivant la Note 1 du Chapitre 39, il faut évaluer la matière constitutive des marchandises à la lumière de la Section XI, avant de considérer le Chapitre 39. En d’autres termes, la question est de savoir si la logique et l’économie de l’Annexe du Tarif exigent qu’une matière constitutive qui combine des matières textiles et des matières plastiques soit évaluée dans un ordre précis. Si c’est le cas, ne pas évaluer cette matière dans cet ordre constitue une erreur de droit. Répétons-le, il s’agit d’une question de droit assujettie à la norme de la décision correcte.

[28] La question en litige dans l’arrêt Impex n’était donc pas de savoir si le TCCE avait peut-être commis une erreur en examinant certains facteurs par rapport à d’autres ou en exerçant de manière déraisonnable le pouvoir discrétionnaire qui lui avait été conféré. Notre Cour a conclu plutôt que le raisonnement suivi par le TCCE démontrait une mauvaise compréhension des exigences de l’annexe du Tarif, c’est-à-dire du droit applicable. Si notre Cour n’était pas intervenue, il aurait été porté atteinte au bon fonctionnement de la règle juridique, à savoir les interactions entre les différentes dispositions applicables de l’annexe du Tarif. L’appelant dans cette affaire a démontré avec succès que le fondement de la décision du TCCE sur le classement tarifaire soulevait une question de droit isolable susceptible de contrôle au titre de l’article 68.

[29] En l’espèce, toutefois, aucune question de droit n’a été dûment soulevée. Une question de droit se définit par son fond, et non par sa forme : voir Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Emerson Milling Inc., 2017 CAF 79, [2018] 2 R.C.F. 573, para. 49 et 50 [Emerson Milling]. Essentiellement, le présent appel ne porte pas sur la question de savoir si le TCCE doit tenir compte des avis de classement de l’OMD, car cette question a déjà été tranchée : voir Best Buy (CAF 2019). L’article 11 du Tarif des douanes exige que le TCCE tienne compte des avis de classement de l’OMD lorsqu’il établit un classement tarifaire : voir aussi Best Buy (CAF 2019).

[30] Le sens de l’expression « tenir compte » est également bien établi. Dans sa décision antérieure portant sur la présente affaire, notre Cour, en renvoyant l’affaire au TCCE, a résumé au paragraphe 4 les exigences de cette disposition :

Au sens de l’article 11 du Tarif des douanes, l’expression « il est tenu compte » signifie que, bien que les avis de l’OMD ne soient pas contraignants, « il faut à tout le moins les prendre en considération » dans le classement des marchandises importées au Canada (Canada (Procureur général) c. Igloo Vikski Inc., 2016 CSC 38, au para. 8, [2016] 2 R.C.S. 80 (Igloo Vikski)). De même, notre Cour a examiné la définition de « ten[ir] compte » dans le contexte de l’article 11 du Tarif des douanes et a conclu qu’il veut dire « considérer, tenir compte, prêter attention, prendre note » (Canada (Procureur général) c. Suzuki Canada Inc., 2004 CAF 131, au para. 13, [2004] A.C.F. no 615 (Suzuki)). Le fait de « tenir compte » signifie en outre que le Tribunal devrait respecter les avis de l’OMD, à moins qu’il n’existe un « motif valable » de ne pas le faire (Suzuki, au para. 13). Au final, le Tribunal peut ne pas être d’accord avec l’OMD, mais il doit tenir compte des avis et fournir un motif valable de s’en écarter.

[31] J’aimerais rappeler que le TCCE doit, de manière générale, respecter et suivre les avis de classement de l’OMD. Cela signifie que le TCCE doit, dans la mesure du possible, chercher à établir des classements tarifaires qui s’harmonisent avec les avis de classement de l’OMD, et non qui s’y opposent.

[32] Cependant, si le TCCE est d’avis qu’il n’est pas possible de faire un tel classement harmonisé, il n’est alors pas tenu de suivre les avis de classement de l’OMD : voir Best Buy (CAF 2019), au para. 4; (Canada (Procureur général) c. Suzuki Canada Inc., 2004 CAF 131, [2004] A.C.F. no 615 (QL), au para. 14 à 17 [Suzuki]. Selon le libellé de l’article 11, les notes explicatives et les avis de classement de l’OMD sont des facteurs qui doivent être appréciés lors du classement tarifaire, mais il ne s’agit pas de critères contraignants. Le TCCE doit mettre en balance les avis de classement et les notes explicatives de l’OMD ainsi que tout autre facteur qu’il juge pertinent. Il peut, par exemple, apprécier les avis de classement de l’OMD au regard d’une preuve d’expert en apparence contradictoire : voir, par exemple, Suzuki, au para. 17. La valeur qu’il convient d’accorder à un avis de classement de l’OMD variera en fonction des faits propres à l’affaire et, plus important encore, en fonction des caractéristiques des marchandises en cause par rapport à celles des marchandises visées par les avis de classement pertinents.

[33] Juridiquement, le TCCE a le droit d’établir un classement qui va à l’encontre de l’avis de classement de l’OMD s’il a un « motif valable » de le faire : Best Buy (CAF 2019), au para. 4; Suzuki, au para. 14. Il est peu probable que l’existence de motifs valables dans une affaire donnée constitue une question de droit; il s’agit plutôt, comme c’est le cas en l’espèce, d’une question à laquelle on ne peut répondre qu’en s’appuyant sur un ensemble particulier de faits. En d’autres termes, il s’agit généralement d’une question mixte de fait et de droit.

[34] Le Canada soutient néanmoins que le TCCE a commis une erreur de droit en tenant compte des processus internes de l’OMD dans son appréciation des avis de l’OMD. Il est vrai que le TCCE a renvoyé à certaines parties de la décision Mattel Canada Inc., 2019 CanLII 110865 (CA TCCE), 2019 CarswellNat 14488 (WL Can), qui décrivent le processus suivi par l’OMD pour établir ses avis de classement : Best Buy (TCCE 2019), au para. 9. Je suis toutefois d’avis qu’il est loisible au TCCE, lorsqu’il « tient compte » des avis de classement de l’OMD, d’examiner de quelle manière ou pour quelle raison ces avis ont été établis. Ainsi, il peut être judicieux que le TCCE prenne connaissance du processus par lequel les marchandises à examiner par l’OMD lui ont été soumises en vue de l’établissement d’un avis de classement, pour qu’il puisse juger si les marchandises qu’il doit classer s’apparentent suffisamment à celles visées par l’avis de classement de l’OMD. Comme l’a indiqué le TCCE, les avis de classement sont, en soi, de brèves descriptions techniques des produits et, sans contexte plus étoffé, par exemple le contexte ayant mené à la publication d’un avis de classement donné, le TCCE pourrait être incapable de dûment « tenir compte » de l’avis. En fait, j’hésite à interpréter l’article 11 du Tarif des douanes d’une manière qui limite strictement les facteurs dont le TCCE peut tenir compte pour établir un classement tarifaire. À mon avis, il est important que ce tribunal spécialisé soit en mesure d’examiner dans leur contexte les litiges dont il est saisi, ce qui pourrait notamment inclure un examen des délibérations de l’OMD.

[35] En résumé, le Canada n’a pas réussi à me convaincre que le TCCE, en tenant compte du processus de délibération suivi par le Comité de l’OMD pour établir les avis de classement, avait commis une erreur de droit dans sa décision sur le classement tarifaire.

B. La manière dont le TCCE a appliqué le droit aux faits est-elle susceptible de contrôle par notre Cour?

[36] Notre Cour a déjà contrôlé des décisions du TCCE à l’égard de questions mixtes de fait et de droit. Par exemple, dans l’arrêt HBC Imports (Zellers Inc.) c. Canada (Agence des services frontaliers), 2013 CAF 167, 2013 CarswellNat 3098 (WL Can) [HBC Imports], notre Cour a contrôlé, et confirmé, le caractère raisonnable du classement que le TCCE avait fait d’un type de luge. En définissant la question dont elle avait été saisie, notre Cour avait déclaré ce qui suit :

[4] Pour trancher la question de savoir si le produit Astra Sled doit être classé dans la position no 95.03, il faut interpréter les mots « autres jouets » figurant sous cette position et l’appliquer au produit Astra Sled. Il s’agit d’une question mélangée de fait et de droit qui appelle, de la part du Tribunal, l’interprétation de sa loi constitutive. La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, ce qui signifie qu’il convient de faire preuve de retenue à l’égard [de] la décision du Tribunal (La Société Canadian Tire Limitée c. Président de l’Agence des services frontaliers du Canada, 2011 CAF 242, au paragraphe 4; Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, [2011] 3 R.C.S. 654).

[37] Bien que d’autres décisions ne soient pas aussi explicites, notre Cour a en fait, dans de nombreuses affaires, contrôlé le bien-fondé de décisions du TCCE en examinant le caractère raisonnable de la manière dont le TCCE avait appliqué le droit aux faits dont il avait été saisi, sans isoler de question de droit à trancher : voir, par exemple, Canada (Procureur général) c. RBP Imports Inc., 2018 CAF 167, aux para. 3 à 5 [RBP Imports]; Containerwest Manufacturing Ltd. c. Canada (Agence des services frontaliers), 2016 CAF 110, au para. 12 [Containerwest Manufacturing Ltd.]; Igloo Vikski (CAF), au para. 2. Dans ces arrêts, notre Cour n’a pas établi de distinction entre les questions de fait, les questions de droit et les questions mixtes de fait et de droit; elle s’est plutôt penchée sur le caractère raisonnable de la décision du TCCE sur le classement tarifaire dans son ensemble.

[38] Cependant, ces jugements précèdent l’arrêt Vavilov de la Cour suprême du Canada, dans lequel il est noté ce qui suit, au paragraphe 8 :

[…] Si l’application de la norme de la décision raisonnable est fondée en partie sur la nécessité pour les cours de justice d’éviter « toute immixtion injustifiée » compte tenu de la volonté du législateur de laisser aux organismes administratifs, plutôt qu’à elles, le soin de trancher certaines questions (voir Dunsmuir, au para. 27), son application générale s’est imposée même lorsque le législateur a instauré un régime institutionnel différent en créant un mécanisme d’appel par voie législative.

[39] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada a répété que le respect de l’intention du législateur « doit nous guider » en matière de contrôle judiciaire : au para. 33, renvoyant à l’arrêt S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539, au para. 149. Elle a aussi conclu que les tribunaux inférieurs ne devaient plus faire abstraction du libellé des dispositions légales prévoyant les mécanismes d’appel ni traiter les appels interjetés en application de ces mécanismes comme étant essentiellement des demandes de contrôle judiciaire : Vavilov, au para. 45. Aujourd’hui, les cours de justice doivent plutôt « respecter les choix d’organisation institutionnelle du législateur consistant à déléguer certaines questions par voie législative » : Vavilov, au para. 36.

[40] Je suis d’avis que ces observations de la Cour suprême dans l’arrêt Vavilov fournissent à notre Cour une assise suffisante pour réorienter son approche dans l’examen des appels interjetés sous le régime de la Loi sur les douanes, de manière à refléter plus fidèlement l’intention du législateur. Dans les jugements qu’elle a rendus après l’arrêt Vavilov dans des appels interjetés en vertu de la Loi sur les douanes, notre Cour n’a pas été appelée à décider si elle avait compétence pour contrôler des décisions du TCCE à l’égard d’erreurs qui ne semblent pas visées par le mécanisme d’appel prévu à l’article 68, car ces affaires portaient sur des questions de droit : Neptune, au para. 18; Impex, au para. 40. En l’espèce, même si le Canada n’a pas réussi à établir, à mon avis, l’existence d’une question de droit isolable, il met en doute le caractère raisonnable de la décision de classement du TCCE sur le fond, ce qui oblige notre Cour à déterminer d’abord si elle a compétence pour effectuer ce contrôle.

[41] À première vue, le texte de la Loi sur les douanes semble interdire à notre Cour de contrôler des décisions du TCCE au moyen de toute procédure autre que le mécanisme d’appel prévu par cette loi. Comme ce mécanisme ne s’applique qu’aux points de droit, il semble que notre Cour n’ait pas compétence pour contrôler les décisions du TCCE à l’égard d’erreurs autres que des erreurs purement de droit. Les dispositions pertinentes du texte législatif sont rédigées ainsi :

Appel devant le Tribunal canadien du commerce extérieur

Appeal to the Canadian International Trade Tribunal

67 (1) Toute personne qui s’estime lésée par une décision du président rendue conformément aux articles 60 ou 61 peut en interjeter appel devant le Tribunal canadien du commerce extérieur en déposant par écrit un avis d’appel auprès du président et du Tribunal dans les quatre-vingt-dix jours suivant la notification de l’avis de décision.

67 (1) A person aggrieved by a decision of the President made under section 60 or 61 may appeal from the decision to the Canadian International Trade Tribunal by filing a notice of appeal in writing with the President and the Canadian International Trade Tribunal within ninety days after the time notice of the decision was given.

[…]

[…]

Recours judiciaire

Judicial review

(3) Le Tribunal canadien du commerce extérieur peut statuer sur l’appel prévu au paragraphe (1), selon la nature de l’espèce, par ordonnance, constatation ou déclaration, celles-ci n’étant susceptibles de recours, de restriction, d’interdiction, d’annulation, de rejet ou de toute autre forme d’intervention que dans la mesure et selon les modalités prévues à l’article 68.

(3) On an appeal under subsection (1), the Canadian International Trade Tribunal may make such order, finding or declaration as the nature of the matter may require, and an order, finding or declaration made under this section is not subject to review or to be restrained, prohibited, removed, set aside or otherwise dealt with except to the extent and in the manner provided by section 68.

[…]

[…]

Recours devant la Cour d’appel fédérale

Appeal to Federal Court

68 (1) La décision sur l’appel prévu à l’article 67 est, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date où elle est rendue, susceptible de recours devant la Cour d’appel fédérale sur tout point de droit, de la part de toute partie à l’appel, à savoir :

68 (1) Any of the parties to an appeal under section 67, namely,

a) l’appelant;

(a) the person who appealed,

b) le président;

(b) the President, or

c) quiconque a remis l’acte de comparution visé au paragraphe 67(2).

(c) any person who entered an appearance in accordance with subsection 67(2),

may, within ninety days after the date a decision is made under section 67, appeal therefrom to the Federal Court of Appeal on any question of law.

Issue du recours

Disposition of appeal

(2) La Cour d’appel fédérale peut statuer sur le recours, selon la nature de l’espèce, par ordonnance ou constatation, ou renvoyer l’affaire au Tribunal canadien du commerce extérieur pour une nouvelle audience.

(2) The Federal Court of Appeal may dispose of an appeal by making such order or finding as the nature of the matter may require or by referring the matter back to the Canadian International Trade Tribunal for re-hearing.

[Non souligné dans l’original.]

[Emphasis added]

[42] Le sens ordinaire de ces dispositions, interprétées conjointement, montre l’intention du législateur de limiter le contrôle judiciaire des décisions du TCCE aux appels prévus par la loi visant des questions de droit : Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, 1998 CanLII 837 (CSC), au para. 21; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, au para. 27. Le paragraphe 67(3) vise à restreindre la capacité d’intervention d’une cour de justice à l’égard de décisions du TCCE, la limitant au mécanisme d’appel prévu à l’article 68. Or, le paragraphe 68(1) n’autorise que les appels sur des points de droit.

[43] Cette interprétation est étayée par le contexte législatif. La Loi sur les douanes autorise les appels de novo auprès du TCCE à l’encontre de décisions de l’ASFC portant sur le classement tarifaire. Avant l’appel, l’ASFC effectue une révision interne à deux niveaux : Loi sur les douanes, art. 59 et 60. Par conséquent, au moment où notre Cour est saisie d’une affaire de classement tarifaire, toute question de fait contestée a déjà fait l’objet d’examens à de multiples niveaux. De même, l’application du droit aux faits – soit le classement tarifaire des marchandises – a également été déterminée en premier lieu par l’ASFC, puis a fait l’objet d’une révision interne avant d’être examiné de nouveau par le TCCE. Selon le régime législatif, notre Cour peut examiner des points de droit qui sont contestés, mais pas des questions de fait.

[44] Une comparaison entre le mécanisme d’appel prévu par la Loi sur les douanes et des procédures de contrôle semblables prévues pour d’autres types de décisions du TCCE vient étayer davantage cette interprétation. Le TCCE est un tribunal quasi judiciaire, constitué par la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. (1985), ch. 47 (4suppl.). Il statue sur une grande variété d’affaires dont il est saisi en vertu de plusieurs pouvoirs que lui confèrent différentes lois. Par exemple, le paragraphe 61(1) de la Loi sur les mesures spéciales d’importation, L.R.C. (1985), ch. S-15 [la LMSI], prévoit un droit d’appel auprès du TCCE de certaines décisions de l’ASFC. Le paragraphe 61(3) confère à ces décisions un caractère définitif et sans appel, sauf si elles font l’objet d’un appel, et le paragraphe 62(1) autorise les appels auprès de notre Cour sur les questions de droit. Fait à noter, on ne trouve pas dans la LMSI les mots utilisés dans la Loi sur les douanes pour éliminer expressément le contrôle judiciaire de toutes les autres décisions du TCCE prises en vertu de la LMSI. En fait, contrairement à la Loi sur les douanes, la LMSI dispose explicitement qu’une demande de contrôle judiciaire de certaines décisions peut être présentée pour des motifs autres que ceux visés dans le mécanisme d’appel prévu par la loi. Par exemple, l’article 76 de la LMSI dispose ce qui suit :

Contrôle judiciaire

Application for judicial review

76 Sous réserve du paragraphe 61(3) et des parties I.1 et II, les ordonnances ou conclusions du Tribunal prévues à la présente loi sont sujettes au contrôle judiciaire de la Cour d’appel fédérale pour l’un des motifs prévus au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales.

76 Subject to subsection 61(3) and Part I.1 or II, an application for judicial review of an order or finding of the Tribunal under this Act may be made to the Federal Court of Appeal on any of the grounds set out in subsection 18.1(4) of the Federal Courts Act.

[45] L’article 96.1 de la LMSI porte également sur la possibilité du contrôle judiciaire, lequel énumère en détail les types de questions et de décisions du TCCE qui peuvent faire l’objet d’un contrôle judiciaire, plutôt que d’être assujetties au mécanisme d’appel prévu par cette loi.

[46] Comme le fait observer le Canada, le renvoi explicite dans la LMSI à la possibilité de demander le contrôle judiciaire de décisions du TCCE rendues en vertu de cette loi peut être mis en contraste avec la déclaration explicite du législateur selon laquelle les décisions du TCCE prises en vertu du paragraphe 67(3) de la Loi sur les douanes ne sont « susceptibles de recours, de restriction, d’interdiction, d’annulation, de rejet ou de toute autre forme d’intervention que dans la mesure et selon les modalités prévues à l’article 68 ». Je suis d’avis que cette comparaison étaye elle aussi l’interprétation ordinaire du sens de la Loi sur les douanes, à savoir qu’il est impossible de recourir au contrôle judiciaire en dehors du mécanisme d’appel prévu par la loi, ce qui empêche par le fait même tout contrôle judiciaire de questions mixtes de fait et de droit. Si l’on veut respecter les choix d’organisation institutionnelle du législateur, les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit desquelles aucune question de droit ne peut être isolée ne doivent pas faire l’objet d’un contrôle par notre Cour.

[47] Cette conclusion va à l’encontre des thèses défendues par les deux parties sur cette question. Le Canada fait valoir, et Best Buy en convient, que l’alinéa 28(1)e) de la Loi sur les Cours fédérales confère à notre Cour un vaste pouvoir lui permettant de contrôler des décisions du TCCE à l’égard de questions qui ne sont pas assujetties au mécanisme d’appel prévu par la loi, c’est-à-dire toute question qui n’est pas visée par l’expression « point de droit ». À l’appui de cette thèse, le Canada fait valoir que la « primauté du droit » exige qu’il soit possible de recourir au contrôle judiciaire pour se protéger des conclusions déraisonnables du TCCE sur des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit. Subsidiairement, le Canada invoque la jurisprudence de notre Cour qui a reconnu que l’on puisse recourir au contrôle judiciaire de décisions du TCCE et d’autres tribunaux assujettis à des dispositions d’appel comparables ayant une portée limitée pour des questions ne relevant pas du mécanisme d’appel prévu par la loi.

[48] J’indique plus haut pourquoi, à mon avis, cette pratique antérieure de notre Cour, qui consistait à contrôler ces questions selon la norme de la décision raisonnable au moyen du mécanisme d’appel prévu à l’article 68, se révèle de peu d’importance pour déterminer de quelle manière elle devrait entendre à l’avenir les appels interjetés auprès de notre Cour en vertu de la Loi sur les douanes. L’arrêt Vavilov a mis en place « une révision globale du cadre d’analyse qui sert à déterminer la norme de contrôle applicable » (au para. 143). La Cour suprême a explicitement indiqué que les décisions antérieures « portant sur l’effet des mécanismes d’appel prévus par la loi […] auront forcément une valeur de précédent moindre » après l’arrêt Vavilov : au para. 143. Je suis d’avis que les décisions antérieures dans lesquelles des questions mixtes de fait et de droit ont fait l’objet d’un contrôle judiciaire, selon la norme de la décision raisonnable, au titre de l’article 68 avaient effectivement fait abstraction du paragraphe 67(3) et des choix d’organisation institutionnelle du législateur. L’arrêt Vavilov établit clairement que cette pratique antérieure ne devrait pas se perpétuer. Qui plus est, en réalité, la jurisprudence va dans les deux sens.

[49] Comme il est mentionné plus haut, notre Cour a, dans certaines affaires, contrôlé explicitement ou implicitement la manière dont le TCCE avait appliqué le droit aux faits : voir, par exemple, HBC Imports, au para. 4; RBP Imports, aux para. 3 à 5; Containerwest Manufacturing, au para. 12; Igloo Vikski (CAF), au para. 2.

[50] Toutefois, dans d’autres décisions, notre Cour a limité son examen à la question de savoir si une erreur de droit susceptible de contrôle avait été commise et a refusé de contrôler les conclusions de fait du TCCE ou la manière dont il avait appliqué le droit à ces faits. Dans l’arrêt Réseau de télévision Star Choice Inc. c. Canada (Agence des douanes et du revenu), 2004 CAF 153, 2004 CarswellNat 3063 (WL Can), au paragraphe 9, le juge Strayer de la Cour d’appel fédérale a noté que les questions de droit étaient « la seule question qui soit légitimement en litige dans le présent recours », avant de conclure que le TCCE n’avait commis aucune erreur de droit susceptible de contrôle. Dans l’arrêt Deputy Canada (Ministre du revenu national) c. Yves Ponroy Canada, 2000 CanLII 15801 (CAF), 2000 CarswellNat 5849, au paragraphe 36, la juge Sharlow, de la Cour d’appel fédérale, a déclaré qu’« [a]ux termes des paragraphes 67(3) et 68(1) de la Loi sur les douanes, les décisions du TCCE en matière de classification tarifaire ne sont pas susceptibles de contrôle judiciaire et ne peuvent faire l’objet d’un appel devant notre Cour que sur des questions de droit », avant de conclure que le TCCE n’avait commis aucune erreur de droit susceptible de contrôle. Et d’ailleurs, dans l’une de ses rares décisions sur un appel interjeté en vertu de l’article 68, la Cour suprême a noté, de manière incidente, qu’en application du paragraphe 67(3) de la Loi sur les douanes, « les conclusions de fait tirées par le TCCE [...] sont à l’abri de tout contrôle en appel » : Canada (Sous-ministre du Revenu national) c. Mattel Canada Inc., 2001 CSC 36, [2001] 2 R.C.S. 100, au para. 26.

[51] Par conséquent, je suis d’avis que la jurisprudence ne fournit pas d’arguments convaincants qui expliqueraient pourquoi le sens clair de la Loi sur les douanes devrait être écarté et le contrôle judiciaire de décisions du TCCE devrait être autorisé au-delà du mécanisme d’appel prévu à l’article 68. Comme ce mécanisme se limite aux points de droit, j’estime que notre Cour ne peut intervenir que si la décision du TCCE révèle une erreur de droit susceptible de contrôle.

[52] Cette conclusion porte-t-elle atteinte à la « primauté du droit »? Le Canada affirme que le rôle constitutionnel des tribunaux est de superviser l’organe exécutif du gouvernement et que, pour s’acquitter de ce rôle, les tribunaux doivent pouvoir faire un contrôle complet des décisions administratives sur toutes les questions. En d’autres termes, le contrôle des décisions administratives selon la norme de la décision raisonnable est inscrit dans la Constitution et il ne peut être limité par un texte législatif.

[53] Il est vrai que la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Crevier c. P.G. (Québec) et autres, [1981] 2 R.C.S. 220, 1981 CanLII 30 (CSC) [Crevier], a conclu que le législateur ne pouvait écarter complètement le contrôle judiciaire au moyen d’une disposition privative. Il convient ici de rappeler les faits de cette affaire souvent invoquée et d’expliquer brièvement la conclusion de la Cour suprême.

[54] Dans l’arrêt Crevier, il s’agissait de déterminer si le législateur provincial pouvait entièrement soustraire au contrôle judiciaire un tribunal administratif habilité à tirer des conclusions de fait et à statuer sur des questions de droit. Le régime administratif en cause dans cette affaire avait été institué par le Code des professions du Québec, L.R.Q. (1977), ch. C-26, qui, à l’époque, conférait au Tribunal des professions le pouvoir judiciaire d’entendre des appels à l’encontre de décisions disciplinaires rendues par les comités de discipline de différents ordres professionnels. Le Tribunal des professions était composé de juges de la Cour provinciale, c’est-à-dire de juges qui n’étaient pas nommés par le gouvernement fédéral en vertu de l’article 96 de ce qui était encore à l’époque l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867 (R.-U.), 30 & 31 Vict., ch. 3, art. 91, depuis reproduit dans les L.R.C. (1985), annexe II, no 5. À l’époque, l’article 194 du Code des professions soustrayait entièrement les décisions rendues par le Tribunal des professions à tout contrôle par les cours supérieures. Cette disposition était rédigée ainsi :

194. Aucun des recours extraordinaires prévus aux articles 834 à 850 du Code de procédure civile ne peut être exercé ni aucune injonction accordée contre les personnes visées à l’article 193 agissant en leur qualité officielle.

194. No extraordinary recourse contemplated in articles 834 to 850 of the Code of Civil Procedure shall be exercised and no injunction granted against the persons mentioned in section 193 acting in their official capacities.

[55] Les articles du Code de procédure civile auxquels il était renvoyé portaient sur les demandes de contrôle judiciaire. La disposition la plus pertinente était l’article 846, ainsi libellé :

846. La Cour supérieure peut, à la demande d’une partie, évoquer avant jugement une affaire pendante devant un tribunal soumis à son pouvoir de surveillance ou de contrôle, ou reviser le jugement déjà rendu par tel tribunal:

846. The Superior Court may, at the demand of one of the parties, evoke before judgment a case pending before a court subject to its superintending and reforming power, or revise a judgment already rendered by such court, in the following cases:

1. dans le cas de défaut ou d’excès de juridiction;

1. when there is want or excess of jurisdiction;.

2. lorsque le règlement sur lequel la poursuite a été formée ou le jugement rendu est nul ou sans effet;

2. when the enactment upon which the proceedings have been based or the judgment rendered is null or of no effect;

3. lorsque la procédure suivie est entachée de quelque irrégularité grave, et qu’il y a lieu de croire que justice n’a pas été, ou ne pourra pas être rendue;

3. when the proceedings are affected by some gross irregularity, and there is reason to believe that justice has not been, or will not be done;

4. lorsqu’il y a eu violation de la loi ou abus de pouvoir équivalant à fraude et de nature à entraîner une injustice flagrante.

4. when there has been a violation of the law or an abuse of authority amounting to fraud and of such a nature as to cause a flagrant injustice

Toutefois, ce recours n’est ouvert, dans les cas prévus aux alinéas 2, 3 et 4 ci-dessus, que si, dans l’espèce, les jugements du tribunal saisi ne sont pas susceptibles d’appel.

However, in the cases provided in paragraphs 2, 3 and 4 above, the remedy lies only if, in the particular case, the judgments of the court seized with the proceeding are not susceptible of appeal.

[Non souligné dans l’original.]

[Emphasis added, italics in original]

[56] La Cour suprême a invalidé l’article 194 au motif qu’il avait pour effet de faire du Tribunal des professions une cour constituée en application de l’article 96. Le juge en chef Laskin, s’exprimant au nom de la Cour, a déclaré ce qui suit :

C’est la première fois, il est vrai, que cette Cour déclare sans équivoque qu’un tribunal créé par une loi provinciale ne peut être constitutionnellement à l’abri du contrôle de ses décisions sur des questions de compétence. À mon avis, cette limitation, qui découle de l’art. 96, repose sur le même fondement que la limitation reconnue du pouvoir des tribunaux créés par des lois provinciales de rendre des décisions sans appel sur des questions constitutionnelles. Il peut y avoir des divergences de vues sur ce que sont des questions de compétence, mais, dans mon vocabulaire, elles dépassent les erreurs de droit, dont elles diffèrent, que celles-ci tiennent à l’interprétation des lois, à des questions de preuve ou à d’autres questions. Il est maintenant incontestable que des clauses privatives bien formulées peuvent efficacement écarter le contrôle judiciaire sur des questions de droit et, bien sûr, sur d’autres questions étrangères à la compétence. Toutefois, comme l’art. 96 fait partie de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique et que ce serait le tourner en dérision que de l’interpréter comme un pouvoir de nomination simple et sans portée, je ne puis trouver de marque plus distinctive d’une cour supérieure que l’attribution à un tribunal provincial du pouvoir de délimiter sa compétence sans appel ni autre révision. (Crevier, p. 236 et 237 [Non souligné dans l’original.])

[57] L’arrêt Crevier a depuis été cité à maintes reprises à l’appui de la thèse voulant que le législateur ne puisse écarter complètement le contrôle judiciaire : voir, par exemple, Vavilov, au para. 24; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au para. 31. Comme l’a récemment déclaré le juge Stratas de notre Cour, « [a]utrement dit, l’arrêt Crevier permet d’affirmer qu’un certain contrôle judiciaire doit toujours être possible » : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Conseil canadien pour les réfugiés, 2021 CAF 72, 2021 CarswellNat 1004, au para. 102 [Conseil canadien pour les réfugiés]. Il s’agit, en effet, de tout ce que cet arrêt permet d’affirmer. Il n’indique pas que le législateur ne peut pas restreindre ou interdire le contrôle judiciaire de décisions administratives à l’égard de certains types de questions : voir, par exemple, Conseil canadien pour les réfugiés, au para. 102, renvoyant aux arrêts Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d’Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Ltd., [1993] 2 R.C.S. 316, 1993 CanLII 88 (CSC), p. 333; Capital Regional District c. Concerned Citizens of British Columbia et autres, [1982] 2 R.C.S. 842, 1982 CanLII 220 (CSC); Vavilov, aux para. 45 à 52. Au contraire, comme le montre clairement le passage souligné de la citation ci-dessus, l’arrêt Crevier indique en fait de façon explicite que le législateur peut supprimer la possibilité du contrôle judiciaire pour des questions étrangères à la compétence.

[58] De plus, il se dégage clairement du passage cité que la Cour suprême estimait à l’époque que les « questions de compétence » représentaient une catégorie de questions plus restreinte et plus importante que celle des « questions de droit ». À mon avis, il s’ensuit, selon le raisonnement suivi dans l’arrêt Crevier, qu’un régime législatif qui autorise l’appel d’une décision administrative à l’égard d’une question de droit satisfait au seuil constitutionnel énoncé dans l’arrêt Crevier.

[59] Dans l’arrêt Crevier, la Cour suprême s’inquiétait de l’absence complète de mécanisme d’appel auprès d’une cour supérieure à l’égard des décisions rendues par le Tribunal des professions. Lorsqu’on compare ce régime législatif à celui qui est en cause en l’espèce, il ne fait aucun doute que la conclusion de la Cour suprême dans l’arrêt Crevier limiterait le pouvoir du législateur de soustraire entièrement le TCCE à tout contrôle par une cour supérieure. Ce n’est pas ce que législateur a tenté de faire dans la Loi sur les douanes. Il a plutôt prévu un mécanisme d’appel dont il a simplement limité la portée aux points de droit. À l’instar du Code de procédure civile à l’époque où l’affaire Crevier a été tranchée, la Loi sur les Cours fédérales établit clairement que les recours classiques en contrôle judiciaire prévus dans cette loi – l’injonction, le bref de certiorari, le bref de prohibition, etc. – ne peuvent pas être utilisés lorsqu’une loi prévoit un mécanisme d’appel des décisions administratives : Loi sur les Cours fédérales, art. 18.5.

[60] Je suis d’avis que l’arrêt Crevier étaye la thèse selon laquelle le législateur peut restreindre le contrôle judiciaire aux questions de droit. Une disposition législative qui a cet effet, comme l’article 68 de la Loi sur les douanes, satisfait au seuil établi dans l’arrêt Crevier. Conclure le contraire équivaudrait à retirer au législateur tout pouvoir de restreindre, par voie législative, la portée du contrôle judiciaire de mesures administratives. À quoi serviraient les dispositions expresses de la Loi sur les douanes et d’un grand nombre d’autres lois fédérales qui limitent le contrôle s’il était possible de s’adresser aux Cours fédérales pour toute question relevant des dispositions générales des articles 18 et 28 de la Loi sur les Cours fédérales?

[61] C’est également la raison pour laquelle, à mon avis, l’arrêt Canada (Procureur Général) c. Alliance de la Fonction Publique du Canada, 2019 CAF 41, 2019 CarswellNat 14747 (WL Can) [AFPC], n’oblige pas notre formation à autoriser le contrôle judiciaire en l’espèce. Dans l’arrêt AFPC, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la Commission) faisait valoir que ses décisions n’étaient pas susceptibles de contrôle à l’égard d’erreurs de droit, de conclusions de fait erronées ou de tout autre manquement au droit, en raison d’une disposition privative dans sa loi constitutive : AFPC, aux para. 10 à 12. Notre Cour a rejeté cet argument et a conclu que les décisions de la Commission étaient susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : AFPC, au para. 34.

[62] Deux facteurs font qu’il y a une distinction entre l’affaire AFPC et la présente affaire. Premièrement, la loi en cause dans l’arrêt AFPC ne prévoyait pas de mécanisme d’appel et ne prévoyait qu’un contrôle judiciaire limité à l’égard de questions de compétence, de manquement à l’équité procédurale ou de fraude : AFPC, aux para. 10 et 11. Selon la Commission, cela signifiait que ses décisions ne pouvaient pas faire l’objet d’un contrôle sur des questions de droit.

[63] Certes, aucun argument du genre n’est formulé en l’espèce. Les décisions du TCCE sont clairement susceptibles de contrôle à l’égard d’erreurs de droit, selon la norme de la décision correcte. Par conséquent, les limites qui restreindraient en l’espèce le recours au contrôle judiciaire sont d’une portée beaucoup plus étroite que celles revendiquées par la Commission, puis rejetées par notre Cour, dans l’affaire AFPC. Je ne crois pas que le raisonnement et l’issue de l’arrêt AFPC auraient été les mêmes si la loi constitutive de la Commission avait prévu un contrôle complet de ses décisions à l’égard des questions de droit. J’estime que la nature très différente des mécanismes d’appel en cause dans l’affaire AFPC et en l’espèce suffit pour établir une distinction entre ces deux affaires.

[64] Et même si aucune distinction n’existait entre les deux affaires, l’arrêt AFPC a été rendu avant l’arrêt Vavilov de la Cour suprême du Canada. Comme il est mentionné plus haut, l’arrêt Vavilov enjoint explicitement aux tribunaux inférieurs de revoir leur approche en matière d’appels prévus par la loi, de manière à respecter l’intention du législateur. Je suis d’avis que ce changement majeur dans le droit depuis l’arrêt AFPC – un changement qui touche le fond même de la question en cause dans la présente demande – justifie en soi que notre formation considère la question en litige comme une question nouvelle et ne s’estime pas liée par la conclusion qu’a tirée notre Cour dans l’arrêt AFPC.

[65] Deuxièmement, notre Cour, dans de récents jugements qui semblent aller à l’encontre des remarques incidentes formulées dans l’arrêt AFPC, a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour contrôler des décisions administratives à l’égard de questions de fait ou de questions de politique administrative lorsque les lois applicables limitent les appels aux questions de droit et de compétence : Emerson Milling, au para. 26; Bell Canada c. British Columbia Broadband Association, 2020 CAF 140, 2020 CarswellNat 7315 (WL Can), aux para. 69 et 78 [Bell Canada].

[66] Il est vrai que, dans ces deux affaires, les lois applicables prévoyaient aussi un mécanisme d’appel auprès du gouverneur en conseil : Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10, art. 40; Loi sur les télécommunications, L.C. 1993, ch. 38, au para. 12(1). L’existence de cet autre mécanisme d’appel a influé sur le raisonnement de notre Cour l’ayant amené à décliner compétence : Emerson Milling, au para. 12; Bell Canada, aux para. 48 à 50. Cependant, je ne crois pas que l’examen par le gouverneur en conseil qui est prévu dans ces régimes joue le rôle d’un contrôle des faits. Je suis d’avis que la validité des dispositions légales qui limitent les appels auprès de notre Cour aux questions de droit n’est pas subordonnée à la possibilité, pour le gouverneur en conseil, de contrôler les questions qui ne relèvent pas du mécanisme d’appel. À ce titre, je ne vois pas comment notre Cour pourrait contrôler des décisions du TCCE à l’égard de questions de fait ou de questions mixtes de fait et de droit sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire au titre de la Loi sur les Cours fédérales. Je suis d’avis que le paragraphe 67(3) et l’article 68 de la Loi sur les douanes empêchent la présentation d’une telle demande. Bien que l’alinéa 28(1)e) de la Loi sur les Cours fédérales autorise le dépôt de demandes de contrôle judiciaire visant des décisions du TCCE, ce tribunal, comme il est noté plus haut, rend des décisions en vertu de pouvoirs que lui confèrent plusieurs lois, dont certaines, notamment la LMSI, autorisent le contrôle judiciaire. La Loi sur les douanes ne l’autorise pas expressément. Je m’abstiendrais de faire abstraction de cette expression de l’intention du législateur.

[67] Puisque le Canada reconnaît que le deuxième volet de sa thèse sur le fond attaque la manière dont le TCCE a appliqué le droit aux faits, je ne vois pas la nécessité d’examiner en détail cet argument, car, ce faisant, je procéderais à ce même contrôle judiciaire qu’il est interdit à la Cour de mener, selon ce que je viens de conclure.

C. Quelle est alors la voie procédurale qu’il convient de suivre pour demander le contrôle judiciaire?

[68] Comme je conclus plus haut qu’il est impossible de se prévaloir du contrôle judiciaire en dehors du mécanisme d’appel prévu par la Loi sur les douanes, il n’y a pas de raison que j’examine comment une partie pourrait à la fois interjeter appel et déposer une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la même décision. Il convient toutefois de noter que, si notre Cour devait accepter les thèses des parties et conclure qu’il est possible de se prévaloir du contrôle judiciaire au titre des articles 18 et 28 de la Loi sur les Cours fédérales, au moyen d’une demande parallèle et distincte, il ne fait aucun doute qu’une telle procédure serait plus lourde et plus complexe que le système de contrôle rapide et efficace prévu uniquement dans la Loi sur les douanes. Cela irait à l’encontre de l’intention du législateur qui est de simplifier et d’accélérer le contrôle des décisions hautement techniques du TCCE.

[69] Par conséquent, je suis d’avis que la seule procédure par laquelle notre Cour peut être saisie d’une décision du TCCE est celle prévue à l’article 68 de la Loi sur les douanes.

VI. Conclusion

[70] Je rejetterais l’appel, avec dépens.

« D. G. Near »

j.c.a.


LA JUGE GLEASON (motifs concourants)

[71] J’ai eu l’occasion de lire les projets de motifs de mon collègue, le juge Near, et, bien que je souscrive au résultat auquel il en est arrivé, ma conclusion repose sur un raisonnement quelque peu différent. Comme je l’explique plus en détail ci-après, je suis d’avis que notre Cour est autorisée à examiner un éventail de conclusions de fait du TCCE un peu plus large que celui qu’autoriserait mon collègue, même si un tel contrôle nécessiterait le dépôt d’une demande de contrôle judiciaire. Bien que cette conclusion n’influe pas sur l’issue du présent appel, je suis d’avis qu’il est néanmoins important de laisser la porte ouverte à ce type de contrôle, lequel pourrait s’avérer déterminant dans de futures affaires relevant de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. 1 (2e suppl.), ou d’une autre loi contenant une disposition privative.

[72] Cela dit, j’en arrive à la même conclusion que mon collègue quant à l’issue du présent appel, car l’éventail un peu plus large de conclusions de fait susceptibles de contrôle que je propose ne pourrait pas servir de fondement à un appel. Qui plus est, même si la demande de contrôle judiciaire avait été déposée, le type d’erreurs de fait alléguées par l’appelant en l’espèce ne justifierait pas une intervention. Par conséquent, à l’instar de mon collègue, je rejetterais la présente demande de contrôle judiciaire.

[73] Je commence mon analyse de ces questions en faisant observer que je conviens que l’arrêt Neptune Wellness Solutions c. Canada (Agence des services frontaliers), 2020 CAF 151, 2020 CarswellNat 4287 [Neptune], ne tranche pas la question de savoir si notre Cour peut contrôler des conclusions de fait du TCCE, car cette question n’était pas au cœur de cette affaire. Les observations qui sont formulées à cet égard dans l’arrêt Neptune sont donc des observations incidentes non contraignantes. La présente affaire est la première où notre Cour est directement appelée à se pencher sur cette question dans le contexte du TCCE, bien qu’elle ait récemment été saisie d’une question très semblable dans l’affaire Canada (Procureur Général) c. Alliance de la Fonction Publique du Canada, 2019 CAF 41 [AFPC], dans le contexte des tribunaux fédéraux du travail, où notre Cour en est arrivée à une conclusion contraire à celle de mon collègue.

[74] Selon mon collègue, les observations incidentes formulées par la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], invitent notre Cour à donner un nouveau souffle à la disposition privative énoncée dans la Loi sur les douanes, qui aurait pour effet d’interdire le contrôle judiciaire à l’égard de toutes les conclusions de fait autres que celles que mon collègue qualifie de conclusions de fait « manifestement erronées » ou celles qui ne sont étayées par aucun élément de preuve, au point de constituer des erreurs de droit pouvant faire l’objet d’un appel au titre de l’article 68 de la Loi sur les douanes. En toute déférence, je ne souscris pas à cette approche pour plusieurs motifs.

[75] Premièrement, je ne crois pas que les observations incidentes formulées dans l’arrêt Vavilov étayent un tel raisonnement, notamment lorsqu’on interprète cet arrêt sous l’optique de l’évolution du droit administratif au Canada et que l’on tient compte du fait que la Cour suprême, dans l’arrêt Vavilov, a reconfirmé bon nombre des principes qu’elle avait établis antérieurement dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 [Dunsmuir]. Deuxièmement, l’approche de mon collègue est incompatible avec l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7. Troisièmement, je suis d’avis que la question a été tranchée dans l’arrêt AFPC, qui lie notre formation. Quatrièmement, contrairement à ce que mon collègue affirme, je ne crois pas que les arrêts de notre Cour Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Emerson Milling Inc., 2017 CAF 79, [2018] 2 R.C.F. 573 [Emerson Milling], et Bell Canada c. British Columbia Broadband Association, 2020 CAF 140, 2020 CarswellNat 3692 [Bell Canada], ont pour nécessaire conséquence l’approche de mon collègue, car notre Cour n’a pas eu à statuer dans l’une ou l’autre de ces affaires sur la possibilité de déposer une demande de contrôle judiciaire, celles-ci portant plutôt sur les limites des appels recevables. Qui plus est, le contexte législatif des arrêts Emerson Milling et Bell Canada différait considérablement. Enfin, l’approche de mon collègue cadre mal avec la manière dont des affaires de cette nature ont été examinées par notre Cour et par la Cour suprême du Canada depuis l’arrêt Dunsmuir. J’examine chacun de ces points plus en détail ci-après.

I. L’incidence de l’arrêt Vavilov de la Cour suprême

[76] Penchons-nous d’abord sur les observations incidentes formulées dans l’arrêt Vavilov. Afin de les situer dans leur contexte, il est utile de commencer par un aperçu de l’évolution du droit administratif au cours des dernières décennies, en s’intéressant particulièrement à la possibilité de recourir au contrôle à l’égard d’erreurs de fait ainsi qu’au traitement judiciaire des dispositions privatives. Car ce n’est qu’en comprenant ce contexte que l’on peut saisir l’importance de l’arrêt Vavilov.

A. Survol historique

[77] Par le passé, il était impossible de demander le contrôle d’erreurs de fait commises par des décideurs administratifs, sauf si elles entraient dans la catégorie des erreurs de compétence. Toutefois, les erreurs de droit commises par des décideurs administratifs étaient susceptibles de contrôle si elles ressortaient à la lecture du dossier. Voir Donald J.M. Brown et John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (Toronto : Thomson Reuters Canada, 2009) (édition sur feuillets mobiles, mise à jour en 2021, version 1), ch. 1, pp. 1-11 à 1-14.

[78] Étant donné l’expansion de l’État administratif, le législateur a commencé à inclure des dispositions privatives dans bon nombre de lois afin de tenter de soustraire les décisions des décideurs administratifs au contrôle judiciaire. Dans les années qui ont suivi l’adoption de dispositions telles que le paragraphe 67(3) de la Loi sur les douanes, des tribunaux canadiens, dont la Cour suprême du Canada, ont conclu que les dispositions privatives ne pouvaient soustraire les décisions administratives manifestement déraisonnables au contrôle du fait que cela porterait atteinte à la primauté du droit, laquelle est incompatible avec le maintien de décisions administratives entachées d’erreurs aussi fondamentales. Afin de jeter les bases de l’intervention judiciaire, selon le cadre d’analyse du droit administratif alors en vigueur, les décisions manifestement déraisonnables étaient des affaires où le décideur administratif avait outrepassé sa compétence.

[79] Les décisions manifestement déraisonnables comprenaient à la fois les décisions viciées par des conclusions de droit manifestement déraisonnables et celles viciées par des conclusions de fait manifestement déraisonnables. Les conclusions de droit étaient manifestement déraisonnables si elles offraient une interprétation qui ne pouvait être rationnellement étayée par les lois pertinentes (voir, par exemple, S.C.F.P. c. Société des Alcools du N.-B., [1979] 2 R.C.S. 227, 1979 CanLII 23 (CSC), à la p. 237). Dans le cas de dispositions d’une convention collective, une interprétation était manifestement déraisonnable lorsque les mots était interprétés d’une façon inacceptable (voir, par exemple, Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d’Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Ltd., [1993] 2 R.C.S. 316, 1993 CanLII 88 (CSC), à la p. 341). Les conclusions de fait étaient qualifiées de manifestement déraisonnables lorsque les éléments de preuve, examinés de manière raisonnable, ne pouvaient étayer les conclusions de fait du décideur administratif (voir, par exemple, Lester (W.W.) (1978) Ltd. c. Association unie des compagnons et apprentis de l’industrie de la plomberie et de la tuyauterie, section locale 740, [1990] 3 R.C.S. 644, 1990 CanLII 22 (CSC) [Lester], à la p. 687).

[80] En ce qui concerne les conclusions de fait, le point de départ de l’analyse de ces principes est l’arrêt de la Cour suprême Union internationale des employés des services, Local no. 333 c. Nipawin District Staff Nurses Association et al., [1975] 1 R.C.S. 382, 1973 CanLII 191 (CSC), l’un des arrêts ayant fait école où a été consacré le principe de la déférence en droit administratif canadien. Dans cet arrêt, la Cour suprême a examiné la portée du contrôle des décisions rendues par la Commission des relations de travail de la Saskatchewan, dont les décisions étaient protégées par une disposition privative formulée en des termes très fermes. La Cour a déclaré ce qui suit aux pages 388 et 389 :

Il ne peut y avoir de doute qu’un tribunal «statutaire» ne peut pas, impunément, faire abstraction des conditions requises par la loi qui l’a créé, et trancher les questions à sa guise. S’il le fait, il déborde le cadre de ses pouvoirs, manque de remplir son devoir envers le public et s’écarte d’une façon d’agir légalement permise. Une intervention judiciaire est alors non seulement admissible, mais l’intérêt public l’exige. Mais si la Commission agit de bonne foi et si sa décision peut rationnellement s’appuyer sur une interprétation qu’on peut raisonnablement considérer comme étayée par la législation pertinente, alors la Cour n’interviendra pas.

Un tribunal peut, d’une part, avoir compétence dans le sens strict du pouvoir de procéder à une enquête mais, au cours de cette enquête, faire quelque chose qui retire l’exercice de ce pouvoir de la sauvegarde de la clause privative ou limitative de recours. Des exemples de ce genre d’erreur seraient le fait d’agir de mauvaise foi, de fonder la décision sur des données étrangères à la question, d’omettre de tenir compte de facteurs pertinents, d’enfreindre les règles de la justice naturelle ou d’interpréter erronément les dispositions du texte législatif de façon à entreprendre une enquête ou répondre à une question dont il n’est pas saisi. Si, d’autre part, une question appropriée est soumise à ce tribunal, c’est-à-dire, une question relevant de sa compétence, et s’il répond à cette question sans faire d’erreurs de la nature de celles dont j’ai parlé, il peut alors répondre à la question correctement ou incorrectement et sa décision ne sera pas sujette à révision par les cours: Anisminic, Ltd. v. Foreign Compensation Commission et al.; Noranda Mines Ltd. c. The Queen et al, précité; Farrell et al. c. Workmen’s Compensation Board, précité; R. c. La Commission des relations de travail du Québec, Ex p. Komo Construction Inc.

[Renvois omis. Non souligné dans l’original.]

[81] Le renvoi par la Cour suprême au fait « de fonder la décision sur des données étrangères à la question » et « d’omettre de tenir compte de facteurs pertinents » peut être interprété comme englobant les questions de fait.

[82] La Cour suprême du Canada, dans son arrêt ultérieur Blanchard c. Control Data Canada Ltée, [1984] 2 R.C.S. 476, 1984 CanLII 27 (CSC), a confirmé la possibilité que les conclusions de fait gravement erronées constituent des erreurs manifestement déraisonnables. Dans cette affaire, la Cour suprême avait été saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue par un arbitre du travail, dont les décisions étaient protégées par une disposition privative. Dans des motifs concourants, deux juges s’exprimant séparément au nom de la Cour ont confirmé qu’un éventail restreint d’erreurs de fait étaient susceptibles de contrôle du fait qu’elles étaient manifestement déraisonnables.

[83] Le juge Lamer, s’exprimant au nom de ces deux membres de la Cour, a déclaré ce qui suit aux pages 492 à 495 :

En principe, compte tenu de la présence d’une clause privative, les juridictions supérieures ne devraient pas pouvoir réviser les erreurs de droit des tribunaux administratifs. Toutefois, il est maintenant établi que certaines erreurs de droit peuvent faire perdre juridiction à l’arbitre. La controverse porte plutôt sur la détermination de quelles erreurs de droit font perdre juridiction. […] la tendance de cette Cour depuis les affaires Nipawin, précitée, et S.C.F.P., précitée, a été d’éviter d’intervenir lorsque la décision du tribunal administratif, erronée ou non, était raisonnable. En d’autres termes, seules les erreurs de droit déraisonnables portent atteinte à la juridiction.

[...]

Dans la recherche de l’erreur portant atteinte à la juridiction, l’emphase placée par cette Cour sur la dichotomie du caractère raisonnable-déraisonnable de l’erreur remet en question l’opportunité de faire, à même celle-ci, la distinction entre l’erreur de droit et l’erreur de fait. Outre la difficulté de qualification, la distinction se bute à celle que les tribunaux ont donné aux erreurs de fait déraisonnables. L’erreur de fait déraisonnable a été qualifiée d’erreur de droit. La distinction voudrait qu’en un deuxième temps cette erreur de droit soit à l’abri de la clause privative à moins d’être déraisonnable. Que faut-il de plus à la conclusion de fait déraisonnable, pour que, en devenant erreur de droit elle devienne une erreur de droit déraisonnable. Le tribunal administratif a la compétence voulue pour se tromper, et même gravement, mais n’a pas celle d’être déraisonnable. Ce qui est déraisonnable n’atrophie pas moins la juridiction du fait que la conclusion en est une de fait plutôt que de droit. La justification de l’intervention judiciaire est la conclusion déraisonnable.

[...]

En conclusion, une détermination déraisonnable, quelle qu’en soit la source, porte atteinte à la juridiction du tribunal. Je m’empresse de rappeler que la distinction entre l’erreur de droit et celle de fait conserve par ailleurs toute son utilité lorsque le tribunal n’est pas à l’abri d’une clause privative. En effet, quoique toutes les erreurs de droit sont dès lors sujettes à révision, seules les erreurs de fait déraisonnables le sont, mais pas les autres.

[Non souligné dans l’original]

[84] Le juge Beetz, s’exprimant au nom des autres membres de la Cour, a fait observer ce qui suit aux pages 480 et 481 :

Quelle que soit la juridiction de l’arbitre, au sens strict, un abus de pouvoir équivalant à fraude et de nature à entraîner une injustice flagrante lui ferait perdre juridiction et donnerait ouverture à la révision judiciaire par voie d’évocation, nonobstant toute clause privative.

Je ne puis dire que la décision de l’arbitre constitue un tel abus.

[…] Je suis loin d’être certain que j’aurais rendu la même décision que l’arbitre mais je suis également incapable d’affirmer que la pénalité moins sévère qu’il a imposée en remplacement de la pénalité ultime est, compte tenu de toutes les circonstances, clairement abusive, manifestement injuste, absurde, contraire au sens commun, et sans aucun fondement dans l’ensemble de la preuve.

[Non souligné dans l’original.]

[85] La notion voulant que certains types d’erreurs de fait graves justifient une intervention même lorsqu’il existe une disposition privative a une autre fois été avalisée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Lester, dans lequel la Cour suprême s’est de nouveau penchée sur une décision rendue par une commission du travail dont les décisions étaient protégées par une disposition privative. Tout en concluant que la décision de la commission était manifestement déraisonnable puisqu’aucun élément de preuve n’étayait l’existence d’une obligation du successeur selon une interprétation raisonnable des dispositions pertinentes de la loi, la juge McLachlin (plus tard juge en chef) a décrit à la page 669 le type d’erreurs de fait qui pourrait justifier une intervention lorsqu’est appliquée la norme de la décision manifestement déraisonnable :

Les cours de justice devraient faire preuve de circonspection et de retenue dans l’examen des décisions de tribunaux administratifs spécialisés comme la Commission en l’espèce. Cette retenue s’étend à la fois à la constatation des faits et à l’interprétation de la loi. Ce n’est que lorsque les éléments de preuve, perçus de façon raisonnable, ne peuvent étayer les conclusions de fait du tribunal, ou que l’interprétation donnée aux dispositions législatives est manifestement déraisonnable que la cour de justice peut intervenir.

[Non souligné dans l’original.]

[86] Dans l’arrêt Conseil de l’éducation de Toronto (Cité) c. F.E.E.E.S.O., district 15, [1997] 1 R.C.S. 487, 1997 CanLII 378 (CSC), la Cour suprême a de nouveau examiné la question dans le contexte du contrôle d’une décision rendue par un arbitre du travail, qui était protégée par une disposition privative. En infirmant la conclusion de l’arbitre sur la question de la cause juste, le juge Cory, s’exprimant au nom des juges majoritaires de la Cour, a déclaré ce qui suit aux paragraphes 41 à 45, 47 et 48 :

41. Dans un certain nombre d’arrêts, notre Cour a examiné les circonstances qui amènent à conclure que la décision d’un organisme administratif est manifestement déraisonnable. Ce critère a été formulé quelque peu différemment selon qu’il s’agit de conclusions de fait ou de conclusions de droit.

42. Lorsqu’un tribunal interprète une disposition législative, le critère applicable est le suivant:

... l’interprétation de la Commission est‑elle déraisonnable au point de ne pouvoir rationnellement s’appuyer sur la législation pertinente et d’exiger une intervention judiciaire?

Voir Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau‑Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227, à la p. 237.

43. Le critère varie légèrement dans le cas des arbitres interprétant une convention collective. Dans de telles circonstances, une cour de justice n’interviendra pas «dans la mesure où les termes de celle‑ci [la convention collective] n’ont pas été interprétés d’une façon inacceptable»: Bradco, précité, à la p. 341.

44. Il a été jugé qu’une conclusion ne reposant sur «aucune preuve» est manifestement déraisonnable. Cependant, il est clair que la cour ne devrait pas intervenir lorsque la preuve est simplement insuffisante. Comme l’a affirmé le juge Estey, dissident en partie, dans Douglas Aircraft Co. of Canada c. McConnell, [1980] 1 R.C.S. 245, à la p. 277:

... une décision qui ne serait étayée par aucune preuve pourrait être révisée parce qu’elle est arbitraire; cependant, l’insuffisance de la preuve au sens donné à cette expression en matière d’appel ne comporte pas un excès de compétence et, bien qu’à une certaine époque elle ait pu équivaloir à une erreur de droit apparente à la lecture du dossier, le droit et la pratique actuels considèrent qu’une telle erreur fait partie du domaine opérationnel d’un conseil établi en vertu d’une loi, ce que traduit l’énoncé sibyllin suivant lequel le conseil a le privilège de se tromper dans les limites de sa compétence, et son erreur n’est donc pas soumise au contrôle judiciaire.

45. Lorsqu’une cour de justice contrôle les conclusions de fait d’un tribunal administratif ou les inférences qu’il a tirées de la preuve, elle ne peut intervenir que «lorsque les éléments de preuve, perçus de façon raisonnable, ne peuvent étayer les conclusions de fait du tribunal»: Lester (W. W.) (1978) Ltd. c. Association unie des compagnons et apprentis de l’industrie de la plomberie et de la tuyauterie, section locale 740, [1990] 3 R.C.S. 644, à la p. 669, le juge McLachlin.

[…]

47. Pour déterminer si la décision d’un tribunal administratif est manifestement déraisonnable, une cour de justice peut examiner le dossier afin de découvrir le fondement des conclusions de fait ou de droit qu’a tirées le tribunal et qui sont contestées. Comme a fait observer le juge Gonthier, s’exprimant au nom de la majorité dans National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324, à la p. 1370, «[d]ans certains cas, le caractère déraisonnable d’une décision peut ressortir sans qu’il soit nécessaire d’examiner en détail le dossier. Dans d’autres cas, il se peut qu’elle ne soit pas moins déraisonnable mais que cela ne puisse être constaté qu’après une analyse en profondeur.» Dans Lester, précité, notre Cour a examiné le dossier pour déterminer s’il existait quelque élément de preuve pouvant raisonnablement étayer une conclusion de fait particulière tirée par une commission des relations du travail.

48. En conséquence, dans les cas où les conclusions arbitrales en litige reposent sur des inférences tirées de la preuve, il est nécessaire que la cour de justice qui contrôle la décision examine cette preuve. Je précise que cela ne veut pas dire que la cour doit apprécier la preuve comme si elle avait été saisie de la question en premier lieu. Il faut se rappeler que, même si la cour de justice n’est pas d’accord avec la façon dont le tribunal administratif a apprécié la preuve et tiré ses conclusions, c’est uniquement dans le cas où la preuve, appréciée raisonnablement, est incapable d’étayer les conclusions du tribunal que la cour peut substituer son opinion à celle du tribunal.

[Non souligné dans l’original.]

[87] C’est dans ce contexte qu’ont été adoptées les dispositions de la Loi sur les Cours fédérales prévoyant le contrôle judiciaire des décisions rendues par des décideurs de compétence fédérale. Dans une certaine mesure, ces dispositions autorisaient le contrôle judiciaire selon des critères légèrement plus larges que ce que prévoyait auparavant la common law.

[88] Ces dispositions, qui se trouvent actuellement aux articles 18, 18.1 à 18.5 et 28 de la Loi sur les Cours fédérales, autorisent le contrôle judiciaire par la Cour d’appel fédérale (pour les tribunaux nommés au paragraphe 28(1) de la Loi sur les Cours fédérales) ou par la Cour fédérale (pour tous les autres décideurs relevant de la compétence fédérale), sauf lorsque la loi prévoit un droit d’appel. Le paragraphe 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales, qui revêt une importance capitale pour l’examen des questions dont notre Cour est saisie, dispose que le contrôle judiciaire est exclu seulement si la loi prévoit un droit d’appel. Cette disposition est libellée ainsi :

Dérogation aux art. 18 et 18.1

Exception to sections 18 and 18.1

18.5 Par dérogation aux articles 18 et 18.1, lorsqu’une loi fédérale prévoit expressément qu’il peut être interjeté appel, devant la Cour fédérale, la Cour d’appel fédérale, la Cour suprême du Canada, la Cour d’appel de la cour martiale, la Cour canadienne de l’impôt, le gouverneur en conseil ou le Conseil du Trésor, d’une décision ou d’une ordonnance d’un office fédéral, rendue à tout stade des procédures, cette décision ou cette ordonnance ne peut, dans la mesure où elle est susceptible d’un tel appel, faire l’objet de contrôle, de restriction, de prohibition, d’évocation, d’annulation ni d’aucune autre intervention, sauf en conformité avec cette loi.

18.5 Despite sections 18 and 18.1, if an Act of Parliament expressly provides for an appeal to the Federal Court, the Federal Court of Appeal, the Supreme Court of Canada, the Court Martial Appeal Court, the Tax Court of Canada, the Governor in Council or the Treasury Board from a decision or an order of a federal board, commission or other tribunal made by or in the course of proceedings before that board, commission or tribunal, that decision or order is not, to the extent that it may be so appealed, subject to review or to be restrained, prohibited, removed, set aside or otherwise dealt with, except in accordance with that Act.

[89] Les motifs de contrôle sont énumérés au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, qui est rédigé ainsi :

Motifs

Grounds of review

(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l’office fédéral, selon le cas :

(4) The Federal Court may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l’exercer;

(a) acted without jurisdiction, acted beyond its jurisdiction or refused to exercise its jurisdiction;

b) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter;

(b) failed to observe a principle of natural justice, procedural fairness or other procedure that it was required by law to observe;

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

(c) erred in law in making a decision or an order, whether or not the error appears on the face of the record;

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;

e) a agi ou omis d’agir en raison d’une fraude ou de faux témoignages;

(e) acted, or failed to act, by reason of fraud or perjured evidence; or

f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.

(f) acted in any other way that was contrary to law.

[90] Étant donné l’augmentation du nombre de décideurs administratifs, l’accroissement de leur expertise et la complexification des questions dont ils sont saisis, la Cour suprême du Canada a jugé qu’il convenait, du moins dans certaines affaires, de faire preuve de déférence à l’égard de conclusions de droit tirées lorsqu’il n’y a pas de dispositions privatives. Dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, 1997 CanLII 385 (CSC) [Southam], la Cour suprême, s’appuyant sur son arrêt antérieur Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 557, 1994 CanLII 103 (CSC) [Pezim], a élaboré une troisième norme de contrôle qui se situait quelque peu entre la norme de la décision correcte et la norme de la décision manifestement déraisonnable, laquelle a été appelée norme de la décision raisonnable simpliciter. Cette norme exigeait que la décision puisse résister à un examen assez poussé. La Cour suprême a conclu que la différence entre la décision déraisonnable et la décision manifestement déraisonnable résidait dans le caractère flagrant ou évident du défaut. Si le défaut était manifeste à la lecture des motifs du décideur, la décision était alors manifestement déraisonnable. Cependant, s’il fallait procéder à un examen ou à une analyse en profondeur pour déceler le défaut, la décision était alors déraisonnable sans être manifestement déraisonnable.

[91] Dans l’arrêt Southam, la nouvelle norme de la décision raisonnable simpliciter a été appliquée à tous les aspects d’une décision du Tribunal de la concurrence, y compris à ses conclusions sur des questions mixtes de fait et de droit. Les lois pertinentes prévoyaient un droit d’appel auprès de notre Cour à l’égard des questions de droit et aussi, avec autorisation, des questions de fait.

[92] Sans grande surprise, il s’est avéré de plus en plus complexe de savoir laquelle des trois normes de contrôle devait s’appliquer et en quoi leur contenu respectif différait, et beaucoup de jurisprudence a été consacrée à la question.

[93] La Cour suprême du Canada a élaboré la méthode d’analyse dite « pragmatique et fonctionnelle » pour faciliter cette distinction. Cette analyse, qui a été développée particulièrement dans les arrêts U.E.S., Local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048, 1988 CanLII 30 (CSC), et Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 1 R.C.S. 1222, 1998 CanLII 787 (CSC) [Pushpanathan] , exigeait de la cour de révision qu’elle tienne compte de plusieurs facteurs contextuels pour déterminer la norme de contrôle applicable. Parmi les principaux facteurs se trouvaient l’existence ou non d’une disposition privative dans la loi constitutive du décideur; l’expertise du décideur administratif sur les points en litige par rapport à celle de la cour; l’objet de la loi conférant compétence au décideur et celui des dispositions en litige; la nature du problème résolu par la décision faisant l’objet du contrôle.

[94] Dans l’arrêt Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19, [2003] 1 R.C.S. 226, la Cour suprême a confirmé que cette analyse s’appliquait à chaque conclusion tirée par un décideur administratif. De ce fait, différentes normes de contrôle pouvaient s’appliquer, et se sont souvent appliquées, à différentes parties d’une même décision.

[95] La complexité grandissante de l’analyse préalable requise ainsi que son incidence concomitante sur la prévisibilité et le coût des affaires faisant l’objet d’un contrôle judiciaire ont suscité de vives critiques, ce qui a amené la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Dunsmuir, à abandonner de grands pans de cette approche et à remanier l’ensemble du cadre régissant le contrôle judiciaire.

[96] Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême a fusionné deux des trois précédentes normes de contrôle, à savoir la norme de la décision manifestement déraisonnable et la norme de la décision raisonnable simpliciter, en une seule norme de contrôle commandant la déférence, appelée la norme de la décision raisonnable. Par conséquent, depuis l’arrêt Dunsmuir, il ne reste plus que deux normes de contrôle : la norme de la décision correcte et la norme de la décision raisonnable.

[97] Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême a conclu que la norme de la décision raisonnable s’appliquait par présomption dans la plupart des affaires, mais que cette présomption pouvait être réfutée si la question en litige s’inscrivait dans l’une des quatre catégories établies ou si les facteurs contextuels établis dans l’arrêt Pushpanathan pouvaient justifier le choix de la norme de la décision correcte. Les quatre catégories commandant l’application de la norme de la décision correcte énoncées par la Cour dans l’arrêt Dunsmuir étaient les suivantes : (1) les questions constitutionnelles; (2) les questions liées à la délimitation des compétences respectives de deux ou plusieurs décideurs administratifs concurrents; (3) les questions revêtant une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble; (4) les questions que les juges majoritaires ont appelées « questions touchant véritablement à la compétence », c’est-à-dire la compétence « au sens strict de la faculté du tribunal administratif de connaître de la question » (au para. 59).

[98] Le cadre unique du contrôle selon la norme commandant de la déférence de la décision raisonnable défini dans l’arrêt Dunsmuir s’intéressait principalement à la justification, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, mais aussi à la question de savoir si une décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit applicable.

[99] Il convient de noter que, selon l’arrêt Dunsmuir, l’existence d’une disposition privative dans la loi habilitante du décideur ne limite plus la portée du contrôle que peut effectuer la Cour aux contrôles effectués selon la norme de la décision manifestement déraisonnable. En effet, la décision de l’arbitre faisant l’objet d’un contrôle dans l’arrêt Dunsmuir était protégée par une disposition privative énoncée en termes clairs au paragraphe 101(1) de la Loi relative aux relations de travail dans les services publics du Nouveau-Brunswick, L.R.N.-B. (1973) ch. P‑25 : « Sous réserve des dispositions contraires de la présente loi, toute ordonnance, sentence, directive, décision ou déclaration de la Commission, d’un tribunal d’arbitrage ou d’un arbitre, est définitive et ne peut être contestée devant aucun tribunal ni révisée par aucun tribunal. » L’existence de cette disposition dans la loi habilitante de l’arbitre n’a joué aucun rôle dans l’analyse faite par la Cour suprême pour décider du caractère raisonnable ou non de la décision. La Cour a plutôt appliqué sa norme nouvellement formulée de la décision raisonnable et a infirmé l’interprétation que l’arbitre avait faite de la loi.

[100] Dans son raisonnement, la Cour suprême a soulevé deux points qui revêtent une importance particulière dans le présent appel. Premièrement, elle a fait observer que le type de contrôle issu de sa norme nouvellement formulée de la décision raisonnable était dicté par les principes de la primauté du droit et par le fait que le contrôle judiciaire bénéficie de la protection constitutionnelle au Canada. Aux paragraphes 27 à 31, les juges Bastarache et LeBel, s’exprimant au nom de la majorité, ont déclaré ce qui suit :

[27] Sur le plan constitutionnel, le contrôle judiciaire est intimement lié au maintien de la primauté du droit. C’est essentiellement cette assise constitutionnelle qui explique sa raison d’être et oriente sa fonction et son application. Le contrôle judiciaire s’intéresse à la tension sous‑jacente à la relation entre la primauté du droit et le principe démocratique fondamental, qui se traduit par la prise de mesures législatives pour créer divers organismes administratifs et les investir de larges pouvoirs. Lorsqu’elles s’acquittent de leurs fonctions constitutionnelles de contrôle judiciaire, les cours de justice doivent tenir compte de la nécessité non seulement de maintenir la primauté du droit, mais également d’éviter toute immixtion injustifiée dans l’exercice de fonctions administratives en certaines matières déterminées par le législateur.

[28] La primauté du droit veut que tout exercice de l’autorité publique procède de la loi. Tout pouvoir décisionnel est légalement circonscrit par la loi habilitante, la common law, le droit civil ou la Constitution. Le contrôle judiciaire permet aux cours de justice de s’assurer que les pouvoirs légaux sont exercés dans les limites fixées par le législateur. Il vise à assurer la légalité, la rationalité et l’équité du processus administratif et de la décision rendue.

[29] Les décideurs administratifs exercent leurs pouvoirs dans le cadre de régimes législatifs qui sont eux‑mêmes délimités. Ils ne peuvent exercer de pouvoirs qui ne leur sont pas expressément conférés. S’ils agissent sans autorisation légale, ils portent atteinte au principe de la primauté du droit. C’est pourquoi lorsque la cour de révision se penche sur l’étendue d’un pouvoir décisionnel ou de la compétence accordée par la loi, l’analyse relative à la norme de contrôle vise à déterminer quel pouvoir le législateur a voulu donner à l’organisme en la matière. Elle le fait dans le contexte de son obligation constitutionnelle de veiller à la légalité de l’action administrative : Crevier c. Procureur général du Québec, [1981] 2 R.C.S. 220, p. 234; également, Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, 2003 CSC 19, au para. 21.

[30] Non seulement le contrôle judiciaire contribue au respect de la primauté du droit, mais il joue un rôle constitutionnel important en assurant la suprématie législative. Comme l’a fait observer le juge Thomas Cromwell, [traduction] « la primauté du droit est consacrée par le pouvoir d’une cour de justice de statuer en dernier ressort sur l’étendue de la compétence d’un tribunal administratif, par l’application du principe selon lequel il convient de bien délimiter la compétence et de bien la définir, en fonction de l’intention du législateur, d’une manière à la fois contextuelle et téléologique, ainsi que par la reconnaissance du fait que les cours de justice n’ont pas le pouvoir exclusif de statuer sur toutes les questions de droit, ce qui tempère la conception judiciarisée de la primauté du droit » (« Appellate Review : Policy and Pragmatism », dans 2006 Isaac Pitblado Lectures, Appellate Courts : Policy, Law and Practice, V‑1, p. V‑12). Essentiellement, la primauté du droit est assurée par le dernier mot qu’ont les cours de justice en matière de compétence, et la suprématie législative, par la détermination de la norme de contrôle applicable en fonction de l’intention du législateur.

[31] L’organe législatif du gouvernement ne peut supprimer le pouvoir judiciaire de s’assurer que les actes et les décisions d’un organisme administratif sont conformes aux pouvoirs constitutionnels du gouvernement. Même si elle est révélatrice de l’intention du législateur, la clause privative ne saurait être décisive à cet égard (Succession Woodward c. Ministre des Finances, 1972 CanLII 139 (CSC), [1973] R.C.S. 120, p. 127). Le pourvoir inhérent d’une cour supérieure de contrôler les actes de l’Administration et de s’assurer que celle‑ci n’outrepasse pas les limites de sa compétence tire sa source des art. 96 à 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 portant sur la magistrature : arrêt Crevier. Comme l’a dit le juge Beetz dans l’arrêt U.E.S., Local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048, p. 1090, « [l]e rôle des cours supérieures dans le maintien de la légalité est si important qu’il bénéficie d’une protection constitutionnelle ». En résumé, le contrôle judiciaire bénéficie de la protection constitutionnelle au Canada, surtout lorsqu’il s’agit de définir les limites de la compétence et de les faire respecter. Le juge en chef Laskin l’a expliqué dans l’arrêt Crevier :

[Q]uand la disposition privative englobe spécifiquement les questions de droit, cette Cour n’a pas hésité, comme dans l’arrêt Farrah, à reconnaître que cette limitation du contrôle judiciaire favorise une politique législative explicite qui veut protéger les décisions des organismes judiciaires contre la rectification externe. La Cour a ainsi, à mon avis, maintenu l’équilibre entre les objectifs contradictoires du législateur provincial de voir confirmer la validité quant au fond des lois qu’il a adoptées et ceux des tribunaux d’être les interprètes en dernier ressort de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique et de son art. 96. Les mêmes considérations ne s’appliquent cependant pas aux questions de compétence qui ne sont pas très éloignées des questions de constitutionnalité. Il ne peut être accordé à un tribunal créé par une loi provinciale, à cause de l’art. 96, de définir les limites de sa propre compétence sans appel ni révision. [p. 237-238]

Voir aussi D. J. Mullan, Administrative Law (2001), p. 50.

[101] Deuxièmement, il ne faisait aucun doute que la norme nouvellement formulée de la décision raisonnable s’appliquait à la fois aux conclusions de fait et aux conclusions de droit tirées par le décideur administratif. En effet, il en est ainsi du fait de la formulation même de la norme, qui exige que la décision raisonnable puisse se justifier au regard à la fois des faits et du droit applicable.

[102] À la suite de l’arrêt Dunsmuir, des tribunaux, dont notre Cour et la Cour suprême du Canada, ont appliqué la norme nouvellement formulée de la décision raisonnable dans les contrôles judiciaires de décisions administratives, y compris lorsque la décision était protégée par une disposition privative (voir, par exemple, Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, [2013] 2 R.C.S. 458; Igloo Vikski; AFPC et la jurisprudence énoncée en annexe de ce jugement).

[103] Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339 [Khosa], qui a été rendu l’année après l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a confirmé que la formulation de la norme de la décision raisonnable établie dans l’arrêt Dunsmuir s’appliquait aux affaires régies par la Loi sur les Cours fédérales et que les questions de droit étaient susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, malgré le libellé de l’alinéa 18.1(4)c), qui prévoit le contrôle à l’égard d’erreurs de droit. Les juges majoritaires ont conclu que cette disposition ne faisait qu’énoncer les motifs de contrôle, et non la norme de contrôle qui devait s’appliquer aux erreurs de droit. Quant aux questions de fait, tant les juges majoritaires que les juges minoritaires ont conclu que l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales énonçait à la fois les motifs de contrôle et les paramètres établissant ce en quoi constitue une décision raisonnable lorsqu’est effectué un contrôle à l’égard d’erreurs de fait. Les juges majoritaires ont noté qu’il « ressort clairement de l’al. 18.1(4)d) que le législateur voulait qu’une conclusion de fait tirée par un organisme administratif appelle un degré élevé de déférence. Ce qui est tout à fait compatible avec l’arrêt Dunsmuir. Cette disposition législative précise la norme de contrôle de la raisonnabilité applicable aux questions de fait dans les affaires régies par la Loi sur les Cours fédérales » (au para. 46). Dans ses motifs dissidents, le juge Rothstein a souscrit à cette observation.

[104] Il convient de noter que la décision de la Section d’appel de l’immigration qui faisait l’objet du contrôle dans l’arrêt Khosa était protégée par une disposition privative, laquelle était toutefois d’une portée moindre que celle prévue à l’article 67 de la Loi sur les douanes. Le paragraphe 162(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés dispose que la Section d’appel de l’immigration a « compétence exclusive pour connaître des questions de droit et de fait – y compris en matière de compétence ».

[105] Il convient également de mentionner un autre jugement qui s’inscrit dans l’évolution de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada dans la foulée de l’arrêt Dunsmuir, et qui a été rendu avant l’arrêt Vavilov, à savoir l’arrêt Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, [2016] 2 R.C.S. 293 [Edmonton East]. Dans cet arrêt, la Cour suprême a confirmé que le cadre d’analyse de la raisonnabilité énoncé dans l’arrêt Dunsmuir s’appliquait non seulement aux demandes de contrôle judiciaire, mais aussi aux appels prévus par la loi.

[106] En gardant ce contexte à l’esprit, nous pouvons nous pencher sur l’arrêt Vavilov de la Cour suprême du Canada.

B. L’arrêt Vavilov de la Cour suprême du Canada

[107] Dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême a exposé un cadre d’analyse révisé devant s’appliquer aux contrôles judiciaires effectués au Canada, mais, ce faisant, elle a confirmé que « [l]e cadre d’analyse révisé est encore guidé par les principes en matière de contrôle judiciaire […] énoncés […] dans l’arrêt Dunsmuir [...] : le contrôle judiciaire a pour fonction de préserver la primauté du droit tout en donnant effet à la volonté du législateur » (au para. 2). De plus, sous réserve de trois exceptions, la Cour a maintenu le cadre d’analyse précédent énoncé dans l’arrêt Dunsmuir. Plus précisément, elle a confirmé que la norme de la décision raisonnable est une norme unique qui s’adapte au contexte et qui s’intéresse à la fois à la justification, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, de même qu’à la question de savoir si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit applicable. Dans l’arrêt Vavilov, la Cour a défini de façon plus détaillée cette norme de la décision raisonnable, sans pour autant infirmer l’approche fondamentale exposée dans l’arrêt Dunsmuir.

[108] L’arrêt Vavilov a modifié le précédent cadre d’analyse sous trois aspects. Premièrement, la Cour suprême a d’abord jugé que les facteurs contextuels énoncés dans l’arrêt Pushpanathan (lesquels, on se le rappellera, comprenaient l’existence d’une disposition privative) ne seraient désormais plus pris en compte dans le choix de la norme de contrôle. Deuxièmement, elle a aboli la catégorie de ce qu’on appelait les « questions touchant véritablement à la compétence », qui, selon l’arrêt Dunsmuir, donnaient ouverture à un contrôle selon la norme de la décision correcte. Depuis l’arrêt Vavilov, ces questions sont maintenant assujetties à la norme de la décision raisonnable, comme la plupart des questions à trancher dans les demandes de contrôle judiciaire. Par conséquent, à l’heure actuelle, à moins qu’une loi ne prévoie expressément la norme de contrôle applicable, la norme de la décision raisonnable s’applique à toutes les questions examinées en contrôle judiciaire, sauf les questions constitutionnelles, les questions liées à la délimitation des compétences respectives de deux ou plusieurs décideurs administratifs concurrents, ainsi que les questions qui revêtent une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble.

[109] Le troisième changement apporté par l’arrêt Vavilov au précédent cadre de contrôle judiciaire concerne l’approche en matière d’appels prévus par la loi. La Cour a conclu que, sauf disposition législative contraire, les appels prévus par la loi seraient désormais assujettis aux principes relatifs au contrôle en appel plutôt qu’aux principes relatifs au contrôle judiciaire, infirmant ainsi sa conclusion antérieure rendue sur ce point, notamment dans les arrêts Edmonton East, Pezim et Southam. Les normes énoncées dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, sont donc celle qui dorénavant s’appliquent aux appels prévus par la loi, interjetés à l’encontre de décisions administratives. Par conséquent, dans les appels prévus par la loi, les erreurs de droit sont maintenant assujetties à la norme de la décision correcte, alors que, lorsque l’appel porte sur des questions de fait, les erreurs de fait ou les erreurs mixtes de fait et de droit desquelles on ne peut isoler de question de droit sont assujetties, pour leur part, à la norme de l’erreur manifeste et dominante.

[110] Au paragraphe 45 de l’arrêt Vavilov, les juges majoritaires de la Cour suprême ont conclu que « l’existence d’un droit d’appel circonscrit, par exemple sur des questions de droit ou sur autorisation judiciaire, ne fait pas obstacle à l’examen d’autres éléments de la décision par voie de contrôle judiciaire ». Les juges majoritaires ont réitéré cette observation au paragraphe 52 :

[…] les droits d’appel conférés par la loi sont souvent circonscrits : leur portée peut être restreinte en fonction des types de questions sur lesquelles une partie peut interjeter appel (par exemple, lorsque le droit d’appel ne vise que des questions de droit), ou en fonction du type de décision susceptible d’être portée en appel (lorsque, par exemple, certaines décisions d’un décideur administratif sont sans appel devant une cour de justice), ou bien en fonction de la partie ou des parties qui peuvent porter la cause en appel. La présence d’un droit d’appel circonscrit dans le cadre d’un régime législatif ne fait pas obstacle en soi aux demandes de contrôle judiciaire visant des décisions ou des questions qui ne sont pas visées par le mécanisme d’appel, ni aux recours intentés par des personnes qui n’ont aucun droit d’appel. Dans de tels cas, ce contrôle judiciaire diffère toutefois d’un appel, et la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable lors du contrôle judiciaire ne sera pas réfutée en invoquant le mécanisme d’appel autrement prévu par la loi.

[Non souligné dans l’original.]

[111] La Cour suprême a donc conclu qu’en principe, l’existence d’un mécanisme d’appel limité n’interdit pas le recours au contrôle judiciaire. En effet, cette conclusion reflète ce qui est déjà prévu à l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales. Cette conclusion est importante en l’espèce. Bien que, dans l’arrêt Vavilov, la Cour suprême ne se soit pas expressément penchée sur la question dont notre Cour est saisie, elle devait savoir que plusieurs lois qui prévoient un droit d’appel limité, dont la Loi sur les douanes, comportent aussi une disposition privative. Il est donc révélateur qu’elle n’ait pas mentionné que l’existence d’une telle disposition interdise le recours au contrôle judiciaire.

[112] Qui plus est, nulle part dans l’arrêt Vavilov la Cour suprême n’appuie la notion voulant que les dispositions privatives puissent empêcher le recours au contrôle judiciaire ou le contrôle à l’égard de types particuliers de questions. Une interdiction complète du recours au contrôle judiciaire à l’égard de tout type de question porterait atteinte à la primauté du droit, comme la Cour suprême l’a fait observer dans l’arrêt Dunsmuir et expressément soutenu dans l’arrêt Vavilov (au para. 24). De plus, dans les arrêts Dunsmuir et Vavilov, la Cour n’a pas infirmé la jurisprudence en place depuis des décennies en concluant que les erreurs de fait, qui étaient auparavant appelées erreurs manifestement déraisonnables, et autrefois appelées des erreurs de compétence, demeuraient susceptibles de contrôle, quoique maintenant selon la norme de la décision raisonnable.

[113] Au contraire, la Cour suprême affirme expressément dans l’arrêt Vavilov que les questions de fait peuvent donner lieu à une conclusion de décision déraisonnable. En donnant d’autres indications sur le déroulement d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable et les caractéristiques d’une décision raisonnable, la Cour suprême a précisé, au paragraphe 101 de l’arrêt Vavilov, qu’il y a deux catégories de lacunes qui peuvent rendre une décision déraisonnable : le manque de logique du raisonnement, lorsque des motifs sont exprimés, et le caractère indéfendable de la décision eu égard aux contraintes juridiques et factuelles qui ont une incidence sur la décision.

[114] Des questions de fait peuvent donner lieu à une conclusion de décision déraisonnable si la décision comporte l’une ou l’autre de ces lacunes. En ce qui concerne le manque de logique du raisonnement, au paragraphe 102 de leurs motifs dans l’arrêt Vavilov, les juges majoritaires, renvoyant aux arrêts Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, [2003] 1 R.C.S. 247, et Southam, ont déclaré qu’une cour de révision doit conclure qu’« [un] mode d’analyse, dans les motifs avancés, [...] pouvait raisonnablement amener le tribunal, au vu de la preuve, à conclure comme il l’a fait ». Manifestement, cela renvoie à la manière dont le décideur traite les questions de fait.

[115] La Cour a aussi prévu que l’omission de faire un examen raisonnable des questions de fait peut donner lieu à une issue indéfendable. Les juges majoritaires ont formulé les observations suivantes au paragraphe 126 :

[126] Cela dit, une décision raisonnable en est une qui se justifie au regard des faits : Dunsmuir, au para. 47. Le décideur doit prendre en considération la preuve versée au dossier et la trame factuelle générale qui ont une incidence sur sa décision et celle-ci doit être raisonnable au regard de ces éléments : voir Southam, au para. 56. Le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte. Dans l’arrêt Baker, par exemple, le décideur s’était fondé sur des stéréotypes dénués de pertinence et n’avait pas pris en compte une preuve pertinente, ce qui a mené à la conclusion qu’il existait une crainte raisonnable de partialité : au para. 48. En outre, la démarche adoptée par le décideur permettait également de conclure au caractère déraisonnable de sa décision, car il avait démontré que ses conclusions ne reposaient pas sur la preuve dont il disposait en réalité : au para. 48.

[116] Par conséquent, selon la norme de la décision raisonnable définie dans l’arrêt Vavilov, les conclusions de fait sont susceptibles de contrôle. Compte tenu de ce qui précède, je ne crois pas que l’on puisse interpréter les observations incidentes formulées dans cet arrêt comme signifiant que les dispositions privatives doivent désormais être interprétées comme interdisant le contrôle judiciaire à l’égard de toutes les questions de fait. C’est d’autant plus vrai étant donné le rôle limité que la Cour suprême a donné aux dispositions privatives au cours des décennies précédentes et étant donné que cette Cour a reconnu que la primauté du droit exige le contrôle des erreurs de fait, dont les plus graves étaient auparavant appelées des erreurs de compétence. De telles erreurs sont considérées aujourd’hui comme faisant partie des erreurs déraisonnables.

[117] Cela ne signifie pas que les dispositions privatives ont été vidées de leur sens. Elles font plutôt partie du cadre législatif pertinent – un facteur contextuel important pour déterminer les paramètres d’une décision raisonnable selon l’arrêt Vavilov et la jurisprudence de notre Cour – et elles mettent en évidence la retenue dont il faut faire preuve lors du contrôle selon la norme de la décision raisonnable des décisions visées par ces dispositions. Je crois que la seule façon de comprendre la fusion des normes de contrôle de la décision manifestement déraisonnable et de la décision raisonnable en la norme unique de la décision raisonnable est de reconnaître que les erreurs auparavant qualifiées de manifestement déraisonnables, qui englobent les erreurs de fait graves, sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, même s’il existe une disposition privative.

[118] Ce point de vue est partagé par le professeur Paul Daly, qui a beaucoup écrit sur le droit administratif. Dans un billet de blogue intitulé « Unresolved Issues after Vavilov IV: The Constitutional Foundations of Judicial Review » (Après Vavilov, des questions demeurent à trancher IV : les fondements constitutionnels du contrôle judiciaire) (17 novembre 2020), publié en ligne dans son blogue Administrative Law Matters à l’adresse <https://www.administrativelawmatters.com/blog/2020/11/17/unresolved-issues-after-vavilov-iv-the-constitutional-foundations-of-judicial-review/#_ftn31>, il explique ce qui suit :


 

[traduction]

Permettez-moi d’énoncer le problème en des termes très explicites. Il n’y a rien, à la lecture de l’arrêt Vavilov, qui empêche le législateur d’éliminer le contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Comme l’affirment les juges majoritaires, « dans les cas où le législateur énonce la norme de contrôle applicable, les cours de justice sont tenues au respect de celle‑ci, dans les limites qu’impose la primauté du droit ». Cependant, la « primauté du droit » s’entend ici uniquement de la catégorie limitée des affaires auxquelles la norme de la décision correcte s’applique pour permettre aux tribunaux de fournir une réponse définitive à une question, dans un souci d’uniformité. Rien ne semble faire obstacle à l’adoption de textes législatifs éliminant le contrôle selon la norme de la décision raisonnable, à condition que les tribunaux soient en mesure de contrôler les questions constitutionnelles, les questions qui revêtent une importance capitale pour le système juridique ou les questions de chevauchement des compétences selon la norme de la décision correcte.

Il ne s’agit pas d’un problème purement théorique. Il existe diverses façons d’éliminer, directement ou indirectement, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable. En Alberta, l’article 539 de la Municipal Government Act (Loi sur les administrations municipales) dispose qu’« aucun règlement administratif ni aucune résolution ne peut être contesté au motif que l’un ou l’autre est déraisonnable ». Parallèlement, diverses lois provinciales, les plus connues étant celles de la Colombie-Britannique, prescrivent l’utilisation de la norme de la décision manifestement déraisonnable lors du contrôle de certains types de mesures administratives. Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable pourrait indirectement être exclu si la loi prévoit un droit d’appel limité. La Cour d’appel fédérale, par exemple, a interprété diverses dispositions prévoyant un droit d’appel à l’égard de questions « de droit ou de compétence » comme excluant l’examen des questions de fait. Lorsqu’une cour d’appel dont la compétence est ainsi circonscrite refuse d’accorder une autorisation ou conclut que la question soulevée par une partie n’est pas visée par la disposition conférant le droit d’appel, on ne peut recourir au contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Pareille approche offrirait une solution simple et procurerait une grande clarté. En l’espèce, toutefois, j’invoquerais une citation d’Einstein : il faut rendre les choses aussi simples que possible, mais pas plus simples.

Qui plus est, les apparences peuvent être trompeuses. À première vue, l’arrêt Vavilov semble autoriser l’exclusion par voie législative du contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Mais seulement à première vue. D’ailleurs, une citation de la pièce Hamlet me vient à l’esprit : « Dieu vous a donné un visage, et vous vous en fabriquez un autre. »

Premièrement, dans le même paragraphe où la Cour suprême élimine les erreurs de compétence comme catégorie assujettie à la norme de la décision correcte, on trouve la phrase suivante : « En [...] appliquant adéquatement [le contrôle selon la norme de la décision raisonnable], les cours de justice sont en mesure d’accomplir leur devoir constitutionnel de veiller à ce que les organismes administratifs agissent dans les limites des pouvoirs qui leur sont conférés [...] » Les mots « devoir constitutionnel » proviennent des arrêts Crevier et Dunsmuir. Cette formulation indique que le contrôle selon la norme de la décision raisonnable ne peut, en fait, être exclu, car son élimination pourrait empêcher les cours de justice de s’acquitter de leur devoir constitutionnel.

Deuxièmement, bien que cette observation ne soit pas énoncée en des termes constitutionnels, les juges majoritaires ont indiqué très clairement qu’ils enjoignaient désormais aux décideurs administratifs « [d’]adhérer à une culture de la justification et [de] démontrer que l’exercice du pouvoir public qui leur est délégué peut être [traduction] “justifié aux yeux des citoyens et citoyennes sur les plans de la rationalité et de l’équité” ». Si le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est éliminé, les décideurs administratifs n’auront plus jamais à démontrer qu’ils exercent le pouvoir public qui leur est conféré d’une manière qui peut se justifier sur les plans de la rationalité et de l’équité. Cela provoquerait l’effondrement d’un pilier central du cadre défini dans l’arrêt Vavilov.

J’affirme qu’il en résulte que l’arrêt Vavilov établit un cadre constitutionnel fondamental minimal en faveur du contrôle selon la norme de la décision raisonnable. En toute déférence, le fait d’insister pour que le contrôle selon la norme de la décision correcte – et selon cette norme uniquement – soit protégé constitutionnellement était, et demeure, une erreur. Me Julius Grey a fait valoir ce point avec une clarté admirable au milieu des années 1980 :

L’arrêt Crevier consacre un certain degré de contrôle. Les cours de justice n’interviendront pas en même temps relativement à toutes les questions ou à l’encontre de tous les tribunaux administratifs. Toutefois, elles ont maintenant clairement un droit constitutionnel d’intervenir dans les cas où un décideur outrepasse le seuil de tolérance. De toute évidence, il appartient à la cour de justice de déterminer où se situe ce seuil de tolérance, ce qui est tout à fait conforme aux tendances générales du droit administratif moderne.

En bref, l’arrêt Vavilov établit le « seuil de tolérance » au moyen du contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Dans la mesure où les questions constitutionnelles, les questions qui revêtent une importance capitale pour le système juridique et les questions de chevauchement de compétences comportent une « dimension constitutionnelle », le contrôle selon la norme de la décision correcte est également protégé par la Constitution.

En effet, cette description des assises constitutionnelles de l’arrêt Vavilov apporte une explication à un passage par ailleurs nébuleux dans les motifs des juges majoritaires. Ayant établi que l’organisation institutionnelle est un facteur de justification clé dans le choix de la norme de contrôle, les juges majoritaires ont examiné les droits d’appel limités, comme ceux limitant les appels aux questions de droit ou de compétence, et ont déclaré ce qui suit : « [l]a présence d’un droit d’appel circonscrit dans le cadre d’un régime législatif ne fait pas obstacle en soi aux demandes de contrôle judiciaire visant des décisions ou des questions qui ne sont pas visées par le mécanisme d’appel, ni aux recours intentés par des personnes qui n’ont aucun droit d’appel ». S’il est si important de respecter les choix d’organisation institutionnelle, pourquoi certains aspects de décisions qui ne peuvent être portés en appel peuvent-ils néanmoins faire l’objet d’un contrôle judiciaire? La réponse est que le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est prévu dans la Constitution. Sur un plan constitutionnel, la limitation d’un droit d’appel ne peut éliminer le contrôle de certains aspects d’une décision selon la norme de la décision raisonnable.

Comment les tribunaux devraient-ils alors traiter les limites directes et indirectes qui sont imposées au contrôle selon la norme de la décision raisonnable après l’arrêt Vavilov? Examinons d’abord les limites directes, c’est-à-dire celles qui sont imposées par l’élimination de motifs de contrôle ou par la mention de motifs de contrôle commandant de la déférence. En l’espèce, le texte législatif peut être considéré comme une indication que le décideur devrait bénéficier d’une plus vaste marge d’appréciation. Comme c’était le cas avant l’arrêt Vavilov, les dispositions privatives ne seraient pas appliquées à la lettre, mais leur esprit serait respecté. Le contrôle sur la norme de la décision raisonnable envisagé par l’arrêt Vavilov est suffisamment large pour permettre cette solution. Dans l’arrêt Vavilov, les juges majoritaires ont reconnu que les « mots choisis par le législateur pour décrire les limites et les contours du pouvoir du décideur » peuvent varier d’une situation à l’autre, parfois en conférant au décideur « une souplesse accrue » et parfois en « limitant [...] strictement les interprétations que le décideur peut donner ». Lorsqu’un motif de contrôle est éliminé ou que la norme de la décision manifestement déraisonnable est définie comme norme de contrôle, ces dispositions peuvent être interprétées comme étant les « mots choisis par le législateur » pour donner une « souplesse accrue » au décideur. De cette manière, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est maintenu, et le cadre fondamental minimal du contrôle judiciaire inscrit dans la constitution est garanti. Il s’agit d’une solution relativement simple, qui tire avantage de la conception large du contrôle selon la norme de la décision raisonnable exposé dans l’arrêt Vavilov et qui précise avec une clarté limpide la portée du contrôle judiciaire.

La deuxième question, qui porte sur les contraintes indirectes, est un peu plus complexe. Lorsque le droit d’appel est limité aux questions de droit ou de compétence, on peut soutenir que les questions portant sur le « devoir constitutionnel » de garantir que le décideur administratif agit dans les limites de ses pouvoirs seront visées par les dispositions conférant ce droit d’appel. C’était certainement le cas auparavant, puisque ces dispositions respectaient les limites constitutionnelles définies dans l’arrêt Crevier. Cependant, le cadre fondamental minimal protégé par la constitution que j’ai associé à la norme de la décision raisonnable englobe des questions qui vont au-delà des questions de droit ou de compétence. Par exemple, les lourdes conséquences qu’une décision provoque en réalité chez une personne, en la laissant peut-être sans-abri, ne relèveraient probablement pas d’une disposition conférant un droit d’appel limité; cela poserait problème, car cela limiterait le pouvoir des cours de justice de circonscrire les pouvoirs de décideurs administratifs et de veiller à ce que l’exercice des pouvoirs de l’État puisse se justifier publiquement afin d’écarter de tels problèmes. De même, le fait qu’une décision tienne compte des arguments des parties et des éléments de preuve présentés constitue un élément clé du contrôle selon la norme de la décision raisonnable envisagé par l’arrêt Vavilov, mais là encore, ce contrôle ne ferait pas forcément partie d’une disposition conférant un droit d’appel limité. L’exigence de contemporanéité pourrait aussi entrer en jeu dans certaines affaires, puisqu’un décideur pourrait chercher, en appel, à défendre sa thèse en invoquant des documents et d’autres éléments qui n’ont pas été mentionnés dans sa décision; lors d’un appel prévu par la loi, l’analyse de la cour est axée sur le caractère correct de l’issue alors que, lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la cour est appelée à déterminer si les motifs justifient adéquatement l’issue.

Ces considérations aident à expliquer pourquoi les juges majoritaires ont refusé, dans l’arrêt Vavilov, de reconnaître qu’une disposition conférant un droit d’appel limité pourrait exclure le contrôle judiciaire des questions non visées par cette disposition. Une telle approche serait inconstitutionnelle.

[Renvois omis. Non souligné dans l’original.]

II. L’alinéa 18.1(4)d) et l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales

[119] Qui plus est, l’approche ci-dessus est conforme à l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales, la loi qui crée le droit au contrôle judiciaire devant les Cours fédérales. Comme il est mentionné plus haut, cette loi dispose que le recours au contrôle judiciaire n’est interdit que si une loi prévoit un droit d’appel à l’égard de la question visée.

[120] L’effet conjugué de cette disposition et du traitement réservé aux dispositions privatives dans la jurisprudence de la Cour suprême du Canada mène à la conclusion que les erreurs de fait commises par le TCCE sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire. Inversement, les erreurs de droit sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte sur dépôt d’un appel en vertu de l’article 68 de la Loi sur les douanes. Tout chevauchement des instances pourrait être réglé par regroupement de l’appel et de la demande ou par toute autre directive qui pourrait, de temps à autre, s’avérer nécessaire.

[121] Je m’empresse de souligner que le contrôle de questions de fait a une portée limitée, l’intervention n’étant autorisée que dans un éventail restreint d’affaires au-delà de celles qui se caractérisent par une absence totale d’éléments de preuve sur une question. Il ne devrait donc y avoir que relativement peu d’affaires ouvrant possibilité à un chevauchement.

[122] L’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales dispose qu’une conclusion de fait erronée ne peut justifier une intervention que si le décideur a fondé sa décision sur cette conclusion et qu’il l’a « tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose ». Le libellé de cette disposition énonçant le critère applicable au contrôle par les Cours fédérales de conclusions de fait déraisonnables s’apparente à ce que la Cour suprême a affirmé au sujet de la nature des conclusions de fait déraisonnables dans l’arrêt Vavilov, où les juges majoritaires ont déclaré, au paragraphe 126, qu’une conclusion de fait est déraisonnable « si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte ».

[123] En ce qui concerne plus précisément la jurisprudence interprétant l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, dans l’arrêt Rohm & Haas Canada Limited c. Canada (Tribunal Antidumping), [1978] A.C.F. no 522 (QL) (C.A.F.), le juge en chef Jacket a défini l’absurdité comme le fait d’ « avoir sciemment statué à l’opposé de la preuve » (au para. 6). Quant au critère du caractère « arbitraire » ou de la conclusion tirée sans tenir compte des éléments de preuve, de telles affaires comprendraient celles où la conclusion n’était rationnellement étayée d’aucun élément de preuve (voir, par exemple, Stelco Inc. c. British Steel Canada Inc., [2000] 3 C.F. 282 (C.A.), [2000] A.C.F. no 286 (QL), au para. 22) ou celles où le décideur a omis de tenir raisonnablement compte d’éléments de preuve importants qui étaient contraires à sa conclusion. Comme l’a fait observer le juge Evans dans la décision souvent citée Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 1 C.F. 53, 1998 CanLII 8667 (C.F.), aux paragraphes 14 à 17 :

[14] Il est bien établi que l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale n’autorise pas la Cour à substituer son opinion sur les faits de l’espèce à celle de la Commission, qui a l’avantage non seulement de voir et d’entendre les témoins, mais qui profite également des connaissances spécialisées de ses membres pour évaluer la preuve ayant trait à des faits qui relèvent de leur champ d’expertise. En outre, sur un plan plus général, les considérations sur l’allocation efficace des ressources aux organes de décisions entre les organismes administratifs et les cours de justice indiquent fortement que le rôle d’enquête que doit jouer la Cour dans une demande de contrôle judiciaire doit être simplement résiduel. Ainsi, pour justifier l’intervention de la Cour en vertu de l’alinéa 18.1(4)d), le demandeur doit convaincre celle-ci, non seulement que la Commission a tiré une conclusion de fait manifestement erronée, mais aussi qu’elle en est venue à cette conclusion “ sans tenir compte des éléments dont [elle disposait] ” : voir, par exemple, Rajapakse c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1993] A.C.F. no 649 (C.F. 1re inst.); Sivasamboo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1995] 1 C.F. 741 (C.F. 1re inst.).

[15] La Cour peut inférer que l’organisme administratif en cause a tiré la conclusion de fait erronée “ sans tenir compte des éléments dont il [disposait] ” du fait qu’il n’a pas mentionné dans ses motifs certains éléments de preuve dont il était saisi et qui étaient pertinents à la conclusion, et en arriver à une conclusion différente de celle de l’organisme. Tout comme un tribunal doit faire preuve de retenue à l’égard de l’interprétation qu’un organisme donne de sa loi constitutive, s’il donne des motifs justifiant les conclusions auxquelles il arrive, de même un tribunal hésitera à confirmer les conclusions de fait d’un organisme en l’absence de conclusions expresses et d’une analyse de la preuve qui indique comment l’organisme est parvenu à ce résultat.

[16] Par ailleurs, les motifs donnés par les organismes administratifs ne doivent pas être examinés à la loupe par le tribunal (Medina c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1990) 12 Imm. L.R. (2d) 33 (C.A.F.)), et il ne faut pas non plus les obliger à faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraires à leurs conclusions de fait, et à expliquer comment ils ont traité ces éléments de preuve (voir, par exemple, Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.)). Imposer une telle obligation aux décideurs administratifs, qui sont peut-être déjà aux prises avec une charge de travail imposante et des ressources inadéquates, constituerait un fardeau beaucoup trop lourd. Une simple déclaration par l’organisme dans ses motifs que, pour en venir à ses conclusions, il a examiné l’ensemble de la preuve dont il était saisi suffit souvent pour assurer aux parties, et au tribunal chargé du contrôle, que l’organisme a analysé l’ensemble de la preuve avant de tirer ses conclusions de fait.

[17] Toutefois, plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée “ sans tenir compte des éléments dont il [disposait] ” : Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l’obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l’organisme a examiné l’ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n’a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l’organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu’elle [sic] passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer que l’organisme n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

III. La jurisprudence de notre Cour

[124] Si l’on examine la jurisprudence pertinente de notre Cour, comme il est mentionné plus haut, notre Cour a été saisie d’une question très semblable, voire identique, dans l’affaire AFPC. Dans cette affaire, la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral (la CRTESPF) avait le statut d’intervenante dans une demande de contrôle judiciaire visant une de ces décisions et y a fait valoir que les conclusions de fait et de droit tirées par la Commission étaient largement à l’abri de contrôle en raison de l’effet conjugué de la disposition privative prévue dans sa loi habilitante et de l’importance réduite du rôle des erreurs de compétence dans la jurisprudence en droit administratif de la Cour suprême. La disposition privative pertinente, qui est identique à la disposition privative prévue dans la loi constituant le Conseil canadien des relations industrielles, est énoncée au paragraphe 34(1) de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral, L.C. 2013, ch. 40, art. 365, édictée par la Loi no 2 sur le plan d’action économique de 2013, L.C. 2013, ch. 40. Elle est rédigée ainsi :

Impossibilité de révision par un tribunal

No review by court

34 (1) Les décisions et ordonnances de la Commission sont définitives et ne sont susceptibles de contestation ou de révision par voie judiciaire que pour les motifs visés aux alinéas 18.1(4)a), b) ou e) de la Loi sur les Cours fédérales et dans le cadre de cette loi.

34 (1) Every order or decision of the Board is final and is not to be questioned or reviewed in any court, except in accordance with the Federal Courts Act on the grounds referred to in paragraph 18.1(4)(a), (b) or (e) of that Act.

[125] Notre Cour a fermement rejeté les observations de la CRTESPF, en concluant ce qui suit aux paragraphes 23 à 33 :

[23] Premièrement, elles font fi de la multitude d’arrêts rendus par notre Cour et la Cour suprême du Canada dans lesquels des décisions de la Commission, du CCRI ou de leurs prédécesseurs faisant intervenir des présumées erreurs de droit, de fait ou mixtes de fait et de droit ont été contrôlées selon la norme de la décision raisonnable (ou auparavant selon la norme de la décision manifestement déraisonnable) malgré l’existence de dispositions d’inattaquabilité au paragraphe 34(1) de la LCRTESPF et au paragraphe 22(1) du Code canadien du travail. Les 43 arrêts énumérés à l’annexe des présents motifs ont été tranchés sur ce fondement au cours des deux dernières années. Pour chaque année antérieure, plusieurs arrêts supplémentaires seraient ajoutés à la liste. Ainsi, contrairement à ce que prétend la Commission, cette question a bel et bien été définitivement tranchée par la jurisprudence.

[24] Deuxièmement, la Cour statue au au para. 18 de l’arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Emerson Milling Inc., 2017 CAF 79, [2018] 2 R.C.F. 573, que le terme « compétence », lorsqu’il figure dans une disposition tel l’alinéa 18.1(4)a) de la Loi sur les Cours fédérales, doit être interprété à la lumière du contexte historique dans lequel cette disposition s’inscrit. Cette conclusion est conforme aux principes d’interprétation selon lesquels il est impératif que le tribunal judiciaire tienne compte du contexte approprié dans l’interprétation d’une loi (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, 1998 CanLII 837, au para. 21 et Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, au para. 27).

[25] En 1990, lorsque le législateur a adopté l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, il était entendu que les erreurs de compétence en droit administratif canadien incluaient des erreurs de droit – dans les cas où la Commission était tenue à une interprétation correcte – et des interprétations législatives manifestement déraisonnables, comme il a été souligné dans l’arrêt Assoc. des pilotes. : voir aussi l’arrêt Caimaw. c. Paccar of Canada Ltd., [1989] 2 R.C.S. 983, aux p. 1003 et 1004, 1989 CanLII 49. Ces erreurs comprenaient également des constatations de fait qui seraient visées par l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, comme il est mentionné dans l’arrêt Healy. Ainsi, interprétée adéquatement dans son contexte, l’expression « erreurs de compétence », lorsqu’il s’agit d’établir un motif (par opposition à une norme) de contrôle pour l’application du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, vise les situations où la Commission fait une interprétation législative déraisonnable ou une erreur de fait tombant sous le coup de l’alinéa 18.1(4)d) de cette loi.

[26] Troisièmement, contrairement à ce que prétend la Commission, on ne saurait dire que les arrêts de la Cour suprême du Canada Dunsmuir et Khosa limitent le genre de décisions de la Commission susceptibles de contrôle judiciaire. Cette jurisprudence montre plutôt que les mêmes principes en matière de norme de contrôle s’appliquent à tous les décideurs administratifs fédéraux et que, à moins d’une des exceptions mentionnées dans l’arrêt Dunsmuir, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. C’est ce qui ressort des motifs des juges majoritaires dans l’arrêt Khosa, aux paragraphes 43 à 51, et des motifs du juge Rothstein au paragraphe 111 du même arrêt, où il aborde l’importance de l’article 22 du Code canadien du travail. Pour reprendre ses propos :

Le paragraphe 22(1) mentionne expressément le au para. 18.1(4) de la [Loi sur les Cours fédérales] pour permettre explicitement le contrôle judiciaire fondé sur des motifs touchant la compétence, l’équité procédurale, la fraude ou les faux témoignages, mais exclut la révision des erreurs de droit ou de fait. Lorsque la clause privative s’applique, c’est-à-dire dans les cas visés aux al. 18.1(4)c), d) ou f) la cour de justice doit composer avec la tension créée entre son rôle constitutionnel en matière de contrôle judiciaire et la suprématie législative. Dans ces cas, l’analyse décrite dans Dunsmuir s’applique. En revanche, dans les cas où le au para. 22(1) prévoit expressément la révision par voie judiciaire des questions de compétence, de justice naturelle et de fraude, cette analyse n’a pas sa place et c’est la norme de la décision correcte qui s’applique.

[27] Bien que les juges majoritaires dans l’arrêt Khosa ne soient pas tous d’avis que l’analyse énoncée dans l’arrêt Dunsmuir s’applique aux alinéas 18.1(4)c) à f) de la Loi sur les Cours fédérales, ils s’entendent pour dire que les questions relevant de ces alinéas sont assujetties à l’analyse énoncée dans l’arrêt Dunsmuir. Par conséquent, le paragraphe 34(1) de la LCRTESPF et le paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, lorsqu’ils sont interprétés à la lumière de leur véritable contexte, n’empêchent pas le contrôle des affaires qui nous occupent.

[28] Quatrièmement, les jugements sur lesquels la Commission s’appuie, énumérés au paragraphe 14 des présents motifs, ne lient pas la Cour quant à cette question. Au contraire, dans la mesure où ces jugements contiennent des passages susceptibles d’appuyer l’interprétation de la Commission, les commentaires sont faits par la Cour en passant et ne règlent pas la question. Les arrêts pertinents, qui tranchent la question, sont Assoc. des pilotes et Healy, qui, comme il est mentionné plus haut, contredisent directement les arguments de la Commission. Il est également pertinent de mentionner la multitude de décisions, comme celles qui ont été contestées dans la présente demande, que la Cour a contrôlées selon la norme de la décision raisonnable. Par conséquent, la jurisprudence invoquée par la Commission n’est pas déterminante.

[29] Cinquièmement, contrairement à ce que prétend la Commission, son interprétation ne permettrait pas une célérité accrue. Selon la Commission, la Cour serait tenue de décider, à titre de question préliminaire, quel alinéa du paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales s’applique à chaque argument présenté dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire et de déterminer la compétence de la Cour en fonction de la qualification de la question en litige. Ce genre d’analyse préliminaire formaliste sous forme de question fait rappeler l’époque où l’ancien article 28 (et non l’article 18) de la Loi sur les Cours fédérales limitait le contrôle aux décisions soumises à un processus judiciaire ou quasi judiciaire (voir l’arrêt Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, à la p. 197, 1985 CanLII 65 (la juge Wilson) et Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, aux p. 895 à 902, 1989 CanLII 44). Cette exigence a donné lieu à des débats alambiqués, coûteux et de longue durée sur la nature d’une décision assujettie au contrôle, qui ne contribuaient guère au fond du litige, et ces exigences ont donc été abolies dans les modifications apportées à la Loi sur les Cours fédérales en 1990 (voir la Loi modifiant la Loi sur la Cour fédérale, la Loi sur la responsabilité de l’État, la Loi sur la Cour suprême et d’autres lois en conséquence, L.C. 1990, ch. 8, art. 8). Ajouter foi à la démarche préconisée par la Commission ramènerait des débats et des atermoiements semblables dans le contrôle judiciaire, ce qui est contraire aux saines relations de travail que la LRTSPF a pour objet de favoriser. Ainsi, l’interprétation de la Commission finirait en fait par miner l’objet de la Loi.

[30] Enfin, l’interprétation de la Commission, contrairement à ce qu’elle affirme, ne respecte pas les questions de primauté du droit qui sous-tendent sur le plan constitutionnel le contrôle de l’action administrative par le pouvoir judiciaire indépendant (voir l’arrêt Dunsmuir, aux au para. 27 à 29, et l’arrêt Highwood Congregation of Jehovah’s Witnesses (Judicial Committee) c. Wall, 2018 CSC 26, au au para. 13, [2018] 1 R.C.S. 750). Compte tenu des décisions récentes de la Cour suprême du Canada, la portée des questions de compétence qui se posent dans les affaires de droit administratif est extrêmement limitée, si tant est que ces questions existent. Bien que, dans l’arrêt Dunsmuir, au au para. 59, la Cour suprême reconna[isse] que la catégorie des questions touchant véritablement à la compétence appelle la norme de la décision correcte, elle en souligne à maintes reprises la portée étroite et la rareté (voir, par exemple, l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 S.C.R. 654, au au para. 39; l’arrêt Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, [2016] 2 S.C.R. 293, au para. 26; l’arrêt Québec (Procureure générale) c. Guérin, 2017 CSC 42, [2017] 2 R.C.S. 3, au au para. 32. La Cour suprême, dans l’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, [2018] 2 R.C.S. 230, au para. 41, met en doute l’avenir de cette catégorie :

41. En réalité, la catégorie des questions touchant véritablement à la compétence est maintenue en vie artificiellement depuis l’arrêt Alberta Teachers. Jamais les juges majoritaires de la Cour n’ont reconnu un seul exemple de question de ce type, et son existence même est mise en doute depuis longtemps. Comme les parties n’ont pas présenté d’observations complètes sur cette question et son effet potentiel, s’il en est, sur le cadre d’analyse actuel applicable à la norme de contrôle, je me contenterai de réitérer le commentaire déjà formulé par la Cour, c’est-à-dire que ce sera aux éventuelles parties à un litige d’établir si cette catégorie est toujours nécessaire ou si le moment est venu, pour reprendre les termes du juge Binnie, « d’en finir avec cette catégorie de questions » une fois pour toutes (Alberta Teachers, au para. 88).

[31] Comme l’admet la Commission, reconnaître qu’il existe peu de questions touchant à la compétence, voire aucune, aurait pour effet de mettre ses décisions largement à l’abri du contrôle. Un tel résultat ne peut être soutenu.

[32] Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada souligne que le contrôle judiciaire doit pouvoir être exercé, car il s’agit d’un impératif constitutionnel, et ne peut être écarté par une disposition d’inattaquabilité ou clause privative. Au paragraphe 31, les juges Bastarache et LeBel, s’exprimant au nom de la majorité, affirment ce qui suit :

31. L’organe législatif du gouvernement ne peut supprimer le pouvoir judiciaire de s’assurer que les actes et les décisions d’un organisme administratif sont conformes aux pouvoirs constitutionnels du gouvernement. Même si elle est révélatrice de l’intention du législateur, la clause privative ne saurait être décisive à cet égard (Succession Woodward c. Ministre des Finances, 1972 CanLII 139 (CSC), [1973] R.C.S. 120, p. 127).

[33] Ainsi, pour les raisons qui précèdent, contrairement à ce que prétend la Commission, ses décisions dans les affaires qui nous occupent peuvent être contrôlées par la Cour.

[126] À mon avis, ce qui précède est déterminant et notre formation y est liée compte tenu des principes appliqués par notre Cour relativement au caractère contraignant des jugements rendus par une formation de notre Cour pour les formations qui lui succèdent (Miller c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 370, aux para. 8 à 10).

[127] Par contre, les arrêts Emerson Milling et Bell Canada ne sont pas déterminants. Ces deux jugements portaient sur le type d’erreurs pouvant faire l’objet d’un contrôle dans un appel interjeté à l’égard de questions de droit, et non sur la question dont notre Cour est saisie, à savoir si des questions de fait peuvent faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire quand il existe une disposition privative. De plus, comme le note mon collègue, les lois concernées dans les arrêts Emerson Milling et Bell Canada autorisaient des appels auprès du Cabinet fédéral en plus du droit d’appel auprès de notre Cour. Il est possible que ces dispositions aient eu pour effet d’interdire le recours au contrôle judiciaire à l’égard de questions de fait ou des questions de politique administrative dans les arrêts Emerson Milling et Bell Canada au titre de l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales.

[128] Enfin, la jurisprudence de notre Cour dans des affaires de ce genre et, d’ailleurs, l’arrêt de la Cour suprême du Canada Canada (Procureur général) c. Igloo Vikski Inc., 2016 CSC 38, [2016] 2 R.C.S. 80, ont pris en considération les questions de droit ainsi que les questions mixtes de fait et de droit dans le contexte d’appels prévus par la loi, comme le note mon collègue au paragraphe 21 de ses motifs. Cela n’a rien d’étonnant puisque la Cour suprême, dans sa jurisprudence antérieure à l’arrêt Vavilov sur le droit administratif, avait supprimé toutes les distinctions entre les appels prévus par la loi et les demandes de contrôle judiciaire. Cependant, en raison du nouveau précepte voulant que les appels soient désormais tranchés selon des principes d’examen en appel plutôt que des principes de contrôle judiciaire, les questions faisant partie de l’éventail restreint des questions de fait susceptibles de contrôle qui ne constituent pas des erreurs de droit du fait qu’elles débordent légèrement le cadre des conclusions fondées sur des éléments de preuve insuffisants doivent maintenant être soulevées au moyen d’une demande de contrôle judiciaire.

IV. Application de ces principes au présent appel

[129] Compte tenu de ce qui précède, il s’ensuit que le présent appel devrait être rejeté, car les questions mixtes de fait et de droit soulevées par l’appelant ne peuvent être soulevées dans le contexte d’un appel interjeté en vertu de l’article 68 de la Loi sur les douanes. Cela dit, si l’appelant avait déposé une demande de contrôle judiciaire, le résultat aurait été le même, car les erreurs mixtes de fait et de droit qu’il allègue sont loin de correspondre aux types d’erreurs susceptibles de contrôle au titre de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales.

[130] À cet égard, comme l’observe mon collègue, l’appelant conteste le fait que le TCCE a tenu compte des pratiques et procédures du Comité de l’OMD ainsi que de l’opinion d’une architecte d’intérieur qui a été témoin à l’audience. La prise en compte de ces éléments ne peut être qualifiée d’« abusive », car chacun était rationnellement lié aux questions dont le TCCE avait été saisi. De plus, le TCCE a expliqué adéquatement dans ses motifs la manière dont il a utilisé ces éléments de preuve. Son examen des questions contestées par l’appelant ne donnerait donc pas ouverture à un contrôle au titre de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales.

V. Dispositif proposé

[131] À la lumière de ce qui précède, je rejetterais le présent appel, avec dépens.

« Mary J.L. Gleason »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

René LeBlanc, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-348-19

 

INTITULÉ :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c.

BEST BUY CANADA LTD.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 janvier 2021

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NEAR

MOTIFS CONCOURANTS :

LA JUGE GLEASON

Y A SOUSCRIT :

LE JUGE LEBLANC

DATE DES MOTIFS :

Le 5 août 2021

COMPARUTIONS :

Andrew Gibbs

Elsa Michel

Pour l’appelant

Justin Kutyan

Thang Trieu

Pour l’intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’appelant

KPMG cabinet juridique s.r.l./S.E.N.C.R.L.

Toronto (Ontario)

Pour l’intimée

 

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