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Date : 20201201


Dossier : A-217-19

Référence : 2020 CAF 206

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

 

 

SHER-E PUNJAB RADIO BROADCASTING INC.

 

 

appelante

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

intimée

 

Audience tenue par vidéoconférence organisée par le greffe, le 6 octobre 2020.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 1er décembre 2020.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LE JUGE LASKIN

 


Date : 20201201


Dossier : A-217-19

Référence : 2020 CAF 206

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

 

 

SHER-E PUNJAB RADIO BROADCASTING INC.

 

 

appelante

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE WEBB

[1] Le présent appel fait suite à l’ordonnance rendue par la Cour canadienne de l’impôt (dossier de la Cour canadienne de l’impôt : 2015-447(IT)G), qui a rejeté l’appel interjeté par la société Sher-E Punjab Radio Broadcasting Inc. (Sher-E-Punjab Radio) pour cause de retard, en application de l’article 64 des Règles de la Cour canadienne de l’impôt (procédure générale), DORS/90-688a. Cette ordonnance avait été rendue à la suite d’une requête présentée par la Couronne.

[2] Pour les motifs qui suivent, je rejetterais le présent appel.

I. Résumé des faits

[3] Sher-E-Punjab Radio a omis de produire les déclarations de revenus de la société pour ses années d’imposition 2005 à 2012. Le 13 décembre 2013, le ministre du Revenu national (le ministre) a donc établi des cotisations pour chacune de ces années d’imposition, en application du paragraphe 152(7) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi).

[4] Le 12 mars 2014, Sher-E-Punjab Radio a déposé des avis d’opposition aux cotisations établies. Le ministre a ratifié les cotisations le 3 novembre 2014. Le 30 janvier 2015, Sher-E-Punjab Radio a déposé un avis d’appel auprès de la Cour canadienne de l’impôt.

[5] Dans ses motifs exposés de vive voix, le juge de la Cour canadienne de l’impôt a résumé en ces termes l’historique de l’appel dont la Cour avait été saisie :

  • la première ordonnance fixant les échéanciers a été rendue le 20 novembre 2015;

  • Sher-E-Punjab Radio a déposé un avis d’appel modifié en décembre 2015 et la Couronne a présenté sa réponse le 5 janvier 2016;

  • à la demande des parties, l’appel a été suspendu jusqu’au 13 juillet 2016, afin de laisser le temps à Sher-E-Punjab Radio de fournir la documentation à l’appui des nouvelles déclarations de revenus produites le 31 janvier 2016 pour ses années d’imposition 2005 à 2012;

  • Sher-E-Punjab Radio n’a pas produit la documentation exigée durant la période de suspension;

  • le 8 août 2016, la Cour canadienne de l’impôt a rendu une deuxième ordonnance fixant les échéanciers, qui prévoyait notamment que les parties avaient jusqu’au 15 septembre 2016 pour déposer et signifier leurs listes de documents;

  • alors que la Couronne a déposé et signifié sa liste de documents le 14 septembre 2016, Sher-E-Punjab Radio ne s’est pas conformée à la deuxième ordonnance de la Cour canadienne de l’impôt fixant les échéanciers;

  • une audience de justification a eu lieu le 28 mars 2017. Aux termes de l’ordonnance datée du 7 avril 2017, de nouveaux échéanciers ont été fixés, notamment une obligation de rendre compte à la Cour canadienne de l’impôt au plus tard le 29 septembre 2017;

  • conformément à une ordonnance datée du 30 octobre 2017, la Cour canadienne de l’impôt a modifié l’ordonnance du 7 avril 2017 pour enjoindre aux parties de rendre compte à la Cour avant le 5 janvier 2018;

  • conformément à une ordonnance datée du 31 janvier 2018, un nouvel échéancier a été établi et, en application de cette ordonnance, la Couronne a mené un interrogatoire préalable du représentant de Sher-E-Punjab Radio le 5 février 2018;

  • selon l’ordonnance du 31 janvier 2018, Sher-E-Punjab Radio avait jusqu’au 31 mai 2018 pour satisfaire à ses engagements;

  • Sher-E-Punjab Radio n’a pas satisfait à ses engagements dans le délai prescrit du 31 mai 2018, n’a pas demandé en temps utile que ce délai soit prorogé et n’a pas déposé de requête en vue d’obtenir une telle prorogation, bien que la Couronne et la Cour canadienne de l’impôt l’aient toutes deux informée qu’elle était tenue de le faire;

  • une deuxième audience de justification a donc eu lieu le 21 novembre 2018, auquel moment la juge Campbell devait déterminer si l’appel interjeté par Sher-E-Punjab Radio devait être rejeté pour cause de retard, comme le faisait valoir la Couronne, ou si une autre prorogation pouvait être accordée à Sher-E-Punjab Radio;

  • ainsi qu’il est indiqué dans l’ordonnance datée du 5 décembre 2018, la juge Campbell a accordé une autre prorogation à Sher-E-Punjab Radio. À cette fin, elle a modifié l’ordonnance du 31 janvier 2018 et enjoint à Sher-E-Punjab Radio de fournir des réponses à ses engagements au plus tard le 28 février 2019, et aux parties de rendre compte au coordonnateur des audiences avant le 31 mars 2019. Elle a aussi enjoint à Sher-E-Punjab Radio de payer des dépens de 500 $, quelle que soit l’issue de la cause.

[6] L’ordonnance datée du 5 décembre 2018 comportait aussi une mention précisant que, si les parties omettaient [TRADUCTION] « d’informer la Cour de l’état d’avancement de l’audit devant être fait » (ces renseignements pouvant inclure des motifs détaillés à l’appui de toute autre prorogation) au plus tard le 31 mars 2019, la Couronne pourrait présenter une requête demandant le rejet immédiat. La mention « l’audit devant être fait » renvoyait vraisemblablement à l’examen des documents et à la préparation des états de rapprochement que devait produire Sher-E-Punjab Radio. Sher-E-Punjab Radio a omis d’informer la Cour comme l’exigeait cette ordonnance. Elle a aussi omis de respecter les échéances prévues pour satisfaire aux engagements énoncés dans l’ordonnance (le 28 février 2019) et pour demander une prorogation (le 31 mars 2019). La Couronne a donc présenté une requête demandant le rejet de l’appel de Sher-E-Punjab Radio. La requête a été accueillie et l’appel de Sher-E-Punjab Radio a été rejeté, ce qui a donné lieu au présent appel.

II. Décision de la Cour canadienne de l’impôt

[7] Dans ses motifs exposés verbalement accueillant la requête de la Couronne et rejetant l’appel, le juge de la Cour canadienne de l’impôt a d’abord rappelé l’historique de l’affaire tel qu’il a été mentionné précédemment. Le juge a ensuite résumé le témoignage des deux témoins cités par Sher-E-Punjab Radio à l’audition de la requête. Les deux témoins étaient des administrateurs de Sher-E-Punjab Radio.

[8] M. Jasbir Singh Badh est un administrateur de Sher-E-Punjab Radio et il en est le directeur. Il possède également un cabinet comptable, dont le travail consiste notamment à préparer les déclarations de revenus de ses clients. Étant administrateur et directeur de Sher-E-Punjab Radio, c’est à lui qu’aurait incombé la responsabilité de produire les déclarations de revenus de la société pour les années d’imposition 2005 à 2012. L’autre témoin était M. Gurdial Singh Badh, le frère de Jasbir Singh Badh. M. Gurdial Singh Badh est agent immobilier et il laissait à son frère le soin de s’occuper de toutes les questions fiscales de Sher-E-Punjab Radio.

[9] Après avoir résumé le témoignage des deux administrateurs, le juge de la Cour canadienne de l’impôt a déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION]

[j]e suis d’avis que MM. Jasbir Singh Badh et Gurdial Singh Badh ont dans l’ensemble donné des témoignages vagues sur les motifs expliquant les longs retards observés jusqu’à maintenant dans la poursuite de l’appel [de Sher-E-Punjab Radio] et qu’ils ont aussi fait de vagues promesses sur la manière dont ils amèneraient [Sher-E-Punjab Radio] à se conformer aux nouveaux échéanciers qui lui ont été fixés. À mon avis, ils n’ont démontré aucun désir de faire avancer le présent appel et ils ont omis de se conformer à tous les volets de l’ordonnance rendue par notre Cour le 5 décembre 2018, même après avoir été informés qu’ils pourraient ne pas avoir droit à d’autres prorogations. Ils n’ont même pas donné suite à la simple mesure enjoignant [à Sher-E-Punjab Radio] de payer en temps opportun les dépens de cinq cents dollars exigés dans l’ordonnance du 5 décembre 2018.

[10] Après avoir renvoyé à la décision de notre Cour dans l’arrêt Djelebian c. Canada, 2016 CAF 26, à la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt 1196158 Ontario Inc. v. 6274013 Canada Limited et al, 2012 ONCA 544 et à la décision de la Cour canadienne de l’impôt intitulée D’Abbondanza c. Canada, [1993] A.C.I. no 393, 93 D.T.C. 1042, [1993] 2 C.T.C. 2956, le juge de la Cour canadienne de l’impôt a conclu en ces termes :

[TRADUCTION]

À mon avis, [Sher-E-Punjab Radio] a adopté, en l’espèce, une approche réactive à chacune des étapes du présent appel et, en aucun moment depuis le début de l’appel, elle n’a eu une approche proactive, et cela a eu pour effet de retarder excessivement la poursuite de son appel.

Je suis d’avis que le comportement [de Sher-E-Punjab Radio] dans cette affaire [TRADUCTION] « relève d’une attitude cavalière qui témoigne d’un mépris total des procédures de notre Cour », ce qui était également la conclusion formulée par la juge Campbell dans la décision Lichman v. R., 2000-3216(IT)G, à la page 11 des motifs de son jugement.

Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, je suis d’avis que [Sher-E-Punjab Radio] a omis en l’espèce de poursuivre son appel avec promptitude, en dépit des nombreuses occasions que notre Cour lui a données. Depuis le début de l’appel, les retards se sont enchaînés les uns après les autres. Plus récemment, la société a omis de fournir des réponses aux engagements pris le 5 février 2018, bien que plusieurs prorogations lui aient été accordées, et elle a omis de se conformer à quelque aspect de l’ordonnance rendue par notre Cour le 5 décembre 2018 à la suite de la deuxième audience de justification dans le présent appel. [Sher-E-Punjab Radio] souhaite maintenant obtenir une autre prorogation, mais ne fait que de vagues promesses quant à la manière dont elle terminera les étapes préalables à l’instruction. Je suis d’avis qu’on ne doit pas accorder d’autre prorogation de délai [à Sher-E-Punjab Radio]. La société a eu toutes les chances de se conformer aux Règles, mais elle les a laissé filer. Je suis donc d’avis que son appel devrait être rejeté en application de l’article 64 des Règles pour cause de retard.

III. Question en litige et normes de contrôle

[11] La question en litige dans le présent appel est de savoir si le juge de la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur en accueillant la requête de la Couronne et en rejetant l’appel pour cause de retard. Dans la mesure où le présent appel soulève quelque question de droit, la norme de contrôle qui s’applique est celle de la décision correcte. Dans la mesure où le présent appel soulève quelque question de fait ou question de droit et de fait (pour laquelle il n’existe aucune question de droit isolable), la norme de contrôle qui s’applique est celle de l’erreur manifeste et dominante (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33).

IV. Discussion

A. Volonté de faire avancer l’appel

[12] Le principal argument de Sher-E-Punjab Radio dans le présent appel est que le juge de la Cour canadienne de l’impôt a commis une erreur manifeste et dominante en concluant que Sher-E-Punjab Radio n’a démontré aucune volonté de faire avancer l’appel.

[13] L’erreur manifeste et dominante est un critère élevé à satisfaire pour l’appelante. La Cour suprême du Canada a adopté les descriptions suivantes d’une erreur manifeste et dominante dans l’arrêt Benhaim c. St-Germain, 2016 C.S.C. 48 :

38 Il est tout aussi utile de rappeler ce qu’on entend par « erreur manifeste et dominante ». Le juge Stratas décrit la norme déférente en ces termes dans l’arrêt South Yukon Forest Corp. c. R., 2012 CAF 165, 4 B.L.R. (5th) 31, par. 46 :

L’erreur manifeste et dominante constitue une norme de contrôle appelant un degré élevé de retenue [...] Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente, et par erreur « dominante », une erreur qui touche directement à l’issue de l’affaire. Lorsque l’on invoque une erreur manifeste et dominante, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier.

39 Ou, comme le dit le juge Morissette dans l’arrêt J.G. c. Nadeau, 2016 QCCA 167, par. 77 (CanLII), « une erreur manifeste et dominante tient, non pas de l’aiguille dans une botte de foin, mais de la poutre dans l’œil. Et il est impossible de confondre ces deux dernières notions. »

[14] Pour appuyer sa thèse voulant qu’elle ait démontré une volonté de faire avancer son appel en temps utile, Sher-E-Punjab Radio a insisté principalement sur la lettre du 21 novembre 2018 de Me Timothy Clarke, qui était à l’époque l’avocat de la société. Dans cette lettre, Sher-E-Punjab Radio exposait sa réponse à l’état d’avancement des engagements. La date de cette lettre (le 21 novembre 2018) coïncide avec celle où s’est tenue l’audience de justification devant la juge Campbell.

[15] Bien que cette lettre mentionne l’achèvement de certains engagements, plusieurs engagements restaient à terminer à cette date. La lettre énumère 28 engagements différents, ainsi que la réponse de Sher-E-Punjab Radio à chacun de ces engagements. La réponse à au moins 14 de ces engagements comprend un énoncé précisant que Sher-E-Punjab Radio est toujours à la recherche de documents, d’états de rapprochement ou de quelque autre élément indiquant que l’engagement n’est pas terminé. Il convient notamment de souligner la réponse à l’engagement correspondant au numéro 8 :

[TRADUCTION]

8. Veuillez fournir l’état de rapprochement établissant la concordance entre les dépenses inscrites sur les états financiers et les balances de vérification.

Les dépenses ont été regroupées à partir des balances de vérification afin de réduire le nombre de postes sur les états financiers. M. Badh a tenté d’établir un rapprochement, mais a été incapable de le faire jusqu’à maintenant. [Sher-E-Punjab Radio] compte embaucher un commis externe pour trouver d’autres dossiers, ainsi qu’un comptable externe pour effectuer ce travail et établir les autres rapprochements demandés durant les interrogatoires préalables.

[16] Plusieurs autres réponses figurant dans la lettre du 21 novembre 2018 font également mention de l’aide que fournira le nouveau comptable ou commis.

[17] La dernière partie de la réponse à l’engagement numéro 8 est particulièrement digne de mention. Le 21 novembre 2018, Sher-E-Punjab Radio a déclaré qu’elle était en voie d’[TRADUCTION] « embaucher un commis externe pour trouver d’autres dossiers, ainsi qu’un comptable externe pour effectuer ce travail et établir les autres rapprochements demandés durant les interrogatoires préalables ». Le 13 mai 2019, durant l’audition de la requête dans cette affaire, l’échange suivant a eu lieu entre l’avocat de Sher-E-Punjab Radio et M. Gurdial Singh Badh :

Q. Et à quel moment allez-vous embaucher le comptable et le commis aux dossiers?

R. Comme j’en ai discuté hier avec vous, je vais, vous savez, m’y mettre sans tarder, et je vais mettre une annonce et commencer immédiatement mes recherches en vue de recruter ces deux personnes.

[transcription textuelle]

[18] Bien que Sher-E-Punjab Radio ait indiqué dans sa lettre du 21 novembre 2018 qu’elle allait embaucher un commis et un comptable externes, il est clair qu’aucune mesure n’a été prise à cette fin durant la période de près de six mois qui s’est écoulée entre la date de cette lettre et la date de l’audience, le 13 mai 2019.

[19] Comme la société n’a embauché ni commis ni comptable externe, les rapprochements n’ont pu être terminés avant le 13 mai 2019. Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a résumé comme suit le témoignage de M. Jasbir Singh Badh lors de l’audition de la requête le 13 mai 2019, relativement à son défaut de satisfaire aux engagements :

[TRADUCTION]

Durant son témoignage, il a déclaré qu’il avait tenté d’obtenir ou de préparer la documentation ou les états de rapprochement nécessaires pour fournir les réponses manquantes aux engagements, mais qu’il lui avait été largement impossible de le faire en raison de la grande charge de travail de son cabinet comptable et parce qu’il était difficile de trouver des dossiers égarés après un déménagement résidentiel et commercial, à la suite duquel bon nombre des dossiers administratifs se retrouvaient maintenant répartis entre deux lieux d’entreposage.

[20] La difficulté invoquée par M. Badh de trouver les documents nécessaires pour satisfaire aux engagements restants soulève des questions quant aux documents qui ont été utilisés pour produire les déclarations de revenus de 2005 à 2012. Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a mentionné que les déclarations de revenus pour les années d’imposition en litige ont été produites le 31 janvier 2016 par Sher-E-Punjab Radio. Les interrogatoires préalables ayant donné lieu aux engagements se sont déroulés le 5 février 2018.

[21] Vraisemblablement, Sher-E-Punjab Radio possédait les documents et les renseignements nécessaires à la production des déclarations de revenus de la société pour ses années d’imposition 2005 à 2012, lorsqu’elle a préparé les déclarations produites le 31 janvier 2016. On pourrait s’attendre à ce qu’une personne qui a un cabinet comptable qui prépare des déclarations de revenus pour ses clients soit consciente de l’importance de conserver les documents utilisés dans la préparation de déclarations de revenus et d’avoir accès à ces documents, surtout si ces déclarations de revenus ont été produites après que des avis d’appel relatifs à des cotisations établies pour ces mêmes années d’imposition ont été déposés à la Cour canadienne de l’impôt.

[22] Il convient également de mentionner que, bien que la date du déménagement personnel et commercial ne ressorte pas clairement du dossier, M. Jasbir Singh Badh a déclaré durant son témoignage que le déménagement avait eu lieu avant que cesse la radiodiffusion et que M. Gurdial Singh Badh a semblé indiquer que la radiodiffusion avait cessé vers la fin de 2014. Il semble donc que le déménagement a eu lieu avant que les déclarations de revenus soient préparées et produites.

[23] Durant l’audition de la requête, l’échange suivant a eu lieu entre l’avocat de Sher-E-Punjab Radio et M. Jasbir Singh Badh, au sujet de l’état d’avancement des engagements :

Q. Donc, ce que vous voulez dire, c’est que vous avez répondu à 60 p. 100 des engagements. Est-ce exact?

R. Oui.

[…]

Q. Et quand croyez-vous pouvoir terminer les 40 p. 100 restants, Monsieur?

R. Il m’est difficile de répondre actuellement à cette question. Cependant, si je me fie au temps qu’il a fallu jusqu’à maintenant, je vais tenter de l’évaluer. Je sais que nous en avons déjà parlé, mais quoi qu’il en soit, en raison de la manière dont les choses se sont passées jusqu’à maintenant, de la manière dont les documents sont entreposés et de la façon dont se déroule la recherche des renseignements classés, je dirais entre 60 et 90 jours. Mais, sinon, nous essaierons de nous conformer à toutes les exigences le plus rapidement possible.

[transcription textuelle]

[24] Non seulement cette réponse à la question de savoir à quel moment seront terminés les engagements restants est-elle évasive, mais elle témoigne également de l’absence d’une ferme promesse de terminer les engagements dans le délai indiqué de 60 à 90 jours.

[25] Le juge de la Cour canadienne de l’impôt n’a pas fait d’erreur en concluant que Sher-E-Punjab Radio n’a démontré aucune volonté de faire avancer l’appel, à plus forte raison qu’elle n’a pu démontrer l’existence d’une erreur manifeste et dominante.

B. Défaut de payer des dépens préalablement adjugés

[26] Au paragraphe 56 de son mémoire, Sher-E-Punjab Radio prétend également que [TRADUCTION] « [l]e juge a semblé accorder une grande importance au fait que [Sher-E-Punjab Radio] n’avait pas encore payé les dépens de 500 $ (les dépens) adjugés dans l’ordonnance de décembre ». L’adjudication de dépens dans l’ordonnance de la juge Campbell datée du 5 décembre 2018 était rédigée comme suit :

[TRADUCTION]

Des dépens de 500 $ sont adjugés à l’intimé, quelle que soit l’issue de la cause.

[27] Des dépens qui sont exigibles quelle que soit l’issue de la cause, sans qu’il soit précisé qu’ils doivent être payés immédiatement, ne sont exigibles qu’au moment où une décision finale est rendue. Dans l’arrêt Teale v. United Church of Canada at Woodlawn, Nova Scotia, [1979] N.S.J. No. 23, 34 N.S.R. (2d) 313 (NSCA), la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION]

[4] L’avocat de l’intimée n’a pas attendu le présent appel et a immédiatement taxé ses dépens et recouvré les dépens auprès de l’appelant. Cependant, il n’aurait pas dû agir ainsi. Les dépens ont été adjugés quelle que soit l’issue de la cause, ce qui signifie que le demandeur pourra recouvrer ses dépens quelle que soit la partie qui obtiendra gain de cause; cependant, les dépens ne peuvent pas être taxés et perçus avant l’issue de la cause. Les dépens ne sont exigibles avant l’issue d’une cause que lorsque le tribunal en ordonne le paiement « immédiat » – Orkin, ouvrage sur les dépens, p. 62.

[28] La Cour d’appel de l’Alberta en est arrivée à une conclusion comparable dans l’arrêt 566320 Alberta Ltd. (c.o.b. Import Auto Sales) v. Lethbridge (City), 2005 ABCA 244: 27.

[TRADUCTION]

Les dépens afférents à une requête interlocutoire qu’une partie doit payer « quelle que soit l’issue de la cause » ou « quoi qu’il en soit », sans autre précision, ne sont pas exigibles immédiatement et ne doivent être payés qu’à la conclusion du litige, lorsque la question du montant total des dépens est réglée.

[29] Par conséquent, les dépens de 500 $, qui étaient exigibles quelle que soit l’issue de la cause sans qu’il soit précisé qu’ils devaient être payés immédiatement, n’étaient exigibles qu’une fois que l’affaire avait été réglée devant la Cour de l’impôt.

[30] Quoi qu’il en soit, une interprétation raisonnable des motifs exposés verbalement n’appuie pas la thèse de Sher-E-Punjab Radio selon laquelle le juge de la Cour canadienne de l’impôt a accordé une grande importance (comme l’appelante le prétend au paragraphe 59 de son mémoire) au défaut de Sher-E-Punjab Radio de payer les dépens exigibles. Il est vrai que le juge de la Cour canadienne de l’impôt a mentionné ce fait. Cependant, une interprétation raisonnable des motifs confirme que c’est plutôt le défaut global de Sher-E-Punjab Radio de poursuivre le présent appel en temps utile et, plus précisément, son défaut de donner suite aux engagements qui ont mené au rejet de l’appel pour cause de retard. Le défaut de payer les dépens adjugés dans l’ordonnance du 5 décembre 2018 n’a pas été un facteur déterminant dans le rejet de l’appel de Sher-E-Punjab Radio.

[31] La longue série de retards et, plus précisément, le défaut de Sher-E-Punjab Radio de satisfaire avant le 13 mai 2019 aux engagements pris le 5 février 2018 ont suffi pour que le juge de la Cour canadienne de l’impôt conclue que l’appel devrait être rejeté pour cause de retard, sans tenir compte du paiement ou non des dépens adjugés le 5 décembre 2018.

[32] Le défaut de Sher-E-Punjab Radio de prendre quelque mesure pour embaucher un commis et un comptable externe, durant la période de près de six mois qui s’est écoulée entre le 21 novembre 2018 (date à laquelle l’appelante mentionnait dans la lettre qu’elle était en voie d’embaucher ces personnes) et l’audience tenue le 13 mai 2019, et sa promesse renouvelée le 13 mai 2019 de prendre des mesures pour embaucher ces personnes, confirment là encore que Sher-E-Punjab Radio a eu une attitude réactive, et non proactive, dans la poursuite de son appel.

[33] On ne peut pas dire que le défaut de payer les dépens de 500 $ a été un facteur déterminant dans la décision de rejeter l’appel.

C. Rôle de l’avocat précédent

[34] Le dernier point soulevé par Sher-E-Punjab Radio est une allégation selon laquelle le juge de la Cour canadienne de l’impôt n’a pas tenu compte du rôle que l’ancien avocat de la société a joué dans le litige et dans le défaut de la société de respecter les ordonnances de la Cour. Les préoccupations soulevées par Sher-E-Punjab Radio dans son mémoire portent plus précisément sur le défaut de l’avocat de déposer une requête en vue d’obtenir une prorogation de délai pour satisfaire aux engagements, sur certaines questions que l’avocat a posées durant l’audition de la requête au sujet des états de rapprochement, ainsi que sur l’adjudication de dépens contre Sher-E-Punjab Radio dans l’ordonnance du 5 décembre 2018.

[35] En ce qui a trait au défaut de présenter une requête en prorogation, cela ne permet pas d’expliquer le défaut de Sher-E-Punjab Radio de satisfaire aux engagements en temps utile, ni aucun des autres retards ou délais non respectés. La préoccupation en l’espèce vient principalement du défaut de satisfaire aux engagements, eu égard à tous les autres retards, plutôt que du défaut de demander une autre prorogation pour terminer les engagements.

[36] Quant aux questions posées par l’ancien avocat de Sher-E-Punjab Radio à M. Jasbir Singh Badh, lors de l’audition de la requête le 13 mai 2019, la préoccupation à ce sujet est énoncée comme suit au paragraphe 64 du mémoire de Sher-E-Punjab Radio :

[TRADUCTION]

[e]n outre, le réinterrogatoire de Jasbir par Me Clark [sic] a été mené sous la forme d’un contre-interrogatoire, dans le but étonnant d’établir que [Sher-E-Punjab Radio] n’a pas fourni les rapprochements comptables exigés avant le 28 février, un fait qui était connu de Me Clarke et qui n’aidait pas la cause [de Sher-E-Punjab Radio].

[37] Cependant, la Couronne était certainement au courant, avant l’audition de la requête, que Sher-E-Punjab Radio avait omis de produire les rapprochements comptables avant le 28 février 2019. Ces questions n’ont pas permis d’obtenir des renseignements que la Couronne ne connaissait pas déjà. L’argument voulant que le fait d’avoir posé ces questions justifie notre intervention dans le présent appel n’est nullement fondé.

[38] Le dernier point soulevé concerne les dépens et est énoncé au paragraphe 65 du mémoire de Sher-E-Punjab Radio :

[TRADUCTION]

[e]nfin, dans le contexte des dépens, les administrateurs [de Sher-E-Punjab Radio] n’étaient pas présents dans la salle d’audience lors de l’audition en novembre. Par conséquent, la seule façon pour les administrateurs [de Sher-E-Punjab Radio] d’être informés de l’adjudication de dépens aurait été que Me Clarke les informe de ce fait et demande [à Sher-E-Punjab Radio] de payer la somme exigée. Or, il est fort possible que Me Clarke ait omis ces deux choses.

[39] Ce paragraphe n’est fondé sur aucune conclusion de fait ni même sur aucun élément de preuve. Il repose uniquement sur des conjectures, quant à savoir si Me Clarke a omis d’informer les administrateurs de Sher-E-Punjab Radio que la société avait été condamnée à payer des dépens. De simples conjectures sur ce qui a pu se produire ne fournissent aucun élément qui justifierait notre intervention, dans le présent appel, à l’égard de l’ordonnance rendue par le juge de la Cour canadienne de l’impôt.

[40] Quoi qu’il en soit, ainsi qu’il a été mentionné précédemment, selon une interprétation raisonnable des motifs du juge de la Cour canadienne de l’impôt, le fait que Sher-E-Punjab Radio n’avait pas encore payé, le 13 mai 2019, les dépens adjugés aux termes de l’ordonnance rendue le 5 décembre 2018 n’a pas été un facteur déterminant dans le rejet de l’appel. L’argument voulant que le juge de la Cour canadienne de l’impôt ait dû prendre en compte le rôle que Me Clarke a pu jouer dans le défaut de Sher-E-Punjab Radio de payer les dépens le 13 mai 2019 ou avant (lesquels, comme nous l’avons mentionné précédemment, n’étaient pas exigibles à cette date) n’est tout simplement pas fondé.

V. Conclusion

[41] Pour ces motifs, je rejetterais l’appel, avec dépens fixés à 2 000 $.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

« Je souscris à ces motifs.

D.G. Near, j.c.a. »

« Je souscris à ces motifs.

J.B. Laskin, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme.

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UNE ORDONNANCE DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT

PRONONCÉE DE VIVE VOIX LE 13 MAI 2019 ET SIGNÉE LE 14 MAI 2019

DOSSIER NO 2015-447(IT)G

DOSSIER :

A-217-19

 

INTITULÉ :

SHER-E PUNJAB RADIO BROADCASTING INC. c.

SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Audience par vidéoconférence tenue par le greffe

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 octobre 2020

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LE JUGE LASKIN

DATE DES MOTIFS :

Le 1er décembre 2020

COMPARUTIONS :

Kimberley L. Cook

Pour l’appelante

Max Matas

Alexander Wind

Pour l’intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Thorsteinssons LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour l’appelante

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimée

 

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