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Date : 20201006


Dossier : A-241-19

Référence : 2020 CAF 163

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE NEAR

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

KILEEL DEVELOPMENTS LTD.

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 15 septembre 2020.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 6 octobre 2020.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NEAR

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LEBLANC

 


Date : 20201006


Dossier : A-241-19

Référence : 2020 CAF 163

CORAM :

LE JUGE NEAR

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LEBLANC

 

 

ENTRE :

KILEEL DEVELOPMENTS LTD.

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NEAR

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue le 4 avril 2019 par le Tribunal canadien du commerce extérieur (le Tribunal) qui, dans ses motifs publiés le 24 avril 2019 (Kileel Developments Ltd., 2019 CanLII 110909 (CA TCCE), [2019] T.C.C.E. no 40 (QL) (motifs du Tribunal)), rejetait la plainte de la demanderesse, Kileel Developments Ltd. (Kileel), relativement à un processus de passation d’un marché public du gouvernement.

[2] En 2018, le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux Canada (le Canada) a lancé un appel d’offres pour la location de locaux à bureaux à Fredericton, au Nouveau-Brunswick. Kileel a présenté une offre, mais le contrat a été attribué à la coentreprise de Donald Bondy et d’Earl Brewer (la coentreprise). Kileel fait valoir que la soumission de la coentreprise était non conforme et que le Canada aurait dû l’exclure, ce qui aurait fait de l’offre de Kileel l’offre la plus concurrentielle. Par conséquent, le contrat aurait dû être attribué à Kileel.

[3] Le Tribunal a rejeté la plainte de Kileel, qui demande maintenant un contrôle judiciaire de cette décision.

[4] Pour les motifs exposés ci-après, je rejetterais cette demande.

II. Exposé des faits

[5] Le 14 février 2018, le Canada a publié une invitation à soumettre une déclaration d’intérêt en vue de la location de locaux à bureaux à Fredericton. Le Canada a reçu des réponses de trois parties : Kileel, la coentreprise et Ross Ventures Ltd. (Ross). Les trois proposaient de construire un nouvel immeuble.

[6] Le 2 août 2018, le Canada a envoyé un appel d’offres aux trois parties. L’appel d’offres enjoignait aux soumissionnaires d’établir les valeurs de la superficie utilisable et de la superficie locative conformément aux Directives concernant les mesures incluses dans le document. Les locaux devaient avoir une superficie utilisable d’au moins 3 310,65 mètres carrés. Il était stipulé dans les Directives concernant les mesures que la superficie locative devait englober la superficie utilisable et des « aires accessoires » (salles de toilettes, placards de service, corridors publics, etc.). La superficie locative devait donc être plus grande que celle de la superficie utilisable une fois l’immeuble achevé. Il était demandé aux soumissionnaires d’établir le coût de location annuel en multipliant le taux de location proposé pour la superficie locative multiplié par le taux de location proposé par mètre carré.

[7] L’alinéa 5a) de la partie 2 de l’appel d’offres stipulait en outre que, sans égard à la superficie locative réelle après la construction, le Canada ne paierait pas un loyer annualisé supérieur à celui qui était proposé dans l’offre de location. L’appel d’offres stipulait donc la superficie minimale exigée et le loyer maximal à payer par le Canada.

[8] Les soumissions de Kileel et de Ross proposaient des valeurs de superficie locative considérablement plus élevées que leurs valeurs de superficie utilisable. Dans la soumission de la coentreprise, les valeurs des superficies locative et utilisable étaient équivalentes. Le Canada a jugé que toutes les soumissions étaient conformes et il a procédé à l’étape finale de l’évaluation financière. Il a retenu la soumission de la coentreprise parce qu’elle proposait le coût annuel total le plus bas.

III. La décision attaquée

[9] Kileel a déposé auprès du Tribunal une plainte fondée sur le paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985, ch. 47 (4e suppl.), dans laquelle elle allègue que la soumission retenue était non conforme. Après enquête, le Tribunal a conclu que la plainte était infondée.

[10] Le Tribunal s’est également prononcé sur l’argument du Canada relativement à la compétence, lequel n’est toutefois pas soulevé dans la présente demande. Le Tribunal a jugé que l’Accord de libre-échange nord-américain conclu entre le gouvernement du Canada, le gouvernement des États-Unis d’Amérique et le gouvernement des États-Unis du Mexique le 17 décembre 1992, R.T. Can. 1994, no 2 (entré en vigueur le 1er janvier 1994) (ALENA), ainsi que le Protocole portant modification de l’Accord relatif aux marchés publics, 30 mars 2012, R.T. Can. 2014, no 12 (entré en vigueur le 6 avril 2014) (Accord révisé sur les marchés publics), s’appliquaient au processus d’appel d’offres en cause et qu’il avait par conséquent compétence pour enquêter sur la plainte.

[11] Le Tribunal a établi que la question centrale était celle de savoir si l’exigence de l’appel d’offres voulant que la valeur de la superficie locative soit supérieure à celle de la superficie utilisable au moment de la présentation des soumissions était essentielle. Autant l’ALENA que l’Accord révisé sur les marchés publics prévoient que les soumissions doivent satisfaire seulement aux conditions ou prescriptions « essentielles » pour être réputées conformes (alinéa 1015(4)a) de l’ALENA; paragraphe XV(4) de l’Accord révisé sur les marchés publics).

[12] Le Tribunal a considéré que cette question relevait de l’interprétation des clauses contractuelles. Au paragraphe 60 de ses motifs, le Tribunal cite un passage du paragraphe 64 de l’arrêt Tercon Contractors Ltd. c. Colombie-Britannique (Transports et Voirie), 2010 CSC 4, [2010] 1 R.C.S. 69 [arrêt Tercon] de la Cour suprême du Canada pour faire valoir qu’aux fins de son interprétation, une clause contractuelle, « ne doi[t] pas être considérée isolément mais en harmonie avec les autres et à la lumière de son objet et du contexte commercial dans lequel elle s’inscrit ».

[13] Selon l’interprétation du Tribunal, l’alinéa 5b) de la partie 1 et l’article 5 de la partie 2 de l’appel d’offres exigeaient que les soumissionnaires indiquent les valeurs des superficies utilisable et locative conformément aux Directives concernant les mesures incluses dans l’appel d’offres. Le Tribunal a reconnu qu’il découlait des Directives concernant les mesures que la valeur de superficie locative serait forcément supérieure à celle de la superficie utilisable une fois la construction de l’immeuble achevée. Toutefois, adhérant à l’arrêt Tercon, le Tribunal a examiné l’objet des clauses pertinentes, le processus dans son intégralité et le contexte commercial et en est venu à la conclusion que les soumissionnaires n’étaient pas tenus, au moment de la présentation des soumissions, d’indiquer une valeur de la superficie locative supérieure à celle de la superficie utilisable (motifs du Tribunal, aux paragraphes 72 à 80).

[14] Le Tribunal a précisé que « la mesure réelle de la superficie locative ne pourra nécessairement être établie que lorsque les bâtiments seront construits et que ces mesures auront été vérifiées par le locataire, conformément aux Directives concernant les mesures » (motifs du Tribunal, au paragraphe 73). Autrement dit, toutes les parties au processus avaient compris qu’il serait peu probable que la valeur de la superficie locative proposée dans la soumission corresponde exactement à la valeur réelle une fois la construction achevée. De l’avis du Tribunal, les soumissionnaires devaient proposer une valeur de la superficie locative dans le simple but de permettre le calcul du loyer annuel maximum découlant de la soumission (motifs du Tribunal, aux paragraphes 73 et 74). Ce but était réalisé par la proposition d’une valeur de superficie locative correspondant à la valeur de la superficie utilisable puisque l’article 5 de la partie 2 stipulait que le Canada paierait le loyer annualisé calculé au moment de la présentation de la soumission même si la superficie locative s’avérait supérieure une fois la construction achevée.

[15] Aux yeux du Tribunal, il n’était donc pas essentiel que la valeur de la superficie locative proposée dans une soumission soit supérieure à celle de la superficie utilisable. Il a jugé par ailleurs que la coentreprise n’avait pas dérogé à une exigence essentielle de procédure – à savoir que sa soumission était conforme et valablement retenue par le Canada. Pour ces raisons, le Tribunal a conclu que la plainte était infondée.

IV. Question en litige et norme de contrôle

[16] L’unique question à trancher en l’espèce est celle de savoir si la décision du Tribunal était raisonnable.

[17] Les parties conviennent que la norme applicable au contrôle est celle de la décision raisonnable. Bien que les parties aient présenté leurs observations écrites avant la publication de l’arrêt de la Cour suprême du Canada intitulé Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, 441 D.L.R. (4th) 1 [arrêt Vavilov], celui-ci n’a aucune incidence sur la manière dont notre Cour doit aborder la présente demande. Plus précisément, la Cour doit établir si le raisonnement suivi par le Tribunal manque de logique interne et s’il est indéfendable compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes (arrêt Vavilov, au paragraphe 101).

V. Discussion

[18] Kileel estime que le Tribunal a commis trois erreurs en concluant qu’il n’était pas essentiel pour les soumissionnaires de se conformer aux Directives concernant les mesures et de proposer une valeur de la superficie locative supérieure à celle de la superficie utilisable. Kileel reproche au Tribunal d’avoir préféré à tort l’interprétation subjective qu’a donnée le Canada aux exigences de l’appel d’offres au détriment d’une perspective plus objective. Selon Kileel, il ressort d’une analyse objective que la conformité parfaite aux Directives concernant les mesures constituait une exigence essentielle du processus d’appel d’offres. Comme dernier argument, Kileel plaide que le Tribunal a commis une erreur en souscrivant à l’évaluation du Canada comme quoi la soumission de la coentreprise était conforme, ce qui de l’avis de Kileel était fondée sur des [traduction] « pratiques non divulguées en matière de location commerciale » et faisait fi des principes juridiques et des objectifs stratégiques régissant les processus d’appel d’offres.

[19] Avant d’examiner les arguments de Kileel, je tiens à souligner que, malgré la jurisprudence Vavilov, il reste primordial d’examiner le caractère raisonnable d’une décision judiciaire en la considérant « comme un tout et [de] s’abstenir de faire une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes et Papier Irving Ltée, 2013 CSC 34, [2013] 2 R.C.S. 458, au paragraphe 54, citant l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, au paragraphe 14, confirmé à nouveau dans l’arrêt Vavilov, au paragraphe 102).

[20] Dans cette optique, il n’incombe pas à notre Cour de faire sa propre analyse de l’importance relative des exigences de l’appel d’offres. Il lui est simplement demandé d’établir si le raisonnement du Tribunal manquait de logique interne et si sa décision était raisonnable compte tenu du contexte juridique et factuel (l’arrêt Vavilov, au paragraphe 101).

[21] Je ne suis pas convaincu que la décision du Tribunal était déraisonnable. J’estime au contraire qu’elle est à la fois intrinsèquement cohérente et raisonnable à la lumière des faits de l’espèce de même que des règles et des principes de droit applicables.

[22] Le Tribunal s’est intéressé principalement à l’objet global du processus de passation du marché public et au lien entre cet objet et les exigences précises imposées aux soumissionnaires dans l’appel d’offres (voir notamment les motifs du Tribunal, au paragraphe 65 : « [...] il faut examiner ce libellé dans le contexte des exigences de l’appel d’offres, de l’objet de ces articles et de l’objet de l’appel d’offres dans son intégralité »). Le Tribunal a conclu qu’il aurait été impossible d’établir la superficie locative de manière définitive avant l’achèvement de la construction (motifs du Tribunal, au paragraphe 73). Selon le Tribunal, il était demandé d’indiquer la mesure de la superficie locative dans la soumission principalement pour établir le loyer maximal que le Canada devrait payer.

[23] Le Tribunal a tiré cette conclusion en constatant la présence d’un mécanisme d’ajustement dans l’appel d’offres. Selon ce mécanisme, même si la superficie locative définitive s’avérait plus grande que celle qui avait été proposée une fois la construction achevée, le loyer annualisé définitif que devrait payer le Canada ne devait pas dépasser le montant calculé au moment de la présentation de la soumission. Le Tribunal observe ce qui suit au paragraphe 68 de ses motifs :

Cependant, l’alinéa 5a) de la partie 2 – Offre de location irrévocable, énonce que « les montants à payer aux termes du bail seront calculés d’après la moindre des superficies suivantes : la superficie locative mesurée que le locataire déterminera ou la superficie locative des locaux indiquée dans l’offre irrévocable de location. […] Par l’effet de l’alinéa 5a) de la partie 2, le loyer annuel de base n’augmentera pas si la superficie locative est supérieure à ce qui était indiqué dans l’offre irrévocable de location; la valeur qui changera est le taux de location au mètre carré. Par conséquent, le gouvernement ne peut jamais se voir imposer un loyer plus élevé que celui indiqué dans l’offre. »

[Italique ajouté par le Tribunal.]

[24] Le Tribunal a donc jugé que le Canada demandait aux soumissionnaires de proposer une mesure pour la superficie locative dans le but premier de calculer le loyer annualisé et pour qu’ils comprennent bien que le loyer annualisé indiqué dans leur soumission ne pourrait pas augmenter même si la superficie locative s’avérait plus grande une fois la construction achevée. Ce raisonnement me semble à la fois logique et cohérent.

[25] Poursuivant ce raisonnement, le Tribunal a jugé que l’exigence pour les soumissionnaires de proposer une valeur supérieure pour la superficie locative que pour la superficie utilisable n’était pas essentielle au bon fonctionnement du processus d’appel d’offres dans son intégralité. Le Canada avait engagé un processus de passation d’un marché public dans le but de louer, au moindre coût, des locaux à bureaux correspondant à ses besoins, et qui satisfaisaient donc à l’exigence liée à l’espace utilisable. Comme il était stipulé dans l’offre que le coût annuel définitif ne devait pas augmenter même si la superficie locative était supérieure à celle qui avait été proposée, le Tribunal a estimé qu’il n’était pas essentiel d’indiquer une mesure exacte de la superficie locative au moment de la présentation de la soumission. Je ne relève aucune erreur dans cette conclusion du Tribunal.

[26] Kileel fait valoir néanmoins que la décision du Tribunal est déraisonnable dans la mesure où elle ne découle pas d’une application juste des principes de l’interprétation contractuelle en common law.

[27] En clair, la question ici n’est pas de savoir si les modalités de l’appel d’offres imposaient aux soumissionnaires de proposer une valeur de la superficie locative supérieure à celle de la superficie utilisable. Toutes les parties conviennent que cette exigence est énoncée dans le libellé de l’appel d’offres. Toutefois, la question en litige ici est le fait que Kileel a considéré que cette exigence était essentielle, à l’inverse du Canada et de la coentreprise.

[28] Selon Kileel, le Tribunal a finalement souscrit à l’interprétation du Canada et, ce faisant, a forcément fait primer une interprétation subjective sur celle qui aurait été raisonnable et objective.

[29] Je ne suis pas de cet avis. Le Tribunal n’a pas fondé son raisonnement sur une interprétation subjective des exigences essentielles par le Canada. À n’en pas douter, le Tribunal était bien au fait de son obligation de définir objectivement les exigences essentielles. Après avoir effectué cette analyse objective, il est parvenu à la conclusion qu’il n’était pas essentiel de proposer dans les soumissions une valeur de la superficie locative supérieure à celle de la superficie utilisable. Le Tribunal a écrit ce qui suit au paragraphe 79 :

Dans l’appel d’offres, il est clair que, indépendamment de la valeur de la surface locative et du taux de location, le loyer annuel de base résultant serait établi au moment de la présentation de l’offre, serait utilisé à des fins d’évaluation et deviendrait le montant du loyer annuel définitif de l’offre retenue. Tous les offrants étaient au courant de cette modalité et ont agi en conséquence. Lors de l’évaluation des offres, [le Canada] n’est pas allé au-delà des valeurs des superficies locatives fournies par les offrants et a simplement utilisé ces chiffres sans réserve aux fins de l’évaluation.

Le Tribunal était donc d’avis qu’il était à la fois clair d’un point de vue objectif et compris d’un point de vue subjectif que la valeur de la superficie locative était exigée dans la soumission dans le but seulement de fixer la valeur maximale du coût annuel total de location. Le but n’était pas d’établir la superficie locative réelle ou de permettre au Canada d’évaluer les soumissions en fonction de la superficie locative proposée. Je partage d’ailleurs l’avis du Tribunal selon lequel ce but est objectivement clair si l’on considère que le document d’appel d’offres prévoit expressément comment serait traitée une éventuelle différence, potentiellement importante, entre la superficie locative définitive et celle proposée dans la soumission retenue.

[30] Kileel soutient également que le Canada a jugé que la soumission de la coentreprise était conforme en se fondant sur des [traduction] « pratiques non divulguées en matière de location commerciale », et qu’en y faisant référence, le Tribunal a avalisé cette démarche erronée.

[31] Je ne suis pas de cet avis. Le Canada et le Tribunal ont évoqué des pratiques courantes en matière commerciale simplement pour rendre compte du contexte commercial dans lequel le contrat a été formé. Il faut prendre en compte ce contexte aux fins de l’interprétation d’un contrat, d’autant plus s’il est issu d’un appel d’offres (arrêt Tercon, aux paragraphes 67 et 68). Il était donc raisonnable pour le Tribunal d’en tenir compte.

[32] La plainte de Kileel est fondée sur l’ALENA et l’Accord révisé sur les marchés publics, qui tous les deux prévoient que seules les soumissions conformes aux conditions (ou prescriptions) « essentielles de l’appel » d’offres soient prises en considération (ALENA, alinéa 1015(4)a); Accord révisé sur les marchés publics, paragraphe XV(4)) [non souligné dans l’original]. Comme le fait remarquer la Cour suprême dans l’arrêt Tercon, il est généralement inféré que l’exigence voulant que seules soient examinées les soumissions conformes vise à assurer l’équité et, partant, à « favoris[er] l’intégrité et l’efficacité commerciale du processus d’appel d’offres » (au paragraphe 69).

[33] Autrement dit, le but de l’exigence juridique de conformité aux exigences « essentielles » ou « importantes » n’est pas d’exclure toute soumission dont certains détails techniques ou peu importants ne satisfont pas aux exigences de l’appel d’offres. L’idée n’est pas de pénaliser les soumissionnaires qui ont commis des erreurs mineures qui n’auront aucune incidence sur l’issue de l’appel d’offres. Le but est plutôt d’empêcher qu’un soumissionnaire compromette le processus en étant avantagé, au détriment des autres soumissionnaires, par une soumission non conforme aux exigences de l’appel d’offres (voir notamment l’arrêt Tercon, aux paragraphes 67 à 69).

[34] En l’espèce, l’élément non conforme de la soumission retenue était un détail technique qui, de l’avis du Tribunal, n’avait pas d’incidence importante sur l’issue du processus d’appel d’offres. Il s’ensuivait, selon le Tribunal, que l’exigence de proposer une valeur de la superficie locative supérieure à celle de la superficie utilisable n’était pas essentielle au moment de la présentation des soumissions. Il s’agit d’une conclusion raisonnable,

[35] Je ne relève en fait aucune erreur de la part du Tribunal. L’ALENA, l’Accord révisé sur les marchés publics et la théorie de common law n’imposent pas la conformité à toutes les exigences, mais seulement à celles qui sont essentielles. Il peut être toléré que les soumissions retenues dérogent de façon négligeable aux exigences de l’appel d’offres qui ne sont pas essentielles si les autres soumissionnaires ne sont pas indûment lésés. Une soumission peut être jugée conforme malgré certains écarts mineurs.

[36] À mon avis, le Tribunal était fondé à conclure que l’exigence de proposer une valeur de la superficie locative supérieure à celle de la superficie utilisable n’était pas essentielle. Cette conclusion est défendable si l’on considère le contexte factuel de l’espèce et les règles de droit auxquelles était tenu le Tribunal (arrêt Vavilov, au paragraphe 101).

[37] Il était par conséquent raisonnable de la part du Tribunal de conclure que la plainte de Kileel n’était pas fondée.

VI. Conclusion

[38] Par conséquent, je rejetterais la présente demande, avec dépens.

« D.G. Near »

j.c.a.

« Je souscris à ces motifs.

Yves de Montigny, j.c.a. »

« Je souscris à ces motifs.

René LeBlanc, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-241-19

APPEL D’UN JUGEMENT OU D’UNE ORDONNANCE DU TRIBUNAL CANADIEN DU COMMERCE EXTÉRIEUR DU 4 AVRIL 2019, NO PR-2018-042.

DOSSIER :

A-241-19

 

 

INTITULÉ :

KILEEL DEVELOPMENTS CANADA LTD. c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 septembre 2020

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE NEAR

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE DE MONTIGNY

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

Le 6 octobre 2020

 

COMPARUTIONS :

Riyaz Dattu

Waleed Malik

 

Pour la demanderesse

 

Andrew Gibbs

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour le défendeur

 

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