Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20200331


Dossier : A-129-19

Référence : 2020 CAF 68

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

VALERO ENERGY INC.

intimée

Audience tenue à Montréal (Québec), le 24 février 2020.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 31 mars 2020.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE RIVOALEN

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 


Date : 20200331


Dossier : A-129-19

Référence : 2020 CAF 68

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

LA JUGE RIVOALEN

 

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

appelant

et

VALERO ENERGY INC.

intimée

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE RIVOALEN

I.  Introduction

[1]  La question à trancher dans les présents appel et appel incident est de savoir si la Cour fédérale (2019 CF 319, motifs de la juge St-Louis) a commis une erreur en radiant seulement une partie de l’avis de demande de contrôle judiciaire de Valero Energy Inc. (Valero) daté du 20 avril 2018 (la demande) et en autorisant que d’autres parties soient maintenues, après avoir conclu que ces dernières n’étaient pas irrégulières au point que la demande n’ait aucune chance d’être accueillie.

[2]  Dans sa demande, Valero conteste le fait qu’on l’oblige à fournir certains documents et renseignements en réponse à une demande de renseignements formulée en vertu du paragraphe 231.2(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi) dans le cadre d’une vérification visant ses années d’imposition 2011 à 2015. En outre, Valero demande une déclaration selon laquelle, dans sa vérification, le ministre du Revenu national (le ministre) ne peut pas exiger qu’elle réponde à des questions ni qu’elle produise des documents dans le cadre de la vérification sur la conformité à l’article 105 du Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945 (le Règlement). À titre subsidiaire, Valero demande une déclaration selon laquelle l’Agence du revenu du Canada (l’Agence) lui avait affirmé qu’aucune retenue ni déduction n’était requise en vertu de l’article 105 du Règlement ou selon laquelle elle avait des attentes légitimes en ce sens. Enfin, également à titre subsidiaire, Valero invoque l’exercice qu’a fait le ministre de son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 153(1.1) de la Loi, qui lui permet de fixer à une somme inférieure le montant de la retenue à effectuer au titre du paragraphe 153(1) de la Loi.

[3]  Devant la Cour fédérale, le procureur général du Canada (la Couronne) a affirmé que la demande devait être radiée dans son intégralité. Valero a soutenu que la demande devait être laissée intacte dans son intégralité. La Cour fédérale a donné partiellement raison aux deux parties.

[4]  La Cour fédérale a souscrit à la thèse de Valero et a conclu que la Couronne ne s’était pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer que la demande n’avait aucune chance d’être accueillie en ce qui concerne trois paragraphes où étaient énoncées les mesures demandées (motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 6). Les mesures demandées qui ont survécu à la requête en radiation se résument ainsi (motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 2) :

  1. une ordonnance annulant la demande de renseignements du ministre datée du 18 juillet 2017 dans laquelle celui-ci demande certains documents et renseignements relatifs à des services de transport international rendus au Canada;

  2. une déclaration selon laquelle, en vertu des principes du droit administratif et des théories de la préclusion promissoire et des attentes légitimes, le ministre ne peut, dans les circonstances en l’espèce, exiger de Valero qu’elle se conforme à la demande de renseignements;

  3. à titre subsidiaire, une déclaration selon laquelle l’Agence a affirmé à Valero qu’aucune retenue ni déduction n’était requise au titre de l’article 105 du Règlement pour les services de transport international ou selon laquelle Valero avait des attentes légitimes en ce sens.

[5]  Cependant, la Cour fédérale a donné raison à la Couronne et a radié de la demande présentée par Valero la partie dans laquelle cette dernière demandait une déclaration selon laquelle le refus du ministre d’exercer en sa faveur le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 153(1.1) était arbitraire et déraisonnable, et par conséquent invalide. La Cour fédérale a estimé qu’il était trop tôt pour examiner le pouvoir discrétionnaire qu’a le ministre en vertu du paragraphe 153(1.1) de la Loi. Elle a conclu que Valero n’avait pas saisi la Cour d’une décision pouvant faire l’objet d’un contrôle (motifs de la Cour fédérale, aux paragraphes 6, 38 et 39). La Cour fédérale a également radié un paragraphe connexe dans lequel Valero demandait une ordonnance provisoire en vertu de la Règle 55 des Règles des Cours fédérales, D.O.R.S./98-106 (les Règles), qui l’aurait exemptée de l’obligation de présenter des demandes distinctes conformément à la Règle 302 des Règles.

[6]  Pour les motifs qui suivent, j’accueillerais le présent appel et je rejetterais l’appel incident. La demande dans son ensemble devrait être radiée.

II.  Les faits

[7]  La Cour fédérale a présenté les faits et les dispositions législatives pertinentes aux paragraphes 7 à 14 de ses motifs, mais il est utile d’en répéter certains ici pour établir le contexte.

[8]  La demande expose certains fondements factuels et juridiques qui constituent l’énoncé des motifs justifiant les mesures demandées.

[9]  Il est précisé dans la demande que Valero fabrique, distribue et vend des carburants de transport. Elle importe au Canada des produits pétroliers bruts de pays étrangers et les achemine à sa raffinerie située à Lévis, au Québec. Valero paie des frais pour les services de transport international fournis par des transporteurs qui sont des non-résidents du Canada. Du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2015, Valero n’a pas effectué la retenue de 15 % sur ses paiements aux transporteurs non-résidents exigée par le paragraphe 105(1) du Règlement (avis de demande, dossier d’appel, vol. 1, onglet 4, p. 36, au paragraphe 17).

[10]  L’Agence procède actuellement à la vérification fiscale de Valero pour les années d’imposition 2011 à 2015. Dans le cadre de cette vérification, l’Agence examine les paiements que Valero a effectués relativement aux services de transport international fournis par les transporteurs non-résidents.

[11]  Valero déclare qu’elle se fonde sur une pratique bien établie et une politique administrative de longue date de l’Agence lui permettant de ne pas effectuer la retenue de 15 % sur les paiements aux transporteurs non-résidents. Valero affirme que cette pratique et cette politique sont parfaitement sensées, parce que, dans les années précédentes, l’impôt sur le revenu que devaient payer les non-résidents sur leurs revenus provenant du transport international avait toujours été nul.

[12]  En outre, Valero affirme que les exigences quant aux retenues à effectuer au titre de l’article 105 du Règlement ne s’appliquent qu’à la partie des services de transport international rendus au Canada, ce qui rend très difficile pour Valero de déterminer le montant des retenues. Elle fait observer que plusieurs facteurs peuvent servir à déterminer les frais versés pour les services rendus au Canada et ceux rendus à l’étranger (avis de demande, dossier d’appel, vol. 1, onglet 4, p. 36, au paragraphe 16).

[13]  En outre, Valero soutient qu’elle a demandé à de nombreuses reprises, lors de réunions entre ses consultants et l’Agence, une exemption à l’obligation d’effectuer des retenues au titre de l’article 105 du Règlement (mémoire des faits et du droit de l’intimée, au paragraphe 107). Valero soutient que l’Agence n’a pas contesté les affirmations de ses consultants. Valero invoque également une lettre datée du 5 janvier 2000 envoyée par l’Agence aux consultants, laquelle confirme les pratiques que suit actuellement le ministre lorsqu’il s’agit d’appliquer l’article 105 du Règlement dans des situations où des services de transport international sont rendus au Canada.

[14]  La demande divulgue l’offre écrite faite par Valero à l’Agence de rendre disponibles tous les renseignements sur le transport international exigés dans la demande de renseignements, à condition que le ministre s’engage à ne pas établir de cotisation quant à l’impôt à retenir en application de l’article 105 du Règlement à l’égard des paiements versés pour la partie des services de transport international rendus au Canada au cours de la période visée (avis de demande, dossier d’appel, vol. 1, onglet 4, p. 38.1, au paragraphe 31).

[15]  Enfin, Valero reconnaît qu’elle n’a pas retenu ni déduit de sommes d’argent comme l’exige l’article 105 du Règlement. Elle admet n’avoir jamais officiellement demandé d’exemption aux exigences de l’article 105 du Règlement.

III.  La norme de contrôle

[16]  Notre Cour doit appliquer la norme de contrôle énoncée dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, pour trancher les présents appel et appel incident interjetés à l’encontre du jugement de la Cour fédérale. La norme de contrôle applicable aux questions de droit est celle de la décision correcte. Les conclusions de fait et les inférences de fait doivent être examinées selon la norme de l’erreur manifeste et dominante. Les conclusions mixtes de fait et de droit doivent être examinées selon la même norme empreinte de retenue, à moins qu’une erreur de droit puisse être isolée, auquel cas cette erreur est examinée selon la norme de la décision correcte.

IV.  Les questions en litige dans l’appel et l’appel incident

[17]  La Couronne soulève quatre questions dans le présent appel.

[18]  Premièrement, elle soutient que la Cour fédérale a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la demande de renseignements était un « objet » au sens du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, et non une « décision » au sens du paragraphe 18.1(2).

[19]  Deuxièmement, la Couronne affirme que le délai de 30 jours imposé par le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales pour le dépôt de la demande s’applique. Valero a déposé sa demande après l’expiration de ce délai. Elle n’a pas déposé de requête distincte en prorogation de délai avant de déposer sa demande. Par conséquent la demande devrait être radiée.

[20]  Troisièmement, la Couronne soutient que la demande devrait être radiée, car sa véritable nature consiste en une contestation indirecte d’une cotisation ou en une tentative d’empêcher le ministre d’établir une cotisation.

[21]  Quatrièmement, la Couronne fait valoir que l’alinéa 1(c) de la demande devrait être radié, car il se rapporte à la contestation de Valero visant le pouvoir discrétionnaire conféré au ministre par le paragraphe 153(1.1) de la Loi, laquelle a été jugée prématurée et contraire à la Règle 302 .

[22]  Dans l’appel incident, Valero soulève trois questions.

[23]  Premièrement, elle fait valoir que la Cour fédérale a commis une erreur en radiant la requête présentée par Valero demandant une déclaration selon laquelle le refus du ministre d’exercer en sa faveur le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 153(1.1) était arbitraire et déraisonnable, donc invalide.

[24]  Deuxièmement, elle soutient que la Cour fédérale a commis une erreur lorsqu’elle a radié la demande d’ordonnance provisoire que Valero a présentée en vertu de la Règle 55 qui l’aurait exemptée de l’obligation de présenter des demandes distinctes conformément à la Règle 302.

[25]  Troisièmement, elle soutient que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que les affidavits des parties étaient irrecevables.

V.  Le critère applicable aux requêtes en radiation d’actes de procédure

[26]  Dans l’arrêt Canada (Revenu national) c. JP Morgan Asset Management (Canada) Inc., 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557, au paragraphe 47 [JP Morgan], notre Cour a établi le critère à appliquer dans les requêtes en radiation d’avis de demande de contrôle judiciaire : la Cour n’accepte de radier une demande que si elle n’a aucune chance d’être accueillie, parce qu’il y a « un vice fondamental et manifeste qui se classe parmi les moyens exceptionnels qui infirmeraient à la base sa capacité à instruire la demande ». La Cour fédérale a, à juste titre, cité ce critère (motifs de la Cour fédérale, au paragraphe 6).

VI.  Analyse des questions soulevées dans les appels

[27]  Bien que les parties soulèvent plusieurs questions principales et subsidiaires dans les présents appel et appel incident, à mon avis, une seule question suffit à trancher les appels. Si l’on examine l’ensemble de la demande, en particulier ses fondements factuels, la véritable question est celle de savoir si l’on peut empêcher le ministre d’exercer le pouvoir que lui confère le paragraphe 231.2(1) de la Loi. Bien que le présent appel porte sur la radiation d’une demande de contrôle judiciaire sur le fondement de principes de droit administratif, il consiste essentiellement en l’examen du pouvoir que confère au ministre le paragraphe 231.2(1) de la Loi de formuler une demande de renseignements qui servira à une vérification. Un examen plus approfondi du libellé du paragraphe 231.2(1) est révélateur.

Production de documents ou fourniture de renseignements

Requirement to provide documents or information

231.2 (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et, pour l’application ou l’exécution de la présente loi (y compris la perception d’un montant payable par une personne en vertu de la présente loi), d’un accord international désigné ou d’un traité fiscal conclu avec un autre pays, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d’une personne, dans le délai raisonnable que précise l’avis :

231.2 (1) Notwithstanding any other provision of this Act, the Minister may, subject to subsection (2), for any purpose related to the administration or enforcement of this Act (including the collection of any amount payable under this Act by any person), of a listed international agreement or, for greater certainty, of a tax treaty with another country, by notice served personally or by registered or certified mail, require that any person provide, within such reasonable time as is stipulated in the notice,

a) qu’elle fournisse tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire;

(a) any information or additional information, including a return of income or a supplementary return; or

b) qu’elle produise des documents.

(b) any document.

[28]  Le texte est clair. Le ministre peut, pour l’application ou l’exécution de la Loi, y compris la perception d’un montant payable en vertu de la Loi, exiger d’une personne qu’elle fournisse tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire ou qu’elle produise des documents. Cet outil permet au ministre d’appliquer et d’exécuter correctement la Loi. Le ministre doit parfois avoir accès à des renseignements et à des documents au cours d’une vérification afin d’examiner les déclarations de revenus sans commettre d’erreur et de décider s’il y a lieu d’établir une cotisation. Dans les appels dont nous sommes saisis, ces renseignements, une fois fournis, permettraient au ministre de terminer son examen des déclarations de Valero pour les années d’imposition 2011 à 2015 et de déterminer s’il doit établir une cotisation.

VII.  L’énoncé des mesures demandées

[29]  Dans la demande, Valero sollicite une ordonnance annulant la demande de renseignements formulée le 18 juillet 2017 lui enjoignant de fournir des renseignements et des documents en application du paragraphe 231.2(1) de la Loi, dans la mesure où elle concerne le transport international. À mon avis, cette première mesure demandée permet de déterminer s’il y a lieu de maintenir ou d’annuler la demande. Elle constitue la clef de voûte qui maintient ensemble les éléments de la demande. Si cette mesure ne peut être accordée, la demande entière doit être radiée.

[30]  En ce qui concerne la première question de la Couronne, il s’agit de déterminer si, compte tenu des faits en l’espèce, la demande de renseignement constitue une « décision » au sens du paragraphe 18.1(2) ou un « objet » au sens du paragraphe 18.1(1). S’il s’agit d’une décision, la demande a été déposée après l’expiration du délai de 30 jours fixé par la Loi sur les Cours fédérales.

[31]  La Cour fédérale a conclu que la demande de renseignements en l’espèce était un « objet » et que, par conséquent, le délai de 30 jours ne s’appliquait pas. Elle s’est fondée sur la décision Rosenberg c. Canada (Revenu national), 2015 CF 549 [Rosenberg] pour tirer cette conclusion. La Couronne soutient qu’il y a lieu de faire une distinction entre l’affaire dont nous sommes saisis et l’affaire Rosenberg.

[32]  Je partage cet avis. Dans les appels dont nous sommes saisis, j’estime qu’il serait plus juste de qualifier de décision la demande de renseignements en cause. Valero définit la mesure qu’elle demande en s’appuyant sur une politique administrative et des déclarations. En l’espèce, contrairement aux faits dans l’affaire Rosenberg, il n’y a pas d’entente écrite entre les parties ni d’arguments concernant la nature contraignante et la portée de cette entente écrite. Une politique administrative et des déclarations ne sont pas la même chose qu’une entente écrite entre l’Agence et un contribuable.

[33]  En outre, j’établirais une distinction entre l’arrêt Airth c. Canada (Revenu national), 2006 CF 1442 [Airth] et les appels dont nous sommes saisis. Dans l’arrêt Airth, le contrôle judiciaire visait l’ensemble du processus de vérification et 42 demandes de renseignements avaient été formulées (Airth, aux paragraphes 2, 8 et 9). En l’espèce, une seule demande de renseignements a été envoyée.

[34]  Malgré mes observations sur le fait que la demande de renseignements soit une « décision » en l’espèce, je considère qu’il n’est pas nécessaire d’examiner le deuxième argument de la Couronne, selon lequel la demande devrait être radiée parce qu’elle a été présentée après l’expiration du délai. S’il s’agissait de la seule question dont nous sommes saisis, la demande ne serait vraisemblablement pas radiée sans que la Cour ait donné à Valero la possibilité de déposer une preuve par affidavit pour expliquer les motifs du retard.

[35]  Je me pencherai maintenant sur la troisième question soulevée par la Couronne. Comme il est précisé au paragraphe [29] des présents motifs, la véritable question à trancher est celle de savoir si la demande a une chance d’être accueillie lorsqu’elle est examinée dans son intégralité. Si une ordonnance annulant la demande de renseignements était accordée, le ministre ne pourrait pas adéquatement exercer les pouvoirs que lui confère la Loi. Il ne pourrait pas effectuer d’examen approfondi des années d’imposition 2011 à 2015 de Valero et il ne serait pas en mesure de calculer avec exactitude le montant de l’impôt, le cas échéant, que Valero aurait dû retenir à l’égard des services de transport international qui lui ont été fournis au Canada. Valero admet elle-même dans sa demande que le calcul de ces sommes est complexe. Il ne saurait être permis que le ministre ne dispose pas des documents demandés dans ce contexte.

[36]  Le ministre n’a pas encore établi de cotisation. Une fois qu’il aura reçu tous les renseignements et documents, il pourrait bien estimer que Valero n’a rien à verser. À mon avis, Valero ne peut se servir d’une demande de contrôle judiciaire pour empêcher le ministre de s’acquitter de l’obligation que lui fait la Loi d’établir une cotisation à l’égard de l’impôt sur le revenu à payer. Il ressort clairement de la demande dans son ensemble, et plus précisément de l’offre de règlement qu’elle a présentée à l’Agence, que c’est exactement ce que Valero tente de faire.

[37]  Après avoir examiné la demande selon une approche globale en vue d’en comprendre la véritable nature, j’estime que, dans les circonstances, les doctrines de la préclusion promissoire et des attentes légitimes ne peuvent être utilisées pour empêcher le ministre d’obtenir les documents dont il a besoin pour bien appliquer la Loi et s’acquitter de ses obligations. Le ministre est tenu d’appliquer et d’exécuter la Loi. Cette obligation formelle comprend, à tout le moins, l’obligation d’établir les cotisations des contribuables en vertu de la Loi et de prendre les mesures indiquées pour recouvrer les impôts impayés (Vallelunga c. Canada, 2016 CF 1329, aux paragraphes 12 et 13). Retenir les arguments de Valero reviendrait, en réalité, à faire fi du pouvoir que confère au ministre le paragraphe 231.2(1) de la Loi d’obtenir les bons documents pour établir la cotisation de Valero pour la période de 2011 à 2015. Encore une fois, ce point de vue ne saurait être retenu (voir aussi Prince c. Canada (Revenu national), 2020 CAF 32, au paragraphe 17).

[38]  La deuxième mesure demandée par Valero dans sa demande est une déclaration selon laquelle, dans les circonstances, l’Agence ne peut pas exiger de Valero qu’elle réponde à des questions ni qu’elle produise des documents pour l’examen des retenues d’impôt. Cette demande est liée au pouvoir du ministre de demander des renseignements en vertu du paragraphe 231.2(1) de la Loi. De même, elle doit être radiée.

[39]  Enfin, je radierais également la demande subsidiaire de Valero sollicitant une déclaration selon laquelle l’Agence lui a affirmé qu’aucune retenue ni déduction n’était requise en application de l’article 105 du Règlement à l’égard des paiements effectués au cours de la période pertinente pour les services de transport international rendus au Canada ou qu’elle avait des attentes légitimes en ce sens. Cette demande est prématurée. Une fois que le ministre aura reçu les documents, s’il établit une cotisation selon laquelle Valero aurait dû faire des retenues, Valero pourra se prévaloir des recours dont elle disposera conformément aux principes du droit administratif.

VIII.  L’appel incident

[40]  Je vais maintenant examiner la question de la recevabilité des affidavits déposés à l’appui de la requête en radiation de la demande de contrôle judiciaire. Il est bien établi en droit que l’énoncé des motifs justifiant la demande de contrôle judiciaire doit inclure les faits substantiels nécessaires pour démontrer que la Cour peut et doit accorder la mesure demandée. Il ne comprend pas les éléments de preuve au moyen desquels ces faits doivent être prouvés (JP Morgan, au paragraphe 40). En règle générale, les affidavits déposés à l’appui des requêtes en radiation de demandes de contrôle judiciaire ne sont pas recevables (JP Morgan, au paragraphe 51).

[41]  En l’espèce, c’est à juste titre que la Cour fédérale n’a pas admis les affidavits présentés à l’égard des questions dont elle a été saisie. Je ne suis pas convaincue qu’il devrait y avoir, pour la présente requête en radiation, exception à la règle interdisant l’admission des affidavits. Notre examen se limitera donc à la demande (motifs de la Cour fédérale, aux paragraphes 28 à 30).

[42]  Pour les mêmes motifs que ceux énoncés par la Cour fédérale aux paragraphes 37 à 41 de ses motifs, les autres arguments présentés par Valero dans l’appel incident ne m’ont pas convaincue. J’estime que la juge n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a conclu qu’il était trop tôt pour contrôler l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au ministre par le paragraphe 153(1.1) de la Loi. Par conséquent, il s’ensuit également que l’alinéa 1(f) connexe de la demande, sollicitant une ordonnance provisoire en vertu de la Règle 55 exemptant Valero de l’obligation de déposer une demande distincte, comme l’exige la Règle 302, doit être radié.

[43]  L’appel incident ne peut donc pas être accueilli.

IX.  Conclusion

[44]  En résumé, après avoir fait une appréciation réaliste de la nature essentielle de la demande en l’interprétant de manière globale et pratique, je suis d’avis que la demande n’a aucune chance d’être accueillie et qu’elle est prématurée. Elle peut même s’avérer inutile si le ministre déterminait que la dette fiscale de Valero était nulle après avoir reçu les documents auxquels il a droit en vertu du paragraphe 231.2(1) de la Loi. Le ministre peut exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 153(1.1) de la Loi en faveur de Valero une fois qu’il aura terminé sa vérification et qu’il aura établi les cotisations. S’il n’exerçait pas son pouvoir discrétionnaire en faveur de Valero une fois les cotisations établies, Valero pourrait avoir une cause, fondée sur le droit administratif, à défendre devant la Cour fédérale relativement à l’équité procédurale ou aux affirmations du ministre sur lesquelles elle s’était fondée à l’époque. Cependant, à l’heure actuelle, Valero doit se conformer à la demande de renseignements et attendre les conclusions du ministre.

[45]  Comme je l’ai affirmé aux paragraphes [36] à [40] ci-dessus, j’estime que la Cour fédérale a commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a conclu que la demande de Valero n’était pas une tentative d’empêcher le ministre d’établir une cotisation à son égard. Cette erreur était manifeste et dominante et a porté un coup fatal à la demande dans son intégralité.

[46]  Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel et je rejetterais l’appel incident, avec dépens.

« Marianne Rivoalen »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Richard Boivin j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Yves de Montigny j.c.a.»


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

A-129-19

INTITULÉ :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c. VALERO ENERGY INC.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 février 2020

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE RIVOALEN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 31 mars 2020

 

COMPARUTIONS :

Marie-France Camiré

Ian Demers

 

Pour l’appelant

 

Pierre-Louis Le Saulnier

Frédéric Paré

 

Pour l’intimée

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour l’appelant

 

STIKEMAN ELLIOTT S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Montréal (Québec)

POUR L’INTIMÉE

 

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