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Date : 20200221


Dossier : A-37-19

Référence : 2020 CAF 52

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE GLEASON

LA JUGE RIVOALEN

 

ENTRE :

 

 

L’ASSOCIATION DES PILOTES FÉDÉRAUX DU CANADA

 

 

demanderesse

 

 

et

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

défendeur

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 12 février 2020.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 21 février 2020.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE RIVOALEN

 


Date : 20200221


Dossier : A-37-19

Référence : 2020 CAF 52

CORAM :

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE GLEASON

LA JUGE RIVOALEN

 

ENTRE :

 

 

L’ASSOCIATION DES PILOTES FÉDÉRAUX DU CANADA

 

 

demanderesse

 

 

et

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE GLEASON

[1]  La demanderesse cherche à annuler une partie de la décision rendue le 11 décembre 2018 par la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral dans l’affaire Association des pilotes fédéraux du Canada c. le Ministère des Transports, le Bureau de la sécurité des transports du Canada et le Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, 2018 CRTESPF 91. Dans cette décision, la Commission a rejeté la plainte pour négociation de mauvaise foi de la demanderesse, ainsi que sa plainte en application du paragraphe 186(1) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral, L.C. 2003, ch. 22, art. 2 (la Loi), mais a admis en partie sa plainte alléguant une violation du gel prévu à l’article 107 de la Loi.

[2]  Dans la présente demande de contrôle judiciaire, la demanderesse cherche à ce que la Cour annule quatre parties de la décision de la Commission qui ne lui étaient pas favorables. En premier lieu, la demanderesse conteste la décision de la Commission concernant la plainte pour négociation de mauvaise foi. En deuxième lieu, la demanderesse conteste la décision de la Commission concernant la plainte sur le gel prévu par la loi car elle a trait à des modifications apportées à la Politique sur le maintien de la compétence professionnelle en aviation (PMCPA), une politique négociée conjointement en dehors de la convention collective, mais reconnue dans la convention, qui régit la façon dont les membres de la demanderesse maintiennent leurs compétences en tant que pilotes. En troisième lieu, la demanderesse conteste la décision de la Commission concernant la plainte sur le gel prévu par la loi, notamment en ce qui concerne les modifications apportées à la Lettre de politique 164 de Transports Canada, une politique de gestion qui énonce les exigences de formation applicables aux inspecteurs des transporteurs aériens. Enfin, la demanderesse conteste le rejet, par la Commission, de sa plainte déposée en application du paragraphe 186(1).

[3]  Dans sa plainte pour négociation de mauvaise foi, la demanderesse allègue que l’employeur a refusé de participer à des discussions complètes et rationnelles au sujet de ses propositions de modifications relatives à l’article 47 de la convention collective des parties, la disposition qui concerne l’actualisation des compétences professionnelles en aviation. La Commission a rejeté cette plainte au motif que la demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que l’employeur avait manqué à son obligation d’entamer des négociations de bonne foi étant donné que les propositions de la demanderesse concernant l’article 47 devaient faire l’objet de discussions plus poussées entre les parties au cours d’une séance de médiation et que, par conséquent, ils n’étaient pas dans une impasse face à cette question.

[4]  Dans les parties de sa plainte sur le gel prévu par la loi dont il est question dans la présente demande, la demanderesse allègue que l’employeur a apporté des modifications unilatérales aux modalités applicables aux employés concernant l’emploi lors d’une période de gel, en violation de l’article 107 de la Loi, en décidant de réduire la portée de la PMCPA de façon unilatérale (en diminuant le nombre de sites où les employés avaient la possibilité d’actualiser leurs compétences professionnelles grâce à des vols réels et non en simulateur) et en modifiant la Lettre de politique 164 pour tenir compte des exigences de formation en vigueur.

[5]  À l’égard des allégations concernant les modifications apportées à la PMCPA, la Commission a déterminé que la politique faisait partie des modalités d’emploi qui pourraient être soumises à la négociation collective aux termes de la Loi, et de ce fait, qu’elle pourrait faire l’objet du gel prévu à l’article 107 de la Loi; elle a néanmoins conclu que la PMCPA conférait à l’employeur l’autorité pour réaliser les types de modifications effectués. La Commission a conclu qu’il n’était pas interdit à l’employeur d’apporter les modifications contestées lors de la période de gel, selon la jurisprudence applicable de la Commission, laquelle entérine une [TRADUCTION] « approche relative à la “pratique antérieure” » par opposition à une approche statique concernant le gel. Pour étayer sa conclusion, la Commission a renvoyé à l’article 47 de la convention collective et à plusieurs dispositions de la PMCPA, qui laissent aux cadres supérieurs le soin de décider comment les membres de l’unité de négociation doivent actualiser leurs compétences professionnelles. La Commission a également renvoyé à une adjudication précédente d’un arbitre d’une commission remplacée par la Commission dans la décision Association des pilotes fédéraux du Canada c. Conseil du Trésor (ministère des Transports), 2014 CRTFP 64, 119 C.L.A.S. 276, qui a conclu que, selon les dispositions applicables de la convention collective et de la PMCPA, l’employeur dispose d’un droit unilatéral d’effectuer des modifications comme celles contestées par la demanderesse. La Commission a également constaté que des modifications similaires avaient été apportées par l’employeur auparavant et a donc déterminé que les modifications contestées relevaient d’une [TRADUCTION] « approche relative à la “pratique antérieure” » en lien avec l’actualisation des compétences professionnelles des pilotes.

[6]  À l’égard des allégations concernant les modifications apportées à la Lettre de politique 164 de Transports Canada, la Commission a conclu que la lettre ne représentait pas une modalité d’emploi faisant l’objet d’un gel prévu à l’article 107 de la Loi, mais plutôt une politique de gestion promulguée de manière unilatérale qui était en cours d’examen bien avant le début du gel. La Commission a également noté que le droit des cadres supérieurs à définir les exigences de formation n’était pas contesté. Elle a déterminé que, en appliquant les modifications à la lettre contestées, l’employeur avait le droit d’adapter ladite lettre pour refléter les changements précédemment apportés aux exigences de formation. La Commission en a donc conclu que les modifications contestées ne violaient pas l’article 107 de la Loi.

[7]  Pour finir, concernant la plainte déposée en application du paragraphe 186(1), la Commission en a conclu qu’il n’y avait eu aucune interférence avec la demanderesse de la part de Transports Canada, du Conseil du Trésor ou du Bureau de la sécurité des transports du Canada au moment d’apporter les modifications contestées et que les représentants de l’employeur n’avaient pas cherché à entamer des négociations relativement à ces modifications avec les employés de l’unité de négociation.

[8]  Lors de l’audience devant la Cour, l’avocate de la demanderesse a indiqué à la Cour que les parties avaient récemment conclu leur convention collective. Ce règlement rend théorique la partie de la présente demande concernant la plainte de la demanderesse pour négociation de mauvaise foi. Malgré cela, les deux parties ont demandé à ce que la Cour statue sur cet aspect de la demande pour fournir une orientation en vue des prochaines rondes de négociations. Comme il est mentionné aux paragraphes 29 à 42 de l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, 92 N.R. 110, les cours disposent d’un pouvoir discrétionnaire pour statuer sur les questions à caractère théorique. Étant donné que les parties ont demandé à ce que la Cour statue sur la question, j’exercerais mon pouvoir discrétionnaire de donner suite à cette requête étant donné que le règlement de cette question litigieuse pourrait fournir une orientation en vue des prochaines rondes de négociations.

[9]  En ce qui concerne le bien-fondé de la plainte pour négociation de mauvaise foi, comme le défendeur le mentionne judicieusement, la jurisprudence de la Commission, ainsi que celle d’autres commissions du travail canadiennes, établit que l’obligation de négocier de bonne foi n’empêche pas les parties de négocier de façon serrée ou ne contraint pas une partie à accepter des propositions comme celles avancées par la demanderesse. Ce qui est, en revanche, interdit est d’adopter une conduite visant à entraver la conclusion d’un accord (voir p. ex. l’arrêt Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 503 c. Compagnie Wal‑Mart du Canada, 2014 CSC 45, [2014] 2 R.C.S. 323, aux paragraphes 34, 35 et 71; l’arrêt Syndicat canadien de la Fonction publique c. Conseil des relations du travail (N.-É.) et autre, [1983] 2 R.C.S. 311, 49 N.R. 107; et la décision Conseil du Trésor c. Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2009 CRTFP 102, [2009] C.R.T.F.P.C. n° 102, au paragraphe 85).

[10]  En l’espèce, la Commission a déterminé de manière factuelle que l’employeur n’avait pas adopté une telle conduite du fait de sa volonté démontrée d’aborder des questions relatives aux propositions formulées par la demanderesse concernant l’article 47 lors des séances de médiation. Une telle conclusion a fourni à la Commission une base raisonnable pour rejeter la plainte de la demanderesse pour négociation de mauvaise foi. En outre, contrairement à ce que la demanderesse fait valoir, il était raisonnable que la Commission considère la séance de médiation comme faisant partie intégrante du processus de négociation. En effet, il n’est pas rare pour des parties engagées dans des négociations complexes d’écarter des questions particulièrement litigieuses et de faire appel à la médiation pour les régler ou de les aborder dans un cadre plus restreint que la table principale de négociations dans le but d’explorer les options qui s’offrent à elles pour résoudre ces questions. De ce fait, je ne vois aucune raison de modifier la décision de la Commission concernant la plainte pour négociation de mauvaise foi.

[11]  De même, les faits établis par la Commission ont formé une base raisonnable pour rejeter les parties de la plainte sur le gel prévu par la loi que la demanderesse contestait. Plus précisément, le fait que Transports Canada ait déjà apporté de telles modifications par le passé à la PMCPA et que les modalités et l’article 47 de la convention collective permettent à l’employeur d’apporter de telles modifications ont fourni à la Commission un fondement amplement suffisant pour rejeter cette partie de la plainte de la demanderesse sur le gel prévu par la loi. De même, le fait que l’employeur ait mis en œuvre le processus de modification de la Lettre de politique 164 avant l’application du gel, et que les modifications contestées reflètent simplement les changements précédemment apportés aux exigences de formation, a fourni à la Commission une base raisonnable pour rejeter cette partie de la plainte de la demanderesse sur le gel prévu par la loi.

[12]  La jurisprudence de la Commission sur laquelle la demanderesse s’est appuyée pour la question relative au gel prévu par la loi concerne une situation complètement différente, dans laquelle un employeur a modifié des pratiques qui étaient en place depuis de longues années après que les négociations ont été entamées alors qu’il n’avait auparavant jamais réalisé de modifications de nature similaire. Il n’était pas nécessaire que la Commission renvoie à une telle jurisprudence dans sa décision, ni qu’elle définisse « le critère relatif aux [TRADUCTION] “attentes raisonnables des employés” », qui aurait probablement conduit à un résultat similaire par rapport à ces faits, quoi qu’il en soit. En effet, comme le note la Commission au paragraphe 76 de la décision Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2016 CRTEFP 19, qui est l’une des décisions citées par la demanderesse, le « critère de la [TRADUCTION] “pratique antérieure” [...] ne serait pas contredit par le critère relatif aux [TRADUCTION] “attentes raisonnables.” ». Dans l’un ou l’autre cas, le point important était de déterminer si les modifications contestées avaient eu lieu avant le début du gel, ou si elles faisaient partie d’une approche que l’employeur avait déjà adoptée ou qu’il aurait pu raisonnablement adopter. D’après les faits constatés par la Commission, les modifications contestées pouvaient être raisonnablement qualifiées ainsi.

[13]  En conclusion, je ne vois aucune raison de modifier la décision de la Commission à l’égard de la plainte déposée en application du paragraphe 186(1). La seule décision sur laquelle s’est fondée la demanderesse pour appuyer une conclusion contraire (S.M.W.I.A. v. Canadian National Railway (1994), 26 C.L.R.B.R. (2d) 256, 94 C.L.L.C. 16 (Can. L.R.B.)) a été rendue par une autre commission et était très différente au regard des faits, car l’employeur avait vendu une grande partie de ses opérations sans préavis, privant ainsi les employés de la possibilité d’exercer leurs droits aux termes de dispositions complexes relatives à la sécurité d’emploi. Dans le cas présent, les modifications contestées étaient bien moins importantes. Il était donc loisible à la Commission de rejeter cette plainte.

[14]  Je conclurais donc que les parties contestées de la décision de la Commission sont raisonnables et je rejetterais la présente demande avec dépens.

« Mary J.L. Gleason »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Richard Boivin j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Marianne Rivoalen j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

A-37-19

 

 

INTITULÉ :

L’ASSOCIATION DES PILOTES FÉDÉRAUX DU CANADA c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDITION :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDITION :

Le 12 février 2020

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE GLEASON

 

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE BOIVIN

LA JUGE RIVOALEN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 21 février 2020

 

COMPARUTIONS :

Jennifer M. Duff

 

Pour la demanderesse

 

Karl Chemsi

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shields Hunt Duff

Ottawa (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour le défendeur

 

 

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