Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20191010


Dossier : A-113-18

Référence : 2019 CAF 250

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

OCEANEX INC.

appelante

et

CANADA (MINISTRE DES TRANSPORTS) ET MARINE ATLANTIQUE S.C.C.

intimés

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE TERRE-NEUVE-ET-LABRADOR

intervenant

Audience tenue à St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador), les 28 et 29 mai 2019.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 10 octobre 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LASKIN

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE DAWSON

LA JUGE WOODS

 


Date : 20191010


Dossier : A-113-18

Référence : 2019 CAF 250

CORAM :

LA JUGE DAWSON

LA JUGE WOODS

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

OCEANEX INC.

appelante

et

CANADA (MINISTRE DES TRANSPORTS) ET MARINE ATLANTIQUE S.C.C.

intimés

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE TERRE-NEUVE-ET-LABRADOR

intervenant

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE LASKIN


Paragraphe

I. Introduction

1

II. La qualité pour agir

11

III. Les questions à trancher

13

IV. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en ne concluant pas que le ministre avait établi les tarifs de 2016-2017 ou qu’il en était « responsable »?

15

V. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant qu’elle n’avait pas compétence pour contrôler la décision sur les tarifs?

25

A. La compétence de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire

26

B. La décision de la Cour fédérale sur sa compétence

32

C. Analyse

39

1) La source du pouvoir de Marine Atlantique d’établir les tarifs

40

2) La nature de la décision

49

VI. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il n’était pas nécessaire de tenir compte de la PNT dans l’établissement des tarifs?

56

  1. La PNT

59

B. La décision de la Cour fédérale sur l’applicabilité de la PNT

67

C. Analyse

76

VII. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que, si la PNT devait être prise en compte dans l’établissement des tarifs, la PNT n’aurait pas pu limiter les coûts assumés par le Canada pour s’acquitter de l’obligation constitutionnelle qui lui incombe d’assurer un service de traversier sur le trajet constitutionnel?

81

VIII. Dispositif proposé

83

I. Introduction

[1] Les Conditions de l’adhésion de Terre-Neuve à l’Union canadienne (les Conditions de l’adhésion) exigent que le Canada maintienne un service de traversier pour le transport de marchandises et de passagers, sur une route maritime communément appelée le « trajet constitutionnel », c’est-à-dire la route entre North Sydney, en Nouvelle-Écosse, et Port aux Basques, à Terre-Neuve-et-Labrador : Loi sur Terre-Neuve, 12-13 Geo. VI, ch. 22 (R.-U.), annexe, paragraphe 32(1). Depuis 1987, l’intimée Marine Atlantique S.C.C., une société d’État fédérale, est l’« instrument principal » par lequel le Canada s’acquitte de cette obligation constitutionnelle. Le Canada lui verse d’importantes subventions pour qu’elle remplisse cette fonction. Marine Atlantique assure également le service entre North Sydney et Argentia, à Terre-Neuve-et-Labrador.

[2] L’appelante Oceanex Inc., une société privée, fait concurrence à Marine Atlantique. Elle assure, entre autres, le service de fret entre Halifax et St. John’s et entre Montréal et St. John’s. Elle s’est plainte à maintes reprises au gouvernement fédéral des faibles tarifs facturés par Marine Atlantique et des subventions fédérales versées à cette dernière, ce qui a pour effet, selon elle, de fausser le marché et de lui causer du tort. Elle s’est également plainte du fait que, lors de l’établissement des tarifs de Marine Atlantique, on n’a pas tenu compte de la politique nationale des transports (la PNT) énoncée à l’article 5 de la Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, ch. 10. Il est notamment écrit dans la PNT que les objectifs qui y sont déclarés – notamment « un système de transport national compétitif et rentable » – sont « plus susceptibles d’être atteints si [...] la concurrence et les forces du marché, au sein des divers modes de transport et entre eux, sont les principaux facteurs en jeu dans la prestation de services de transport viables et efficaces ».

[3] Insatisfaite de la réponse à ses plaintes, Oceanex a présenté une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale pour contester l’approbation des tarifs de fret commercial de Marine Atlantique pour 2016-2017. Même si l’avis de demande visait les tarifs de fret commercial de Marine Atlantique sans autre précision, la demande concernait principalement les tarifs facturés pour le trajet constitutionnel. Dans son avis de demande modifié, Oceanex a indiqué que la décision qu’elle souhaitait faire contrôler était la décision du ministre fédéral des Transports d’approuver les tarifs ou, subsidiairement, la décision du ministre de ne pas les approuver, la décision du ministre d’autoriser au préalable des augmentations tarifaires pouvant atteindre 5 %, la décision du ministre de laisser Marine Atlantique approuver les tarifs ou la décision de Marine Atlantique de les approuver. Le fondement principal de la demande était que, indépendamment de la façon dont la décision sur les tarifs avait été prise et de la personne qui l’avait prise, le décideur avait commis une erreur de droit en omettant de prendre en considération la PNT.

[4] Il était également affirmé dans l’avis de demande modifié que les Conditions de l’adhésion ne créaient pas l’obligation constitutionnelle d’approuver des tarifs pour le trajet constitutionnel qui sont incompatibles avec la PNT. Cette question constitutionnelle – tout comme la possibilité que la décision de la Cour ait des répercussions sur les subventions versées à Marine Atlantique pour le service assuré sur le trajet constitutionnel – a suscité l’intervention du procureur général de Terre-Neuve-et-Labrador. Il s’est dit préoccupé par le fait que toute décision qui réduirait ou éliminerait la subvention fédérale de Marine Atlantique nuirait à l’économie et au bien-être des citoyens de la province.

[5] La Cour fédérale a rejeté la demande : Oceanex Inc. c. Canada (Transports), 2018 CF 250 (la juge Strickland). Dans de longs motifs, la Cour fédérale a soigneusement examiné les observations de part et d’autre et les parties correspondantes du dossier. Elle a d’abord examiné qui, du ministre ou de Marine Atlantique, avait pris la décision de fixer les tarifs de 2016-2017 et elle a conclu qu’il s’agissait de Marine Atlantique. Elle a toutefois conclu qu’en prenant cette décision, Marine Atlantique n’était pas un « office fédéral » au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, et que, par conséquent, le paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales ne conférait pas à la Cour fédérale compétence pour contrôler la décision. Il en était ainsi même si la décision sur les tarifs comportait un aspect de droit public et n’était pas de nature purement privée et commerciale ni accessoire à l’exercice des pouvoirs généraux de gestion de Marine Atlantique.

[6] Même si elle a reconnu qu’il n’était pas nécessaire de le faire, la Cour fédérale a procédé, dans l’éventualité où sa décision sur la compétence serait erronée, à l’examen de plusieurs des autres questions soulevées par les parties. Elle a conclu qu’Oceanex n’avait pas d’intérêt direct lui conférant qualité pour agir à titre de demandeur parce qu’elle n’était pas directement touchée par la décision sur les tarifs, mais elle a exercé son pouvoir discrétionnaire et a conféré à Oceanex la qualité pour agir dans l’intérêt public. La Cour fédérale a conclu que rien n’obligeait à ce que la PNT soit prise en considération dans l’établissement des tarifs de 2016-2017, de sorte que le fait de ne pas avoir tenu compte de la PNT lors de l’établissement des tarifs ne constituait pas une erreur susceptible de contrôle. Elle a aussi conclu que, à supposer (contrairement à sa conclusion) que la PNT fût un élément devant être pris en considération dans l’établissement des tarifs de 2016-2017, celle-ci n’aurait pas pu limiter les coûts publics assumés par le Canada pour s’acquitter des obligations constitutionnelles qui lui incombent en vertu des Conditions de l’adhésion. Étant donné ses autres conclusions, elle a refusé d’examiner si la décision sur les tarifs de 2016-2017 était déraisonnable au motif qu’elle avait été prise sans qu’il soit tenu compte de la PNT.

[7] Oceanex interjette maintenant appel devant notre Cour. Elle présente deux thèses principales. La première est que la Cour fédérale a commis une erreur en ne concluant pas que le ministre est devenu « responsable » de la décision sur les tarifs de 2016-2017 lorsqu’il a recommandé que le plan d’entreprise de Marine Atlantique soit approuvé par le gouverneur en conseil en application de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11 (la LGFP). Si cette thèse est retenue, soutient-elle, il s’ensuit que la Cour fédérale avait compétence parce qu’en recommandant le plan d’entreprise en application de la LGFP, le ministre était un « office fédéral » dont les décisions sont susceptibles de contrôle judiciaire.

[8] La deuxième thèse principale est que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que le ministre n’était pas tenu, avant de formuler sa recommandation, de prendre en considération la PNT par rapport aux tarifs de 2016-2017. Si cette thèse était retenue, soutient Oceanex, notre Cour devrait annuler le rejet de sa demande, déclarer que le ministre a commis une erreur de droit en omettant de prendre en considération la PNT et rendre une ordonnance enjoignant au ministre de tenir compte de la PNT à l’avenir. Subsidiairement, Oceanex soutient que, si la décision sur les tarifs a été prise par Marine Atlantique, elle aurait également dû tenir compte de la PNT, et la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que la décision de Marine Atlantique n’était pas assujettie à la compétence de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire et en n’accordant pas les mesures demandées. Oceanex soutient également que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que les Conditions de l’adhésion et la PNT sont incompatibles et qu’elle a commis une erreur en ne reconnaissant pas qu’elle avait un intérêt direct lui conférant qualité pour agir.

[9] Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l’appel. Comme nous le verrons, les présents motifs diffèrent à plusieurs égards de ceux de la Cour fédérale. Cela tient en grande partie au fait que, de la façon dont je comprends les thèses présentées, Oceanex a présenté devant notre Cour ses observations sur la première question principale d’une manière sensiblement différente que devant la Cour fédérale. J’ai également un avis différent de celui de la Cour fédérale sur la question de la compétence.

[10] En résumé, je conclus que la Cour fédérale n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle lorsqu’elle a conclu que Marine Atlantique avait pris la décision sur les tarifs, mais que la Cour fédérale a commis une erreur en concluant que la décision n’était pas susceptible de contrôle judiciaire. Toutefois, cette erreur ne justifie pas que l’appel soit accueilli, car la Cour fédérale a conclu, à juste titre, qu’il n’y avait pas d’obligation légale de prendre en considération la PNT dans l’établissement des tarifs. Je ne retiendrais pas l’observation d’Oceanex selon laquelle le ministre est devenu « responsable » des tarifs lorsqu’il a recommandé que le plan d’entreprise de Marine Atlantique soit approuvé par le gouverneur en conseil. Ce n’est pas la décision que contestait Oceanex dans sa demande de contrôle judiciaire. Je refuserais de trancher la question de l’incompatibilité potentielle de la PNT avec les Conditions de l’adhésion.

II. La qualité pour agir

[11] Avant de me pencher sur les principales questions en litige, j’examinerai brièvement la question de la qualité pour agir. À mon avis, il n’est pas nécessaire d’analyser en détail l’observation d’Oceanex selon laquelle on aurait dû lui reconnaître un intérêt direct lui conférant qualité pour agir ni les observations des intimés selon lesquelles Oceanex n’aurait pas dû se voir accorder la qualité pour agir dans l’intérêt public. La qualité pour agir dans l’intérêt public relève du pouvoir discrétionnaire, lequel doit être exercé suivant une approche téléologique, souple et libérale : Canada (Procureur général) c. Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, 2012 CSC 45, paragraphe 53, [2012] 2 R.C.S. 524. Les décisions discrétionnaires de la Cour fédérale sont susceptibles de contrôle judiciaire, s’il n’y a pas d’erreur de droit, uniquement selon la norme rigoureuse de l’erreur manifeste et dominante : Nation crie de Eeyou Istchee (Grand Conseil) c. McLean, 2019 CAF 185, paragraphe 3, [2019] A.C.F. no 722 (QL). En décidant d’accorder à Oceanex la qualité pour agir dans l’intérêt public, la Cour fédérale a tenu compte des facteurs pertinents et a mis particulièrement l’accent sur le fait que les décisions sur les tarifs soulevant d’importantes questions justiciables pourraient autrement échapper à tout examen. Je ne vois aucune raison d’intervenir dans l’exercice que la Cour fédérale a fait de son pouvoir discrétionnaire.

[12] À moins qu’elle ne soit expressément limitée, la qualité pour agir demeure la qualité pour agir, quel que soit le fondement sur lequel elle a été acquise. Une fois qu’Oceanex s’est fait reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public, sa position était, somme toute, la même que si elle avait qualité pour agir parce qu’elle avait un intérêt direct. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner davantage la question de la qualité pour agir.

III. Les questions à trancher

[13] Il reste donc à déterminer si la Cour fédérale a commis une erreur lorsqu’elle :

  • n’a pas conclu que le ministre avait établi les tarifs de 2016-2017 ou qu’il en était « responsable »;

  • a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour contrôler la décision sur les tarifs;

  • a conclu qu’il n’était pas nécessaire de tenir compte de la PNT dans l’établissement des tarifs;

  • a conclu que, si la PNT devait être prise en compte dans l’établissement des tarifs, la PNT n’aurait pas pu limiter les coûts assumés par le Canada pour s’acquitter de l’obligation constitutionnelle qui lui incombe d’assurer un service de traversier sur le trajet constitutionnel.

[14] S’il y a lieu d’examiner la norme de contrôle applicable à ces questions, je le ferai lorsque j’examinerai les questions sur le fond.

IV. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en ne concluant pas que le ministre avait établi les tarifs de 2016-2017 ou qu’il en était « responsable »?

[15] La première des principales thèses d’Oceanex semble, surtout à la lumière des observations orales qu’elle a présentées devant notre Cour, s’éloigner considérablement de ce qu’elle était devant la Cour fédérale. Oceanex y avait soutenu que la décision a été prise par le ministre, et non par Marine Atlantique. Deux arguments principaux ont été invoqués à cet égard : premièrement, le ministre contrôlait les modalités de l’exploitation et de la gestion du service de traversier sur le trajet constitutionnel et, deuxièmement, le ministre et son ministère, Transports Canada, ont pris une part importante à la préparation du plan d’entreprise pour les années 2016-2017 à 2020-2021 de Marine Atlantique (motifs de la Cour fédérale, aux paragraphes 57 à 61). Marine Atlantique est une « société d’État mère » au sens de la LGFP – une société qui appartient directement à cent pour cent à la Couronne. En application de l’article 122 de la LGFP, elle est donc tenue de remettre annuellement un plan d’entreprise au ministre pour qu’il en recommande l’approbation au gouverneur en conseil. Elle est également tenue d’exercer ses activités conformément à son dernier plan d’entreprise approuvé. Le plan d’entreprise de Marine Atlantique pour les années 2016-2017 à 2020-2021 comprenait les tarifs de 2016-2017.

[16] La Cour fédérale n’a pas souscrit à la thèse d’Oceanex. Après avoir examiné l’historique de l’établissement des tarifs sur le trajet constitutionnel depuis 1949 et résumé les éléments de preuve et les observations des parties, elle a conclu (au paragraphe 186) que la décision sur les tarifs de 2016-2017 avait été prise par Marine Atlantique, et non par le ministre. Elle a conclu que le ministre n’était pas légalement tenu d’établir les tarifs à certains niveaux et que rien dans la relation entre le ministre et Marine Atlantique n’établissait que le Canada contrôlait Marine Atlantique au point où ce serait le ministre qui aurait effectivement pris la décision concernant les tarifs de 2016-2017. Elle a conclu que, bien qu’une entente entre le ministre et Marine Atlantique, appelée « entente bilatérale », ait donné au ministre un droit contractuel d’approuver les tarifs, les parties à cette entente avaient apporté une modification informelle à l’entente et y avaient donné suite, laquelle modification autorisait Marine Atlantique à imposer une augmentation des tarifs pouvant s’élever à 5 % sans approbation ministérielle. Conformément à cette modification, le conseil d’administration de Marine Atlantique a pris, de sa propre initiative, la décision d’augmenter les tarifs de 2016-2017 de 2,6 %.

[17] Dans ses observations orales devant notre Cour, Oceanex a soutenu que sa thèse demeurait valide indépendamment du fait que le ministre ait ou non pris la décision sur les tarifs, tout en reconnaissant que la décision précise d’augmenter les tarifs de 2,6 % avait été prise par Marine Atlantique. Toutefois, elle a soutenu que le ministre était « responsable » de la décision sur les tarifs, parce que la LGFP lui confère implicitement un pouvoir de contrôle lui permettant de remettre en question les hypothèses tarifaires de Marine Atlantique et parce qu’il a recommandé au gouverneur en conseil, en vertu de la LGFP, l’approbation du plan d’entreprise de Marine Atlantique qui comprend les tarifs. Elle a soutenu que cette recommandation pouvait faire l’objet d’un contrôle judiciaire si le ministre permettait à Marine Atlantique d’établir des tarifs incompatibles avec la PNT.

[18] Vu le tour qu’ont pris les observations et ce qu’a reconnu Oceanex, il n’est peut-être pas strictement nécessaire que notre Cour examine la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle la décision sur les tarifs a été prise par Marine Atlantique. Quoi qu’il en soit, je confirmerais cette conclusion. Il s’agissait d’une conclusion largement fondée sur les faits tranchant une question mixte de fait et de droit. Conformément à l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, elle est susceptible de contrôle, s’il n’y a pas d’erreur de droit isolable, uniquement selon la norme de l’erreur manifeste et dominante. Bien que d’ordinaire, selon l’arrêt Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, paragraphes 45 à 47, [2013] 2 R.C.S. 559, la tâche de notre Cour dans un appel visant une décision de la Cour fédérale sur une demande de contrôle judiciaire consiste à déterminer si la Cour fédérale a choisi la bonne norme de contrôle judiciaire et l’a appliquée correctement, c’est l’arrêt Housen, et non l’arrêt Agraira, qui s’applique lorsque, comme en l’espèce, la Cour fédérale a tiré ses conclusions de fait ou ses conclusions mixtes fait et droit en se fondant sur l’examen d’éléments de preuve produits en première instance, plutôt que sur le contrôle de la décision administrative : Apotex Inc. c. Canada (Santé), 2018 CAF 147, paragraphes 56 à 58, [2018] A.C.F. no 820 (QL).

[19] Il ressort clairement des motifs de la Cour fédérale qu’il y avait amplement d’éléments de preuve pour étayer la conclusion selon laquelle la décision sur les tarifs avait été prise par Marine Atlantique, y compris les éléments de preuve montrant que les tarifs avaient été fixés par le conseil d’administration de Marine Atlantique et qu’ils étaient entrés en vigueur avant la fin du processus d’approbation du plan d’entreprise. Je ne vois aucune erreur manifeste et dominante dans le raisonnement de la Cour fédérale ayant mené à cette conclusion. Je n’y vois pas non plus d’erreur de droit isolable.

[20] Après avoir tiré cette conclusion, il reste à déterminer si, comme le soutient maintenant Oceanex, la Cour fédérale a commis une erreur en ne concluant pas que le ministre était « responsable » de la décision sur les tarifs du fait qu’il a recommandé au gouverneur en conseil l’approbation du plan d’entreprise de Marine Atlantique énonçant les tarifs, conformément à la LGFP. À mon avis, la réponse courte à cette question est que, même si la recommandation du plan par le ministre pouvait rendre ce dernier légalement responsable des tarifs de Marine Atlantique, la demande d’Oceanex ne contestait pas cette recommandation. On ne peut reprocher à la Cour fédérale de ne pas avoir fait droit à une demande qui n’a pas été faite.

[21] Ni l’avis de demande original ni l’avis de demande modifié d’Oceanex ne mentionnaient la recommandation du plan d’entreprise par le ministre. Comme nous l’avons dit plus haut, l’avis de demande contestait plutôt la décision du ministre d’approuver les tarifs ou, au contraire, son refus de les approuver, sa décision d’autoriser au préalable des augmentations de tarif pouvant atteindre 5 %, sa décision d’autoriser Marine Atlantique à approuver les tarifs ou la décision de Marine Atlantique de les approuver. Les seuls motifs liés à la LGFP invoqués étaient que le ministre, ou subsidiairement Marine Atlantique, n’avait pas tenu compte de la LGFP ou y avait contrevenu.

[22] De même, la seule mention de la LGFP dans l’avis d’appel se trouve dans la liste des lois invoquées. Les erreurs alléguées par Oceanex ne comportent aucun élément se rapportant à la recommandation du plan d’entreprise par le ministre.

[23] Dans le mémoire des faits et du droit qu’Oceanex a déposé auprès de notre Cour, il est question une fois de la responsabilité (à l’alinéa 5(a)), mais Oceanex soutient que la Cour fédérale a commis une erreur en omettant d’examiner si, après avoir délégué à Marine Atlantique son pouvoir d’établissement des tarifs, le ministre était demeuré légalement responsable de l’exercice qui a été fait en son nom de ce pouvoir délégué. Il s’agit d’une thèse différente de celle qui est maintenant présentée à notre Cour, qui repose sur la LGFP. La LGFP est mentionnée dans deux paragraphes du mémoire (aux paragraphes 29 et 30), mais pas ce n’est pas dans le contexte de la responsabilité fondée sur la délégation. Au premier de ces deux paragraphes, on énonce l’exigence prévue par la LGFP voulant que les sociétés d’État mères doivent remettre un plan d’entreprise annuellement pour qu’il soit approuvé par le gouverneur en conseil (et remettre des budgets de fonctionnement et d’investissement pour qu’ils soient approuvés par le Conseil du Trésor) et il est écrit que Marine Atlantique et le ministre [traduction] « travaillent en étroite collaboration pour que [Marine Atlantique] ait un plan d’entreprise qui reflète les orientations qu’elle reçoit du gouvernement et la manière dont [Marine Atlantique] exécutera sa mission ». Il n’y est fait aucune mention d’une erreur de la part de la Cour fédérale ou de la « responsabilité » légale découlant de l’établissement du plan d’entreprise. Au deuxième paragraphe, il est seulement mentionné que la LGFP est la loi régissant le contrat entre le Canada et Marine Atlantique qui établit les modalités selon lesquelles les services de traversier sont assurés.

[24] Dans ces circonstances, il ne serait pas judicieux à mon avis que notre Cour examine, et encore moins retienne, la thèse d’Oceanex selon laquelle la Cour fédérale a commis une erreur en ne concluant pas que le ministre, en approuvant le plan d’entreprise de Marine Atlantique, est devenu « responsable » des tarifs de 2016-2017. Je vais donc examiner les autres questions uniquement sur le fondement de la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle la décision sur les tarifs de 2016-2017 a été prise par Marine Atlantique.

V. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant qu’elle n’avait pas compétence pour contrôler la décision sur les tarifs?

[25] La question de savoir si la Cour fédérale avait compétence pour faire le contrôle judiciaire de la décision sur les tarifs est une question de droit à laquelle s’applique en appel la norme de la décision correcte : Canada (Conseil canadien de la magistrature) c. Girouard, 2019 CAF 148, au paragraphe 30, [2019] 3 R.C.F. 503.

A. La compétence de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire

[26] En vertu du paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour fédérale a compétence pour connaître des demandes de contrôle judiciaire visant les décisions d’un « office fédéral » (sauf les tribunaux à l’égard desquels notre Cour a compétence en vertu de l’article 28 de la Loi) : voir l’arrêt Girouard, au paragraphe 31.

[27] L’expression « office fédéral » est définie au paragraphe 2(1) de la Loi. Sous réserve de certaines exceptions qui ne sont pas pertinentes en l’espèce, ce terme s’entend notamment d’un organisme qui a, exerce ou est censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale :

office fédéral Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale, à l’exclusion de la Cour canadienne de l’impôt et ses juges, d’un organisme constitué sous le régime d’une loi provinciale ou d’une personne ou d’un groupe de personnes nommées aux termes d’une loi provinciale ou de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867.

federal board, commission or other tribunal means any body, person or persons having, exercising or purporting to exercise jurisdiction or powers conferred by or under an Act of Parliament or by or under an order made pursuant to a prerogative of the Crown, other than the Tax Court of Canada or any of its judges, any such body constituted or established by or under a law of a province or any such person or persons appointed under or in accordance with a law of a province or under section 96 of the Constitution Act, 1867.

[28] Bien que la définition comprennent les mots « ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale », si on l’interprète bien, elle vise l’exercice de compétences ou de pouvoirs « fondés uniquement sur la prérogative de la Couronne fédérale » : Première Nation des Hupacasath c. Canada (Affaires étrangères et Commerce international Canada), 2015 CAF 4, paragraphe 58, [2015] A.C.F. no 4 (QL).

[29] Notre Cour a établi dans l’arrêt Anisman c. Canada (Agence des services frontaliers du Canada), 2010 CAF 52, paragraphes 29 et 30, [2010] A.C.F. no 221 (QL), une analyse en deux étapes pour déterminer si une entité constitue un « office fédéral » : la cour doit d’abord déterminer la nature de la compétence ou le pouvoir en cause, puis déterminer la source ou l’origine de cette compétence ou de ce pouvoir. Dans l’arrêt Anisman, notre Cour a cité avec approbation un passage de l’ouvrage des auteurs D.J.M. Brown et J.M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, vol. 1, édition sur feuilles mobiles (Toronto : Canvasback Publishing, 1998), paragraphe 2:4310, dans lequel les auteurs affirment que c’est [traduction] « la source de la compétence d’un tribunal – et non pas la nature du pouvoir exercé ou de l’office l’exerçant – [qui] est le premier facteur permettant de déterminer si elle relève de la définition [du paragraphe 2(1)] ». Notre Cour a réitéré le critère de l’arrêt Anisman dans l’arrêt Girouard (aux paragraphes 34 et 37).

[30] La Cour suprême a récemment examiné le droit régissant le recours au contrôle judiciaire dans l’arrêt Highwood Congregation of Jehovah’s Witnesses (Judicial Committee) c. Wall, 2018 CSC 26, [2018] 1 R.C.S. 750, une affaire qui a été tranchée après que la Cour fédérale eut rendu la décision visée en l’espèce et qui ne concerne pas la Loi sur les Cours fédérales. Dans cet arrêt, la Cour suprême a souligné (au paragraphe 14) que le contrôle judiciaire n’est possible que lorsque deux conditions sont remplies – « lorsqu’un pouvoir étatique a été exercé et que l’exercice de ce pouvoir présente une nature suffisamment publique » (non souligné dans l’original). Elle a souscrit à l’observation formulée par mon collègue le juge Stratas dans l’arrêt Air Canada c. Administration portuaire de Toronto et al, 2011 CAF 347, paragraphe 52, [2013] 3 R.C.F. 605, selon laquelle même les organismes publics peuvent prendre des décisions de nature privée – la Cour suprême a donné en exemple la location de locaux et l’embauche d’employés – et que ces décisions privées ne sont pas assujetties au pouvoir de contrôle des tribunaux.

[31] La Cour suprême a ensuite affirmé (au paragraphe 20) qu’« une décision est considérée comme étant de nature publique lorsqu’elle porte sur des questions relatives à la primauté du droit et aux limites de l’exercice par un décideur administratif de ses pouvoirs » et a ajouté que « [l]e simple fait qu’une décision ait des répercussions sur un large segment du public n’a pas pour effet de conférer à cette décision un caractère “public” au sens du droit administratif. Je le répète, le contrôle judiciaire vise la légalité des décisions prises par l’État. » Notre Cour a jugé, en effet, que la même condition préalable s’applique pour déterminer si une décision peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire en vertu de la Loi sur les Cours fédérales, c’est-à-dire qu’« il est nécessaire de déterminer si les pouvoirs exercés par l’organisme, dans un cas particulier, sont de nature publique ou privée » : Zaidi c. Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada, 2018 CAF 116, paragraphes 6, 8 et 9, [2018] A.C.F. no 619 (QL), citant l’arrêt Air Canada et faisant référence aux facteurs pouvant aider à prendre cette décision qui y sont énoncés.

B. La décision de la Cour fédérale sur sa compétence

[32] Après avoir cité l’arrêt Anisman, la Cour fédérale a commencé (au paragraphe 201) à examiner si elle avait compétence pour connaître de la décision de Marine Atlantique sur les tarifs de 2016-2017 en recherchant la source du pouvoir de Marine Atlantique de prendre cette décision. Elle a d’abord examiné si le pouvoir avait été conféré, dans les mots de la définition d’« office fédéral », « par une loi fédérale ».

[33] Comme la Cour fédérale l’avait déjà mentionné dans ses motifs (au paragraphe 5), Marine Atlantique est une société qui a été constituée sous le régime de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, L.R.C. (1985), ch. C-44 (la LCSA), et elle est une société d’État mère au sens du paragraphe 83(1) de la LGFP. Le paragraphe 15(1) de la LCSA confère à Marine Atlantique, ainsi qu’à toute société régie par la LCSA, sous réserve des autres dispositions de la LCSA, la capacité d’une personne physique et les droits, pouvoirs et privilèges de celle-ci. Le paragraphe 102(1) de la LCSA confère aux administrateurs, sous réserve de toute convention unanime des actionnaires, le pouvoir de gérer les activités commerciales et les affaires internes de la société ou d’en surveiller la gestion.

[34] De même, l’article 109 de la LGFP confère au conseil d’administration d’une société d’État la responsabilité de gérer les activités de la société, sous réserve des autres dispositions de la partie X de la LGFP. Les contraintes auxquelles le conseil d’administration d’une société d’État mère peut être assujetti au titre de la partie X comprennent le pouvoir que détient le gouverneur en conseil en vertu de l’article 89 de donner, sur recommandation du ministre, des instructions à la société ainsi que l’obligation qui incombe aux administrateurs au titre de l’article 89.1 de veiller à la mise en œuvre de ces instructions. De plus, aux termes du paragraphe 122(5), il est interdit à une société d’État mère d’exercer des activités d’une façon incompatible avec le dernier plan d’entreprise qui a été approuvé.

[35] La Cour fédérale a d’abord déterminé (au paragraphe 201) que le pouvoir de Marine Atlantique d’établir ses tarifs ne provenait pas « d’une autorité en matière d’établissement de tarifs qui lui aurait été attribuée par une loi fédérale », mais plutôt que son conseil a agi « en fonction d’un pouvoir général qui lui est conféré aux termes de la LCSA ou de la LGFP pour mener les activités de la société », y compris le pouvoir de conclure et de modifier l’entente bilatérale. Toutefois, elle a exprimé l’opinion (aux paragraphes 202 et 203) que la LCSA n’était pas une « loi fédérale » au sens où l’expression est utilisée dans la définition d’« office fédéral », car cela signifierait que les décisions de « milliers de sociétés constituées en personne morale en vertu de la LCSA » seraient susceptibles de contrôle judiciaire si elles étaient jugées comme étant de nature publique. Elle a également rejeté l’observation d’Oceanex selon laquelle la LGFP était une source du pouvoir d’établissement des tarifs de Marine Atlantique, en partie parce que la LGFP « s’applique à toutes les sociétés d’État » et « ne concerne pas expressément Marine Atlantique ».

[36] La Cour fédérale a ensuite déterminé (au paragraphe 219) que le pouvoir de Marine Atlantique d’établir les tarifs ne découlait pas d’une prérogative royale, mais plutôt des modalités de l’entente bilatérale avec le ministre et était donc « de nature contractuelle ». Elle a en outre conclu (au paragraphe 220) que, même si le pouvoir d’établir des tarifs a été conféré « indirectement » au ministre par voie du décret ayant approuvé la conclusion de l’entente bilatérale, celle-ci a ensuite été modifiée par les parties sans décret, et sans qu’un décret ait été nécessaire, de sorte que la prérogative n’a pas joué. La Cour a donc conclu (au paragraphe 224) que Marine Atlantique n’était pas un « office fédéral » lorsqu’elle a pris la décision sur les tarifs. Il s’ensuit que la Cour fédérale n’avait pas compétence pour contrôler la décision.

[37] Toutefois, la Cour fédérale a ensuite examiné (aux paragraphes 225 et suivants), au cas où ses conclusions sur la compétence auraient été erronées, si l’établissement des tarifs par Marine Atlantique était de « nature publique ». Avant de procéder à son examen, la Cour fédérale a dressé (au paragraphe 227) la liste non exhaustive des facteurs énoncés dans l’arrêt Air Canada (au paragraphe 60, renvois omis), faisant observer qu’aucun facteur n’est déterminant à lui seul :

La nature de la question visée par la demande de contrôle. Est‑ce une question privée, commerciale ou de portée plus vaste intéressant les membres du public?

La nature du décideur et ses attributions. S’agit‑il d’un décideur public, comme un mandataire de la Couronne ou un organisme administratif reconnu par la loi et à qui des attributions de nature publique ont été confiées? La question en cause est‑elle étroitement liée à ces attributions?

La mesure dans laquelle la décision est fondée et influencée par le droit et non pas par un pouvoir discrétionnaire de nature privée. Lorsqu’une décision particulière est autorisée directement par une source de droit public comme une loi, un règlement ou une ordonnance, ou découle directement d’une telle source, le tribunal aura davantage tendance à considérer que la question est de nature publique[.] Il sera d’autant plus enclin à le faire si la source de droit public fournit le critère en fonction duquel la décision est prise[.] Les mesures prises en vertu d’un pouvoir découlant d’une source autre qu’une loi, comme le droit contractuel général ou des considérations commerciales, sont plus fréquemment considérées comme non susceptibles de contrôle judiciaire[.]

Les rapports entre l’organisme en cause et d’autres régimes législatifs ou d’autres parties du gouvernement. Si l’organisme est intégré à un réseau gouvernemental et exerce un pouvoir en tant qu’élément de ce réseau, les actes qu’il pose seront plus fréquemment qualifiés d’actes de nature publique[.] Le seul fait que l’organisme en question soit mentionné dans une loi n’est pas toujours suffisant[.]

La mesure dans laquelle le décideur est un mandataire du gouvernement ou est dirigé, contrôlé ou influencé de façon importante par une entité publique. Par exemple, les personnes privées embauchées par le gouvernement pour effectuer une enquête au sujet d’une allégation d’inconduite visant un fonctionnaire public peuvent être considérées comme exerçant un pouvoir de nature publique[.] L’obligation de faire approuver ou contrôler par le gouvernement les politiques, règlements administratifs ou autres questions peut être un élément pertinent[.]

Le caractère approprié des recours de droit public. Si la nature de la mesure est telle qu’il serait utile d’accorder dans ce cas un recours de droit public, les tribunaux sont davantage enclins à considérer qu’il s’agit là d’une question de nature publique[.]

L’existence d’un pouvoir de contrainte. L’existence d’un pouvoir de contrainte sur le public en général ou sur un groupe défini, comme une profession, peut être un indice de la nature publique. Il y a lieu de différencier cette situation avec celle où les parties acceptent volontairement de relever d’un organisme.

Une catégorie d’affaires « exceptionnelles » dans laquelle les mesures prises ont acquis une dimension publique importante. Lorsqu’une mesure a des conséquences exceptionnelles et très graves sur les droits d’un large secteur de la population, elle est susceptible de contrôle. Cela peut comprendre les cas où la fraude, les pots‑de‑vin, la corruption ou l’atteinte aux droits de la personne ont pour effet de transformer une question qui était de nature privée au départ en une question de nature publique[.]

[38] La Cour fédérale a conclu (au paragraphe 234) que Marine Atlantique offre le service sur le trajet constitutionnel en raison de « l’obligation constitutionnelle du Canada de le faire » et que, d’après les éléments de preuve, « le Canada ne voit pas son obligation constitutionnelle simplement comme l’offre d’un service de traversier [...] mais comme l’offre d’un service qui, grâce à ses tarifs, est accessible à ses usagers publics ». La Cour a conclu que, en ce sens, la décision sur les tarifs de Marine Atlantique comportait « un élément public ». À la lumière de cette conclusion, elle a jugé (au paragraphe 235) que la décision comportait « un intérêt public et n’était pas de nature purement privée et commerciale ni accessoire à l’exercice des pouvoirs généraux de gestion de la société de Marine Atlantique [...] ». Toutefois, cette conclusion n’a pas eu pour conséquence de rendre la décision susceptible de contrôle judiciaire parce que, comme la Cour fédérale l’avait déjà conclu, la décision n’était fondée ni sur la loi ni sur une prérogative.

C. Analyse

[39] À mon avis, la Cour fédérale a commis une erreur en concluant qu’elle n’avait pas compétence pour examiner la décision sur les tarifs qui, selon elle, a été prise par Marine Atlantique. En prenant cette décision, Marine Atlantique exerçait les pouvoirs d’une personne physique conférés par une loi fédérale – la LCSA – et la Cour fédérale a eu tort d’exclure cette loi de l’application de la définition d’« office fédéral ». Compte tenu de son rôle en tant que société d’État s’acquittant d’une obligation constitutionnelle, Marine Atlantique est un organisme public, et sa décision sur les tarifs était de nature publique et non privée. La question principale soulevée dans la demande de contrôle judiciaire concernait la légalité de la prise de décisions par l’État à l’égard des tarifs sur le trajet constitutionnel.

1) La source du pouvoir de Marine Atlantique d’établir les tarifs

[40] Je souscris à la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle Marine Atlantique tirait son pouvoir d’établir les tarifs des droits, pouvoirs et privilèges d’une personne physique que confère le paragraphe 15(1) de la LCSA, y compris le pouvoir de conclure des contrats. Les pouvoirs d’une personne physique que confère la loi comprend le droit de conclure et d’exécuter des contrats : Syndicat des postiers du Canada c. Société canadienne des postes, [1996] A.C.F. no 544 (QL), paragraphe 15 (C.A.F.); Friedmann Equity Developments Inc. c. Final Note Ltd., 2000 CSC 34, paragraphe 34, [2000] 1 R.C.S. 842. En l’espèce, la modification apportée par les parties à l’entente bilatérale a donné à Marine Atlantique le pouvoir d’imposer une augmentation des tarifs pouvant s’élever à 5 %.

[41] Par souci de clarté, je dois dire que je ne considérerais pas, comme la Cour fédérale semble l’avoir fait, le paragraphe 102(1) de la LCSA et l’article 109 de la LGFP, mentionnés plus haut, comme étant des sources du pouvoir de Marine Atlantique d’établir des tarifs. Ces dispositions confèrent aux administrateurs un pouvoir de gestion au sein de la société. Elles ne précisent pas quels sont les pouvoirs de la société elle-même.

[42] Comme je l’ai écrit plus haut, je ne souscris pas non plus à la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle la LCSA n’est pas une « loi fédérale » au sens où l’expression est utilisée dans la définition d’« office fédéral » dans la Loi sur les Cours fédérales, et ce pour plusieurs motifs.

[43] Premièrement, la conclusion de la Cour fédérale est incompatible avec le sens ordinaire de la définition. Il y est question de pouvoirs conférés par « une loi fédérale » (« by or under an Act of Parliament » dans la version anglaise), cette expression n’étant pas limitée par un quelconque qualificatif.

[44] Deuxièmement, une interprétation limitée de l’expression « loi fédérale » serait incompatible avec l’objet général des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales – transférer des cours supérieures provinciales aux cours fédérales une vaste compétence de contrôle des décisions administratives fédérales : voir Hupacasath, paragraphes 52 à 54; Gestion Complexe Cousineau (1989) Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), [1995] 2 C.F. 694, page 705, 1995 CanLII 3600 (C.A.). La Cour fédérale a elle-même fait observer (au paragraphe 199, citant l’arrêt Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc., 2010 CSC 62, paragraphe 3, [2010] 3 R.C.S. 585), que « la définition d’“office fédéral” est très large, englobant des décideurs qui “vont du Premier ministre et des organismes les plus importants jusqu’au garde-frontière et au douanier locaux, et englobent tous ceux qui se situent entre ces deux extrêmes” ».

[45] Ces décideurs peuvent certainement comprendre des sociétés d’État. Comme l’a fait observer un auteur de doctrine, [traduction] « les sociétés d’État de toute évidence prennent, directement ou indirectement, d’importantes décisions réglementaires dans divers domaines » : Alastair A. Lucas, « Judicial Review of Crown Corporations », 1987, 25 Alta. L. Rev. 363, page 363. Bien que la majorité des sociétés d’État mères soient créées par le législateur au moyen d’une loi qui leur est propre et qui énonce leur mission et leurs pouvoirs (voir, par exemple, la Loi sur la Société canadienne des postes, L.R.C. (1985), ch. C-10, articles 5 et 16), d’autres sont constituées en vertu d’une loi générale sur les sociétés comme la LCSA, qui devient alors la source de leurs pouvoirs. Marine Atlantique fait partie de cette dernière catégorie. Appartiennent également à cette catégorie, entre autres, la Corporation de développement des investissements du Canada, la Société des ponts fédéraux Limitée, PPP Canada Inc. et VIA Rail Canada Inc. : voir le site Web du Gouvernement du Canada, « Aperçu des organisations et intérêts fédéraux » (16 août 2016), en ligne : <https://www.canada.ca/fr/secretariat-conseil-tresor/services/etablissement-rapports-depenses/inventaire-organisations-gouvernement/apercu-types-institutions-definitions.html>; Secrétariat du Conseil du Trésor du Canada, « Rapport annuel au Parlement : Les sociétés d’État et autres sociétés dans lesquelles le Canada détient des intérêts 2010 », en ligne : <http://publications.gc.ca/collections/collection_2011/sct-tbs/BT1-15-2010-fra.pdf>.

[46] Puisqu’il n’existe pas de sociétés issues de la common law, toutes les sociétés sont créées en vertu d’une loi, et leurs pouvoirs sont toujours entièrement définis par la loi : voir Knox v. Conservative Party of Canada, 2007 ABCA 295, paragraphe 25, 286 D.L.R. (4th) 129, autorisation de pourvoi refusée, [2008] 1 R.C.S. ix. La réponse à la question de savoir si une décision de nature publique prise par une société d’État mère en vertu d’un pouvoir conféré par une loi est susceptible de contrôle ou non ne devrait pas dépendre du caractère précis ou général de cette loi.

[47] Troisièmement, la crainte de l’« avalanche » qui semble avoir motivé la conclusion de la Cour fédérale sur cette question est, à mon avis, exagérée et ne justifie pas une interprétation limitée. La jurisprudence de notre Cour et maintenant l’arrêt de la Cour suprême Highwood montrent clairement que le contrôle judiciaire ne peut viser que les décisions d’organismes publics qui sont de « nature publique ». Je souscris à l’observation de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’arrêt Strauss v. North Fraser Pretrial Centre (Deputy Warden of Operations), 2019 BCCA 207, paragraphe 49, 435 D.L.R. (4th) 111 – un jugement rendu après l’arrêt Highwood – selon laquelle [traduction] « [i]l semble clair, sur le fondement de l’arrêt Air Canada, que la seule existence d’un pouvoir conféré par la loi est insuffisant pour assujettir une affaire purement privée à un contrôle judiciaire en vertu des dispositions de la Loi sur les Cours fédérales [...] ».

[48] Quant à la question de savoir si le pouvoir de Marine Atlantique d’établir les tarifs était issu d’une prérogative royale, je conviens avec la Cour fédérale que l’établissement des tarifs était une question de responsabilité contractuelle, de sorte que, comme je l’ai mentionné plus haut, sa source était plutôt le pouvoir légal de Marine Atlantique de conclure des contrats. Compte tenu de la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle ce n’est pas le ministre, mais bien Marine Atlantique, qui a établi les tarifs, la question de savoir si la source du pouvoir du ministre était la prérogative royale ne serait pertinente que si Marine Atlantique avait exercé son pouvoir d’établir des tarifs à titre de délégataire du ministre. Je ne vois aucune raison d’intervenir dans la conclusion de la Cour fédérale (au paragraphe 219) selon laquelle il n’y avait pas de délégation de pouvoirs, mais une réattribution, au moyen d’un contrat, de la responsabilité.

2) La nature de la décision

[49] Je souscris également à la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle la décision établissant les tarifs était de nature publique.

[50] Je devrais peut-être d’abord faire observer que, malgré certaines observations formulées par la Cour suprême dans l’arrêt Highwood, il n’y avait, à mon avis, rien de problématique à ce que la Cour fédérale renvoie aux facteurs énoncés dans l’arrêt Air Canada pour examiner cette question. Dans l’arrêt Highwood, la Cour suprême a fait observer (au paragraphe 21) qu’une certaine confusion semblait venir du fait que les tribunaux se sont fondés sur l’arrêt Air Canada pour déterminer si les questions étaient de nature publique et, par conséquent, si elles pouvaient faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Elle a déclaré que « la question qui se posait dans Air Canada était celle de savoir si certaines entités publiques agissaient en qualité d’offices fédéraux et étaient en conséquence assujetties au pouvoir de contrôle de la Cour fédérale ».

[51] J’estime que cette mise en garde concernant les facteurs énoncés dans l’arrêt Air Canada se limite à leur utilisation par les tribunaux pour conclure qu’une affaire est « publique » et peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire sans qu’ils soient d’abord convaincus que le décideur est un organisme public exerçant des « pouvoirs étatiques ». À mon avis, les facteurs demeurent disponibles et utiles lorsqu’il s’agit d’établir la même chose que ce pour quoi ils ont servi dans l’arrêt Air Canada en tant que tel. Aucune des décisions auxquelles se rapportait la réserve exprimée par la Cour suprême n’était une décision des Cours fédérales. En fait, les Cours fédérales sont sans doute les mieux placées pour suivre les directives énoncées par la Cour suprême dans l’arrêt Highwood, parce que la compétence de contrôle judiciaire prévue par la Loi sur les Cours fédérales exige qu’il soit préalablement conclu que le pouvoir exercé est un pouvoir « étatique » – un pouvoir qui découle d’une loi ou d’une prérogative royale. Les facteurs énoncés dans l’arrêt Air Canada peuvent alors être utilisés par les tribunaux pour vérifier si l’exercice du pouvoir était d’une « nature suffisamment publique », conformément à l’arrêt Highwood, ou s’il était « privé » et donc non susceptible de contrôle.

[52] À mon avis, il est évident que Marine Atlantique est un organisme public aux fins de contrôle judiciaire. Il s’agit, répétons-le, d’une société d’État mère, qui appartient à cent pour cent à l’État et qui est assujettie aux exigences de la partie X de la LGFP. Le Conseil du Trésor décrit les sociétés d’État comme étant « des organisations gouvernementales qui mènent leurs activités selon un modèle propre au secteur privé, mais elles ont généralement des objectifs stratégiques qui sont à la fois commerciaux et publics » : « Aperçu des organisations et intérêts fédéraux » (non souligné dans l’original). Indice supplémentaire de la nature publique de ces sociétés, aux termes de l’article 3 et du paragraphe 4(1) de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1, les sociétés d’État mères sont des « institutions fédérales » assujetties à cette loi.

[53] Il ne fait aucun doute non plus que Marine Atlantique a un « objectif stratégique public ». Le sommaire de son plan d’entreprise renvoie à l’obligation constitutionnelle du Canada de fournir un service de traversier sur le trajet constitutionnel et précise que Marine Atlantique « a l’obligation de s’acquitter de ce mandat ». L’entente bilatérale dispose que [traduction] « Sa Majesté utilise depuis un certain temps la Société comme instrument principal pour la prestation de certains services de traversier et de transport côtier soutenus par le gouvernement fédéral ».

[54] Quant à la nature de la décision sur les tarifs elle-même, je partage l’opinion de la Cour fédérale, à laquelle elle est parvenue (au paragraphe 235) après avoir examiné les facteurs énoncés dans l’arrêt Air Canada, à savoir que la décision est de nature publique et qu’elle ne peut être considérée comme étant de nature privée et commerciale. Pour reprendre la terminologie employée dans l’arrêt Highwood, la décision est publique au sens qu’a ce mot dans l’expression « droit public », et non uniquement au sens générique de ce mot. Sa nature publique n’est pas simplement fonction de ses répercussions importantes sur le public. Elle provient du rôle de Marine Atlantique à l’égard de l’obligation constitutionnelle du Canada et de l’effet potentiel des tarifs sur l’accessibilité du service que le Canada est constitutionnellement tenu de fournir. Et Oceanex, en contestant la décision sur le fondement que la PNT n’a pas été prise en compte, soulève une question de droit public, à savoir la légalité d’un processus décisionnel de l’État.

[55] Les décisions d’autres sociétés d’État ont fait l’objet de contrôles judiciaires lorsqu’elles exerçaient des pouvoirs de nature publique : voir, par exemple, Montréal (Ville) c. Administration portuaire de Montréal, 2010 CSC 14, [2010] 1 R.C.S. 427; Dignité rurale du Canada c. Société canadienne des postes, [1991] A.C.F no 33 (QL) (C.F.), confirmée par [1992] A.C.F. no 28 (QL) (C.A.F.), autorisation de pourvoi refusée, [1992] 2 R.C.S. ix. Dans ces décisions, on reconnaît le caractère approprié des recours de droit public – l’un des facteurs énoncés dans l’arrêt Air Canada – lorsque la société d’État exerce des pouvoirs de cette nature. À mon avis, les conditions préalables au contrôle judiciaire de la décision de Marine Atlantique concernant les tarifs sont également remplies en l’espèce.

VI. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il n’était pas nécessaire de tenir compte de la PNT dans l’établissement des tarifs?

[56] Compte tenu de ma conclusion selon laquelle la Cour fédérale avait compétence pour entendre la demande d’Oceanex, je suis d’avis qu’il convient que notre Cour se prononce sur la question de l’applicabilité de la PNT à la décision sur les tarifs qui, selon la Cour fédérale, a été prise par Marine Atlantique. Même si la thèse principale d’Oceanex sur l’application de la PNT supposait que la décision sur les tarifs avait été prise par le ministre, Oceanex a soutenu à titre subsidiaire et soutient également en appel que, si Marine Atlantique a pris la décision, elle était aussi légalement tenue d’examiner la PNT.

[57] Les parties reconnaissent que la norme de contrôle applicable à cette question est celle de la décision correcte, car elle soulève une question d’interprétation des lois et, par conséquent, une question de droit. Je conviens qu’il y a lieu d’examiner la question sur ce fondement.

[58] On pourrait soutenir que Marine Atlantique a implicitement interprété la LTC comme ne l’obligeant pas à tenir compte de la PNT, et qu’à cette décision implicite est présumé s’appliquer la norme de contrôle de la décision raisonnable, du fait qu’il s’agirait de l’interprétation par un décideur de sa loi constitutive : voir l’arrêt Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, paragraphes 2 et 22, [2016] 2 R.C.S. 293. Toutefois, « [l]a présomption d’application de la norme de la décision raisonnable repose sur le choix du législateur de confier à un tribunal administratif spécialisé la responsabilité d’appliquer les dispositions législatives, ainsi que sur l’expertise de ce tribunal en la matière » : Edmonton East, paragraphe 33. En l’espèce, il n’y a aucun motif de conclure que le législateur a choisi de confier ce type de responsabilité à Marine Atlantique relativement à la LTC : Marine Atlantique n’a aucun rôle à jouer par rapport à la LTC qui ferait de cette loi une « loi constitutive » faisant jouer la présomption. Quoi qu’il en soit, il semble s’agir d’une affaire dans laquelle la norme de contrôle ne fait aucune différence concrète, car « les méthodes habituelles d’interprétation législative mènent à une seule interprétation raisonnable » : voir les arrêts McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, paragraphe 38, [2013] 3 R.C.S. 895, et Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Huang, 2014 CAF 228, paragraphe 78, [2015] 4 R.C.F. 437.

A. La PNT

[59] L’article 5 de la LTC, où la PNT est énoncée, est rédigé intégralement ainsi :

Politique nationale des transports

National Transportation Policy

Déclaration

Declaration

5 Il est déclaré qu’un système de transport national compétitif et rentable qui respecte les plus hautes normes possibles de sûreté et de sécurité, qui favorise un environnement durable et qui utilise tous les modes de transport au mieux et au coût le plus bas possible est essentiel à la satisfaction des besoins de ses usagers et au bien-être des Canadiens et favorise la compétitivité et la croissance économique dans les régions rurales et urbaines partout au Canada. Ces objectifs sont plus susceptibles d’être atteints si :

5 It is declared that a competitive, economic and efficient national transportation system that meets the highest practicable safety and security standards and contributes to a sustainable environment and makes the best use of all modes of transportation at the lowest total cost is essential to serve the needs of its users, advance the well-being of Canadians and enable competitiveness and economic growth in both urban and rural areas throughout Canada. Those objectives are most likely to be achieved when

a) la concurrence et les forces du marché, au sein des divers modes de transport et entre eux, sont les principaux facteurs en jeu dans la prestation de services de transport viables et efficaces;

(a) competition and market forces, both within and among the various modes of transportation, are the prime agents in providing viable and effective transportation services;

b) la réglementation et les mesures publiques stratégiques sont utilisées pour l’obtention de résultats de nature économique, environnementale ou sociale ou de résultats dans le domaine de la sûreté et de la sécurité que la concurrence et les forces du marché ne permettent pas d’atteindre de manière satisfaisante, sans pour autant favoriser indûment un mode de transport donné ou en réduire les avantages inhérents;

(b) regulation and strategic public intervention are used to achieve economic, safety, security, environmental or social outcomes that cannot be achieved satisfactorily by competition and market forces and do not unduly favour, or reduce the inherent advantages of, any particular mode of transportation;

c) les prix et modalités ne constituent pas un obstacle abusif au trafic à l’intérieur du Canada ou à l’exportation des marchandises du Canada;

(c) rates and conditions do not constitute an undue obstacle to the movement of traffic within Canada or to the export of goods from Canada;

d) le système de transport est accessible sans obstacle abusif à la circulation des personnes, y compris les personnes ayant une déficience;

(d) the transportation system is accessible without undue obstacle to the mobility of persons, including persons with disabilities; and

e) les secteurs public et privé travaillent ensemble pour le maintien d’un système de transport intégré.

(e) governments and the private sector work together for an integrated transportation system.

[60] L’article 5 est précédé de deux dispositions qui figuraient en bonne place dans la thèse d’Oceanex, les articles 2 et 3 :

2 La présente loi lie Sa Majesté du chef du Canada ou d’une province.

2 This Act is binding on Her Majesty in right of Canada or a province.

3 La présente loi s’applique aux questions de transport relevant de la compétence législative du Parlement.

3 This Act applies in respect of transportation matters under the legislative authority of Parliament.

[61] La PNT est mentionnée deux fois ailleurs dans la LTC. À la première occurrence, l’alinéa 50(1)a) autorise le gouverneur en conseil à prendre des règlements exigeant que les personnes qui s’occupent de transport et qui sont assujetties à la compétence législative du Parlement fournissent des renseignements au ministre des Transports en vue de l’élaboration d’une politique nationale des transports. Ce pouvoir a été exercé au moyen du Règlement sur les renseignements relatifs au transport, DORS/96-344, qui exige, entre autres, que les exploitants maritimes fournissent des renseignements. La définition d’« exploitant maritime » semble viser Marine Atlantique.

[62] La deuxième occurrence se trouve à l’article 53. Le paragraphe 53(1) exige que le ministre, au plus tard huit ans après l’entrée en vigueur du paragraphe, commande « un examen complet de l’application de la […] [LTC] et de toute autre loi fédérale dont le ministre est responsable et qui porte sur la réglementation économique d’un mode de transport ou sur toute activité de transport assujettie à la compétence législative du Parlement ».

[63] Le paragraphe 53(2) dispose que cet examen vise à vérifier si ces lois « fournissent aux Canadiens un système de transport qui est conforme à la politique nationale des transports énoncée à l’article 5 » et qu’à sa suite, des modifications à la PNT ou aux lois peuvent être recommandées. Les avocats ont indiqué que l’examen avait été effectué; la disposition n’a donc plus d’effet.

[64] La LTC ne contient aucune disposition réglementant les tarifs de transport maritime. Ses principales dispositions qui s’appliquent au transport maritime sont celles de la partie V, qui confère à l’Office des transports du Canada certains pouvoirs concernant le transport de personnes handicapées.

[65] En plus de la LTC, deux lois fédérales font mention de la PNT. Premièrement, le paragraphe 3(1) de la Loi sur les transports routiers, L.R.C. (1985), ch. 29 (3e suppl.), dispose que cette loi vise notamment « la mise en œuvre de la politique nationale des transports énoncée à l’article 5 de la Loi sur les transports au Canada à l’égard des entreprises extra-provinciales de transport routier ». Deuxièmement, le paragraphe 34(2) de la Loi sur le pilotage, L.R.C. (1985), ch. P-14, permet à tout intéressé qui a des raisons de croire qu’un droit figurant dans un projet de tarif des droits de pilotage nuit à l’intérêt public, notamment « l’intérêt public qui est compatible avec la politique nationale des transports énoncée à l’article 5 de la Loi sur les transports au Canada », de déposer un avis d’opposition auprès de l’Office. En vertu de l’article 35, l’Office peut alors faire enquête, notamment par la tenue d’audiences, et faire des recommandations à l’Administration.

[66] La Loi maritime du Canada, L.C. 1998, ch. 10, qui, comme la Loi sur le pilotage, s’applique au transport maritime, ne fait aucune mention de la PNT. Son objet est énoncé à l’article 4, en des termes différents.

B. La décision de la Cour fédérale sur l’applicabilité de la PNT

[67] La Cour fédérale a qualifié cette question (au paragraphe 301) de « question centrale » de la demande. Toutefois, il convient de répéter que sa décision à cet égard était fondée sur la prémisse qu’elle avait commis une erreur en concluant que Marine Atlantique était le décideur et que la Cour fédérale n’avait pas compétence. La majorité des observations présentées sur cette question semblent avoir été fondées sur l’hypothèse que la décision avait été prise par le ministre. Les conclusions de la Cour fédérale sur cette question laissent transparaître la même hypothèse.

[68] En examinant l’applicabilité de la PNT, la Cour fédérale a d’abord examiné la LTC dans son ensemble, notant (au paragraphe 320) qu’elle ne porte pas expressément sur le transport maritime. Elle s’est ensuite penchée sur trois décisions ayant une incidence directe sur l’interprétation de la PNT – Ferroequus Railway Co. c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2003 CAF 454, [2004] 2 R.C.F. 42; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Moffatt, 2001 CAF 327, [2002] 2 C.F. 249; et Jackson v. Canadien National, 2012 ABQB 652, 73 Alb. LR (5E) 219, confirmé par 2013 ABCA 440, 91 Alb. LR (5th) 401, autorisation de pourvoi refusée, [2014] 2 R.C.S. vii.

[69] Dans les arrêts Ferroequus et Moffat, notre Cour a examiné le rôle de la PNT dans l’exercice, par l’Office des transports du Canada, de ses pouvoirs en vertu de la LTC. Dans l’affaire Ferroequus, une compagnie de chemin de fer avait demandé à l’Office de prendre un arrêté sur des « droits de circulation », qui l’autoriserait à circuler sur les voies d’une autre compagnie de chemin de fer. L’article 138 de la LTC confère à l’Office le pouvoir discrétionnaire de prendre un tel arrêté, compte tenu de « l’intérêt public ». Notre Cour a conclu (au paragraphe 21) que la PNT jalonnait de balises l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’Office prévu à l’article 138 et y imposait une limite légale. Toutefois, notre Cour a également fait observer (au paragraphe 22) que la politique porte sur des considérations contradictoires et que, de ce fait elle agit inévitablement à « un niveau assez général », en guidant et structurant l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’Office.

[70] L’arrêt Moffat portait sur la compétence de l’Office pour enquêter sur l’application des Conditions de l’adhésion à l’établissement de taux de fret. En établissant que l’Office n’avait pas cette compétence, notre Cour a conclu (au paragraphe 27) que la PNT n’est « pas une disposition attributive de compétence », mais une disposition déclarative énonçant certains objectifs devant être « mis en œuvre par les dispositions de la LTC qui autorisent la prise de règlements et, vu l’environnement largement déréglementé d’aujourd’hui, par l’absence de tels règlements ». De même, la Cour suprême a affirmé que les « déclarations de principes » ne confèrent pas compétence aux organismes subalternes, mais qu’elles « expliquent les objectifs que poursuit le Parlement en édictant la loi » : Renvoi relatif à la politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2010–167 et l’ordonnance de radiodiffusion CRTC 2010-168, 2012 CSC 68, paragraphe 22, [2012] 3 R.C.S. 489; voir aussi l’arrêt West Fraser Mills Ltd. c. Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Appeal Tribunal), 2018 CSC 22, paragraphe 85, [2018] 1 R.C.S. 635 (juge Côté, en dissidence).

[71] Dans la décision Jackson, la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a refusé de certifier un recours collectif proposé, en partie sur le fondement du raisonnement de notre Cour exposé dans les arrêts Ferroequus et Moffat. Dans la décision Jackson, le demandeur avait soutenu que les tarifs de fret ferroviaire ne reflétaient pas la diminution des coûts d’exploitation et qu’ils contrevenaient donc à la PNT, ce qui avait donné lieu à un enrichissement injustifié. La Cour n’a pas souscrit à cette thèse et a conclu (aux paragraphes 57 à 63) que la politique est un [traduction] « énoncé d’objectifs » qui n’impose pas aux compagnies de chemin de fer l’obligation de facturer des tarifs tenant compte des gains d’efficacité qu’elles ont réalisés.

[72] La Cour fédérale s’est ensuite penchée sur les principes qui se trouvent dans l’ouvrage de Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd. (Markham : LexisNexis, 2014). L’auteur affirme (aux paragraphes 14.39 et 14.40) que, [traduction] « comme les définitions et les dispositions d’application, les énoncés d’objectifs ne s’appliquent pas directement aux faits, mais donnent plutôt des directives sur la façon d’interpréter les dispositions de fond de la loi », et que [traduction] « les énoncés d’objectifs et de principe ne donnent pas lieu à des droits ou à des obligations juridiquement contraignants [mais] ne font qu’exposer les objectifs ou les principes sur lesquels il est possible de s’appuyer pour interpréter les droits et obligations créés ailleurs dans la loi ».

[73] Compte tenu de cette jurisprudence et de cette doctrine, la Cour fédérale a conclu (aux paragraphes 337 et 338) que la PNT est une disposition d’objet qui ne crée pas en soi de droits ou d’obligations juridiquement contraignants, mais qui plutôt sert à interpréter les droits et obligations créés ailleurs dans la LTC et oriente l’exercice des pouvoirs conférés par celle-ci. Elle a rappelé que la LTC ne contient aucune disposition relative à la réglementation ou à la surveillance des tarifs de transport de marchandises par voie maritime et ne confère à aucune entité le pouvoir de prendre des décisions sur ces tarifs ou de traiter les plaintes découlant de ces tarifs. Elle a conclu (au paragraphe 340) que, puisque la décision visée n’avait pas été prise en vertu de la LTC, la PNT ne limitait pas le pouvoir discrétionnaire du ministre de prendre cette décision.

[74] La Cour a ajouté (aux paragraphes 342 à 347) que les articles 2 et 3 de la LTC ne changeaient pas ces conclusions. Elle a estimé que l’article 2 ne faisait que réfuter la présomption ordinaire de l’immunité de la Couronne. Ni l’article 2 ni l’article 3 n’élargissent les dispositions de fond de la LTC.

[75] La Cour fédérale a par conséquent conclu (au paragraphe 360) que la PNT n’était pas un facteur devant être pris en considération lors de l’établissement de tarifs.

C. Analyse

[76] Je souscris pour l’essentiel au raisonnement de la Cour fédérale sur cette question. À mon avis, il démontre une bonne application de l’approche textuelle, contextuelle et téléologique qu’il faut utiliser pour interpréter l’article 5 de la LTC : voir Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, paragraphe 21, 1998 CanLII 837. Ce raisonnement est également tout à fait conforme à la jurisprudence et à la doctrine, y compris à l’arrêt Moffat de notre Cour. En effet, l’arrêt Moffat peut être interprété comme ayant tranché la question d’une manière qui liait la Cour fédérale.

[77] Plus précisément, je souscris à la conclusion que les articles 2 et 3 de la LTC, sur lesquels Oceanex s’appuie fortement de nouveau devant notre Cour, ne peuvent l’aider pas à gagner sa cause. La Cour fédérale a conclu à juste titre que l’article 2 sert simplement à réfuter la présomption d’immunité de la Couronne, et non à faire de la PNT un outil limitant considérablement l’exercice de pouvoirs réglementaires. Le libellé de l’article 2 se retrouve dans plus de 100 autres lois fédérales. Dans chaque cas, y compris dans la LTC, il figure sous l’intitulé « Obligation de Sa Majesté ».

[78] Quant à l’article 3, il n’est pas dénué de sens, comme l’a soutenu Oceanex, s’il n’est pas interprété comme obligeant le ministre à tenir compte de la PNT lorsqu’il prend des décisions. Il sert plutôt à ce que les quelques dispositions de la LTC qui font référence à la PNT et les dispositions réglementaires que contient la LTC soient correctement appliquées. Les renvois à la PNT dans la Loi sur les transports routiers et la Loi sur le pilotage, ainsi que l’absence de renvoi à la PNT dans la Loi maritime du Canada, montrent clairement que, lorsque le législateur a voulu que la PNT s’applique hors du contexte de la LTC, il l’a expressément indiqué.

[79] Pour étayer sa thèse en appel, Oceanex renvoie également au libellé de la PNT elle-même. Elle rappelle que le libellé contient les mots « mesures publiques stratégiques ». Elle soutient que cette notion vise les dépenses de fonds publics sous forme de subventions et qu’il s’agit donc d’une action que seuls le gouvernement ou le ministre, et non l’Office, peuvent commettre. Je rejetterais également cette thèse. La question n’est pas de savoir si la PNT s’applique au gouvernement, mais s’il s’applique aux actions du gouvernement qui ne sont pas commises sous le régime de la LTC. De plus, comme notre Cour l’a écrit dans l’arrêt Moffat, l’Office dispose de certains pouvoirs de prendre des « mesures publiques » en vertu de la LTC, y compris le pouvoir de prendre des arrêtés touchant les droits des propriétaires de chemins de fer, lorsque l’intérêt public le justifie. Ces pouvoirs ne s’étendent tout simplement pas au transport maritime.

[80] Pour ces motifs, je n’interviendrais pas dans la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle, à supposer que le ministre ait pris la décision sur les tarifs, il n’était pas tenu de prendre en considération la PNT. Si le ministre n’était pas tenu de prendre en considération la PNT, je ne vois rien qui justifierait une conclusion différente pour Marine Atlantique si c’est elle qui a établi les tarifs.

VII. La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant que, si la PNT devait être prise en compte dans l’établissement des tarifs, la PNT n’aurait pas pu limiter les coûts assumés par le Canada pour s’acquitter de l’obligation constitutionnelle qui lui incombe d’assurer un service de traversier sur le trajet constitutionnel?

[81] Il s’agit d’une autre question que la Cour fédérale n’a pas eu à trancher; la Cour l’a examinée au cas où elle aurait commis une erreur en concluant qu’il n’était pas nécessaire de tenir compte de la PNT dans l’établissement des tarifs. J’ai conclu que la Cour fédérale n’avait pas commis d’erreur à cet égard. Cette question ne se pose donc pas.

[82] Il est habituellement prudent pour la Cour de ne pas trancher de questions hypothétiques, en particulier des questions de nature constitutionnelle. S’il devenait nécessaire de trancher cette question, il serait préférable que ce soit fait non pas dans l’abstrait, mais à la lumière d’éléments de preuve concernant la façon dont les divers facteurs énoncés dans la PNT (laquelle, les parties en conviennent, est de nature « polycentrique ») ont été mis en balance, les conséquences financières découlant du processus de mise en balance, la façon dont ces conséquences se reflètent ou non dans les changements apportés aux tarifs et aux subventions et les répercussions de ces changements sur les utilisateurs et utilisateurs potentiels du service de traversier sur le trajet constitutionnel et, plus généralement, sur la province de Terre-Neuve-et-Labrador. Dans les circonstances, je refuserais d’examiner la question.

VIII. Dispositif proposé

[83] Je rejetterais l’appel, avec dépens en faveur des intimés. Il ne devrait pas y avoir de dépens payables à l’intervenant ni de dépens payables par ce dernier.

« J.B. Laskin »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

Judith Woods, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-113-18

(APPEL D’UNE DÉCISION RENDUE PAR L’HONORABLE JUGE STRICKLAND LE 7 MARS 2018, DOSSIER NO T-348-16)

INTITULÉ :

OCEANEX INC. c. CANADA (MINISTRE DES TRANSPORTS) et MARINE ATLANTIQUE S.C.C. et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE TERRE-NEUVE-ET-LABRADOR

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 28 et 29 mai 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE LASKIN

 

Y ONT SOUSCRIT :

LA JUGE DAWSON

LA JUGE WOODS

 

DATE :

Le 10 octobre 2019

 

COMPARUTIONS :

Guy J. Pratte

Ashley Thomassen

Peter A. O’Flaherty

 

Pour l’appelante

 

Joseph Cheng

Kathleen McManus

 

Pour l’intimé Canada (ministre des Transports)

 

Jeff Galway

Peter Hogg

Todd Stanley, c.r.

 

Pour l’intimée Marine Atlantique S.C.C.

Rolf Pritchard

Justin Mellor

Pour l’intervenant

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Borden Ladner Gervais

Toronto (Ontario)

 

Pour l’appelante

 

O’Flaherty Wells Law

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador)

 

Pour l’appelante

 

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimé canada (ministre des Transports)

 

Blake, Cassels & Graydon S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

Pour l’intimée Marine Atlantique S.C.C.

 

Cox & Palmer

St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador)

Pour l’intimée Marine Atlantique S.C.C.

 

L’honorable Andrew Parsons

Procureur général de Terre-Neuve-et-Labrador

 

Pour l’intervenant

 

 

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