Date : 20190704
Dossier : A-179-18
Référence : 2019 CAF 197
CORAM :
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LA JUGE DAWSON
LA JUGE WOODS
LA JUGE RIVOALEN
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ENTRE :
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CONSEIL DE BANDE DE LA PREMIÈRE NATION PETERS,
NORMA WEBB en sa qualité de chef de la Première Nation Peters,
LEANNE PETERS en sa qualité de conseillère de la Première Nation Peters et
VICTORIA PETERS en sa qualité de conseillère de la Première Nation Peters
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appelants
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et
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GUY PETERS
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intimé
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Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 10 avril 2019.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 4 juillet 2019.
MOTIFS DU JUGEMENT :
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LA JUGE WOODS
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Y ONT SOUSCRIT :
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LA JUGE DAWSON
LA JUGE RIVOALEN
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Date : 20190704
Dossier : A-179-18
Référence : 2019 CAF 197
CORAM :
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LA JUGE DAWSON
LA JUGE WOODS
LA JUGE RIVOALEN
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ENTRE :
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CONSEIL DE BANDE DE LA PREMIÈRE NATION PETERS,
NORMA WEBB en sa qualité de chef de la Première Nation Peters,
LEANNE PETERS en sa qualité de conseillère de la Première Nation Peters et
VICTORIA PETERS en sa qualité de conseillère de la Première Nation Peters
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appelants
|
et
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GUY PETERS
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intimé
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MOTIFS DU JUGEMENT
LA JUGE WOODS
[1]
En 2016, le conseil de bande de la Première Nation Peters a rejeté une demande d’adhésion à la Première Nation Peters (PNP) présentée par Guy Peters. Le père de M. Peters et d’autres membres de sa famille paternelle étaient membres de la PNP. Sa mère, qui n’était pas mariée à son père, appartenait à la Première Nation Skwah.
[2]
M. Peters a demandé le contrôle judiciaire de la décision prise par le conseil de bande. La Cour fédérale (2018 CF 544) a accueilli la demande de contrôle judiciaire et déclaré que M. Peters était membre de la PNP. Le conseil de bande a interjeté appel du jugement de la Cour fédérale devant notre Cour.
[3]
Abordons tout d’abord les dispositions législatives pertinentes.
I.
Dispositions législatives pertinentes
[4]
La Loi sur les Indiens actuelle, L.R.C. (1985), ch. I-5 (La Loi) a été considérablement modifiée par la Loi modifiant la Loi sur les Indiens, L.C. 1985, ch. 27 (le projet de loi C-31). Les modifications apportées par le projet de loi C-31 pertinentes dans le cadre du présent appel sont entrées en vigueur le 17 avril 1985 (projet de loi C-31, par. 23(1)). Dans les présents motifs, la version de la loi précédant les modifications apportées par le projet de loi C-31 est appelée « Loi antérieure à 1985 »
.
[5]
Des dispositions de la Loi et de la Loi antérieure à 1985 sont pertinentes dans le cadre du présent appel. L’aperçu des dispositions légales traite d’abord de la Loi qui était en vigueur au moment où M. Peters a fait sa demande d’adhésion. Certaines dispositions pertinentes de la Loi antérieure à 1985 sont ensuite décrites. Les dispositions sont reproduites en annexe des présents motifs.
A.
Économie de la Loi
[6]
Le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (le ministère) doit tenir un registre des Indiens où sont consignés les noms des personnes admissibles à être inscrites comme Indiens sous le régime de la Loi (par. 5(1) de la Loi). Le registre des Indiens est tenu par le registraire, un fonctionnaire du ministère.
[7]
Une personne est généralement admissible à l’inscription sous le régime de la Loi si elle « était inscrite ou avait le droit de l’être le 16 avril 1985 »
(al. 6(1)a) de la Loi).
[8]
De plus, conformément à la Loi, une liste de bande est tenue à l’égard de chaque bande où est consigné le nom de chaque membre de la bande (Loi, art. 8 de la Loi). Un « membre d’une bande »
est défini au paragraphe 2(1) de la Loi et désigne une « [p]ersonne dont le nom apparaît sur une liste de bande ou qui a droit à ce que son nom y figure »
.
[9]
Les listes de bande sont tenues par le ministère (Loi, art. 9) ou par la bande (Loi, art. 10).
[10]
« Jusqu’à ce que la bande assume la responsabilité de sa liste, celle-ci est tenue au ministère par le registraire. »
(par. 9(1) de la Loi)
[11]
Tandis que la liste de bande est tenue par le ministère, l’article 11 de la Loi énumère les personnes qui sont admissibles à ce que leurs noms figurent sur la liste, dont une personne décrite à l’alinéa 11(1)a) de la Loi, qui est ainsi rédigé :
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[12]
Une bande décide de l’appartenance à ses effectifs en satisfaisant à certaines conditions et en donnant un avis au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien. Les additions ou les retranchements effectués par le registraire à l’égard de la liste de bande après cette date ne sont valides que s’ils sont effectués conformément aux règles d’appartenance établies par la bande (Loi, par. 10(8)). Lorsque le registraire fournit la liste de bande à la bande, il est dégagé de toute autre responsabilité à l’égard de la liste (Loi, par. 10(9)).
[13]
Une bande qui décide de l’appartenance à ses effectifs peut fixer ses propres règles d’appartenance (Loi, par. 10(2)). Toutefois, aux termes des paragraphes 10(4) et 10(5), si une personne a déjà acquis le droit d’appartenance à la bande avant le moment où la bande a fixé les règles d’appartenance, les règles fixées par la bande ne peuvent priver cette personne de son droit acquis « en raison uniquement d’un fait ou d’une mesure antérieurs à leur prise d’effet »
.
[14]
Les paragraphes 10(4) et 10(5) de la Loi ont été analysés par la Cour dans l’arrêt Bande de Sawridge c. Canada, 2004 CAF 16, [2004] 3 R.C.F. 274, aux paragraphes 26 à 30. Dans cette affaire, la Couronne avait sollicité une injonction devant la Cour fédérale obligeant la bande de Sawridge à ajouter à sa liste de bande plusieurs personnes ayant acquis le droit d’être membres avant que la bande de Sawridge assume la responsabilité de sa liste de bande le 8 juillet 1985. En appel de la décision de la Cour fédérale accordant l’injonction, la Cour a adopté l’interprétation de la Cour fédérale des paragraphes 10(4) et 10(5) qui suit : « [...] la bande qui tient sa propre liste de bande est obligée d’y consigner le nom de toute personne y ayant droit. [...] Lorsque la limitation des pouvoirs de la bande contenue dans les paragraphes 10(4) et 10(5) est considérée de cette façon, il est clair qu’elle constitue une simple interdiction de législation rétroactive : une bande ne peut pas créer d’obstacles à l’appartenance pour les personnes qui, de par la loi, sont déjà réputées être membres »
(Bande de Sawridge, par. 26).
B.
Régime prévu à la Loi antérieure à 1985
[15]
Le régime de la Loi antérieure à 1985 prévoyait qu’une personne n’avait pas le droit à ce que son nom soit consigné dans la liste de bande à moins d’avoir également le droit d’être inscrite comme Indien (Loi antérieure à 1985, art. 6). Il incombait au ministère de tenir un registre des Indiens où figuraient les noms des personnes ayant le droit d’être inscrites comme Indiens (Loi antérieure à 1985, art. 5).
[16]
Sous ce régime légal, le registre des Indiens comprenait également les listes de bande. Les personnes qui avaient le droit d’être inscrites comme Indiens devaient être inscrites par le registraire sur une liste de bande, si elles étaient membres d’une bande, ou une liste générale, si elles ne l’étaient pas (Loi antérieure à 1985, art. 6). Ainsi, le terme « membre d’une bande »
vise une personne « qui a droit à ce que son nom »
figure sur une liste de bande (Loi antérieure à 1985, par. 2(1)).
[17]
L’article 10 de la Loi d’avant 1985 décrit le droit de figurer sur une liste de bande. Il est ainsi libellé :
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[18]
Le paragraphe 11(1) de la Loi antérieure à 1985 décrivait les personnes qui avaient le droit d’être inscrites. L’alinéa 11(1)c) est pertinent dans le présent appel. Il est reproduit ci-après avec les autres dispositions mentionnées à l’alinéa 11(1)c) :
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[19]
En 1983, la Cour suprême du Canada a précisé que l’alinéa 11(1)c) de la Loi antérieure à 1985 s’applique tant aux enfants légitimes qu’aux enfants illégitimes (Martin c. Chapman, [1983] 1 R.C.S. 365, 1983 CanLII 123).
II.
Historique des demandes
[20]
M. Peters est né le 24 octobre 1965. Depuis l’âge de 19 ans, il a tenté à plusieurs reprises de devenir membre de la PNP. Parce que certaines de ses demandes sont pertinentes dans l’appel, l’historique des demandes est décrit ci-après.
[21]
Le 17 septembre 1985, M. Peters a demandé à être inscrit en application de la Loi. Il a reçu une lettre du registraire par intérim datée du 21 août 1987, confirmant qu’il avait été inscrit au registre des Indiens conformément à l’alinéa 6(1)a) de la Loi et comme membre de la PNP conformément à l’alinéa 11(1)a) (dossier d’appel, p. 82). Ces dispositions énoncent l’admissibilité à l’inscription ou à l’appartenance des personnes qui y avaient droit le 16 avril 1985.
[22]
Dans une communication au sein du ministère, également datée du 21 août 1987, le registraire a précisé les motifs de la décision :
[traduction] Guy Peters est un homme qui est un descendant direct de la lignée masculine de Robert Wilmer Peters de la bande Peters (no 23). Il a par conséquent le droit d’être inscrit comme Indien et membre de la bande Peters aux termes des dispositions des alinéas 6(1)a) et 11(1)a) de la Loi sur les Indiens dans sa version modifiée le 28 juin 1985, sur le fondement de son droit d’être inscrit aux termes de l’alinéa 11(1)c) de la Loi sur les Indiens comme elle était libellée avant le 17 avril 1985.
[dossier d’appel, p. 83]
[23]
À partir du 25 juin 1987, la PNP a assumé la responsabilité de l’appartenance à ses effectifs (dossier d’appel, p. 101 à 102).
[24]
Le 15 octobre 1987, le registraire a fourni à la PNP une copie de la liste de bande qui était tenue par le ministère comme la Loi l’exigeait (Loi, par. 10(7)). La liste de bande comprenait trois parties : 1) une liste informatisée qui était une copie de la liste de bande tenue dans les dossiers informatisés du registraire; 2) une liste manuscrite des personnes dont le droit à l’appartenance avait été récemment confirmé, mais dont le nom ne figurait pas dans les dossiers informatisés et 3) une liste des personnes qui avait récemment été ajoutées à la liste de bande en application du paragraphe 11(2) de la Loi (dossier d’appel, p. 354 à 356). Le nom de M. Peters figurait sur la liste manuscrite.
[25]
Le 12 novembre 1987, le chef Frank Peters a demandé au registraire, par voie de lettre, de supprimer le nom de M. Peters de la liste manuscrite. Le chef Frank Peters a fait valoir qu’il était loisible à la PNP de retrancher des noms de la liste de bande, y compris celui de personnes dont un parent appartenait à une autre bande (dossier d’appel, p. 352 à 353). Dans son affidavit, M. Peters a déclaré [traduction] qu’« [il] a appris que [son] nom avait été retiré de la liste de bande en décembre 1987 »
(dossier d’appel, p. 51). M. Peters n’a pas demandé le contrôle judiciaire de la décision du chef Frank Peters de retrancher son nom de la liste de bande.
[26]
M. Peters a de nouveau fait une demande d’adhésion à la PNP en octobre 1996 et encore en octobre 2012 (dossier d’appel, p. 53 à 54). Le conseil de bande n’a pas rendu de décision à l’égard de l’une ou l’autre de ces demandes.
[27]
Le 11 mars 2016, M. Peters a présenté une nouvelle demande d’adhésion à la PNP (dossier d’appel, p. 143 à 145). Le conseil de bande a rejeté sa demande le 25 juillet 2016 (dossier d’appel, p. 117).
[28]
Le 17 août 2016, M. Peters a interjeté appel de la décision du conseil de bande prise le 25 juillet 2016 (dossier d’appel, p. 155 à 159). Selon la partie V du Code d’appartenance de la PNP, [traduction] « [d]ans les 60 jours de la réception d’un avis d’appel, une assemblée générale des électeurs de la bande doit être convoquée afin d’examiner la décision du conseil de bande (comité d’adhésion) dans le cadre de laquelle l’assemblée générale rend une décision définitive »
(dossier d’appel, p. 377). Aucune assemblée générale des électeurs de la bande n’a été convoquée en vue de l’examen de la décision du conseil de bande prise le 25 juillet 2016.
[29]
La décision du conseil de bande, prise le 25 juillet 2016, de refuser la demande d’adhésion de M. Peters faisait l’objet de la demande de contrôle judiciaire présentée à la Cour fédérale.
III.
Décision du conseil de bande
[30]
La demande d’adhésion qui est l’objet du présent appel a été présentée le 11 mars 2016. La demande a été rejetée par le conseil de bande pour les motifs suivants, reproduits dans leur intégralité :
[traduction]
Le conseil a soigneusement examiné votre demande d’adhésion à la Première Nation Peters et a demandé un avis juridique. Après examen des dossiers, il semble que le ministère des Affaires indiennes ait placé votre nom sur la liste manuscrite en application du paragraphe 11(2) de la Loi sur les Indiens en 1987. En vue de l’adoption du code d’appartenance à la bande, la question de votre appartenance en tant que membre de la Première Nation Peters a été laissée à la discrétion de la Première Nation Peters. Par lettre datée du 12 novembre 1987, le chef Frank Peters a avisé le registraire par intérim que votre nom devait être retiré de la liste établie aux termes du paragraphe 11(2) et, par conséquent, vous n’êtes pas devenu membre de la Première Nation Peters. Les noms de plusieurs autres personnes ont également été retranchés à ce moment-là.
Malheureusement, nous sommes actuellement d’avis que vous n’avez pas le droit d’appartenir à la Première Nation Peters, ce que nos représentants ont confirmé. Nous vous remercions de votre désir d’appartenir à la Première Nation Peters.
[dossier d’appel, p. 117]
IV.
Décision de la Cour fédérale
[31]
La Cour fédérale a appliqué la norme de la décision raisonnable et a jugé que le conseil de bande ne pouvait pas priver M. Peters de son droit d’appartenance (motifs, par. 42 à 44).
[32]
À la lumière de la lettre adressée par le registraire à M. Peters le 21 août 1987 annonçant à ce dernier qu’il était inscrit en qualité de membre en application de l’alinéa 11(1)a) de la Loi et du fait que le nom de M. Peters figurait sur la liste manuscrite envoyée à la PNP le 15 octobre 1987, la Cour fédérale a conclu que M. Peters avait acquis le droit d’appartenir à la PNP avant l’entrée en vigueur du Code d’appartenance de cette dernière. Par conséquent, aux termes du paragraphe 10(4) de la Loi, la PNP n’avait pas le pouvoir de le priver de son droit acquis d’appartenir à la PNP. La Cour fédérale a conclu que « [l]’omission du conseil de bande de reconnaître que M. Peters avait légalement le droit d’appartenir à la PNP par l’application du projet de loi C-31 rend sa décision déraisonnable »
(motifs, par. 44).
[33]
La Cour fédérale a également conclu que, puisque M. Peters avait le droit d’appartenance par application de la loi, « il serait inutile de renvoyer [l]a demande d’adhésion [de M. Peters] au conseil de bande pour un nouvel examen »
(motifs, par. 58). Un jugement déclaratif a été rendu, aux termes duquel M. Peters est membre de la PNP.
V.
Questions en litige
[34]
Le présent appel soulève les trois questions suivantes :
La demande de contrôle judiciaire est-elle prématurée?
La décision du conseil de bande était-elle raisonnable?
Si la décision du conseil de bande était déraisonnable, quelle est la réparation indiquée?
VI.
La demande de contrôle judiciaire est-elle prématurée?
[35]
Devant notre Cour, le conseil de bande fait valoir que la demande de contrôle judiciaire est prématurée parce que M. Peters n’a pas épuisé les recours d’appel prévus au Code d’appartenance de la PNP. La Cour fédérale ne s’est pas prononcée à l’égard de cette question.
[36]
La partie V du Code d’appartenance de la PNP prévoit qu’un demandeur peut interjeter appel d’une décision du conseil de bande qui a refusé la demande d’adhésion. En cas d’appel, une assemblée générale des électeurs de la bande doit être convoquée dans les 60 jours, et une décision définitive est rendue (dossier d’appel, p. 377).
[37]
En règle générale, à défaut de circonstances exceptionnelles, un tribunal doit refuser d’entendre une demande de contrôle judiciaire avant que tous les appels administratifs aient été épuisés (C.B. Powell Limited c. Canada (Agence des services frontaliers) , 2010 CAF 61, [2011] 2 R.C.F. 332, par. 30 à 33). Dans l’arrêt JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557, au paragraphe 101, la Cour a jugé que le « [contrôle judiciaire] est une voie de dernier recours, ouverte uniquement lorsqu’une action recevable en droit administratif existe, lorsque toutes les autres voies de recours actuelles ou éventuelles sont épuisées, inefficaces ou inappropriées, et lorsque la Cour fédérale est habilitée à accorder la réparation demandée »
.
[38]
Dans l’arrêt Strickland c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 37, [2015] 2 R.C.S. 713, aux paragraphes 42 à 45, les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada font observer que le refus d’entendre une demande de contrôle judiciaire au motif que les parties n’ont pas épuisé tous les recours est discrétionnaire. Par conséquent, avant d’exercer ce pouvoir, la cour doit examiner toutes les circonstances de l’affaire, notamment la commodité de l’autre recours, le fondement de la demande, la nature de l’autre tribunal qui pourrait statuer sur la question et sa faculté d’accorder une réparation, la célérité, l’expertise relative de l’autre décideur, l’utilisation économique des ressources judiciaires et les coûts engagés par les parties. La cour doit cerner et soupeser les différents facteurs pertinents dans chaque cas pour décider de l’opportunité du contrôle judiciaire.
[39]
Selon moi, en l’espèce, le contrôle judiciaire par la Cour est indiqué, même si l’appel devant les électeurs de la bande n’a pas été épuisé.
[40]
Tout d’abord, aucune partie ne tente en l’espèce de court-circuiter la procédure d’appel administratif. Au contraire, M. Peters a pris toutes les mesures nécessaires prévues au Code d’appartenance de la PNP pour interjeter l’appel administratif. Aux termes de la partie V du Code d’appartenance, le conseil de bande était tenu de convoquer une assemblée générale des électeurs dans les 60 jours suivant celui où M. Peters a interjeté appel. Le conseil de bande n’en a rien fait et n’a pas expliqué pourquoi. M. Peters ne devrait pas être pénalisé en raison du défaut du conseil de bande d’organiser une assemblée générale en temps opportun.
[41]
Ensuite, cette décision des électeurs de la bande se prend par voie de scrutin. Partant, il est loin d’être évident qu’un tel vote mènerait à des conclusions supplémentaires qui aideraient la Cour à décider si la décision était raisonnable.
[42]
Finalement, M. Peters tente d’être inscrit comme membre de la PNP depuis au moins le 17 septembre 1985. Étant donné la durée du litige entre les parties, il est dans l’intérêt de la justice pour la Cour d’examiner le bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire et de donner au conseil de bande des consignes quant au caractère raisonnable de sa décision.
VII.
La décision du conseil de bande était-elle raisonnable?
[43]
Notre Cour, lorsqu’elle est appelée à se prononcer sur une décision rendue par la Cour fédérale à l’issue d’un contrôle judiciaire, doit décider si le juge de la Cour fédérale a choisi la norme de contrôle appropriée et s’il l’a appliquée correctement (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, par. 45 à 47).
[44]
La Cour fédérale a déterminé à bon droit que la norme de contrôle de la décision raisonnable était applicable à la décision du conseil de bande ayant refusé l’adhésion (voir Pastion c. Première nation Dene Tha’, 2018 CF 648, [2018] 4 R.C.F. 467, par. 18 à 27). La Cour doit se mettre « à la place »
de la Cour fédérale et se concentrer sur la décision du conseil de bande. Par conséquent, la question centrale soulevée devant la Cour est celle de savoir si la décision du conseil de bande était raisonnable.
[45]
Le conseil de bande a rejeté la demande de M. Peters au motif qu’il avait correctement exclu ce dernier de la liste de membres à sa discrétion en 1987, car le registraire avait ajouté son nom à la liste de membres conditionnels en application du paragraphe 11(2) de la Loi.
[46]
Pour que la décision du conseil de bande du 25 juillet 2016 résiste à un examen selon la norme du caractère raisonnable, les motifs du conseil de bande doivent fournir un fondement justifié, transparent et intelligible à sa décision (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 47). La décision ne satisfait pas à ces critères pour les raisons qui suivent.
[47]
Tout d’abord, le conseil de bande a mal interprété le dossier en concluant que M. Peters avait été placé sur la liste de bande [traduction] « en application du paragraphe 11(2) »
de la Loi. Ce n’est pas le cas. Le nom de M. Peter a été placé sur la liste manuscrite. Cette liste est distincte de la liste tenue en application du paragraphe 11(2).
[48]
Deuxièmement, et fait important, les motifs du conseil de bande n’indiquent aucunement que ce dernier a tenu compte du Code d’appartenance de la PNP en vigueur quand M. Peters a fait une demande d’adhésion en 2016. En fait, la PNP a pris sa décision en partant du principe que M. Peters avait été exclu de la liste de membres en 1987. Le Code d’appartenance actuel joue dans la demande de M. Peters, et il était déraisonnable que le conseil de bande n’en tienne pas compte.
[49]
À l’audience, la PNP a fait valoir que le conseil de bande pouvait fonder sa décision sur celle prise en 1987 et a soutenu que les règles d’appartenance étaient les mêmes en 1987 qu’en 2016. Or, rien ne démontre que la PNP a tenu compte de ces règles d’appartenance, ou de toute règle d’appartenance, lorsqu’elle a décidé d’exclure M. Peters de sa liste de membres en 1987, et c’est là que le bât blesse.
[50]
De plus, le dossier dont la Cour est saisie n’appuie pas la thèse de la PNP selon laquelle le Code d’appartenance de la PNP n’a pas changé depuis 1987. Il ressort de la correspondance entre la PNP et le registraire en 1987 que les règles d’appartenance initiales en 1987 constituaient des règles provisoires très brèves qui reconnaissaient simplement des droits acquis préalablement. Le Code d’appartenance plus détaillé qui s’applique à la demande de M. Peters en 2016 n’est entré en vigueur qu’en 1990 (dossier d’appel, p. 85, 101 à 102 et 110).
[51]
Les motifs du conseil de bande ne démontrent pas qu’il a examiné les règles d’appartenance applicables. Le conseil de bande devait en tenir compte. Sa méconnaissance de ces règles et son analyse incorrecte du dossier factuel rendent sa décision déraisonnable.
VIII.
Quelle est la réparation indiquée?
[52]
Ayant conclu que la décision du conseil de bande était déraisonnable, il nous reste à décider si la Cour devrait rendre la décision que ce dernier aurait dû rendre, comme l’a fait la Cour fédérale, ou si elle devrait lui renvoyer le dossier pour nouvel examen.
[53]
Selon M. Peters, il n’est pas nécessaire de renvoyer l’affaire au conseil de bande parce que la Cour fédérale a correctement décidé qu’il avait légalement le droit d’être inscrit sur la liste de membres de la PNP par l’application des alinéas 6(1)a) et 11(1)a) et du paragraphe 10(4) de la Loi. Aux termes de ces dispositions, de l’avis de M. Peters, il avait le droit d’être inscrit sur la liste de membres le 16 avril 1985 (mémoire de l’intimé, par. 49).
[54]
Or, la conclusion de la Cour fédérale ne tient pas compte des dispositions légales applicables de la Loi antérieure à 1985. Elle a fondé sa décision sur la lettre du registraire par intérim datée du 21 août 1987 voulant que M. Peters soit membre de la PNP. La Cour fédérale a commis une erreur en acceptant simplement les conclusions du registraire par intérim et en déclarant que M. Peters était membre de la PNP sans vérifier que, légalement, M. Peters avait droit d’appartenance en application de la Loi antérieure à 1985. La Cour fédérale était tenue d’analyser les dispositions pertinentes de la Loi antérieure à 1985 avant d’arriver à cette conclusion et de déclarer que M. Peters était membre de la PNP.
[55]
M. Peters a également demandé que la Cour tranche le dossier dans l’intérêt de la justice et de l’économie des ressources judiciaires (mémoire de l’intimé, par. 72). La position de M. Peters est compréhensible vu la durée de ce litige. Cependant, selon moi, cette réparation ne convient pas dans les circonstances.
[56]
Le contrôle judiciaire appelle des réparations discrétionnaires. La cour doit décider si le renvoi de la décision au décideur administratif servirait un « objectif pratique ou juridique »
. Cependant, la cour doit également faire preuve de prudence et résoudre tout doute en renvoyant l’affaire pour nouvel examen. « [L]a cour de révision saisie d’une demande de contrôle judiciaire n’a pas normalement à examiner le fond de l’affaire, c’est‑à‑dire tirer des conclusions de fait, définir le droit applicable et l’appliquer aux faits. »
(Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada (Agence d’inspection des aliments), 2017 CAF 45, par. 48 à 52)
[57]
En l’espèce, il ressort de leurs motifs respectifs que ni le conseil de bande ni la Cour fédérale n’a examiné les deux questions centrales devant être décidées, à savoir : 1) M. Peters a-t-il le droit d’appartenir à la bande en application de la Loi? 2) Sinon, M. Peters a-t-il le droit d’appartenir à la bande en application du Code d’appartenance ?
[58]
Plutôt que d’examiner ces questions, le conseil de bande a rejeté la demande de M. Peters pour un motif entièrement différent, fondé sur une interprétation erronée de la décision du registraire intérimaire de 1987.
[59]
De plus, aucune de ces questions n’a été soulevée par M. Peters dans sa demande d’adhésion et rien dans le dossier n’indique qu’il les a soulevées subséquemment auprès du conseil de bande.
[60]
La Cour fédérale n’a également pas examiné ces questions et a entièrement fondé sa décision sur celle du registraire intérimaire, prise en 1987.
[61]
Si la Cour tranchait l’affaire, elle agirait effectivement comme décideur de première instance. Ce n’est pas le rôle de la Cour.
[62]
L’appel nécessite l’interprétation du Code d’appartenance de la PNP et l’interprétation de la Loi antérieure à 1985. Ces questions devraient être traitées par le conseil de bande, à la lumière des observations de M. Peters, avant que les tribunaux interviennent. Il est également possible que le conseil de bande obtienne le soutien du ministère à l’égard de l’interprétation de la Loi d’avant 1985.
[63]
Par conséquent, il convient de renvoyer la demande au conseil de bande pour nouvel examen.
[64]
Si, à l’issue du nouvel examen, le conseil de bande reconnaît le droit d’appartenance de M. Peters en application des règles de la PNP, il ne sera pas nécessaire que le conseil de bande examine la Loi antérieure à 1985. Dans le cas contraire, le conseil de bande devra déterminer si M. Peters avait acquis ce droit sous le régime de la Loi antérieure à 1985.
IX.
Conclusion
[65]
Compte tenu des motifs énoncés plus haut, j’accueillerais l’appel et :
(i) j’annulerais la décision du conseil de bande datée du 25 juillet 2016;
(ii)
j’annulerais la partie du jugement de la Cour fédérale ayant déclaré que M. Peters était membre de la PNP;
(iii)
je renverrais la demande de l’intimé au conseil de bande pour un nouvel examen.
[66]
Compte tenu du succès mitigé des parties dans le présent appel, je n’adjugerais aucuns dépens à l’une ou l’autre des parties. Je ne modifierais pas non plus l’ordonnance de la Cour fédérale quant aux dépens, car elle s’appliquait non seulement à M. Peters, mais aussi à d’autres parties.
« Judith Woods »
j.c.a.
« Je suis d’accord.
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Eleanor R. Dawson, j.c.a. »
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« Je suis d’accord.
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Marianne Rivoalen, j.c.a. »
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Traduction certifiée conforme
Marie-Luc Simoneau, jurilinguiste
ANNEXE A
Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5
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ANNEXE B
Loi sur les Indiens, telle qu’elle était libellée avant le 17 avril 1985.
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COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
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Dossier :
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A-179-18
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INTITULÉ :
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CONSEIL DE BANDE DE LA PREMIÈRE NATION PETERS, NORMA WEBB EN SA QUALITÉ DE CHEF DE LA PREMIÈRE NATION PETERS, LEANNE PETERS EN SA QUALITÉ DE CONSEILLÈRE DE LA PREMIÈRE NATION PETERS et VICTORIA PETERS EN SA QUALITÉ DE CONSEILLÈRE DE LA PREMIÈRE NATION PETERS c.
GUY PETERS
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Vancouver
(Colombie-Britannique)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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Le 10 avril 2019
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MOTIFS DU JUGEMENT :
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LA JUGE WOODS
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Y ONT SOUSCRIT :
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LA JUGE DAWSON
LA JUGE RIVOALEN
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DATE DES MOTIFS :
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Le 4 juillet 2019
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COMPARUTIONS :
Stan Ashcroft
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Pour les appelants
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Karey Brooks
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Pour l’intimé
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Ashcroft & Company
Vancouver Ouest (Colombie-Britannique)
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Pour les appelants
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JFK Law Corporation
Vancouver (Colombie-Britannique)
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Pour l’intimé
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