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Date : 20190628


Dossier : A-79-18

Référence : 2019 CAF 195

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

 

 

BAKORP MANAGEMENT LTD.

 

 

appelante

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

intimée

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 14 février 2019 et le 18 mars 2019.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 28 juin 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LE JUGE LASKIN

 


Date : 20190628


Dossier : A-79-18

Référence : 2019 CAF 195

CORAM :

LE JUGE WEBB

LE JUGE NEAR

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

 

 

BAKORP MANAGEMENT LTD.

 

 

appelante

 

 

et

 

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE WEBB

[1]  Notre Cour est saisie d’un appel d’un jugement rendu par la Cour canadienne de l’impôt (no de dossier : 2015‑1101(IT)G), qui a rejeté l’appel interjeté par Bakorp Management Ltd. (Bakorp) à l’encontre de la nouvelle cotisation établie pour l’année d’imposition se terminant en mars 1992.

[2]  À l’issue du règlement d’un litige concernant le montant des pertes autres qu’en capital d’une année d’imposition antérieure pouvant être reportées, Bakorp a demandé une réduction du montant des pertes autres qu’en capital qui avaient été déclarées pour l’année d’imposition se terminant en janvier 1992. La déclaration de revenus pour l’exercice se terminant en mars 1992 a été produite sur le fondement que cette demande serait accueillie et que les pertes autres qu’en capital, qui avaient initialement été déclarées pour l’année d’imposition se terminant en janvier 1992, pourraient être reportées à l’année d’imposition se terminant en mars 1992. Cette demande a toutefois été rejetée par le ministre du Revenu national (le ministre), et une nouvelle cotisation a été établie pour l’année d’imposition se terminant en mars 1992, dans laquelle la déduction demandée pour les pertes autres qu’en capital a été refusée.

[3]  Bakorp a interjeté appel de la nouvelle cotisation établie pour son année d’imposition se terminant en mars 1992, soutenant que, même si le ministre avait refusé d’effectuer les redressements demandés pour l’année d’imposition se terminant en janvier 1992, les pertes autres qu’en capital pouvant être déclarées pour l’année d’imposition se terminant en mars 1992 auraient dû refléter le montant révisé tenant compte de la demande faite par Bakorp de réduire les pertes autres qu’en capital déclarées pour l’année d’imposition se terminant en janvier 1992.

[4]  Le juge de la Cour canadienne de l’impôt n’a pas souscrit à la thèse de Bakorp et a rejeté l’appel. Pour les motifs qui suivent, je rejetterais le présent appel.

I.  Les faits

[5]  Selon l’exposé conjoint des faits, il semble que Seven Up Canada Inc. et au moins une autre société aient fusionné pour former la société Bakorp le 10 mars 1992. La fin d’exercice de la société Seven Up Canada était le 18 janvier 1992. Il y a donc eu, en 1992, deux fins d’exercice pertinentes en l’espèce — la première étant le 18 janvier 1992 et la seconde, le 10 mars 1992. Aucune distinction n’est faite entre Bakorp et Seven Up Canada Inc. dans l’exposé conjoint des faits. Il est ainsi écrit au paragraphe 6 que [traduction] « [l’] année d’imposition la société remplacée par l’appelante, Seven Up Canada Inc., prenait fin le 18 janvier 1992 » et, au paragraphe suivant, que « [l]’appelante a initialement reporté et appliqué les pertes autres qu’en capital pour réduire à zéro son revenu pour l’année d’imposition se terminant le 18 janvier 1992 ».

[6]  Il y est également écrit que « l’appelante » était partie à un litige l’opposant au ministre relativement à l’année d’imposition 1989 de « l’appelante ». Puisque la fusion a eu lieu en mars 1992 et qu’il semble que l’année d’imposition de Seven Up Canada se terminait le 18 janvier 1992 et que Seven Up Canada avait déclaré des pertes autres qu’en capital (qui faisaient l’objet du litige avec le ministre), on peut présumer que ce litige concernait les pertes autres qu’en capital de Seven Up Canada Inc.

[7]  Quoi qu’il en soit, ce qui est pertinent en l’espèce, c’est qu’il y a eu deux années d’imposition, à moins de deux mois d’intervalle, se terminant en 1992. Il convient également de mentionner qu’il existait aussi un litige relatif à l’année d’imposition 1989, qui concernait le montant des pertes autres qu’en capital de 1987 qui pouvaient être reportées. Ce litige concernant l’année d’imposition 1989 a en fin de compte été réglé le 15 avril 2010.

[8]  Lors de la production de la déclaration de revenus pour l’année d’imposition se terminant en janvier 1992, une somme a été déclarée à titre de pertes autres qu’en capital reportées. La somme déclarée réduisait le revenu imposable à zéro. Lorsque cette déclaration de revenus a été produite, le litige mentionné ci-dessus (qui concernait le montant des pertes autres qu’en capital pouvant être reportées) n’avait pas encore été résolu.

[9]  Dans son mémoire et dans ses observations orales, Bakorp a qualifié la somme déclarée à titre de pertes autres qu’en capital dans la déclaration de revenus qui avait été produite pour l’année d’imposition se terminant en janvier 1992 de [traduction] « chiffre temporaire ». Cependant, la notion de [traduction] « chiffre temporaire » n’existe pas pour l’application de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi). Soit une somme déclarée est une perte autre qu’en capital, soit elle ne l’est pas.

[10]  Le 7 décembre 2010, à la suite du règlement du litige concernant l’année d’imposition 1989, Bakorp a envoyé une lettre au ministre lui demandant d’effectuer deux redressements pour l’année d’imposition se terminant en janvier 1992. Bakorp demandait premièrement que le montant des pertes autres qu’en capital déclarées pour cette année d’imposition soit réduit de 439 581 $ (les ramenant à 4 220 959 $) et, deuxièmement, que les crédits d’impôt à l’investissement disponibles soient appliqués afin d’éliminer toute dette fiscale qui résulterait de la réduction des pertes autres qu’en capital.

[11]  Lors de la production initiale de la déclaration de revenus pour l’année d’imposition se terminant en janvier 1992, aucun impôt n’était à payer pour cette année d’imposition. Si on effectuait les deux redressements demandés (visant à réduire le montant des pertes autres qu’en capital qui avaient été déclarées et à appliquer les crédits d’impôt à l’investissement disponibles), il n’y aurait toujours aucun impôt à payer pour l’année d’imposition se terminant en janvier 1992.

[12]  La déclaration de revenus pour l’année d’imposition se terminant en mars 1992 n’a été produite qu’après le règlement du litige concernant l’année d’imposition 1989 et l’établissement du montant des pertes autres qu’en capital pouvant être reportées. Cette déclaration a été produite le 10 février 2011, après que Bakorp eut demandé des redressements pour l’année d’imposition se terminant en janvier 1992, mais avant qu’elle reçoive la réponse du ministre. Il était demandé dans cette déclaration de revenus une déduction de 439 581 $ pour les pertes autres qu’en capital qui avaient initialement été déclarées pour l’année d’imposition se terminant en janvier 1992, mais dont Bakorp avait demandé l’annulation (afin que cette somme puisse être reportée à l’année d’imposition se terminant en mars 1992).

[13]  Dans une lettre datée du 23 novembre 2011, le ministre a fait savoir qu’il n’effectuerait pas les deux redressements demandés. Comme le ministre a refusé d’effectuer les redressements demandés pour l’année d’imposition se terminant en janvier 1992, une nouvelle cotisation a été établie pour l’année d’imposition se terminant en mars 1992 afin d’en enlever le montant de 439 581 $ de pertes autres qu’en capital qui avait été déclaré pour l’année d’imposition se terminant en mars 1992 mais aussi pour l’année d’imposition se terminant en janvier 1992.

[14]  Bakorp a déposé un avis d’opposition à la nouvelle cotisation établie pour l’année d’imposition se terminant en mars 1992. Bakorp n’a toutefois pas présenté de demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale à l’encontre de la décision rendue par le ministre le 23 novembre 2011, par laquelle le ministre avait rejeté la demande de Bakorp d’apporter les redressements demandés pour l’année d’imposition se terminant en janvier 1992.

II.  La décision rendue par la Cour de l’impôt

[15]  Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a exposé ses motifs oralement. Une transcription modifiée des motifs exposés oralement a été produite dans le présent appel. Comme il s’agit d’une transcription, les différents paragraphes ne sont pas numérotés.

[16]  Aux pages 4 et 5 de la transcription des motifs, le juge de la Cour canadienne de l’impôt a énoncé deux questions à trancher :

[traduction]

  Le ministre était‑il tenu d’établir une cotisation corrélative en application du paragraphe 152(4.3), comme le demandait le contribuable?

  Dans l’affirmative, le montant des pertes autres qu’en capital de 1987 qui avaient été reportées peut‑il faire l’objet de la demande de déduction présentée au titre de l’alinéa 111(1)a), malgré le fait que le ministre n’a pas établi à l’égard de l’appelante de nouvelle cotisation pour l’année d’imposition se terminant en janvier 1992 de manière à réduire de 439 581 $ le montant des pertes reportées cette année‑là, comme le demandait l’appelante?

[17]  Le paragraphe 152(4.3) de la Loi est rédigé ainsi :

(4.3) Malgré les paragraphes (4), (4.1) et (5), lorsqu’une cotisation ou une décision d’appel a pour effet de modifier un solde donné applicable à un contribuable pour une année d’imposition donnée, le ministre peut ou, si le contribuable en fait la demande par écrit, doit, avant le dernier en date du jour d’expiration de la période normale de nouvelle cotisation pour une année d’imposition subséquente et de la fin du jour qui suit d’un an l’extinction ou la détermination de tous les droits d’opposition ou d’appel relatifs à l’année donnée, établir une nouvelle cotisation à l’égard de l’impôt, des intérêts ou des pénalités payables par le contribuable, déterminer de nouveau un montant réputé avoir été payé, ou payé en trop, par lui ou modifier le montant d’un remboursement ou une autre somme qui lui est payable, en vertu de la présente partie pour l’année subséquente, mais seulement dans la mesure où il est raisonnable de considérer que la nouvelle cotisation, la nouvelle détermination ou la modification se rapporte à la modification du solde donné applicable au contribuable pour l’année donnée.

(4.3) Notwithstanding subsections (4), (4.1) and (5), if the result of an assessment or a decision on an appeal is to change a particular balance of a taxpayer for a particular taxation year, the Minister may, or if the taxpayer so requests in writing, shall, before the later of the expiration of the normal reassessment period in respect of a subsequent taxation year and the end of the day that is one year after the day on which all rights of objection and appeal expire or are determined in respect of the particular year, reassess the tax, interest or penalties payable by the taxpayer, redetermine an amount deemed to have been paid or to have been an overpayment by the taxpayer or modify the amount of a refund or other amount payable to the taxpayer, under this Part in respect of the subsequent taxation year, but only to the extent that the reassessment, redetermination or modification can reasonably be considered to relate to the change in the particular balance of the taxpayer for the particular year.

[18]  Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a énoncé trois conditions auxquelles il faut satisfaire pour que cette disposition puisse s’appliquer. La première condition est que le solde donné (qui nécessiterait le calcul des pertes) applicable à un contribuable pour une année d’imposition donnée doit être modifié à la suite d’une cotisation ou d’une décision d’appel. Personne ne conteste qu’il est satisfait à cette condition en l’espèce.

[19]  La deuxième condition est que le contribuable doit présenter une demande par écrit à l’égard d’une année d’imposition subséquente. Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a noté que les parties ne contestaient pas qu’il était satisfait à cette condition en l’espèce.

[20]  Enfin, la troisième condition est qu’il doit être raisonnable de considérer que la modification demandée se rapporte à la modification du solde donné applicable au contribuable pour l’année d’imposition donnée. En l’espèce, le juge de la Cour canadienne de l’impôt a conclu que la modification demandée ne se rapportait pas suffisamment ou n’était pas suffisamment liée au solde qui avait été modifié en raison des pertes autres qu’en capital reportées à 1989 pour qu’il soit satisfait à cette condition.

[21]  Le juge de la Cour canadienne de l’impôt a également conclu que la question de savoir si les redressements demandés pour l’année d’imposition se terminant en janvier 1992 auraient dû être apportés est une question dont la Cour fédérale, et non la Cour canadienne de l’impôt, aurait dû être saisie.

[22]  Par conséquent, la Cour canadienne de l’impôt a rejeté l’appel interjeté par Bakorp.

III.  Les questions en litige et la norme de contrôle

[23]  Bien que le juge de la Cour canadienne de l’impôt ait commencé par examiner l’interprétation du paragraphe 152(4.3) de la Loi, avant de se pencher sur la question de la compétence, je suis d’avis qu’il serait plus approprié d’examiner d’abord la question de compétence en l’espèce.

[24]  Par conséquent, les questions à trancher dans le présent appel sont les suivantes :

  • a) La Cour canadienne de l’impôt avait‑elle compétence, en l’espèce, pour interpréter le paragraphe 152(4.3) de la Loi et déterminer si le ministre était tenu d’apporter les redressements demandés pour l’année d’imposition se terminant en janvier 1992?

  • b) Si la Cour canadienne de l’impôt avait compétence, le ministre était-il tenu d’apporter les redressements demandés par Bakorp pour l’année d’imposition se terminant en janvier 1992?

  • c) Si la Cour canadienne de l’impôt n’avait pas compétence, quelles sont les conséquences du refus du ministre d’apporter les redressements demandés par Bakorp sur l’année d’imposition se terminant en mars 1992?

[25]  Ces questions sont des questions de droit et, par conséquent, elles sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235).

IV.  Analyse

[26]  Le paragraphe 152(4.3) de la Loi dispose que le ministre doit notamment établir une nouvelle cotisation à l’égard de l’impôt, des intérêts ou des pénalités payables par le contribuable lorsqu’une cotisation ou une décision d’appel a pour effet de modifier un solde donné pour une année d’imposition antérieure. Il y est prévu une autre condition, soit qu’il doit être raisonnable de considérer que la nouvelle cotisation se rapporte à la modification du solde donné applicable au contribuable pour l’année d’imposition donnée.

[27]  Le paragraphe 152(4.3) dispose en outre que le ministre doit « [...] déterminer de nouveau un montant réputé avoir été payé, ou payé en trop, par [le contribuable] ou modifier le montant d’un remboursement ou une autre somme qui lui est payable, en vertu de la présente partie pour l’année subséquente [...] ». Cependant, Bakorp ne demandait pas que soit déterminé de nouveau un montant réputé avoir été payé, ou payé en trop, pour l’année d’imposition se terminant en janvier 1992, ni ne demandait la modification d’un remboursement ou de toute autre somme lui étant payable pour cette année d’imposition.

[28]  Les redressements demandés pour l’année d’imposition se terminant en janvier 1992 sont exposés dans le premier paragraphe de la lettre du 7 décembre 2010 envoyée par l’avocat de Bakorp à l’Agence du revenu du Canada :

[traduction]

[...] À la suite du règlement du litige concernant l’année d’imposition 1989 de Bakorp Management Limited (Bakorp), le montant des pertes autres qu’en capital pour l’année 1987 a été déterminé. Bakorp demande maintenant, en vertu du paragraphe 152(4.3) de la Loi de l’impôt sur le revenu du Canada (la Loi), que le ministre établisse une nouvelle cotisation pour l’année d’imposition se terminant en janvier 1992 afin que les pertes appliquées pour cette année d’imposition soient modifiées de manière à ce qu’en fin de compte, le montant de 4 220 959 $ de pertes autres qu’en capital pour 1987 soit pris en compte. Bakrop [sic] demande en outre que les crédits d’impôt à l’investissement (CII) pouvant être appliqués à l’année d’imposition se terminant en janvier 1992 soient appliqués à tout impôt exigible.

[29]  L’obligation qui est imposée au ministre au titre du paragraphe 152(4.3) de la Loi est celle d’établir une nouvelle cotisation. Avant que cette demande ne soit présentée, l’impôt exigible pour l’année d’imposition se terminant en janvier 1992 était nul. Si la demande avait été accueillie, le montant des impôts à payer pour cette année d’imposition serait resté inchangé, c’est‑à‑dire qu’il n’y aurait toujours eu aucun impôt à payer. Cela a mené à la question, discutée à l’audience, de savoir s’il s’agissait d’une demande visant à établir une nouvelle cotisation à l’égard de l’impôt pour cette année d’imposition.

[30]  Les parties n’avaient pas abordé cette question dans leur mémoire. L’audience a été ajournée, et chaque partie a présenté des observations écrites supplémentaires. À la reprise de l’audience, chaque partie a présenté d’autres observations orales au sujet de cette question. Une autre question liée à l’application (ou à l’application potentielle) du paragraphe 152(8) de la Loi a aussi été examinée par les parties.

[31]  En réponse à ces questions, Bakorp a reconnu, au paragraphe 14 de ses observations écrites, que [traduction] « les demandes présentées au titre du paragraphe 152(4.3) ne font pas partie des régimes d’opposition et d’appel prévus aux articles 165 et 169, respectivement, mais font plutôt partie du régime de cotisations prévu à l’article 152 », puis, au paragraphe 24, que [traduction] « [l]e paragraphe 152(4.3) n’est pas visé aux articles 165 ou 169, ne renvoie pas à ces dispositions et n’indique d’aucune façon qu’il est assujetti à ces dispositions ».

[32]  Je souscris à l’observation selon laquelle la demande formulée par Bakorp en l’espèce ne relève pas des régimes d’opposition et d’appel prévus aux articles 165 et 169 de la Loi. Cependant, cela soulève directement la question de savoir si la Cour canadienne de l’impôt, en l’espèce, avait compétence pour décider si le paragraphe 152(4.3) de la Loi obligeait le ministre à apporter les redressements demandés.

[33]  La Cour canadienne de l’impôt tire sa compétence pour entendre des appels de l’article 12 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. 1985, ch. T‑2. Cet article est rédigé ainsi :

12(1) La Cour a compétence exclusive pour entendre les renvois et les appels portés devant elle sur les questions découlant de l’application de la Loi sur le droit pour la sécurité des passagers du transport aérien, du Régime de pensions du Canada, de la Loi sur l’exportation et l’importation de biens culturels, de la partie V.1 de la Loi sur les douanes, de la Loi sur l’assurance-emploi, de la Loi de 2001 sur l’accise, de la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise, de la partie 1 de la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre, de la Loi de l’impôt sur le revenu, de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, de la Loi de l’impôt sur les revenus pétroliers et de la Loi de 2006 sur les droits d’exportation de produits de bois d’œuvre, dans la mesure où ces lois prévoient un droit de renvoi ou d’appel devant elle.

12(1) The Court has exclusive original jurisdiction to hear and determine references and appeals to the Court on matters arising under the Air Travellers Security Charge Act, the Canada Pension Plan, the Cultural Property Export and Import Act, Part V.1 of the Customs Act, the Employment Insurance Act, the Excise Act, 2001, Part IX of the Excise Tax Act, Part 1 of the Greenhouse Gas Pollution Pricing Act, the Income Tax Act, the Old Age Security Act, the Petroleum and Gas Revenue Tax Act and the Softwood Lumber Products Export Charge Act, 2006 when references or appeals to the Court are provided for in those Acts.

[34]  La compétence de la Cour canadienne de l’impôt se limite à l’instruction d’appels interjetés au titre de la Loi lorsque ces appels sont prévus dans la Loi. Selon le paragraphe 169(1) de la Loi, un appel ne peut être interjeté auprès de la Cour canadienne de l’impôt que si un avis d’opposition à une cotisation a été signifié. Or, aucun avis d’opposition n’a été signifié relativement à l’année d’imposition se terminant en janvier 1992 (et, comme la cotisation pour cette année‑là était nulle, aucun avis d’opposition n’aurait pu être signifié) (Bormann c. Canada, 2006 CAF 83, aux paragraphes 3 et 8).

[35]  Bien que l’article 12 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt confère également à la Cour canadienne de l’impôt la compétence pour entendre des renvois, la seule disposition de la Loi qui prévoit un renvoi direct à la Cour canadienne de l’impôt est l’article 174. Cet article dispose seulement que le ministre peut demander à la Cour canadienne de l’impôt de se prononcer sur une question. Bakorp ne peut se prévaloir de cette disposition pour saisir la Cour canadienne de l’impôt d’un renvoi.

[36]  En l’espèce, la Cour canadienne de l’impôt n’a été saisie d’aucun appel concernant l’année d’imposition se terminant en janvier 1992. Pour cette raison, il faut établir une distinction entre la présente affaire et l’affaire Sherway Centre Ltd. c. Canada, 2003 CAF 26, qui consistait en un appel interjeté auprès de notre Cour à l’encontre d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt. Dans Sherway, l’interprétation du paragraphe 152(4.3) de la Loi a été examinée. Toutefois, la Cour canadienne de l’impôt avait été appelée à se prononcer sur les années d’imposition visées (les années pour lesquelles des redressements avaient été demandés), après que de nouvelles cotisations eurent été établies pour les années en question et que des avis d’opposition eurent été signifiés.

[37]  En l’espèce, comme l’affaire dont a été saisie la Cour canadienne de l’impôt ne concernait pas l’année d’imposition se terminant en janvier 1992, il n’existe aucune disposition de la Loi qui autoriserait la Cour canadienne de l’impôt à accorder les redressements demandés pour cette année‑là, même si elle concluait que Bakorp avait droit aux redressements. À moins que la somme déclarée au titre des pertes autres qu’en capital pour l’année d’imposition se terminant en janvier 1992 ne soit rajustée conformément à la demande de Bakorp, 439 581 $ de ces pertes seront déclarés deux fois au titre des pertes autres qu’en capital — une fois pour l’année d’imposition se terminant en janvier 1992 et une autre fois pour l’année d’imposition se terminant en mars 1992.

[38]  Bakorp soutient qu’à son avis, le ministre a commis une erreur en n’apportant pas les redressements demandés pour l’année d’imposition se terminant en janvier 1992. Bakorp fait valoir que la cotisation pour l’année d’imposition se terminant en mars 1992 doit être établie séparément, même si le ministre n’a pas effectué les redressements demandés pour l’année d’imposition se terminant en janvier 1992 et que, dans le cadre de l’établissement de la cotisation pour l’année d’imposition se terminant en mars 1992, la cour doit faire appliquer les redressements demandés. Dans ses observations supplémentaires, Bakorp a déclaré, au paragraphe 37, que [traduction] « la jurisprudence est sans équivoque — le ministre doit établir une cotisation pour chaque année conformément à la Loi, sans tenir compte des erreurs commises lors d’autres années ». À l’appui de cette observation, Bakorp énumère, dans une note en bas de page, les décisions suivantes : Aallcann Wood Suppliers Inc. c. La Reine, [1994] A.C.I. no 280 (QL); Canada c. Papiers Cascades Cabano inc., 2006 CAF 419; Leola Purdy Sons Ltd. c. La Reine, 2009 CCI 21; Barrington Lane Developments Limited c. La Reine, 2010 CCI 388, et On-Line Finance & Leasing Corporation c. Canada, 2010 CCI 475.

[39]  Bakorp invoque également la décision Trom Electric Co. Ltd. c. La Reine, 2004 CCI 727, pour étayer son argument selon lequel la cotisation pour une année donnée doit être établie en conformité avec les règles de droit en vigueur, même si cela signifie qu’un contribuable pourrait échapper à l’impôt ou en tirer autrement des avantages imprévus pour une année frappée de prescription. Dans Trom Electric, personne ne contestait le fait que le contribuable avait commis des erreurs dans la manière de traiter des sommes retenues au titre du privilège de constructeurs pour l’application de la Loi. Si ces erreurs étaient corrigées uniquement pour les années dont la Cour canadienne de l’impôt avait été saisie (1992 à 1994), le contribuable en tirait un avantage, car il avait, par erreur, demandé en 1991 une déduction qui a été incluse dans son revenu de 1992. La question était de savoir s’il fallait annuler la déduction incluse dans le revenu pour l’année 1992, puisqu’aucun redressement ne pouvait être effectué pour l’année 1991 (qui n’était pas visée par le litige devant la Cour canadienne de l’impôt). La Cour canadienne de l’impôt a conclu que la bonne cotisation était celle établie en supprimant du revenu la somme qui avait été incluse dans le revenu de 1992, même s’il était impossible d’annuler la déduction de ce montant pour l’année d’imposition 1991.

[40]  Aucune des décisions citées par Bakorp ne porte sur une situation où une demande avait été présentée au titre du paragraphe 152(4.3) de la Loi, sollicitant un redressement pour une année d’imposition subséquente à la suite du règlement d’un litige concernant une année d’imposition antérieure, mais où le ministre a refusé d’apporter le redressement.

[41]  Dans le présent appel, personne ne conteste la validité des pertes autres qu’en capital déclarées pour l’année d’imposition se terminant en janvier 1992 et le fait qu’une déduction pour ces pertes pouvait être demandée cette année‑là. Par conséquent, la déclaration de revenus initialement produite ne contenait pas d’erreur relativement aux pertes autres qu’en capital déclarées. Le ministre a simplement refusé d’effectuer les redressements demandés par Bakorp pour l’année d’imposition se terminant en janvier 1992. Bakorp conteste cette décision rendue par le ministre.

[42]  Toutefois, ce différend entre Bakorp et le ministre au sujet de l’application du paragraphe 152(4.3) de la Loi aurait dû être résolu, en l’espèce, au moyen d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Bakorp à la Cour fédérale à l’encontre de cette décision du ministre. La Cour canadienne de l’impôt n’a pas compétence pour procéder au contrôle judiciaire de décisions du ministre. La compétence de la Cour canadienne de l’impôt se limite aux renvois et aux appels prévus par la Loi. Aucune disposition de la Loi n’autoriserait la Cour canadienne de l’impôt à procéder au contrôle judiciaire de la décision rendue par le ministre en l’espèce. N’ayant pas présenté de demande de contrôle judiciaire visant cette décision à la Cour fédérale, Bakorp ne peut, dans les faits, demander à la Cour canadienne de l’impôt d’interpréter et d’appliquer indirectement cette disposition.

[43]  Je suis d’avis que la Cour canadienne de l’impôt n’avait pas compétence, en l’espèce, pour interpréter le paragraphe 152(4.3) de la Loi et déterminer si le ministre devait effectuer les redressements demandés par Bakorp pour l’année d’imposition se terminant en janvier 1992.

[44]  Cependant, comme Bakorp n’a pas demandé le contrôle judiciaire de la décision du ministre de refuser d’apporter les redressements demandés pour l’année d’imposition se terminant en janvier 1992, cette décision demeure valide. Les pertes autres qu’en capital qui sont en litige en l’espèce ont donc été déclarées pour l’année d’imposition se terminant en janvier 1992 et ne pouvaient être déclarées à nouveau pour l’année d’imposition se terminant en mars 1992.

[45]  Il y a lieu de faire une distinction entre la présente affaire et une autre où le contribuable a produit une déclaration de revenus et a déclaré des pertes autres qu’en capital, mais où le ministre conteste le montant de ces pertes. Si l’on présume que l’on obtiendrait toujours une cotisation nulle, le contribuable ne pourrait déposer d’avis d’opposition pour l’année en question. Si le contribuable réalise des bénéfices lors d’une année subséquente et veut reporter les pertes autres qu’en capital de l’année antérieure, la Cour canadienne de l’impôt pourrait alors déterminer le montant des pertes de l’année antérieure. Le litige porterait alors sur la cotisation établie par le ministre relativement au montant des pertes subies durant l’année d’imposition antérieure, et non sur la décision du ministre de ne pas établir de nouvelle cotisation à l’égard du contribuable ayant demandé des redressements au titre du paragraphe 152(4.3) de la Loi.

[46]  À la fin de son mémoire, Bakorp soulève deux questions qu’elle appelle des questions d’équité procédurale et de justice naturelle. La première question est basée sur la réponse déposée par la Couronne dans l’appel interjeté devant la Cour canadienne de l’impôt. Dans sa réponse, la Couronne n’a pas invoqué l’alinéa 111(3)a) de la Loi. Cette disposition établit qu’un contribuable ne peut déclarer des pertes autres qu’en capital qu’une seule fois. Bakorp soutient que, parce que la Couronne n’a pas invoqué cette disposition, la Cour canadienne de l’impôt ne pouvait pas non plus se fonder sur celle-ci pour refuser à Bakorp la déduction pour pertes autres qu’en capital pour l’année d’imposition se terminant en mars 1992 au motif que ces pertes avaient aussi été déclarées pour l’année d’imposition se terminant en janvier 1992.

[47]  Cependant, il ne fait aucun doute, à la lecture de l’avis d’appel que Bakorp a déposé à la Cour canadienne de l’impôt, que Bakorp comprenait que les pertes autres qu’en capital ne pouvaient être déclarées qu’une fois. Dans son avis d’appel à la Cour canadienne de l’impôt, Bakorp a également affirmé se fonder sur l’article 111 de la Loi. À l’alinéa 11(k) de sa réponse présentée à la Cour canadienne de l’impôt, la Couronne a indiqué que le ministre s’était fondé sur l’hypothèse voulant que [traduction] « le montant maximal des pertes autres qu’en capital pouvant être appliqué à l’année d’imposition se terminant en mars 1992 était de 51 594 852 $ ». Ce montant tenait compte du montant des pertes autres qu’en capital qui avaient été déclarées pour l’année d’imposition se terminant en janvier 1992 et dont Bakorp avait demandé la modification. Le renvoi à l’alinéa 111(3)a) de la Loi, par le juge de la Cour canadienne de l’impôt, n’a pas introduit de nouveau principe de droit qui était inconnu de Bakorp. L’allégation de manquement à l’équité procédurale est sans fondement.

[48]  Bakorp soutient également que la question de la compétence de la Cour canadienne de l’impôt avait déjà été tranchée par un autre juge de cette cour. Après le dépôt de l’avis d’appel à la Cour canadienne de l’impôt, la Couronne a présenté une requête visant à obtenir une ordonnance rejetant l’appel au motif que la Cour canadienne de l’impôt n’avait pas compétence pour accorder la mesure de redressement demandée. En rejetant cette requête, le juge saisi de la requête a conclu que la Couronne demandait en réalité à la Cour canadienne de l’impôt de radier l’avis d’appel; il a donc appliqué le critère relatif à la radiation d’actes de procédure. Il a conclu qu’il n’était pas évident et manifeste que l’avis d’appel de Bakorp ne révélait aucune cause d’action raisonnable.

[49]  Le juge saisi de la requête a conclu, au paragraphe 12 de ses motifs, que « [l]a Cour a compétence pour entendre l’appel et accorder la mesure de redressement demandée par [Bakorp] ». La mesure de réparation demandée par Bakorp, dans son avis d’appel déposé à la Cour canadienne de l’impôt, était une ordonnance enjoignant au ministre d’établir une nouvelle cotisation pour l’année d’imposition se terminant en mars 1992 qui permettrait à Bakorp de déclarer les pertes autres qu’en capital visées par la demande de redressement. Bien que la Cour canadienne de l’impôt ait compétence pour ordonner l’établissement d’une nouvelle cotisation pour une année d’imposition dont elle a été saisie, la question est de savoir si la Cour canadienne de l’impôt avait compétence pour décider si le ministre, en l’espèce, était tenu d’effectuer les redressements demandés pour une année d’imposition différente (l’année d’imposition se terminant en janvier 1992), dont elle n’a pas été saisie. Je suis d’avis qu’il était loisible au juge de la Cour canadienne de l’impôt instruisant l’appel de Bakorp de trancher cette question. Quoi qu’il en soit, notre Cour n’est pas liée par les conclusions en matière de compétence tirées par le juge saisi de la requête.

[50]  Pour les motifs qui précèdent, je rejetterais le présent appel avec dépens.

« Wyman W. Webb »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

D. G. Near, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

J.B. Laskin, j.c.a. »

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross, jurilinguiste


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


APPEL D’UN JUGEMENT DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT DATÉ DU 31 JANVIER 2018 (MODIFIÉ LE 9 MARS 2018), DOSSIER NO 2015-1101(IT)G

DOSSIER :

A-79-18

 

INTITULÉ :

BAKORP MANAGEMENT LTD. c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATES DE L’AUDIENCE :

Le 14 février 2019 et le 18 mars 2019

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE WEBB

Y ONT SOUSCRIT :

LE JUGE NEAR

LE JUGE LASKIN

DATE DES MOTIFS :

Le 28 juin 2019

COMPARUTIONS :

E. Rebecca Potter

Pour l’appelante

Brent E. Cuddy

Pour l’intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Thorsteinssons LLP

Toronto (Ontario)

Pour l’appelante

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimée

 

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