Décisions de la Cour d'appel fédérale

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Date : 20190501


Dossier : A-203-18

Référence : 2019 CAF 105

[TRADUCTION FRANÇAISE]

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

KARL WALTHER KELLER

appelant

et

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

intimé

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 1er mai 2019.

Jugement rendu à l’audience à Vancouver (Colombie-Britannique), le 1er mai 2019.

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE RENNIE

 


Date : 20190501


Dossier : A-203-18

Référence : 2019 CAF 105

CORAM :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

 

ENTRE :

KARL WALTHER KELLER

appelant

et

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

intimé

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Vancouver (Colombie-Britannique), le 1er mai 2019).

LE JUGE RENNIE

[1]  L’appelant, Karl Walther Keller, interjette appel d’un jugement de la Cour fédérale (2018 CF 598, rendu par le juge O’Reilly) ayant rejeté sa demande de contrôle judiciaire d’une décision du ministre des Affaires étrangères ayant refusé de lui délivrer l’attestation sollicitée en application du paragraphe 10(1) (modifié depuis) du Règlement d’application des résolutions des Nations Unies sur la lutte contre le terrorisme (DORS/2001-360) (le Règlement). Les attestations délivrées en application de ce paragraphe servent à confirmer que le titulaire n’est pas une personne inscrite à la liste de l’annexe du Règlement. L’annexe dresse la liste des personnes, des entités ou des organismes dont le gouverneur en conseil est convaincu qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’ils ont mené des activités terroristes ou y ont participé (paragraphe 2(1) du Règlement). Être inscrit à cette liste emporte notamment pour conséquence le gel des actifs financiers ainsi que la restriction des déplacements.

[2]  L’appelant a déposé sa demande d’attestation le 17 avril 2015. Trois semaines plus tard, l’appelant a été informé par la Division du droit économique du ministère des Affaires étrangères qu’il ne semblait pas pouvoir recevoir l’attestation, car rien n’indiquait qu’il avait été inscrit sur la liste ou pouvait être confondu avec l’une de ces personnes ou encore que ses actifs avaient été bloqués en raison d’une telle méprise. Néanmoins, l’appelant a été invité à soumettre des renseignements supplémentaires, incluant le nom de la personne inscrite avec laquelle il risquait d’être confondu.

[3]  L’appelant a demandé un contrôle judiciaire. La Cour fédérale a rejeté sa demande de contrôle judiciaire (2016 CF 903, jugement rendu par le juge Martineau) pour cause de prématurité, car aucune décision définitive n’avait été rendue à l’égard de sa demande d’attestation.

[4]  Le 29 août 2016, l’appelant a écrit au ministre pour réitérer qu’il ne figurait pas parmi les personnes inscrites et qu’il pouvait donc se voir délivrer l’attestation. Le ministre a répondu en confirmant qu’à défaut de démontrer que le Règlement lui avait nui, l’appelant n’était pas apte à recevoir l’attestation délivrée en application de l’article 10. Le ministre lui a expliqué que l’article 10 du Règlement visait à [traduction« offrir réparation dans les cas où une personne a été ou pourrait être confondue avec une personne inscrite sous le régime du Règlement ».

[5]  L’appelant a de nouveau demandé un contrôle judiciaire. La Cour fédérale a rejeté la demande (2018 CF 598, jugement rendu par le juge O’Reilly), au motif que la décision du ministre respectait l’intention générale du Règlement, soit de « réduire le risque que les personnes soupçonnées de participer à des activités terroristes poursuivent leurs objectifs en restreignant leur capacité à financer de telles activités, à acquérir les biens nécessaires et à obtenir de l’aide auprès d’autres personnes ». En outre, selon le juge, aux termes de l’article 10, « cette attestation a pour but d’éviter que les personnes non inscrites rencontrent ce genre de difficultés » (paragraphe 19). Ainsi, il n’était pas déraisonnable que le ministre demande à l’appelant de fournir des éléments de preuve étayant l’allégation d’erreur sur sa personne.

[6]  Le juge a également conclu que le paragraphe 10(2), lequel fixe un délai de 15 jours dans lequel le ministre doit délivrer l’attestation une fois qu’il est établi que le demandeur n’est pas une personne inscrite, ne prévoit aucun délai pour la réalisation de l’évaluation préalable permettant de déterminer si une personne est apte à obtenir l’attestation. Par conséquent, le fait que le ministre a pris sa décision plus d’un an après le dépôt de la demande de l’appelant n’est pas pertinent.

[7]  Le juge a choisi la bonne norme de contrôle applicable à la décision du ministre, soit celle de la décision raisonnable. Le présent appel soulève la question de savoir si le juge l’a appliquée correctement (Agraira c. Canada (Sécurité publique et protection civile), 2013 CSC 36, aux paragraphes 45-47, [2013] 2 R.C.S. 559).

[8]  À l’époque, l’article 10 du Règlement était ainsi libellé :

(1) Toute personne qui affirme ne pas être une personne inscrite peut demander au ministre de lui délivrer une attestation à cet effet.

(1) A person claiming not to be a listed person may apply to the Minister for a certificate stating that the person is not a listed person.

 

(2) S’il est établi que le demander n’est pas une personne inscrite, le ministre lui délivre l’attestation dans les quinze jour suivant la réception de la demande.

(2) The Minister shall, within 15 days after receiving the application, issue a certificate if it is established that the applicant is not a listed person.

[9]  L’appelant affirme que le libellé de cette disposition, selon le sens ordinaire des mots qui la composent, établissait que la délivrance de l’attestation était seulement subordonnée à la preuve que le demandeur n’était pas une personne inscrite. Il n’était pas nécessaire de démontrer une confusion, réelle ou éventuelle, avec une personne inscrite, ou de préjudice aux biens du demandeur. L’appelant prétend que ces éléments sont visés par l’article 10.1. De plus, il soutient que le délai prévu au paragraphe 10(2) court à compter de la réception de la demande. Le ministre avait donc 15 jours pour répondre à la demande de l’appelant, ce qu’il n’a pas fait.

[10]  L’appelant indique qu’il n’a plus besoin d’obtenir une attestation en raison de développements récents. Selon toute vraisemblance, le présent appel est devenu théorique; néanmoins, nous analyserons les observations de l’appelant au fond.

[11]  Les observations de l’appelant sont essentiellement les mêmes que celles qu’il avait présentées à la Cour fédérale, et nous les rejetons pour essentiellement les mêmes motifs que ceux de cette dernière. L’appelant avance une interprétation stricte du texte qui ne tient pas compte du contexte et de l’objet de la loi  (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, 1998 CanLII 837).

[12]  Un libellé précis et non équivoque limite nécessairement l’interprétation d’une disposition. Le texte peut être prépondérant dans le processus d’interprétation (Placer Dome Canada Ltd. c. Ontario (Ministre des Finances), 2006 CSC 20 au paragraphe 20, [2006] 1 R.C.S. 715; voir également TELUS Communications Inc. c. Wellman, 2019 CSC 19). Toutefois, même lorsque les mots semblent clairs et sans équivoque, ils doivent néanmoins être analysés à la lumière du contexte et de l’objet législatifs (ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy and Utilities Board), 2006 CSC 4, au paragraphe 48, [2006] 1 R.C.S. 140). Comme nous l’avons expliqué dans la décision Hillier c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 44, au paragraphe 24, nous nous assurons ainsi de ne pas nous tromper dans l’interprétation d’un texte. Par ailleurs, certaines conclusions qui semblent évidentes à l’issue d’une interprétation purement textuelle, pourraient l’être considérablement moins à l’issue d’une analyse contextuelle et téléologique.

[13]  L’appelant souhaiterait que la Cour arrête son analyse au texte seulement. Nous ne pouvons pas.

[14]  Il est possible de penser que l’expression « personne qui affirme ne pas être une personne inscrite » (non en italique dans l’original), au paragraphe 10(1), signifie qu’elle exige qu’un demandeur démontre l’existence d’une méprise ou d’une confusion avec une personne bel et bien inscrite. Les attestations sont destinées à être délivrées aux personnes qui sont ou qui risquent d’être confondues avec une personne inscrite à l’annexe qui a le même nom ou un nom semblable. De plus, si nous admettions l’interprétation avancée par l’appelant, pratiquement tous les Canadiens seraient aptes à recevoir une attestation en application du Règlement. Or, il existe un principe bien établi d’interprétation des lois : le législateur n’a pas l’intention de produire des conséquences absurdes (Tran c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CSC 50, au paragraphe 31, [2017] 2 R.C.S. 289 citant Rizzo, au paragraphe 27).

[15]  En conclusion, selon le ministre, l’objet de l’article 10 consiste à accorder une réparation à une personne  qui a été ou pourrait être confondue avec une personne inscrite. Le juge a estimé qu’il s’agissait d’une interprétation raisonnable et a conclu que le fait d’imposer aux demandeurs de fournir quelques éléments de preuve pour démontrer la nécessité d’obtenir une telle réparation était conforme à cette interprétation. Nous sommes d’accord. L’appelant n’ayant fourni aucun élément de preuve démontrant l’existence d’une méprise ou de confusion, il était loisible au ministre de refuser sa demande.

[16]  Il reste à déterminer si le paragraphe 10(2) oblige le ministre à décider dans un délai de 15 jours suivant la réception d’une demande s’il y a lieu de délivrer l’attestation.

[17]  Le paragraphe 10(2) prévoit qu’une attestation sera délivrée « [s]’il est établi que le demandeur n’est pas une personne inscrite » (non en italique dans l’original). Ces termes indiquent clairement que le délai ne commence à courir qu’à partir du moment où le ministre est convaincu du fait que le demandeur n’est pas une personne inscrite. Or, aucun délai n’est prévu pour parvenir à cette conclusion. Nous estimons qu’il s’agit d’une interprétation manifestement raisonnable de la disposition étant donné l’importance de l’attestation et des efforts qui pourraient être nécessaires de la part de l’État pour conclure de manière sûre qu’il y a lieu de délivrer l’attestation au demandeur.

[18]  Par conséquent, nous rejetterions l’appel, avec dépens établis à 1 000 $, tout compris.

« Donald J. Rennie »

j.c.a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

A-203-18

(APPEL D’UNE ORDONNANCE DE L’HONORABLE  JUGE JAMES O’REILLY DE LA COUR FÉDÉRALE, DATÉE DU 11 JUIN 2018, DANS LE DOSSIER No T-1713-16)

INTITULÉ :

KARL WALTHER KELLER c. LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er mai 2019

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :

LE JUGE STRATAS

LE JUGE RENNIE

LE JUGE LASKIN

PRONONCÉ À L’AUDIENCE PAR :

LE JUGE RENNIE

COMPARUTIONS :

Karl Walther Keller

Pour son propre compte

Cheryl D. Mitchell

Pour l’intimé

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nathalie G. Drouin

Sous-procureure générale du Canada

Pour l’intimé

 

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