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Cour d'appel fédérale

Federal Court of Appeal

Date : 20121115

Dossier : A-313-12

Référence : 2012 CAF 296

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE STRATAS

ENTRE :

MOHAMED ZEKI MAHJOUB

appelant

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION, LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimés

 

 

 

Requête jugée sur dossier sans comparution des parties

 

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario), le 15 novembre 2012

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                                                                 LE JUGE STRATAS

 


Cour d'appel fédérale

Federal Court of Appeal

 

 

Date : 20121115

Dossier : A-313-12

Référence : 2012 CAF 296

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE STRATAS

ENTRE :

MOHAMED ZEKI MAHJOUB

appelant

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION, LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimés

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

LE JUGE STRATAS

 

A.        La requête

[1]               Monsieur Mahjoub prie la Cour de rendre une ordonnance à l'effet :

                     d'enjoindre au procureur général de lui rembourser les honoraires d'avocats et les débours du présent appel;

 

                     subsidiairement, d'enjoindre aux intimés de lui verser une provision pour frais avant que le présent appel ne soit entendu et tranché;

 

                     subsidiairement encore, de suspendre l'appel pendant six mois afin de lui permettre de recueillir des fonds pour sa représentation par avocat ou de trouver un avocat disposé à s'occuper bénévolement de son appel.

 

B.        La nature de l'appel interjeté devant la Cour

[2]               Monsieur Mahjoub fait l'objet d'un certificat de sécurité visé au paragraphe 77(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, signé par les ministres intimés.

 

[3]               Le certificat a été déposé devant la Cour fédérale. Au cours d'une longue instance, encore pendante, la Cour fédérale juge du caractère raisonnable du certificat.

 

[4]               Le présent appel a été formé à l'encontre d'une décision de la Cour fédérale concluant à l'abus de procédure (le juge Blanchard) : 2012 CF 669. Une brève explication de la nature de cette décision suffira en l'espèce.

 

[5]               Des documents confidentiels appartenant à M. Mahjoub ont été mêlés à des documents des ministres. M. Mahjoub, soutenant qu'il y avait là abus de procédure, a présenté à la Cour fédérale une requête pour la suspension permanente de l'instance et pour d'autres mesures de réparation en invoquant notamment les articles 7 et 8 et le paragraphe 24(1) de la Charte.

 

[6]               Le juge de la Cour fédérale instruisant la requête a d'abord voulu évaluer le préjudice qui avait pu être causé à M. Mahjoub. Il a donc établi une procédure permettant de démêler les documents mêlés et de les remettre à M. Mahjoub. Il a ensuite procédé à l'évaluation du préjudice et statué sur la requête en suspension permanente.

 

[7]               Dans sa décision, il a conclu qu'il y avait eu abus de procédure, mais il n'a pas accordé la suspension permanente de l'instance, jugeant que certains des documents mêlés ne seraient pas employés de façon préjudiciable si l'instance se poursuivait.

 

[8]               Le juge de la Cour fédérale a néanmoins accordé à M. Mahjoub des mesures de réparation en raison de l'abus de procédure. Il a ordonné le retrait permanent de certaines personnes de l'équipe du contentieux des ministres affectée à l'affaire et leur a interdit de consulter des documents ou renseignements se rapportant au dossier ou d'en discuter. Le juge a estimé que cette mesure était raisonnablement susceptible d'éliminer tout préjudice subi par M. Mahjoub.

 

[9]               Monsieur Mahjoub a porté cette décision en appel. C'est l'appel dont notre Cour est actuellement saisie. La requête de M. Mahjoub pour obtenir du financement de l'État est présentée à l'égard du présent appel.

 

C.        Analyse

[10]           Par sa requête, M. Mahjoub cherche principalement à obtenir une ordonnance de financement par l'État de son avocat lors de l'appel formé devant notre Cour.

 

[11]           Sa demande prend deux formes différentes. Il cherche d'une part à obtenir un financement intégral sur le fondement de l'arrêt R. v. Rowbotham, 1988 CanLII 147, 41 C.C.C. (3d) 1 (C.A. Ont.), et des décisions rendues dans sa foulée et, d'autre part, il demande un financement partiel par la voie d'une « provision pour frais » en invoquant Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts) c. Bande indienne Okanagan, [2003] 3 R.C.S. 371, 2003 CSC 71, et les décisions qui en ont découlé.

 

[12]           Bien que ces deux courants jurisprudentiels aient évolué séparément, ils ont le même objet : une ordonnance judiciaire de financement par l'État de la représentation juridique. On ne se surprendra donc pas que les critères qu'ils établissent présentent des points communs.

 

[13]           L'un de ces points communs, comme on le verra, est qu'une telle ordonnance est une mesure de tout dernier recours. La partie qui la demande doit notamment prouver qu'il n'existe pour elle aucune autre façon d'être représentée par avocat.

 

[14]           L'appelant n'a pas fait cette preuve.

 

(1)        Ordonnance de financement intégral ou substantiel : l'arrêt Rowbotham et la jurisprudence qui en est issue

 

[15]           Afin d'assurer l'équité des procès pénaux, les tribunaux ont été disposés, dans des situations très circonscrites, à ordonner la suspension d'une instance si le ministère public ne finance pas en totalité ou en partie la défense de l'accusé : Rowbotham, précité. Les accusés ont droit à cette mesure lorsque les conditions suivantes sont réunies : (a) ils sont impécunieux, (b) ils ne sont pas admissibles à l'aide juridique, (c) ils sont incapables de comparaître adéquatement pour leur propre compte, (d) l'instance est grave et complexe et met en jeu leur liberté.

 

[16]           En matière pénale, les tribunaux ont insisté sur la nécessité que l'accusé demandant une ordonnance de type Rowbotham établisse que des efforts importants ont été déployés pour obtenir autrement une représentation juridique ou du financement : voir, p. ex., R. v. Rain, 1998 ABCA 315, au paragraphe 88, R. v. Malik, 2003 BCSC 1439, R. v. Dew (E.J.), 2009 MBCA 101, aux paragraphes 22, 25 et 98, et R. v. Rushlow, 2009 ONCA 461, aux paragraphes 28 à 30.

 

[17]           L'arrêt Rowbotham et les décisions qui s'en inspirent se bornent à reconnaître à un accusé, dans les rares cas où cela est justifié, le droit à la suspension de l'instance en cas de non‑financement. Dans l'arrêt Nouveau‑Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G.(J.), [1999] 3 R.C.S. 46, toutefois, la Cour suprême a élargi de deux façons la portée de ce type de recours : il est possible de rendre une ordonnance enjoignant à l'État de financer une partie au lieu d'une ordonnance en suspension, et ce type d'ordonnance peut être rendu dans certaines instances civiles.

 

[18]           Dans l'arrêt G.(J.), la Cour suprême du Canada a ordonné le financement de l'avocat d'une partie à une demande de garde d'enfants mettant en cause des droits garantis à l'article 7 de la Charte; cependant, cette affaire présentait des faits exceptionnels. La Cour suprême avait notamment été convaincue qu'il n'existait pas d'autre façon pour cette partie de se faire représenter par avocat.

 

[19]           Les Cours fédérales sont très rarement saisies de demandes de financement d'un avocat par l'État. Toutefois, deux décisions sur cette question suivent G.(J.), du fait qu'elles exigent de la partie qui demande l'ordonnance qu'elle démontre, entre autres, qu'il lui sera autrement impossible d'être représentée par avocat. Autrement dit, l'ordonnance de financement de l'avocat par l'État est une mesure de dernier recours.

 

[20]           Dans la décision Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile c. Muse, 2005 CF 1380, la Cour fédérale a rejeté une requête en financement de l'avocat par l'État fondée sur Rowbotham, jugeant que l'intéressé avait eu accès aux services d'un avocat lors d'étapes antérieures de l'instance et qu'il n'était pas « impécunieux ». La Cour n'était pas convaincue, globalement, que l'ordonnance de financement de l'avocat par l'État était l'ultime recours de l'intéressé.

 

[21]           La seule instance répertoriée de demande de représentation par avocat financée par l'État, de type Rowbotham, présentée devant notre Cour est A.B. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CanLII 22107 (C.A.F.). L'intéressé bénéficiait du régime d'aide juridique provincial, mais faisait valoir que le montant en était insuffisant. Notre Cour a jugé que l'État fédéral n'était pas constitutionnellement tenu de compléter le financement de l'avocat de l'intéressé, d'autant plus qu'il contribuait déjà au régime provincial.

 

[22]           Un aspect important de cet arrêt est l'absence d'indication, dans les motifs, que l'instance devrait être abandonnée en l'absence de fonds supplémentaires. L'intéressé pouvait compter sur un certain financement; simplement, il lui en fallait plus et il désirait en avoir plus. Il ne s'agissait pas d'un cas où il avait tenté par tous les moyens d'obtenir des fonds pour se payer un avocat ou de trouver un avocat bénévole ou disposé à réduire ses honoraires.

 

[23]           Par souci d'exhaustivité, j'ajouterais qu'à une occasion notre Cour a ordonné de son propre chef à la Couronne d'aider un prestataire d'assurance‑emploi à retenir les services d'un avocat pour présenter des observations et de payer les frais de ce dernier « le cas échéant » : Canada (Procureur général) c. Purcell, [1995] A.C.F. no 1331 (QL) (C.A.F.). Les mots « le cas échéant » sont compatibles avec l'exigence que l'ordonnance de financement par l'État soit une mesure de dernier recours, non la première mesure recherchée, ni même une mesure intermédiaire.

 

(2)        Provision pour frais : l'arrêt Okanagan et la jurisprudence qui en est issue

[24]           Dans Bande indienne Okanagan, précité, la Cour suprême a confirmé que les tribunaux avaient compétence pour octroyer des dépens avant que l'affaire soit jugée. Elle a indiqué qu'une telle provision pour frais peut être accordée sur preuve de l'incapacité de la partie de faire entendre sa cause en raison de son manque de ressources, de l'existence d'un fondement prima facie suffisant, et de circonstances spéciales justifiant l'exercice exceptionnel de ce pouvoir discrétionnaire.

 

[25]           La Cour suprême n'a pas explicitement inclus, dans ce critère, la preuve que l'intéressé n'a pas accès à d'autres sources de financement, mais on peut considérer que cette exigence fait intrinsèquement partie de l'exigence relative à l'existence de circonstances spéciales.

 

[26]           Quoi qu'il en soit, l'arrêt Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada (Commissaire des Douanes et du Revenu), 2007 CSC 2, [2007] 1 R.C.S. 38, a dissipé tout doute sur ce point. La Cour suprême a confirmé que la partie requérante doit « étudier toutes les autres possibilités de financement », notamment « les sources de financement public », « les autres programmes destinés à aider divers groupes à ester en justice », et les sources de « financement privé au moyen d'une levée de fonds, d'une demande de prêt, d'une convention d'honoraires conditionnels et de toute autre source disponible » (paragraphe 40). Voir aussi R. c. Caron, 2011 CSC 5, [2011] 1 R.C.S. 78, au paragraphe 41.

 

[27]           Allant dans le sens de ces arrêts, notre Cour a souligné l'obligation qu'assumait la partie requérante de fournir un relevé exhaustif de toutes les sources possibles de financement, amis et famille compris : Al Telbani c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 188. Les simples déclarations ne suffisent pas : Metrolinx (Go Transit) c. Office des transports du Canada, 2010 CAF 45, au paragraphe 10.

 

(3)        Application de ces principes

[28]           Monsieur Mahjoub a déposé trois affidavits à l'appui de sa requête, respectivement souscrits par lui‑même, par un assistant du cabinet juridique le représentant et par un de ses avocats. Ces éléments de preuve établissent ce qui suit :

                     M. Mahjoub [TRADUCTION] « n'a pas les fonds nécessaires pour payer les honoraires et débours demandés par ses avocats ». Il ne possède pas d'économies et n'a pas d'autre source de revenus. En outre, il est assigné à résidence et il ne travaille pas.

 

                     Les honoraires et débours afférents au présent appel ne sont pas couverts par l'aide juridique. En l'absence de fonds, ses avocats ne continueront pas à le représenter.

 

                     M. Mahjoub veut que ses avocats continuent à le représenter à l'appel, car ce sont eux qui se sont occupés de toute l'affaire relative au certificat de sécurité.

 

                     M. Mahjoub n'a pas les compétences juridiques et linguistiques nécessaires pour préparer l'argumentation écrite et orale à soumettre à l'appel.

 

[29]           Cette preuve n'établit pas que l'ordonnance de financement de l'avocat par l'État constitue une mesure de dernier recours nécessaire. Elle n'indique pas que M. Mahjoub a tenté de recueillir des fonds ou a cherché un avocat disposé à réduire ses honoraires ou à agir bénévolement.

 

[30]           Monsieur Mahjoub reconnaît d'ailleurs cela en demandant une suspension de six mois, pendant laquelle il a l'intention de travailler à recueillir des fonds ou à trouver un avocat bénévole.

 

[31]           Dans ces circonstances, l'ordonnance de financement par l'État semble constituer le premier moyen employé par M. Mahjoub et non le dernier recours.

 

[32]           Il convient, pour ces motifs, de rejeter la requête.

 

[33]           Enfin, je mentionne l'argument des intimés selon lequel il ne peut y avoir d'ordonnance de financement par l'État en matière de certificat de sécurité, ou en l'espèce, ainsi que leur argument subsidiaire selon lequel M. Mahjoub ne satisfait pas aux autres exigences relatives à l'obtention d'une telle ordonnance. Je n'exprime aucun avis à leur égard.

 

D.        La requête en suspension pendant six mois

[34]           Comme il en a été fait mention, l'appelant demande que l'appel soit suspendu pendant six mois pour qu'il puisse recueillir des fonds et explorer les possibilités de représentation bénévole.

 

[35]           La Cour peut retarder un appel dans l'intérêt de la justice : Mylan Pharmaceuticals ULC c. AstraZeneca Canada, Inc., 2011 CAF 312.

 

[36]           L'avis d'appel a été déposé le 29 juin 2012. Le 13 août 2012, l'appelant a déposé une entente sur le contenu du dossier d'appel. Il reste simplement à produire le dossier d'appel, à préparer et déposer un mémoire des faits et du droit et à déposer la demande d'audience.

 

[37]           J'estime que la demande de suspension est prématurée. Il est possible qu'au cours des deux prochains mois, M. Mahjoub puisse trouver des fonds pour financer sa représentation juridique ou un avocat disposé à le représenter bénévolement ou pour des honoraires moindres. Le dossier d'appel et le mémoire pourront alors être déposés, accompagnés d'une simple requête en prorogation du délai prévu pour ce faire. Ainsi, l'appel sera alors de nouveau sur la bonne voie, après un retard minimal.

 

[38]           Si les choses ne se déroulent pas ainsi, dans deux mois, la Cour délivrera automatiquement l'avis d'examen de l'état de l'instance prévu à l'article 382.2 des Règles. Conformément au paragraphe 382.3(1), M. Mahjoub devra répondre à l'avis, à défaut de quoi son appel sera rejeté. Je m'attends à ce que cette réponse renseigne la Cour sur les efforts qu'il a déployés, depuis la date de la présente requête, pour recueillir des fonds ou trouver un avocat bénévole ou à tarif réduit. M. Mahjoub pourra également, dans cette réponse, présenter des observations sur l'échéancier des étapes restantes de l'appel.

 

E.        Conclusion

[39]           En conséquence, la requête est rejetée. Les intimés n'ont pas demandé de dépens, et aucuns dépens ne sont adjugés.

 

« David Stratas »

j.c.a.

 

 

Traduction certifiée conforme

Yves Bellefeuille, réviseur

 


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A-313-12

 

INTITULÉ :                                                  Mohamed Zeki Mahjoub c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et al.

 

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :             Le juge Stratas

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 15 novembre 2012

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

Johanne Doyon

Paul Slansky

 

POUR L'APPELANT

 

Christopher Bundy

Sarah Egan

 

POUR LES INTIMÉS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Doyon et Associés Inc.

Montréal (Québec)

 

POUR L'APPELANT

 

Slansky Law Professional Corp.

Toronto (Ontario)

 

POUR L'APPELANT

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES INTIMÉS

 

 

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