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Cour d'appel fédérale

Federal Court of Appeal

 

Date : 20130614

Dossier : A-524-12

Référence : 2013 CAF 156

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE DAWSON

                        LA JUGE GAUTHIER

 

ENTRE :

876947 ONTARIO LIMITED S/N RPR ENVIRONMENTAL et PATRICK WHITTY

appelants

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 7 mai 2013.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 14 juin 2013.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                           LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LA JUGE SHARLOW

                                                                                                                      LA JUGE GAUTHIER

 


Cour d'appel fédérale

Federal Court of Appeal

 

Date : 20130614

Dossier : A-524-12

Référence : 2013 CAF 156

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE DAWSON

                        LA JUGE GAUTHIER

 

ENTRE :

876947 ONTARIO LIMITED S/N RPR ENVIRONMENTAL et PATRICK WHITTY

appelants

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA JUGE DAWSON

[1]               Il s'agit en l'espèce de décider si c'est à tort qu'un juge de la Cour fédérale a confirmé l'ordonnance d'une protonotaire radiant certains passages du nouvel avis de demande modifié déposé par les appelants. Si je comprends bien les motifs du juge (2012 CF 1356, 23 novembre 2012, dossier T‑2176‑10), celui‑ci a, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, examiné l'affaire de novo et rejeté l'appel pour les trois motifs que j'examinerai ci‑après. Je considère que, dans son analyse, le juge a commis un certain nombre d'erreurs qui portent à accueillir le présent appel.

Les faits

[2]               L'instance en Cour fédérale avait pour origine l'enquête qu'aurait menée, au nom du ministre de l'Environnement, la Direction générale de l'application de la loi (DGAL) d'Environnement Canada à la suite d'une demande qui lui avait été présentée en vertu de l'article 17 de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement (1999), L.C. 1999, ch. 33 (la Loi). Les appelants — les demandeurs devant la Cour fédérale — soutiennent qu'aucun motif valable ne permettait d'entreprendre et de poursuivre cette enquête et que la DGAL aurait dû l'interrompre ou, subsidiairement, produire les rapports prévus aux articles 19 et 21 de la Loi. Les appelants demandent notamment à la Cour fédérale :

 

a)         un jugement déclaratoire portant que la demande fondée sur l'article 17 est nulle et sans effet étant donné qu'elle n'a pas été présentée par quelqu'un ayant qualité pour le faire, c'est‑à‑dire un particulier âgé d'au moins 18 ans et résidant au Canada, et qu'une affirmation ou déclaration solennelle comprenant certains renseignements n'était pas jointe à cette demande, comme l'exige le paragraphe 17(2) de la Loi;

 

b)         un bref de certiorari annulant la décision du ministre d'enquêter sur les questions soulevées dans la demande fondée sur l'article 17;

 

c)         un bref de mandamus enjoignant au ministre et à ses mandataires de mettre fin à l'enquête fondée sur l'article 17 ou, subsidiairement, un bref de prohibition interdisant au ministre et à ses mandataires de poursuivre l'enquête lancée au titre de l'article 17;

d)         dans l'hypothèse où l'enquête fondée sur l'article 17 aurait déjà été interrompue, un bref de mandamus enjoignant au ministre d'envoyer aux appelants, comme l'exige le paragraphe 21(2) de la Loi, une copie du rapport écrit exposant l'information recueillie pendant l'enquête et les motifs de l'interruption.

 

[3]               L'intimé a fondé sur deux motifs sa requête en radiation de certains passages du nouvel avis de demande modifié. Premièrement, il fait valoir que les agents de la DGAL sont des agents de la paix qui sont, en matière d'application de la loi, investis de larges pouvoirs. Toute enquête entreprise au titre de l'article 18 de la Loi est donc une enquête pénale. C'est pourquoi la Cour fédérale n'avait pas compétence pour examiner la décision de la DGAL. Par ailleurs, les passages contestés de la demande modifiée constitueraient une attaque indirecte contre une instance pénale et constitueraient donc un abus de procédure. Deuxièmement, l'intimé fait valoir que la décision d'un agent de la DGAL d'entreprendre une enquête n'est pas une « décision » au sens de l'article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, car la décision en question ne touche pas aux droits ou aux intérêts de la personne qui fait l'objet de l'enquête.

 

[4]               La protonotaire et le juge ont radié les allégations concernant l'ouverture et la poursuite injustifiées de l'enquête, ainsi que l'allégation selon laquelle la DGAL n'a pas interrompu son enquête. Les mesures de redressement exposées aux alinéas a), b) et c) ci‑dessus ont, elles aussi, été radiées, ainsi que l'a été une demande en vue de nommer un amicus curiae. La mesure de redressement exposée à l'alinéa d) n'a pas été radiée, ni les paragraphes des actes de procédure y afférents.

 

L'économie de la Loi

[5]               L'examen des motifs invoqués à l'appui de la requête en radiation exige que l'on saisisse bien l'économie de la Loi.

 

[6]               La partie 2 de la Loi est intitulée « Participation du public ». Aux fins du présent appel, les dispositions pertinentes de la partie 2 sont les suivantes :

 

i.          Tout particulier âgé d'au moins 18 ans et résidant au Canada peut demander au ministre de l'Environnement l'ouverture d'une enquête relative à une infraction prévue par la Loi qui, selon lui, a été commise (paragraphe 17(1)).

 

ii.         La demande est accompagnée d'une affirmation ou déclaration solennelle exposant divers renseignements (paragraphe 17(2)).

 

iii.        Le ministre accuse réception de la demande dans les 20 jours de sa réception et « fait enquête sur tous les points qu'il juge indispensables pour établir les faits afférents à l'infraction reprochée » (article 18).

 

iv.        À intervalles de 90 jours à partir du moment où il accuse réception de la demande jusqu'à l'interruption de l'enquête, le ministre informe l'auteur de la demande du déroulement de l'enquête et des mesures qu'il a prises ou entend prendre. Il indique le temps qu'il faudra pour compléter l'enquête ou prendre les mesures en cause selon le cas (article 19).

 

v.         Le ministre peut, à toute étape de l'enquête, transmettre des documents ou autres éléments de preuve au procureur général du Canada pour lui permettre de déterminer si une infraction prévue à la Loi a été commise ou est sur le point de l'être et de prendre les mesures de son choix (article 20).

 

vi.        Le ministre peut interrompre l'enquête s'il estime que l'infraction reprochée ne justifie plus sa poursuite ou que ses résultats ne permettent pas de conclure à la perpétration de l'infraction (paragraphe 21(1)).

 

vii.       En cas d'interruption de l'enquête, le ministre établit un rapport exposant l'information recueillie et les motifs de l'interruption et en envoie un exemplaire à l'auteur de la demande et aux personnes dont le comportement fait l'objet de l'enquête (paragraphe 21(2)).

 

viii.      Le particulier qui a demandé une enquête peut intenter une action en protection de l'environnement si le ministre n'a pas procédé à l'enquête ni établi son rapport dans un délai raisonnable, ou si les mesures que le ministre entend prendre à la suite de l'enquête ne sont pas raisonnables (paragraphe 22(1)).

 

ix.        Dans le cadre de l'action en protection de l'environnement, le particulier peut demander un jugement déclaratoire et une ordonnance, y compris une ordonnance provisoire. Le particulier ne peut pas réclamer de dommages‑intérêts (paragraphe 22(3)).

x.         Une action en protection de l'environnement ne peut pas être intentée si la personne en cause a déjà, pour le comportement reproché, soit été déclarée coupable d'une infraction prévue à la Loi, soit fait l'objet de mesures de rechange au sens de la partie 10 de la Loi (article 25).

 

xi.        Dans une action en protection de l'environnement, la charge de prouver l'existence de l'infraction repose sur la prépondérance des probabilités (article 29).

 

[7]               La partie 10 de la Loi est intitulée « Contrôle d'application ». Les dispositions pertinentes de cette partie sont les suivantes :

 

i.          Le ministre peut désigner des agents de l'autorité pour l'application de tout ou partie de la Loi (paragraphe 217(1)).

 

ii.         Les agents de l'autorité ont tous les pouvoirs d'un agent de la paix, mais le ministre peut restreindre ceux‑ci (paragraphe 217(3)).

 

[8]               Les articles 17 à 22, 25 et 217 de la Loi sont reproduits en annexe aux présents motifs.

 

Le critère applicable à une requête en radiation d'un avis de demande

[9]               Il est de droit constant que les avis de demande de contrôle judiciaire ne doivent être radiés que dans des cas exceptionnels. Il faut, selon le critère applicable, que la demande soit manifestement irrégulière au point de n'avoir aucune chance d'être accueillie. Si la situation ne correspond pas à ce critère, le seul moyen approprié par lequel on peut s'opposer à la demande consiste à comparaître et à faire valoir ses prétentions à l'instruction de la demande (David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (C.A.F.)).

 

[10]           À mon avis, il faut se montrer particulièrement prudent lorsque la requête en radiation ne vise qu'un passage de l'avis de demande, et que ce passage est intimement lié au reste de la demande. Ainsi que la Cour l'avait noté dans l'arrêt David Bull, les objections à la demande peuvent être tranchées rapidement et de façon efficace lors de l'examen du bien‑fondé de la demande, plus particulièrement lorsqu'une partie de la demande doit, en tout état de cause, être instruite. Ajoutons que la radiation de certains passages faisant partie intégrante de la demande pourrait avoir pour effet de brider le juge qui va l'entendre.

 

La décision de la protonotaire

[11]           Concluant à l'absence d'une décision susceptible de contrôle judiciaire, la protonotaire a ordonné la radiation des passages contestés de la demande. La décision que prend le ministre de faire procéder à une enquête déclenche une procédure qui peut ou non aboutir à des poursuites. Selon la protonotaire, il s'agit d'une étape préliminaire qui ne constitue pas en soi une décision susceptible de contrôle judiciaire.

 

La décision du juge

[12]           Après avoir exposé les faits, le juge, comme les parties lui demandaient conjointement de le faire, a décidé de trancher l'appel de novo. Il a joint à ses motifs les dispositions pertinentes de la Loi, citant en outre les articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[13]           Le juge s'est ensuite demandé si, dans les circonstances que la Cour devait examiner, un « agent de la paix » est un office fédéral. Selon le juge, la décision qu'a prise cet agent d'entreprendre une enquête est effectivement la décision d'un office fédéral, décision qui relève par conséquent du contrôle judiciaire de la Cour fédérale. Avant de tirer cette conclusion, le juge a bien exposé le critère à deux volets défini dans Anisman c. Canada (Agence des services frontaliers du Canada), 2010 CAF 52, 400 N.R. 137, au paragraphe 29 (paragraphe 16 des motifs). Le juge n'a pas, par contre, appliqué ce critère aux faits qui lui avaient été présentés. Il semble plutôt avoir conclu, au paragraphe 17 de ses motifs, dont le sens n'est pas entièrement clair, que le ministre, ou la personne déléguée par lui qui exerce ou qui est censée exercer les pouvoirs du ministre au titre de l'article 18 de la Loi, est un « office fédéral » conformément à la définition prévue à l'article 2 de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[14]           Le juge a ensuite exposé les trois motifs le portant à confirmer la décision de la protonotaire.

 

[15]           Premièrement, il a estimé que la décision du ministre n'était pas susceptible de contrôle judiciaire puisqu'elle ne constituait pas une décision touchant aux droits des appelants, qu'elle ne leur imposait aucune obligation juridique et ne leur causait aucun préjudice. Aucune raison n'était invoquée à l'appui de cette conclusion (paragraphe 19 des motifs).

 

[16]           Deuxièmement, le juge a fait observer que ce n'est qu'exceptionnellement qu'une décision interlocutoire doit être soumise au contrôle judiciaire, sans, cependant, analyser si les circonstances de l'espèce étaient exceptionnelles (paragraphe 20 des motifs).

[17]           Enfin, le juge a souligné qu'une procédure connexe était en instance devant la Cour supérieure de justice de l'Ontario. En vertu de son pouvoir discrétionnaire, la Cour fédérale peut ne pas procéder au contrôle judiciaire d'une décision lorsque le demandeur dispose d'un autre recours approprié. Le juge a estimé que l'instance introduite devant la Cour de l'Ontario constitue un tel recours, mais n'a fourni aucun motif à l'appui de cette conclusion (paragraphe 21 des motifs).

 

Analyse

[18]           J'estime que le juge a eu raison de conclure qu'il devait examiner de novo la décision de la protonotaire.

 

[19]           J'estime également que celui qui, au titre de l'article 18 de la Loi, « fait enquête sur tous les points qu'il juge indispensables pour établir les faits afférents à l'infraction reprochée » est une personne exerçant ou censée exercer des pouvoirs prévus par une loi fédérale. Une telle personne relève par conséquent de la définition d'« office fédéral » donnée à l'article 2 de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[20]           J'examinerai maintenant les trois motifs invoqués par le juge pour conclure à la radiation des passages contestés de la demande.

 

[21]           En premier lieu, et comme nous l'avons noté plus haut au paragraphe 3, deux motifs étaient invoqués à l'appui de la requête en radiation. Lors des débats, les avocats ont confirmé que ni l'une ni l'autre des parties n'avait fait valoir, devant la Cour fédérale, que le caractère interlocutoire de la décision ou l'existence d'un autre recours approprié justifiait la radiation de certains passages de la demande. L'intimé n'a pas invoqué l'un ou l'autre de ces deux moyens à l'appui de la décision de la Cour fédérale.

 

[22]           Comme l'a récemment rappelé la Cour dans l'arrêt Wells Fargo Equipment Finance Co. c. MLT‑3 (Le), 2013 CAF 96, [2013] A.C.F. no 380, au paragraphe 21 (citant Rodaro c. Royal Bank of Canada (2002), 59 R.J.O. (3e) 74 (C.A. Ont.)), lorsqu'un juge prend la décision inhabituelle de trancher une affaire en se fondant sur un argument qui n'a pas été invoqué par les avocats des parties, l'équité veut en général qu'il en informe les parties et qu'elles aient la possibilité de présenter des observations sur la nouvelle question ou les nouvelles questions. J'estime que le juge aurait dû en l'occurrence accorder aux parties cette possibilité.

 

[23]           J'examinerai maintenant le premier motif invoqué par le juge pour radier les passages contestés de la demande, à savoir que la décision d'ouvrir une enquête ne touche aucunement aux droits des appelants, ne leur impose aucune obligation juridique et n'entraîne pour eux aucun préjudice.

 

[24]           Je ne crois pas que la thèse des appelants — selon laquelle la mesure en question touchait effectivement à leurs droits — n'ait aucune chance d'être retenue. L'examen de l'économie de la Loi montre qu'on pourrait à tout le moins prétendre que l'ouverture d'une enquête au titre de l'article 18 de la Loi entraîne des conséquences juridiques. La personne faisant l'objet de l'enquête risque de voir le dossier transmis au procureur général du Canada (article 20), risque d'être visée dans une action en protection de l'environnement (article 22) et a le droit, en cas d'interruption de l'enquête, à un rapport (article 21). En outre, le dossier de la preuve produit devant la Cour fédérale ne suffisait pas à justifier la conclusion du juge selon laquelle la décision n'entraînait pour les appelants aucun effet préjudiciable.

 

[25]           Selon le second motif invoqué par le juge, ce n'est qu'exceptionnellement que l'on doit procéder au contrôle judiciaire d'une décision interlocutoire. En supposant, sans toutefois trancher la question, que la décision en cause est interlocutoire, cela ne suffit pas à fonder en droit la radiation de certains passages d'un avis de demande. C'est plutôt un motif qui permettrait à la Cour fédérale de refuser d'exercer son pouvoir discrétionnaire d'ordonner une réparation après avoir examiné le bien‑fondé d'une demande de contrôle judiciaire.

 

[26]           Le dernier motif invoqué par le juge est l'existence d'un autre recours approprié, à savoir une action en responsabilité délictuelle en instance devant la Cour supérieure de justice de l'Ontario. Là encore, la Cour fédérale peut, devant l'existence d'un autre recours approprié, refuser d'ordonner une réparation après avoir examiné le bien‑fondé d'une demande de contrôle judiciaire. Ce motif ne suffit cependant pas à fonder en droit la radiation en tout ou en partie d'un avis de demande. Il en est particulièrement ainsi lorsque les appelants n'ont pas eu la possibilité de produire des éléments de preuve ou de présenter des observations quant au caractère approprié du recours en question.

 

[27]           Compte tenu de ces erreurs, il y a lieu pour la Cour d'examiner de novo la décision de la protonotaire.

 

[28]           Les motifs de la requête en radiation sont exposés plus haut au paragraphe 3. Je me suis déjà prononcée sur le deuxième motif selon lequel il n'y avait eu aucune décision touchant aux droits des appelants. Le premier motif repose sur la thèse voulant que toute décision prise au titre de l'article 18 de la Loi est une décision prise par un agent de la paix dans une procédure pénale.

 

[29]           À mon avis, il n'est pas évident et manifeste qu'il en soit ainsi. Au cours des débats, nous avons été informées que les dispositions légales en cause n'ont pas été examinées par les tribunaux. J'estime que l'on pourrait à tout le moins prétendre qu'une enquête entreprise au titre de l'article 18 n'a absolument rien à voir avec l'exercice, par un agent de la paix, des pouvoirs prévus à la partie 10 de la Loi. On pourrait, à l'appui de cette thèse, invoquer les articles 20 et 29 de la Loi. Pris en contexte, l'article 20 permettrait de dire qu'on ne saurait parler d'enquête pénale avant que l'affaire soit transmise au procureur général. L'article 29 montre que selon un des résultats possibles d'une telle enquête, à savoir une action en protection de l'environnement, l'infraction reprochée doit être établie selon la norme de preuve applicable en matière civile, et non selon la norme du droit pénal. Une norme de preuve moins exigeante que celle qui s'applique en matière pénale pourrait, là encore, appuyer l'argument selon lequel le processus visé à l'article 18 n'est pas de nature pénale.

 

[30]           Puisqu'il convient à mon avis d'accueillir l'appel, de sorte que la demande de contrôle judiciaire sera tranchée au fond dans son ensemble, il convient de n'exprimer aucune conclusion définitive sur ces arguments. Il suffit de conclure, comme je l'ai fait, que la thèse selon laquelle une personne qui exerce les pouvoirs prévus à l'article 18 de la Loi n'agit pas en tant qu'agent de la paix dans une procédure pénale n'est pas une thèse n'ayant aucune chance d'être retenue.

Conclusion

[31]           Pour ces motifs, j'accueillerais l'appel avec dépens, tant à notre Cour qu'aux juridictions inférieures, quelle que soit l'issue de la cause, et j'annulerais l'ordonnance de la Cour fédérale. Prononçant l'ordonnance qu'aurait dû rendre la Cour fédérale, je rejetterais la requête en radiation de certains passages de l'avis de demande.

 

Post‑scriptum

[32]           Lors des plaidoiries en appel devant notre Cour, les parties se sont opposées sur la question de savoir si l'enquête visant le particulier appelant a été interrompue. Selon l'avocat de l'intimé, c'est effectivement le cas. J'estime que, sur ce point, le dossier reste ambigu. Il serait utile à la Cour fédérale si les parties précisaient ce qu'il en est.

 

 

 

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

 

 

« Je suis d'accord.

            K. Sharlow j.c.a. »

 

« Je suis d'accord.

            Johanne Gauthier j.c.a. »

 

 


ANNEXE

 

Les articles 17 à 22, 25 et 217 de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement (1999) disposent :

17. (1) Tout particulier âgé d'au moins dix‑huit ans et résidant au Canada peut demander au ministre l'ouverture d'une enquête relative à une infraction prévue par la présente loi qui, selon lui, a été commise.

 

17. (1) An individual who is resident in Canada and at least 18 years of age may apply to the Minister for an investigation of any offence under this Act that the individual alleges has occurred.

 

(2) La demande est accompagnée d'une affirmation ou déclaration solennelle qui énonce :

 

a) les nom et adresse de son auteur;

 

 

b) le fait que le demandeur a au moins dix‑huit ans et réside au Canada;

 

c) la nature de l'infraction reprochée et le nom des personnes qui auraient contrevenu à la présente loi ou à ses règlements ou auraient accompli un acte contraire à la présente loi ou à ses règlements;

 

d) un bref exposé des éléments de preuve à l'appui de la demande.

 

(2) The application shall include a solemn affirmation or declaration

 

 

(a) stating the name and address of the applicant;

 

(b) stating that the applicant is at least 18 years old and a resident of Canada;

 

(c) stating the nature of the alleged offence and the name of each person alleged to have contravened, or to have done something in contravention of, this Act or the regulations; and

 

 

(d) containing a concise statement of the evidence supporting the allegations of the applicant.

 

(3) Le ministre peut fixer, par règlement, la forme de la demande.

 

(3) The Minister may prescribe the form in which an application under this section is required to be made.

 

18. Le ministre accuse réception de la demande dans les vingt jours de sa réception et fait enquête sur tous les points qu'il juge indispensables pour établir les faits afférents à l'infraction reprochée.

18. The Minister shall acknowledge receipt of the application within 20 days of the receipt and shall investigate all matters that the Minister considers necessary to determine the facts relating to the alleged offence.

 

19. À intervalles de quatre‑vingt‑dix jours à partir du moment où il accuse réception de la demande jusqu'à l'interruption de l'enquête, le ministre informe l'auteur de la demande du déroulement de l'enquête et des mesures qu'il a prises ou entend prendre. Il indique le temps qu'il faudra, à son avis, pour compléter l'enquête ou prendre les mesures en cause selon le cas.

 

19. After acknowledging receipt of the application, the Minister shall report to the applicant every 90 days on the progress of the investigation and the action, if any, that the Minister has taken or proposes to take, and the Minister shall include in the report an estimate of the time required to complete the investigation or to implement the action, but a report is not required if the investigation is discontinued before the end of the 90 days.

 

20. Il peut, à toute étape de l'enquête, transmettre des documents ou autres éléments de preuve au procureur général du Canada pour lui permettre de déterminer si une infraction prévue à la présente loi a été commise ou est sur le point de l'être et de prendre les mesures de son choix.

 

20. At any stage of an investigation, the Minister may send any documents or other evidence to the Attorney General of Canada for consideration of whether an offence has been or is about to be committed under this Act and for any action that the Attorney General may wish to take.

 

21. (1) Le ministre peut interrompre l'enquête s'il estime que l'infraction reprochée ne justifie plus sa poursuite ou que ses résultats ne permettent pas de conclure à la perpétration de l'infraction.

 

21. (1) The Minister may discontinue the investigation if the Minister is of the opinion that

 

(a) the alleged offence does not require further investigation; or

 

(b) the investigation does not substantiate the alleged offence.

 

(2) En cas d'interruption de l'enquête, il établit un rapport exposant l'information recueillie et les motifs de l'interruption et en envoie un exemplaire à l'auteur de la demande et aux personnes dont le comportement fait l'objet de l'enquête. La copie du rapport envoyée à ces dernières ne doit comporter ni les nom et adresse de l'auteur de la demande ni aucun autre renseignement personnel à son sujet.

 

(2) If the investigation is discontinued, the Minister shall

 

(a) prepare a report in writing describing the information obtained during the investigation and stating the reasons for its discontinuation; and

 

(b) send a copy of the report to the applicant and to any person whose conduct was investigated.

 

22. (1) Le particulier qui a demandé une enquête peut intenter une action en protection de l'environnement dans les cas suivants :

 

a) le ministre n'a pas procédé à l'enquête ni établi son rapport dans un délai raisonnable;

 

b) les mesures que le ministre entend prendre à la suite de l'enquête ne sont pas raisonnables.

 

22. (1) An individual who has applied for an investigation may bring an environmental protection action if

 

 

(a) the Minister failed to conduct an investigation and report within a reasonable time; or

 

(b) the Minister's response to the investigation was unreasonable.

 

(2) L'action en protection de l'environnement peut être intentée devant tout tribunal compétent contre la personne qui, selon la demande, aurait commis une infraction prévue à la présente loi, si cette infraction a causé une atteinte importante à l'environnement.

 

(2) The action may be brought in any court of competent jurisdiction against a person who committed an offence under this Act that

 

(a) was alleged in the application for the investigation; and

 

(b) caused significant harm to the environment.

 

(3) Dans le cadre de son action, le particulier peut demander :

 

a) un jugement déclaratoire;

 

b) une ordonnance — y compris une ordonnance provisoire — enjoignant au défendeur de ne pas faire un acte qui, selon le tribunal, pourrait constituer une infraction prévue à la présente loi;

 

c) une ordonnance — y compris une ordonnance provisoire — enjoignant au défendeur de faire un acte qui, selon le tribunal, pourrait empêcher la continuation de l'infraction;

 

d) une ordonnance enjoignant aux parties de négocier un plan de mesures correctives visant à remédier à l'atteinte à l'environnement, à la vie humaine, animale ou végétale ou à la santé, ou à atténuer l'atteinte, et de faire rapport au tribunal sur l'état des négociations dans le délai fixé par celui‑ci;

 

e) toute autre mesure de redressement indiquée — notamment le paiement des frais de justice — autre que l'attribution de dommages‑intérêts.

 

[...]

 

(3) In the action, the individual may claim any or all of the following:

 

(a) a declaratory order;

 

(b) an order, including an interlocutory order, requiring the defendant to refrain from doing anything that, in the opinion of the court, may constitute an offence under this Act;

 

(c) an order, including an interlocutory order, requiring the defendant to do anything that, in the opinion of the court, may prevent the continuation of an offence under this Act;

 

(d) an order to the parties to negotiate a plan to correct or mitigate the harm to the environment or to human, animal or plant life or health, and to report to the court on the negotiations within a time set by the court; and

 

 

 

 

(e) any other appropriate relief, including the costs of the action, but not including damages.

 

 

[. . .]

 

25. Elle ne peut non plus être intentée si la personne en cause a déjà, pour le comportement reproché, soit été déclarée coupable d'une infraction prévue à la présente loi, soit fait l'objet de mesures de rechange au sens de la partie 10.

 

 

 

[...]

 

25. An environmental protection action may not be brought against a person if the person was convicted of an offence under this Act, or environmental protection alternative measures within the meaning of Part 10 were used to deal with the person, in respect of the alleged conduct on which the action is based.

 

[. . .]

 

217. (1) Le ministre peut désigner, à titre d'agent de l'autorité ou d'analyste pour l'application de tout ou partie de la présente loi :

 

a) les personnes — ou catégories de personnes — qu'il estime compétentes pour occuper ces fonctions;

 

b) avec l'approbation d'un gouvernement, les personnes affectées — à titre individuel ou au titre de leur appartenance à une catégorie — par celui‑ci à l'exécution d'une loi concernant la protection de l'environnement.

 

217. (1) The Minister may designate as enforcement officers or analysts for the purposes of this Act, or any provision of this Act,

 

(a) persons or classes of persons who, in the Minister's opinion, are qualified to be so designated; and

 

(b) with the approval of a government, persons or classes of persons employed by the government in the administration of a law respecting the protection of the environment.

 

(2) L'agent de l'autorité ou l'analyste reçoit un certificat attestant sa qualité, qu'il présente, sur demande, au responsable du lieu qu'il visite en vertu des articles 218 ou 220, selon le cas.

 

(2) Every enforcement officer or analyst shall be furnished with a certificate of designation as an enforcement officer or analyst, as the case may be, and on entering any place under section 218 or 220, as the case may be, shall, if so requested, produce the certificate to the person in charge of the place.

 

(3) Pour l'application de la présente loi et de ses règlements, l'agent de l'autorité a tous les pouvoirs d'un agent de la paix; le ministre peut toutefois restreindre ceux‑ci lors de la désignation.

 

(3) For the purposes of this Act and the regulations, enforcement officers have all the powers of a peace officer, but the Minister may specify limits on those powers when designating any person or class of persons.

 

(4) Les pouvoirs — notamment en matière d'arrestation, de visite, de perquisition ou de saisie — pouvant être exercés au Canada à l'égard d'une infraction sous le régime de la présente loi ou du Code criminel peuvent l'être, à l'égard d'une infraction à la section 3 de la partie 7 ou à tout règlement pris en vertu de cette section ou d'une infraction au Code criminel commise dans le cadre de l'application de la présente loi, dans tout espace visé à l'alinéa 122(2)c) si l'infraction y est commise.

 

(4) Every power — including arrest, entry, search and seizure — that may be exercised in Canada in respect of an offence under this Act or the Criminal Code may, in respect of an offence arising out of a contravention of Division 3 of Part 7 or of any regulation made under that Division, or in respect of an offence under the Criminal Code that is committed in the course of enforcement of this Act, be exercised in an area of the sea referred to in paragraph 122(2)(c) if the offence was committed in that area of the sea.

 

(5) Les pouvoirs visés au paragraphe (4) peuvent être exercés dans tout espace visé à l'alinéa 122(2)g) en cas de poursuite immédiate entamée au Canada ou dans un espace visé à l'un des alinéas 122(2)a) à e) et g).

 

(5) The powers referred to in subsection (4) may be exercised in an area of the sea referred to in paragraph 122(2)(g) if hot pursuit has been commenced in Canada or in an area of the sea referred to in any of paragraphs 122(2)(a) to (e) and (g).

 

(6) Les pouvoirs visés au paragraphe (4) ne peuvent être exercés en vertu de ce paragraphe ou du paragraphe (5) à l'égard d'un navire autre qu'un navire canadien ou à l'égard d'un étranger se trouvant à bord d'un navire autre qu'un navire canadien sans le consentement du procureur général du Canada.

(6) The powers referred to in subsection (4) may not be exercised under that subsection or subsection (5) in relation to a ship that is not a Canadian ship, or to a foreign national who is on board such a ship, without the consent of the Attorney General of Canada.


COUR D'APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A-524-12

 

INTITULÉ :                                                  876947 Ontario Limited s/n RPR Environmental et Patrick Whitty c. Le Procureur général du Canada

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                         Le 7 mai 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       La juge Dawson

 

Y ONT SOUSCRIT :                                   La juge Sharlow

                                                                        La juge Gauthier

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 14 juin 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Vilko Zbogar

Kim Stanton

 

Pour les appelants

 

Michael J. Sims

Andrew Laws

Pour l'intimé

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Zbogar Advocate

Professional Corporation

Toronto (Ontario)

 

Pour les appelants

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour l'intimé

 

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