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Date : 20130328

Dossier : A-399-11

Référence : 2013 CAF 90

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LA JUGE TRUDEL

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

JACQUES ANDERSON

demandeur

et

IMTT-QUÉBEC INC.

défenderesse

 

 

 

Audience tenue à Québec (Québec), le 21 février 2013.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 28 mars 2013.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                      LE JUGE MAINVILLE

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                             LE JUGE NOËL

                                                                                                                           LA JUGE TRUDEL

 


Date : 20130328

Dossier : A-399-11

Référence : 2013 CAF 90

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LA JUGE TRUDEL

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

JACQUES ANDERSON

demandeur

et

IMTT-QUÉBEC INC.

défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE MAINVILLE

[1]               Notre Cour est saisie d’un recours en contrôle judiciaire dirigé contre une décision du Conseil canadien des relations industrielles (le « Conseil ») datée du 26 septembre 2011 et portant le numéro de référence neutre 2011 CCRI 606 (la « Décision ») par laquelle la plainte du demandeur alléguant violation des articles 133 et 147 du Code canadien du Travail, L.R.C. 1985, c. L-2 (le « Code ») fut rejetée.

 

[2]               Le demandeur sollicitait, du Conseil, l’annulation de son congédiement par la défenderesse IMTT-Québec Inc. (« IMTT »). Il soutenait que son congédiement résultait de ses démarches visant à assurer la sécurité des travailleurs d’IMTT, et qu’à ce titre il avait droit à la protection de l’article 147 du Code, qui interdit à l’employeur de congédier l’employé parce qu’il a fourni un renseignement relatif aux conditions de travail touchant la santé ou la sécurité, ou observé ou cherché à faire appliquer les dispositions du Code portant sur la santé ou la sécurité du travail.

 

[3]               Le Conseil a plutôt conclu que le congédiement du demandeur résultait de la rupture du lien de confiance avec son employeur, de son manque de loyauté évident envers celui-ci, et du discrédit qu’il lui a jeté.

 

[4]               Devant notre Cour, le demandeur soutient que le Conseil a commis une erreur quant à sa compétence (a) en lui imposant un fardeau de preuve qu’il n’avait pas à assumer dans les circonstances en cause; (b) en refusant de considérer qu’un congédiement reposant en partie sur un motif illicite ne peut être soutenu par la preuve d’autres motifs licites de congédiement; et (c) en refusant de traiter de l’article 425.1 du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46.

 

[5]               Par les motifs qui suivent, je suis d’avis que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée avec dépens.

 

 

 

FAITS ET PROCÉDURES

[6]               Une description détaillée des faits en cause figure dans la décision du Conseil. Il suffit de préciser ici certains des faits pertinents aux fins de la demande de contrôle judiciaire.

 

[7]               Le demandeur est ingénieur; il occupait à compter du 1er octobre 2007 le poste de directeur à l’emploi d’IMTT auprès du terminal de cette dernière situé sur le site du Port de Québec. En juin 2008, il devint notamment chargé de l’environnement et de la santé et la sécurité de l’entreprise au Port de Québec. Il entretenait des relations assez tendues avec d’autres directeurs de l’entreprise qui, selon le demandeur, seraient le résultat de son malaise quant aux carences de ces derniers en ce qui concerne la santé et la sécurité sur le site de l’entreprise. Le demandeur a d’ailleurs porté plusieurs plaintes à l’égard de ce qu’il alléguait être des erreurs, omissions ou négligences commises par ses collègues directeurs, ce qui a donné lieu à une forte animosité et un climat de travail très tendu au sein de l’entreprise.

 

[8]               Vu les relations tendues entre le demandeur et certains autres directeurs et l’insatisfaction des dirigeants de l’entreprise à l’égard du rendement de celui-ci, le directeur du terminal d’IMTT au Port de Québec, M. Lord, informait son supérieur hiérarchique le 15 janvier 2009 qu’il avait l’intention de mettre fin à l’emploi du demandeur. M. Lord rencontrait effectivement le demandeur en février 2012 et lui remettait alors une évaluation insatisfaisante de son rendement qui indiquait clairement que le maintien dans son emploi ne serait pas recommandé. La décision de le congédier au moment opportun fut, de fait, prise le 27 mars 2009 : Décision aux par. 18 et 86.

 

[9]               Un incident concernant la sécurité s’est produit à la même époque. Le 12 mars 2009, IMTT concluait un contrat d’installation d’un lampadaire d’une hauteur de 80 pieds près d’un réservoir. Le 26 mars 2009, dans le cadre des activités du comité de santé et de sécurité de l’entreprise, le demandeur effectuait l’inspection du site avec des représentants du syndicat. Comme le demandeur avait des doutes sur le plan de la sécurité en ce qui concerne l’installation du lampadaire, il envoyait le même jour un courriel à un collègue de travail exigeant les plans et les calculs d’ingénieurs. N’ayant pas reçu de réponse immédiate, le demandeur fit des recherches le lendemain 27 mars 2009 auprès du manufacturier du lampadaire, et il informait certains de ses collègues de travail qu’il avait l’intention de porter plainte devant l’Ordre des ingénieurs du Québec contre son collègue de travail chargé des travaux du lampadaire pour IMTT.

 

[10]           Tôt le 30 mars 2009, M. Lord informait le demandeur par courriel qu’une note serait fournie par l’entrepreneur confirmant que le lampadaire avait été installé selon les normes du manufacturier, et que la décision était prise de ne pas exiger des plans et calculs d’ingénieurs dans ce dossier. À la réunion de coordination tenue le même jour environ une heure plus tard, le demandeur informait alors les participants des problèmes qu'il percevait concernant le lampadaire, et ce, malgré le courriel de M. Lord. À la sortie de cette réunion, il y eut confrontation entre M. Lord et le demandeur. Le demandeur décidait ensuite d’aviser les supérieurs de l’entreprise de ses préoccupations concernant le lampadaire et il leur dénonça l’attitude de M. Lord à son endroit. Il eut également une discussion de la situation avec le président du syndicat, qui communiqua alors avec un agent fédéral de sécurité qui l’informa que les employés pouvaient exercer un refus de travailler en vertu du Code.

[11]           Le demandeur communiquait ensuite avec le maître du Port de Québec pour l’informer de la situation quant au lampadaire, qu’il qualifiait de dangereux. Il communiquait par la suite par téléphone avec l’Ordre des ingénieurs du Québec, auquel il transmit subséquemment des plaintes formelles contre son collègue de travail chargé des travaux du lampadaire et contre l’entrepreneur qui avait procédé à son installation. Il transféra aussi au président du syndicat une copie de ladite plainte contre son collègue de travail de même que d’un courriel adressé à ses supérieurs traitant de la question du lampadaire.

 

[12]           Le 31 mars 2009, M. Lord fut informé que le demandeur avait déposé une plainte contre un collègue de travail auprès de l’Ordre des ingénieurs du Québec. M. Lord prit alors la décision de suspendre indéfiniment le plaignant dans le but de compléter une enquête à son sujet. Il lui était reproché son attitude, son rendement insatisfaisant au travail, et les récents évènements concernant le lampadaire. Une vérification de l’ordinateur du demandeur fut alors effectuée, qui révélait que ce dernier communiquait depuis longtemps des informations concernant l’entreprise au président du syndicat.

 

[13]           Le 2 avril 2009, un avis de congédiement était transmis au plaignant, lequel lui reprochait son attitude et son rendement au travail, de même que des gestes déloyaux envers l’entreprise et un collègue de travail, notamment les communications avec les autorités portuaires et l’Ordre des ingénieurs du Québec, et la transmission d’informations au président du syndicat. On y faisait état d’une rupture définitive du lien de confiance.

 

[14]           Le 18 juin 2009, le demandeur déposait une plainte auprès du Conseil, s’appuyant sur les articles 133 et 147 du Code; il soutenait que son employeur avait pris des mesures contraires à l’article 147 en le suspendant et le congédiant pour avoir, selon lui, « dénoncé à diverses autorités compétentes une situation et objet dangereux ».

 

La décision du Conseil

[15]           Après huit jours d’audition, le Conseil rejetait la plainte du demandeur.

 

[16]           Dans sa Décision, le Conseil constate en premier lieu qu’il n’y a eu aucun refus de travailler de la part du demandeur pouvant faire jouer l’article 128 du Code. De ce constat, le Conseil conclut que le fardeau de la preuve incombait au demandeur de démontrer que IMTT l’a suspendu ou congédié en violation de l’article 147 du Code parce qu’il s’est prévalu des droits qui y sont prévus : décision aux par. 72 à 76.

 

[17]           Le Conseil constate également que les pouvoirs conférés par cet article sont limités : la question n’était pas de savoir si la suspension ou le congédiement étaient justes, mais plutôt de savoir si la décision de l’employeur constituait une mesure de représailles relative à l’invocation d’un droit protégé par l’article 147 du Code : décision aux par. 77-78.

 

[18]           Finalement, le Conseil constate qu’il n’a pas compétence pour connaître de prétendues violations du paragraphe 425.1(1) du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46, du Code de déontologie des ingénieurs du Québec, R.R.Q. 1981, c. I-9, r. 6 ou du Règlement sur les ports publics et installations portuaires publiques, DORS/2001-154. Vu sa compétence, il devait se borner à rechercher si le demandeur avait été congédié pour s’être prévalu d’un droit prévu par l’article 147 du Code : décision aux par. 80 à 84.

 

[19]           Or, le Conseil conclut, à la lumière des éléments de preuve qui lui ont été présentés, que le demandeur n’a pas été suspendu ou congédié en raison de la dénonciation concernant la prétendue dangerosité du lampadaire, mais en raison de son comportement antérieur à cet évènement et des gestes qu’il a posés par la suite. En particulier, le Conseil conclut que, dès février 2009, la recommandation était faite de ne plus maintenir le demandeur dans son emploi. Pour le Conseil, ce qui a justifié le congédiement, c’est la rupture définitive du lien de confiance vu le manque de loyauté évident envers l’entreprise et du discrédit que le demandeur lui a jeté : décision aux par. 85 à 92. Les observations suivantes du Conseil sont pertinentes :

[87] … Ce qui a justifié ce congédiement, ce n'est pas que le plaignant ait cherché à faire respecter ou à faire appliquer les dispositions du Code en matière de santé et de sécurité, mais tout simplement parce que le lien de confiance était rompu en raison de son manque de loyauté évident et du discrédit qu'il a pu causer à l'entreprise.

[88] Le plaignant a manqué de loyauté envers l'intimée lorsqu'il a transféré, le 20 novembre 2008, au technicien en matière de santé et de sécurité, M. Frédéric Perron, un courriel concernant les erreurs commises par un collègue, puis les 16 et 30 mars 2009, au président du syndicat, un courriel qu'il avait envoyé à M. Fisette mettant en doute la compétence du directeur du terminal et enfin une copie de la plainte contre M. Dion à l'Ordre des ingénieurs du Québec.

[89] Le plaignant, dans son acharnement à discréditer son directeur du terminal et ses collègues a discrédité par le fait même l'intimée. De plus, il n'a pas transmis des renseignements complets au maître du Port de Québec en omettant de lui préciser les mesures de sécurité et les moyens pris pour remédier à la situation. Ses plaintes auprès de l'Ordre des ingénieurs du Québec contre son collègue et contre l'entreprise Latulippe et son représentant, M. Louis Latulippe, démontrent un acharnement aveugle qui a discrédité l'intimée, tant dans son organisation que dans ses relations d'affaires.

 

Les moyens invoqués dans le cadre du recours en contrôle judiciaire

[20]           Le demandeur soutient devant notre Cour que le Conseil a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé d’exercer sa compétence (a) en lui imposant un fardeau de preuve qui ne lui incombait pas dans les circonstances; (b) en refusant de reconnaître qu’un congédiement reposant en partie sur un motif illicite ne peut être maintenu par la preuve d’autres motifs licites de congédiement; et (c) en refusant d'examiner le moyen puisé dans l’article 425.1 du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46.

 

Premier moyen : le fardeau de la preuve

[21]           Le demandeur soutient qu'il lui incombait simplement d’établir qu’il a exercé un droit protégé par l’article 147 du Code. Dès lors, il y a déplacement du fardeau de la preuve, et c’est à IMTT qu’il incombe d’établir une cause juste et suffisante pouvant justifier le congédiement. Le Conseil aurait donc commis une erreur de droit et excédé sa compétence en lui imposant le fardeau de « démontrer que l’intimée [IMTT] l’a suspendu et congédié en violation de l’article 147 du Code parce qu’il s’est prévalu des droits qui y sont prévus » : décision au para. 76.

 

[22]           Or, la décision du Conseil à cet égard est fondée sur une interprétation raisonnable des dispositions en cause du Code, soit les paragraphes 133(1)(2) et (6) et l’article 147, qui se lisent comme suit :

 (1) L’employé — ou la personne qu’il désigne à cette fin — peut, sous réserve du paragraphe (3), présenter une plainte écrite au Conseil au motif que son employeur a pris, à son endroit, des mesures contraires à l’article 147.

 

 

(2) La plainte est adressée au Conseil dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date où le plaignant a eu connaissance — ou, selon le Conseil, aurait dû avoir connaissance — de l’acte ou des circonstances y ayant donné lieu.

 

[…]

 

(6) Dans les cas où la plainte découle de l’exercice par l’employé des droits prévus aux articles 128 ou 129, sa seule présentation constitue une preuve de la contravention; il incombe dès lors à la partie qui nie celle-ci de prouver le contraire.

 (1) An employee, or a person designated by the employee for the purpose, who alleges that an employer has taken action against the employee in contravention of section 147 may, subject to subsection (3), make a complaint in writing to the Board of the alleged contravention.

 

(2) The complaint shall be made to the Board not later than ninety days after the date on which the complainant knew, or in the Board’s opinion ought to have known, of the action or circumstances giving rise to the complaint.

 

 

(6) A complaint made under this section in respect of the exercise of a right under section 128 or 129 is itself evidence that the contravention actually occurred and, if a party to the complaint proceedings alleges that the contravention did not occur, the burden of proof is on that party.

 

 Il est interdit à l’employeur de congédier, suspendre, mettre à pied ou rétrograder un employé ou de lui imposer une sanction pécuniaire ou autre ou de refuser de lui verser la rémunération afférente à la période au cours de laquelle il aurait travaillé s’il ne s’était pas prévalu des droits prévus par la présente partie, ou de prendre — ou menacer de prendre — des mesures disciplinaires contre lui parce que :

 

*                   a) soit il a témoigné — ou est sur le point de le faire — dans une poursuite intentée ou une enquête tenue sous le régime de la présente partie;

*                    

*                   b) soit il a fourni à une personne agissant dans l’exercice de fonctions attribuées par la présente partie un renseignement relatif aux conditions de travail touchant sa santé ou sa sécurité ou celles de ses compagnons de travail;

*                    

*                   c) soit il a observé les dispositions de la présente partie ou cherché à les faire appliquer.

 

 No employer shall dismiss, suspend, lay off or demote an employee, impose a financial or other penalty on an employee, or refuse to pay an employee remuneration in respect of any period that the employee would, but for the exercise of the employee’s rights under this Part, have worked, or take any disciplinary action against or threaten to take any such action against an employee because the employee

 

*                   (a) has testified or is about to testify in a proceeding taken or an inquiry held under this Part;

 

 

 

*                   (b) has provided information to a person engaged in the performance of duties under this Part regarding the conditions of work affecting the health or safety of the employee or of any other employee of the employer; or

*                    

*                   (c) has acted in accordance with this Part or has sought the enforcement of any of the provisions of this Part.

 

 

[23]           Les articles 133 et 147 furent introduits au Code dans leur version actuelle en l’an 2000 par la Loi modifiant la partie II du Code canadien du travail, portant sur la santé et la sécurité au travail, apportant des modifications matérielles à la partie I du Code canadien du travail et modifiant d’autres lois en conséquence, L.C. 2000, c. 20.

 

[24]           Préalablement à cette modification législative, l’article 133 du Code prévoyait la possibilité de plaintes concernant principalement le droit de refus visé par les articles 128 et 129. Dans un tel cas, le Code consacrait alors une présomption en faveur du plaignant à l’effet que la seule présentation de la plainte constituait un élément de preuve de la contravention. Les modifications opérées par L.C. 2000, c. 20 ont considérablement élargi les motifs de plainte bien au-delà du droit de refus. Par contre, la présomption ne fut pas étendue à tous ces nouveaux motifs de plaintes, mais fut plutôt reconduite à l’égard seulement des plaintes concernant un droit de refus selon les articles 128 et 129 : voir le paragraphe 133(6) du Code reproduit ci-haut.

 

[25]           Le Conseil a depuis statué que ces dispositions législatives ne conduisent au déplacement du fardeau de la preuve, en faveur du plaignant, que dans les cas de plaintes visant un droit garanti par les articles 128 et 129 du Code. Dans les autres cas, le fardeau incombe au plaignant, de manière traditionnelle, comme pour tout demandeur : Re Ouimet, [2002] CCRI 171.

 

[26]           En l’espèce, le Conseil a conclu que la plainte du demandeur ne relevait pas des articles 128 ou 129 du Code, et que, en l’occurrence, le déplacement du fardeau de la preuve consacré par le paragraphe 133(6) était exclu. Il s’agit là de la part du Conseil d’une appréciation raisonnable des éléments de preuve qui lui ont été produits et d’une interprétation raisonnable des dispositions pertinentes du Code. Il n’y a donc pas lieu pour notre Cour d’intervenir.

 

Deuxième moyen tiré du principe de « contamination »

[27]           Le demandeur soutient que son congédiement se rattache, au moins en partie, à ses démarches visant à dénoncer une situation dangereuse pour la santé et la sécurité au travail, soit ses nombreuses interventions faites au sujet du lampadaire installé près d’un réservoir. Selon le demandeur, dès qu’il est démontré qu’un des motifs de congédiement est l’exercice d’un droit protégé par le Code, le congédiement doit être annulé, même s’il existe un autre motif valable de congédiement.

 

[28]           Le demandeur s’appuie à cet égard sur la jurisprudence québécoise relative à la présomption consacrée par l’article 17 du Code du travail du Québec, L.R.Q. c. C-27. Cet article prévoit que lorsque le salarié exerce un droit prévu par ce Code, il y a présomption que la sanction prise contre lui par l’employeur découle de l’exercice de ce droit. Le demandeur s’appuie notamment sur la décision de la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Silva c. Centre hospitalier de l’Université de Montréal-Pavillon Notre-Dame, 2007 QCCA 458 (« Silva ») où l'on peut lire, au par. 4, que « dès que la sanction procède d’un motif illicite, ou que celui-ci cohabite avec un autre motif qui lui est licite, alors la présomption de l’article 17 du Code du travail n’est pas repoussée ».

 

[29]           Le demandeur soutient que ce principe de « contamination » a été retenu par la Cour suprême du Canada par l’arrêt Plourde c. Compagnie Wal-Mart du Canada, 2009 CSC 54, [2009] 3 R.C.S. 465 (« Plourde ») aux par. 48 et 49, où le juge Binnie, s’exprimant pour la majorité de la Cour suprême du Canada, a fait référence à la jurisprudence Silva en analysant la portée de la présomption énoncée à l’article 17 du Code du travail du Québec. Ce principe a d’ailleurs été repris récemment par la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Desfossés c. Société de transport de Sherbrooke, 2011 QCCA 119 au par. 26. Le demandeur soutient donc que ce principe joue en l’espèce.

 

[30]           Or, le demandeur se heurte à au moins trois obstacles de taille à cet égard.

 

[31]           Premièrement, le Conseil a tiré des preuves la conclusion de fait que le demandeur « n’a pas été suspendu ou congédié en raison de la dénonciation concernant la dangerosité du lampadaire, mais bien pour son comportement antérieur à cet évènement et pour les gestes qu’il a posés par la suite » : décision au par. 85. Cette conclusion de fait, à laquelle notre Cour doit déférer, appelle le rejet des arguments de l’appelant quant à la « contamination » de son congédiement par un motif illicite énoncé au Code. L’appelant attaque évidemment cette conclusion de fait et demande à notre Cour d’apprécier de nouveau la preuve afin d’en tirer une nouvelle conclusion de fait qui lui serait plus favorable. Or, tel n’est pas le rôle de notre Cour dans le cadre d’un recours en contrôle judiciaire dirigé contre une décision du Conseil.

 

[32]           Deuxièmement, il n’y a pas de présomption similaire à celle énoncée à l’article 17 du Code du travail du Québec qui joue en l’espèce. Tel que discuté précédemment, le déplacement du fardeau de la preuve prévu au par. 133(6) du Code ne s’applique pas à la plainte du demandeur. Puisque le principe de « contamination » reconnu par la jurisprudence québécoise est étroitement rattaché à la présomption établie par l’article 17 du Code du travail du Québec, le demandeur ne peut donc utilement l’invoquer en l’espèce. Il est d’ailleurs fort douteux que ce principe puisse trouver application au-delà du contexte très particulier de la présomption consacrée par l’article 17 du Code du travail du Québec et du contexte distinct des relations de travail au Québec.

 

[33]           Finalement, le principe de « contamination » n’a pas, de toute manière, la portée que lui accorde le demandeur. Comme l’a constaté le Conseil, dans cette affaire, suite à son évaluation de février 2009, le demandeur savait que son emploi était en péril: décision au par. 86. Selon le Conseil, le demandeur « sentait la soupe chaude » au point de transférer l’ensemble de ses courriels sur son ordinateur personnel : décision au par. 29. La décision de le congédier a donc été prise avant les incidents concernant le lampadaire : décision au par. 86. Le principe de « contamination », même s'il était applicable, ne pourrait empêcher l’employeur de procéder au congédiement dans de telles circonstances. L’employé ne peut certainement pas se prémunir d’un congédiement en cours en s’abritant sous le Code afin de multiplier les gestes provocateurs pour ensuite invoquer l’immunité en s’appuyant sur le principe de « contamination ». Comme le signalait d’ailleurs le juge Chouinard dans Lafrance et autres c. Commercial Photo, [1980] 1 R.C.S. 536 à la p. 544, ce qui doit être établi c’est « que l’autre cause invoquée par l’employeur est une cause sérieuse par opposition à un prétexte, et qu’elle constitue la cause véritable du congédiement. »

 

Troisième moyen : la pertinence de l’article 425.1 du Code criminel

[34]           Le demandeur soutient que son employeur IMTT ne pouvait le congédier puisqu’il a dénoncé une situation dangereuse au Maître du Port de Québec et au syndic de l’Ordre des ingénieurs du Québec. Il relève d’ailleurs que la lettre de congédiement qui lui a été remise réfère expressément à ces dénonciations comme des gestes déloyaux. Il soutient que le paragraphe 425.1(1) du Code criminel le protège, et que le Conseil a donc commis une erreur de compétence en refusant d’examiner la protection qu’il prétend tirer de cet article.

 

[35]           L’article 425.1 du Code criminel dispose :

 (1) Commet une infraction quiconque, étant l’employeur ou une personne agissant au nom de l’employeur, ou une personne en situation d’autorité à l’égard d’un employé, prend des sanctions disciplinaires, rétrograde ou congédie un employé ou prend d’autres mesures portant atteinte à son emploi — ou menace de le faire :

 

a) soit avec l’intention de forcer l’employé à s’abstenir de fournir, à une personne dont les attributions comportent le contrôle d’application d’une loi fédérale ou provinciale, des renseignements portant sur une infraction à la présente loi, à toute autre loi fédérale ou à une loi provinciale — ou à leurs règlements — qu’il croit avoir été ou être en train d’être commise par l’employeur ou l’un de ses dirigeants ou employés ou, dans le cas d’une personne morale, l’un de ses administrateurs;

 

b) soit à titre de représailles parce que l’employé a fourni de tels renseignements à une telle personne.

 

 

 

 

(2) Quiconque commet l’infraction prévue au paragraphe (1) est coupable :

 

a) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans;

 

b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

 (1) No employer or person acting on behalf of an employer or in a position of authority in respect of an employee of the employer shall take a disciplinary measure against, demote, terminate or otherwise adversely affect the employment of such an employee, or threaten to do so,

 

 

 

(a) with the intent to compel the employee to abstain from providing information to a person whose duties include the enforcement of federal or provincial law, respecting an offence that the employee believes has been or is being committed contrary to this or any other federal or provincial Act or regulation by the employer or an officer or employee of the employer or, if the employer is a corporation, by one or more of its directors; or

 

 

 

(b) with the intent to retaliate against the employee because the employee has provided information referred to in paragraph (a) to a person whose duties include the enforcement of federal or provincial law.

 

(2) Any one who contravenes subsection (1) is guilty of

 

 

(a) an indictable offence and liable to imprisonment for a term not exceeding five years; or

 

(b) an offence punishable on summary conviction.

 

 

 

 

[36]           L’article 425.1 précité fut incorporé au Code criminel en 2004 par la Loi modifiant le Code criminel (fraude sur les marchés financiers et obtention d’éléments de preuve), L.C. 2004, c. 3, art. 6, et il réprime la nouvelle infraction liée aux menaces et représailles envers l’employé qui s’apprête à dénoncer ou qui a de fait dénoncé la conduite illégale de son employeur.

 

[37]           Le demandeur soutient que les conditions de l’article 425.1 du Code criminel sont réunies en l’espèce: (a) les articles 14 et 25 du Règlement sur les ports publics et installations portuaires, précité, prévoient l’interdiction de faire quoi que se soit dans un port public qui serait susceptible de menacer la sécurité ou la santé des personnes, et ils obligent toute personne à l’origine d’une situation dangereuse dans un tel port de prendre les mesures de précaution appropriées et de signaler à un responsable de port toute situation dangereuse; (b) le Code de déontologie des ingénieurs du Québec, précité, oblige, par l’article 2.03, l’ingénieur à informer l’Ordre des travaux dangereux pour la sécurité publique.

 

[38]           Le demandeur soutient donc que le motif de congédiement qui s’appuie sur sa déloyauté envers son employeur ne peut être retenu vu que cette prétendue déloyauté découle de dénonciations auprès du Maître au Port de Québec et à l’Ordre des ingénieurs, lesquelles dénonciations sont protégées par l’article 425.1 du Code criminel. Le Conseil aurait donc commis une erreur de compétence en refusant de tenir compte de cette disposition dans son appréciation du motif du congédiement invoqué par l’employeur IMTT.

 

[39]           Comme le signalait le juge Binnie dans l’arrêt Merk c. Association internationale des travailleurs en ponts, en fer structural, ornemental et d’armature, section locale 771, 2005 CSC 70, [2005] 3 R.C.S. 425 (« Merk »), au par. 14, les lois de la protection des dénonciateurs, tel l’article 425.1 du Code criminel, consacrent une exception à l’habituelle obligation de loyauté des employés envers leurs employeurs. La philosophie de ces dispositions législatives est d’associer les employés à la lutte de l’État contre les comportements illicites, et ce, en leur accordant une certaine immunité contre les représailles des employeurs.

 

[40]           Par contre, ces dispositions législatives ne rendent pas nécessairement lettre morte cette obligation de loyauté. Selon une jurisprudence constante et de longue date en matière de relations du travail, l'on concilie mieux le devoir de loyauté de l’employé envers son employeur et l’intérêt public par la suppression des activités illicites si l'on encourage les employés à résoudre, en premier lieu, les problèmes à l’interne plutôt qu'à s’adresser immédiatement aux autorités externes à l’entreprise : Merk au par. 23-24. Pour être précis quant au principe applicable, « l’obligation de loyauté impose à l’employé d’épuiser les mécanismes internes avant de se prévaloir des “mécanismes publics”. De tels mécanismes internes visent à faire en sorte que la réputation de l’employeur ne soit pas entachée par des accusations injustifiées, s’appuyant sur des renseignements inexacts » : Re Ministry of Attorney-General, Corrections Branch and British Columbia Government Employees’ Union, 3 L.A.C. (3d) 140, à la p. 163; ces observations furent retenues par l'arrêt Merk au par. 23.

 

[41]           Comme le signale fort judicieusement le juge Binnie, la jurisprudence -judiciaire et arbitrale- et la doctrine, non seulement canadiennes, mais aussi anglaises et européennes, censurent les employés qui ne tentent pas de rechercher, à l’interne, une solution aux problèmes de l’entreprise; elles y voient une conduite, à première vue, déloyale et répréhensible : Merk aux par. 25-26.

 

[42]           La plainte du demandeur adressée au Maître du Port de Québec au sujet du lampadaire était manifestement hâtive et vexatoire. Comme le signale le Conseil dans sa décision au par. 89, le demandeur « n’a pas transmis des renseignements complets au maître du Port de Québec en omettant de lui préciser les mesures de sécurité et les moyens pris pour remédier à la situation. » Le demandeur tente de justifier cette omission en soutenant qu’il ne connaissait pas la nature des mesures de sécurité prises par son employeur à l’égard du lampadaire lorsqu’il a formulé sa plainte. Or cela ne démontre que le caractère hâtif et inapproprié de cette plainte. Le demandeur a fait preuve de déloyauté envers son employeur en agissant de la sorte sans s’informer au préalable des mesures prises et sans attendre le résultat des mécanismes internes instaurés par l’employeur.

 

[43]           Comme le signale également le Conseil au par. 89 de sa décision, les « plaintes auprès de l’ordre des ingénieurs du Québec contre son collègue et contre l’entreprise Latulippe et son représentant, M. Louis Latulippe, démontent un acharnement aveugle qui a discrédité l’intimée, tant dans son organisation que dans ses relations d’affaires. »

 

[44]           L’article 425.1 du Code criminel n’a pas pour objet de permettre à l’employé de multiplier avec impunité les dénonciations aux autorités publiques de façon inconsidérée, sans égard aux mécanismes internes de l’employeur et au respect envers les collègues de travail. Ce texte ne permet pas à l’employé d’éviter un congédiement en cours en multipliant les dénonciations inconsidérées auprès des autorités publiques contre son employeur et ses collègues de travail.

 

[45]           Dans les circonstances, le Conseil n’a pas commis d’erreur en ne prenant pas en compte l’article 425.1 du Code criminel lorsqu’il a statué sur la plainte du demandeur sous les articles 133 et 147 du Code.

 

Conclusion

[46]           Par ces motifs, je rejetterais donc la demande de contrôle judiciaire, avec dépens.

 

 

 

« Robert M. Mainville »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord

    Marc Noël j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

    Johanne Trudel j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-399-11

 

APPEL D’UN JUGEMENT DU CONSEIL CANADIEN DES RELATIONS INDUSTRIELLES LE 26 SEPTEMBRE 2011, N° DE RÉFÉRENCE 2011 CCRI 606.

 

INTITULÉ :                                                                          Anderson c.

                                                                                                IMTT-QUÉBEC INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                  Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                 Le 21 février 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                               Le juge Mainville

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                           Le juge Noël

                                                                                                La juge Trudel

 

DATE DES MOTIFS :                                                         Le 28 mars 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Marius Ménard

POUR LE DEMANDEUR

 

Christian Drolet

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Heenan Blaikie Aubut S.E.N.C.R.L.

Québec (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Ménard Milliard Caux s.e.n.c.

Québec (Québec)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

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