Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Cour d'appel fédérale

Federal Court of Appeal

 

Date : 20130320

Dossier : A-167-12

Référence : 2013 CAF 86

CORAM :      LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE GAUTHIER

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

FRANK CHARLES HOKHOLD, D.D.S., B. Sc. (Pharm.)

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 18 mars 2013

Jugement rendu à Vancouver (Colombie-Britannique), le 20 mars 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                        LA JUGE GAUTHIER

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LE JUGE PELLETIER

                                                                                                                    LE JUGE MAINVILLE

 


Cour d'appel fédérale

Federal Court of Appeal

 

Date : 20130320

Dossier : A-167-12

Référence : 2013 CAF 86

CORAM :      LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE GAUTHIER

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

FRANK CHARLES HOKHOLD, D.D.S., B. Sc. (Pharm.)

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA JUGE GAUTHIER

[1]               Le Dr Hokhold interjette appel d'une décision prononcée par la juge Sheridan de la Cour canadienne de l'impôt (la juge), dont les motifs ont la référence 2012 CCI 154.

 

[2]               Le Dr Hokhold est un dentiste qui exerçait autrefois sa profession à Merritt, une petite collectivité de la Colombie-Britannique. Il a produit avec beaucoup de retard (en janvier 2005) sa déclaration de revenus pour l'année 2002. Il a omis de produire ses déclarations de revenus pour les années 2003 à 2006, et il a produit sa déclaration de revenus pour l'année 2007 en juin 2008. En septembre 2008, il a produit des déclarations modifiées pour les années 2002 à 2007.

 

[3]               Le ministre du Revenu national a établi à l'endroit du Dr Hokhold des cotisations et des nouvelles cotisations en avril 2005 pour l'année 2002, et en janvier 2006 pour l'année 2003. Le Dr Hokhold a ensuite fait l'objet de cotisations et de nouvelles cotisations pour les années 2004 à 2007.

 

[4]               Le Dr Hokhold a interjeté appel des cotisations et des nouvelles cotisations établies par le ministre pour l'ensemble des années d'imposition susmentionnées (de 2002 à 2007) devant la Cour canadienne de l'impôt parce que le ministre avait rejeté en grande partie une série de déductions pour dépenses d'entreprise, y compris des déductions relatives à l'utilisation d'un véhicule automobile, aux frais de repas et de représentation, aux salaires versés aux enfants de l'appelant, à la perte de revenu, à la perte de matériel d'entreprise et à la perte de la clientèle. Il a aussi contesté les pénalités pour production tardive imposées par le ministre pour les années 2004 à 2007. Il a inclus dans son avis d'appel une demande de dommages‑intérêts et une demande d'excuses de l'intimée.

 

[5]               Dans sa décision, la juge a rejeté l'appel relativement aux années d'imposition 2002 et 2003 parce que le Dr Hokhold avait omis de déposer un avis d'opposition avant l'expiration du délai prévu à l'article 165 de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e supp.) (la Loi). Ainsi, le Dr Hokhold ne pouvait satisfaire aux conditions d'appel énoncées au paragraphe 169(1) de la Loi.

 

[6]               La juge a augmenté les déductions relatives à l'utilisation d'un véhicule (50 p. 100 plutôt que les 20 p. 100 accordés par le ministre) et aux salaires versés aux membres de la famille (75 p. 100 comparativement aux 10 p. 100 d'abord accordés), et elle a confirmé l'évaluation du ministre des déductions permises au titre de frais de repas et de représentation, de même que sa conclusion selon laquelle les pertes de revenu, de matériel d'entreprise et de clientèle ne sont pas des dépenses d'entreprise déductibles au sens de la Loi (paragraphe 18(1) de la Loi). La juge a ensuite expliqué qu'elle n'avait pas la compétence requise pour accorder des dommages‑intérêts par suite de l'inconduite présumée du ministre.

 

[7]               Devant la juge, le ministre a reconnu qu'aucune pénalité n'aurait dû être imposée à l'égard des années 2004, 2005 et 2007. La juge a donc confirmé la pénalité pour production tardive relativement à l'année 2006 seulement, tout en soulignant que la preuve ne l'avait pas convaincue que le Dr Hokhold avait fait preuve de la diligence nécessaire pour justifier la production en retard, malgré la preuve au dossier concernant les difficultés bien réelles qu'il avait dû affronter.

 

[8]               Le Dr Hokhold conteste chacune des conclusions tirées par la juge sur les diverses déductions réclamées, de même que sa décision de confirmer la pénalité pour production tardive relativement à l'année 2006. De plus, il soutient maintenant devant la Cour que les droits que lui garantissent les articles 8 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11 (la Charte), ont été violés par suite de la saisie illégale et injustifiée de ses comptes bancaires par le ministre.

 

[9]               À l'audience, le Dr Hokhold a axé ses observations sur le fait que la juge avait écarté, ou mal apprécié, certains des éléments de preuve concernant les années d'imposition 2002 et 2003. Il a renvoyé à sa correspondance avec l'Agence du revenu du Canada (ARC), laquelle a été versée au dossier d'appel, et plus particulièrement à sa lettre du 19 juin 2006. S'agissant de l'utilisation de son véhicule automobile, il a aussi soutenu que la décision de la juge selon laquelle seulement 50 p. 100 des dépenses sont déductibles est tout simplement erronée étant donné la preuve qui lui avait été soumise, notamment en ce qui concerne ses déplacements hebdomadaires à Kamloops et ses voyages fréquents à Vancouver afin d'assister à des cours de perfectionnement et à des conférences. À son avis, la distance parcourue pour participer à ces activités ne peut tout simplement pas se comparer à celle correspondant à l'usage restreint que sa famille faisait du véhicule à Merritt et dans ses environs.

 

[10]           En ce qui concerne les frais de repas et de représentation, le Dr Hokhold a reconnu qu'il avait peut‑être au départ réclamé des repas qui, dans les faits, n'auraient pas dû être déduits (parce qu'il n'avait alors pas bien compris les dispositions légales applicables). Cependant, il a affirmé catégoriquement que la déclaration de la juge, au paragraphe 20 de ses motifs, selon laquelle il avait « tenté de qualifier presque chaque miette qu'ils consommaient comme étant des frais de repas », n'avait aucun sens et était insultante. Il estime que ce commentaire erroné devrait suffire à justifier l'intervention de la Cour.

 

[11]           Quant aux salaires versés à ses enfants, le Dr Hokhold a expliqué ce qu'il estime être une erreur dans la description du taux horaire payé au cours des années en cause. Si le taux de 15 $ l'heure devait être retenu, il soutient que la Cour pourrait autoriser les déductions réclamées.

 

[12]           Enfin, en ce qui concerne les diverses pertes subies par suite de la saisie de son compte bancaire, qui l'aurait empêché de faire les versements se rattachant à son matériel d'entreprise et à son domicile (où était aussi situé son bureau) et qui se serait traduite par une diminution de sa cote de crédit et de sa clientèle, le Dr Hokhold déclare qu'il n'a tout simplement pas les moyens d'intenter une action délictuelle, comme la juge l'a suggéré. Il affirme que ces pertes ont bel et bien été subies. Elles devraient donc être considérées comme des pertes d'entreprise au sens de la Loi, même s'il ne s'agit pas de dépenses engagées en vue de tirer un revenu (paragraphe 18(1) de la Loi). Il soutient que, sinon, cette règle est tout simplement inéquitable et, qui plus est, non fondée en droit.

 

[13]           Comme il a été expliqué à l'audience, le présent appel n'est pas une audience de novo et la Cour ne peut substituer sa propre évaluation de la preuve à celle qu'en a faite la juge.

 

[14]           La norme de contrôle que la Cour doit appliquer en appel d'une décision prononcée par une juridiction de première instance comme la Cour canadienne de l'impôt a été établie par la Cour suprême du Canada dans Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235, 2002 CSC 33. S'agissant des questions de droit, la norme de contrôle est celle de la décision correcte. Cependant, en ce qui concerne les questions de fait ou les questions mixtes de fait et de droit (comme celles qui sont soulevées par le Dr Hokhold), la Cour ne peut intervenir que si les conclusions de la juge sont entachées d'une erreur manifeste et dominante.

 

[15]           Comme l'a fait observer notre Cour dans l'arrêt R. c. South Yukon Forest Corp., 2012 CAF 165, au paragraphe 46 :

L'erreur manifeste et dominante constitue une norme de contrôle appelant un degré élevé de retenue : H. L. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 25, [2005] 1 R.C.S. 401; Peart c. Peel Regional Police Services (2006), 217 O.A.C. 269 (C.A.), aux paragraphes 158 et 159; arrêt Waxman, précité. Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente, et par erreur « dominante », une erreur qui touche directement à l'issue de l'affaire. Lorsque l'on invoque une erreur manifeste et dominante, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l'arbre debout. On doit faire tomber l'arbre tout entier.

 

[16]           De plus, au paragraphe 46 de l'arrêt Housen, précité, la Cour suprême du Canada affirme clairement que le juge de première instance est présumé avoir examiné tous les renseignements au dossier et que l'omission de s'appuyer expressément sur certains éléments de preuve dans les motifs, ou de les mentionner, ne constitue pas une preuve suffisante pour réfuter cette présomption.

 

[17]           En ce qui concerne le nouvel argument fondé sur la Charte, je dirai simplement que la Cour canadienne de l'impôt n'a pas compétence pour statuer sur les demandes de cette nature. Par conséquent, notre Cour n'est pas dûment saisie de cette question.

 

[18]           Les conclusions tirées par la juge à l'égard des années 2002 et 2003 étaient fondées sur le fait que les avis d'opposition ont été déposés le 17 avril 2009, ce que le Dr Hokhold a reconnu à la page 165 de la transcription (dossier d'appel, vol. 7; voir aussi sa réponse, aux pages 166 et 167, quant à savoir pourquoi il n'avait pas présenté d'avis d'opposition). Cela dit, même si la lettre du 19 juin 2006 que le Dr Hokhold a envoyée à l'ARC pouvait constituer un avis d'opposition à l'égard des années d'imposition 2002 et 2003, elle a été envoyée plus de 90 jours après le jour auquel les avis de cotisation et de nouvelle cotisation pertinents ont été expédiés.

 

[19]           Le Dr Hokhold avait le droit de demander que le délai prévu pour déposer son avis d'opposition soit prorogé en application des paragraphes 166.1(1) et 166.2(1) de la Loi, mais il ne l'a pas fait. Ainsi, la juge n'avait d'autre choix que d'appliquer l'article 169 de la Loi. Elle n'a donc commis aucune erreur en rejetant l'appel relativement à ces deux années.

 

[20]           J'ai aussi conclu que la juge n'avait pas commis d'erreur en appliquant le paragraphe 18(1) de la Loi aux pertes réclamées par l'appelant.

 

[21]           La juge a formulé des conclusions non équivoques en ce qui concerne la valeur probante de la preuve qui lui a été présentée. Elle n'a pas admis tous les éléments soumis par le Dr Hokhold. Par exemple, elle n'a pas reconnu que ses déplacements hebdomadaires à Kamloops étaient exclusivement à des fins professionnelles, ce qui a de toute évidence eu une incidence sur son examen de la déduction liée à l'utilisation du véhicule.

 

[22]           De plus, la juge n'a pas accepté la preuve du Dr Hokhold selon laquelle les repas pris par les membres de sa famille à Kamloops et lors des conférences professionnelles auxquelles ils participaient ailleurs constituaient des dépenses d'entreprise. Elle a de plus fait observer que « lorsqu'une dépense aurait de toute façon été supportée, par exemple pour nourrir ou vêtir le contribuable, cette dépense ne peut pas donner lieu à une déduction accordée à l'entreprise ». Elle pouvait en arriver à ces conclusions. Je conviens que le commentaire cité au paragraphe 10 ci-dessus n'était pas approprié, mais il ne doit pas être interprété de façon aussi littérale que le suggère le Dr Hokhold. Pris dans son contexte, il signifie que la juge estimait que les montants réclamés pour les frais de repas étaient exagérés.

 

[23]           En ce qui concerne les salaires versés aux enfants, la preuve à cet égard était de toute évidence loin d'être parfaite. Les paiements étaient souvent effectués au comptant, les relevés des heures de travail n'étaient pas tenus correctement et les taux horaires utilisés par le Dr Hokhold pour ses calculs ont été contestés au cours de son contre‑interrogatoire. L'appelant a confirmé que les enfants recevaient 10 $ l'heure, même au cours de la période où il avait utilisé le montant de 15 $ dans ses calculs. Il a reconnu qu'il ne savait pas pourquoi les taux utilisés pour 2007 variaient autant (voir les pages 108, 109, 114, 122 et 123 de la transcription, dossier d'appel, vol. 6). Mme Hokhold, un témoin convaincant selon la juge, n'a pas abordé cette question. La juge a de toute évidence dû effectuer certaines estimations. Encore une fois, elle était fondée à le faire. En fait, malgré l'état du dossier de la preuve, la juge a augmenté de façon importante les déductions autorisées.

 

[24]           Le fardeau dont doit s'acquitter le Dr Hokhold dans le présent appel est lourd. Il ne m'a pas convaincue que la juge avait commis une erreur susceptible de contrôle qui justifierait notre intervention. Bien que je reconnaisse que la situation dans laquelle se trouve le Dr Hokhold est difficile, la Cour a les mains liées.

 

[25]           Par conséquent, je propose que l'appel soit rejeté. La juge a établi que chaque partie devait supporter ses propres frais. J'estime que cette solution convient aussi en l'espèce.

 

« Johanne Gauthier »

j.c.a.

 

 

« Je suis d'accord.

            J. D. Denis Pelletier »

 

« Je suis d'accord.

            Robert M. Mainville »

 

 

Traduction certifiée conforme

Yves Bellefeuille, réviseur

 


Cour d'appel fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A-167-12

 

APPEL D'UN JUGEMENT RENDU PAR LA JUGE SHERIDAN de la COUR canadienne de l'IMPÔT Le 9 MAI 2012, dossier no 2010-2393(IT)G

 

INTITULÉ :                                                  Frank Charles Hokhold, D.D.S., B. Sc. (Pharm.) c. Sa Majesté la Reine

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                          Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                         Le 18 mars 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       La juge Gauthier

 

Y ONT SOUSCRIT :                                   Le juge Pelletier

                                                                        Le juge Mainville

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 20 mars 2013

 

 

COMPARUTIONS :

 

Frank Charles Hokhold

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Susan Wong

 

POUR L'INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR L'INTIMÉE

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.