Date : 20121219
Dossier : A‑431‑11
Référence : 2012 CAF 332
CORAM : LE JUGE PELLETIER
LA JUGE DAWSON
LE JUGE MAINVILLE
ENTRE :
GORDON PRICE
appelant
et
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 27 novembre 2012.
Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 19 décembre 2012.
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE MAINVILLE
Y ONT SOUSCRIT : LE JUGE PELLETIER
LA JUGE DAWSON
Date : 20121219
Dossier : A‑431‑11
Référence : 2012 CAF 332
CORAM : LE JUGE PELLETIER
LA JUGE DAWSON
LE JUGE MAINVILLE
ENTRE :
GORDON PRICE
appelant
et
SA MAJESTÉ LA REINE
intimée
MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE MAINVILLE
Faits et procédures
[1] La Cour est saisie d’un appel du jugement rendu par le juge McArthur de la Cour canadienne de l’impôt (le juge), en date du 12 octobre 2011, dont les motifs sont répertoriés sous 2011 CCI 449 (les motifs).
[2] Certains pilotes d’Air Canada ont opté de résider à l’étranger et demandent par conséquent à être imposés comme des non‑résidents sur le revenu qu’ils reçoivent d’Air Canada. Avant la jurisprudence Sutcliffe, citée plus loin, le ministre du Revenu national (le ministre) reconnaissait que le revenu gagné par le pilote non‑résident relativement au vol dont le point de départ ou d’arrivée était à l’étranger était un revenu gagné à l’extérieur du Canada; cependant, tout revenu gagné relativement à un vol au départ et à destination du Canada était un revenu gagné au Canada.
[3] Cette approche a été contestée par certains pilotes d’Air Canada dans le cadre d’une cause type qui allait finalement déboucher sur une décision de la Cour canadienne de l’impôt, Sutcliffe c. La Reine, 2005 CCI 812; 2006 D.T.C. 2076; [2006] 2 C.T.C. 2267 (Sutcliffe). Cette décision enseigne que le pilote non‑résident est réputé travailler à l’étranger relativement à toute partie du vol qui s’effectue à l’extérieur de l’espace aérien canadien. Après avoir examiné les faits et examiné les diverses fonctions exercées par les pilotes d’Air Canada, les méthodes complexes de calcul de leur rémunération et leurs nombreux avantages sociaux, le juge Woods de la Cour canadienne de l’impôt a approuvé, toujours par la décision Sutcliffe, les règles de répartition suivantes à l’égard de la rémunération des pilotes non‑résidents d’Air Canada :
a) le revenu gagné relativement à la partie du vol (intérieur ou international) qui s’effectue dans l’espace aérien canadien est un revenu gagné au Canada;
b) le revenu gagné relativement à la partie du vol (intérieur ou international) qui s’effectue à l’extérieur de l’espace aérien canadien est un revenu gagné à l’étranger;
c) le revenu lié à des fonctions rémunérées précises sans lien avec un vol est réputé être gagné au Canada ou à l’étranger, selon l’endroit où les fonctions sont exercées;
d) la rémunération liée à des fonctions non précises (vacances, congés de maladie, etc.) est fixée au prorata du revenu gagné au Canada et à l’étranger, tel qu’il est déterminé ci‑dessus, et répartie en conséquence.
[4] L’appelant, un non‑résident canadien, est un ancien pilote d’Air Canada qui a surtout effectué des vols internationaux. Avant la jurisprudence Sutcliffe, le ministre considérait tout le revenu lié à un vol international comme un revenu gagné à l’étranger. Or, selon l’enseignement de la jurisprudence Sutcliffe, le revenu rattaché à la période d’un vol international écoulée dans l’espace aérien canadien est maintenant réputé un revenu gagné au Canada. L’appelant ne questionne pas cet aspect de la jurisprudence Sutcliffe, même s’il ne lui est pas favorable.
[5] Toutefois, l’appelant conteste les principes de répartition consacrés par la décision Sutcliffe. Suivant ces principes, la répartition entre le revenu gagné au Canada et le revenu gagné à l’étranger repose en grande partie sur le temps de vol effectué par le pilote à l’intérieur et à l’extérieur de l’espace aérien canadien. L’appelant soutient plutôt que la répartition de son revenu doit être fondée non seulement sur le temps de vol, mais aussi sur les heures non rattachées au vol, telles les escales.
[6] L’appelant soutient donc que la répartition entre le revenu gagné au Canada et le revenu gagné à l’étranger doit être calculée à compter du moment où les fonctions du pilote débutent, soit au départ du vol auquel il est affecté, jusqu’au moment où elles se terminent, soit au retour à l’aéroport d’attache ou son équivalent. La répartition du revenu gagné par le pilote relativement à cette période de service serait fonction du temps passé au Canada et du temps passé ailleurs. S’agissant de l’appelant, étant donné qu’une grande partie de son temps consistait en des escales à l’étranger, la méthode de répartition qu’il propose aurait pour effet d’accroître considérablement le pourcentage de son revenu gagné à l’étranger, comparativement à la méthode de répartition consacrée par la jurisprudence Sutcliffe.
[7] Par ailleurs, l’appelant soutient qu’en tant que non‑résident, les sommes qu’il a reçues en 1999 au titre de prestations d’invalidité dans le cadre du régime d’assurance‑invalidité d’Air Canada n’étaient assujetties à aucun impôt canadien, à la lumière des principes consacrés par la Cour canadienne de l’impôt par la décision Dorothy Werner Blauer c. La Reine, 2007 TCC 706; 2008 D.T.C. 2409; [2008] 4 C.T.C. 2107 (Blauer).
Les motifs de la Cour canadienne de l’impôt
[8] Plusieurs questions techniques ont été portées à l’attention du juge, qui a tiré des conclusions à cet égard et a rendu jugement en conséquence. Au cours de la présente procédure en appel, les parties ont signé un consentement partiel à jugement quant à l’ensemble de ces questions techniques, lequel a été déposé à la Cour le 12 décembre 2012. En conséquence, notre examen ne portera que sur les aspects des motifs du juge qui portent sur les deux principales questions soulevées dans le présent appel, soit la méthode de répartition du revenu gagné par un pilote non‑résident d’Air Canada et l’imposition des prestations reçues dans le cadre du régime d’assurance‑invalidité d’Air Canada.
[9] Le juge a conclu que, pour contester avec succès la méthode de répartition établie dans la décision Sutcliffe et utilisée par le ministre, l’appelant devait démontrer que la méthode qu’il proposait était plus raisonnable : paragraphe 26 des motifs. Comme la méthode de répartition consacrée par la jurisprudence Sutcliffe était fondée sur les dispositions de la convention collective intervenue entre Air Canada et le syndicat des pilotes, et comme cette convention stipulait que la rémunération des pilotes était en majeure partie calculée suivant une formule complexe tenant compte du nombre de minutes de pilotage, le juge a conclu que « la méthode la plus raisonnable est celle qui reflète la structure de rémunération figurant dans le contrat de travail » : paragraphe 33 des motifs.
[10] Le juge a rejeté la thèse de l’appelant portant que la durée des escales soit prise en compte dans la répartition. Il a conclu que même si l’absence de chez soi pendant les affectations de vol est une condition d’emploi, l’appelant « n’était payé qu’en fonction du temps de vol » et que les parties à la convention collective n’entendaient pas tenir compte des escales dans le calcul du revenu : paragraphe 28 des motifs. Il a en outre conclu que toute rémunération rattachée à la durée des escales avait été reconnue dans la convention collective sous forme de minutes supplémentaires ajoutées à la dernière portion du vol de retour : paragraphe 30 des motifs.
[11] S’agissant des prestations d’invalidité, le juge a conclu que la convention collective stipulait que la prime mensuelle du régime d’assurance‑invalidité était entièrement versée par l’employeur, Air Canada, et que les prestations d’invalidité reçues dans le cadre de ce régime étaient par conséquent imposables entre les mains des pilotes qui étaient résidents canadiens en application de l’alinéa 6(1)f) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.) (la Loi) : paragraphe 40 des motifs.
[12] En ce qui a trait aux pilotes non‑résidents, le juge a refusé de se soumettre à la doctrine de la décision Blauer, puisque celle‑ci avait été rendue sous le régime de la procédure informelle prévue par la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. 1985, ch. T‑2, et qu’en vertu de l’article 18.28 de cette loi, elle ne faisait pas jurisprudence. Le juge a ensuite rejeté le raisonnement exposé dans la décision Blauer et s’est plutôt appuyé sur les décisions La Reine c. Savage, [1983] 2 R.C.S 428, et Hurd c. La Reine, [1982] 1 C.F. 554 (C.A.) (Hurd), pour conclure qu’« [e]n vertu de l’article 115 de la Loi, un revenu est imposable au Canada pour autant qu’un lien puisse être établi avec l’exercice d’une fonction au Canada » et que toute « acquisition importante dont le contribuable tire un avantage économique, comme une prestation d’invalidité, constitue un revenu aux fins des articles 3 et 115 de la Loi » : paragraphe 42 des motifs. Ainsi, le juge a retenu la méthode employée par le ministre pour répartir les prestations d’invalidité entre le revenu gagné au Canada et le revenu gagné à l’étranger, répartition qui, dans le cas de l’appelant, a été établie à 50 %.
Les questions soulevées en appel
[13] Bien que l’appelant soulève plusieurs questions étroitement reliées dans son mémoire, celles‑ci peuvent être regroupées dans les trois questions suivantes :
a) Y a‑t‑il eu apparence de partialité de la part du juge?
b) Le juge a‑t‑il commis une erreur en confirmant la méthode de répartition consacrée par la jurisprudence Sutcliffe?
c) Le juge a‑t‑il commis une erreur en concluant que les prestations d’invalidité étaient imposables en vertu de l’article 115 de la Loi?
La norme de contrôle
[14] L’apparence de partialité de la part d’un juge soulève une question d’équité procédurale qui fait jouer la norme de la décision correcte. La détermination de la méthode de répartition appropriée soulève des questions mixte de fait et de droit, lesquelles sont susceptibles de contrôle selon la norme de l’erreur manifeste et dominante, à moins qu’une question juridique puisse se dégager des faits, auquel cas cette question est examinée selon la norme de la décision correcte. Enfin, la question de savoir si le revenu imposable en application de la Loi comprend les prestations d’invalidité reçues par l’appelant appelle l’interprétation des dispositions de la Loi. Les questions relatives à l’interprétation des lois sont des questions de droit qui fait jouer la norme de la décision correcte (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, aux paragraphes 8, 9 et 26 à 28).
Les dispositions pertinentes de la Loi
[15] L’alinéa 3a) de la Loi énonce la règle de base applicable au calcul du revenu d’un contribuable pour une année d’imposition, tandis que le paragraphe 5(1) vise le revenu tiré d’une charge ou d’un emploi. Le paragraphe 6(1) énumère certains éléments à inclure au titre du revenu tiré d’une charge ou d’un emploi, et l’alinéa 6(1)f) inclut nommément les sommes reçues à titre d’indemnité en vertu d’un régime d’assurance invalidité. Enfin, le sous‑alinéa 115(1)a)(i) prescrit le mode de calcul du revenu d’emploi gagné au Canada par un non‑résident. Ces dispositions sont reproduites en annexe des présents motifs.
Première question : allégation de partialité
[16] L’appelant affirme que le juge a donné l’impression d’avoir préjugé de l’affaire dès le début de l’audition en posant la question suivante : [traduction] « Pourquoi sommes‑nous ici? » L’appelant estime que cette observation trahit la partialité du juge. Il ajoute que le juge a également démontré qu’il n’était pas juste et impartial aux paragraphes 52 à 55 de ses motifs, alors qu’il a qualifié de « tactiques » la méthode de répartition proposée par l’appelant et parlé de « manœuvres excessivement énergiques destinées à parvenir au pourcentage le plus faible possible pour les fonctions exercées au Canada », pour suggérer ensuite de modifier la loi afin d’instaurer une méthode de calcul plus simple aux fins d’imposition des pilotes non‑résidents.
[17] L’énoncé complet formulé par le juge au début de l’audience précise le contexte de son observation préliminaire :
[traduction]
LE JUGE McARTHUR : Je veux simplement vous informer, et j’écoute tout ce que vous avez à dire, mais j’ai lu les actes de procédure et j’ai lu Sutcliffe, et à ce stade, je me demande pourquoi nous sommes ici.
(Dossier d’appel, volume 4, aux pages 965 et 966)
[18] Il ne faut pas confondre l’esprit inquisiteur et l’esprit partial. Je ne vois rien dans cet énoncé qui indique que le juge avait l’esprit fermé. Dans les circonstances, il est tout à fait raisonnable et logique que le juge pose une telle question. La décision Sutcliffe avait été présentée comme une cause type et avait été rendue à peine cinq ans avant l’audition. Elle portait essentiellement sur une question identique à celle soulevée par l’appelant, à savoir la méthode de répartition du revenu des pilotes non‑résidents d’Air Canada entre le revenu gagné au Canada et le revenu gagné à l’étranger. Le fait que le juge ait demandé pourquoi il faudrait revenir sur les principes consacrés par la décision Sutcliffe cinq ans après leur approbation n’est en aucune façon la manifestation d’un parti pris, mais témoigne plutôt, selon moi, des efforts sincères déployés par le juge pour essayer de comprendre l’argumentation de l’appelant à la lumière de la décision Sutcliffe. Le fait que le juge ait choisi de faire preuve de transparence et de laisser voir à l’appelant qu’il tentait de comprendre me donne à croire qu’il s’intéressait à l’affaire et qu’il était très ouvert aux arguments qui seraient présentés. Je suis quelque peu étonné que l’appelant puisse prétendre qu’il y a apparence de partialité à partir de si peu.
[19] Dans ses motifs, le juge a effectivement assimilé la nouvelle méthode de répartition proposée par l’appelant à des « manœuvres […] énergiques », mais il importe de replacer ces observations dans le contexte global de l’instance, où il s’agissait de décider si la méthode de l’appelant était plus raisonnable que celle établie par la décision Sutcliffe. Le juge a conclu que la méthode retenue par la décision Sutcliffe était la plus raisonnable dans les circonstances et que celle que proposait l’appelant reposait pour l’essentiel sur les moyens les plus énergiques possible pour réduire la composante canadienne de son revenu. Bien que je puisse comprendre qu’un plaideur soit déçu des résultats d’une décision, le fait que le juge ait conclu qu’une méthode était raisonnable et l’autre déraisonnable et énergique ne démontre pas qu’il était partial. Au contraire, il incombait au juge d’apprécier la méthode proposée par l’appelant.
[20] Enfin, il peut arriver qu’un juge inclue dans ses motifs des suggestions de réforme législative. Certes, de telles suggestions doivent demeurer rares. En l’espèce, le juge était saisi d’une contestation portant sur une méthode de répartition qui avait été retenue peu de temps auparavant par la Cour canadienne de l’impôt par la décision Sutcliffe. De plus, les parties l’avaient bombardé de questions techniques aussi nombreuses que complexes sur un large éventail de sujets, notamment les trajectoires et le temps de vol entre Toronto et Vancouver, ainsi que le calcul de la durée des vols internationaux. Ce n’est que dernièrement que ces questions complexes ont été réglées entre les parties dans le cadre du consentement partiel à jugement qu’elles ont déposé à la Cour. Dans ce contexte et compte tenu du risque que d’autres pilotes d’Air Canada contestent devant les tribunaux la répartition du temps établie à l’égard des milliers de vols effectués chaque année par Air Canada, la suggestion de réforme législative formulée par le juge n’avait rien d’inapproprié.
[21] Comme le juge le fait judicieusement remarquer, au paragraphe 55 de ses motifs, « [l]e besoin d’une méthode plus simple se fait grandement sentir ». En l’état actuel des choses, il n’en demeure pas moins que le pilote non‑résident canadien qui pilote un avion canadien pour une compagnie canadienne entre deux destinations canadiennes est réputé travailler à l’étranger si son plan de vol le fait sortir de l’espace aérien canadien. Qui plus est, il est nécessaire de procéder à des calculs complexes de trajectoires et de temps de vol pour répartir correctement, à l’égard de chaque vol, le temps passé à l’intérieur et à l’extérieur de l’espace aérien canadien. Enfin, l’article 15 du Modèle de convention fiscale (juillet 2010) de l’Organisation de coopération et de développement économiques prévoit que la rémunération reçue au titre de l’emploi exercé à bord d’un aéronef exploité en trafic international est imposable dans l’État contractant où le siège de direction effective de l’entreprise est situé. Le troisième paragraphe de l’article 15 se lit comme suit :
Nonobstant les dispositions précédentes du présent article, les rémunérations reçues au titre d’un emploi salarié exercé à bord d’un navire ou d’un aéronef exploité en trafic international, ou à bord d’un bateau servant à la navigation intérieure, sont imposables dans l’État contractant où le siège de direction effective de l’entreprise est situé.
Dans ces circonstances, le juge n’a pas fait preuve de partialité en signalant qu’il y avait lieu d’envisager une réforme législative.
Deuxième question : la méthode de répartition
[22] J’ai examiné avec soin les motifs du juge, la décision Sutcliffe, la convention collective des pilotes d’Air Canada et la preuve présentée au nom de l’appelant dans la présente affaire. À ce propos, le juge a conclu qu’il convenait de privilégier la méthode de répartition retenue par la décision Sutcliffe, qui repose sur la méthode de rémunération figurant dans la convention collective, plutôt qu’une méthode fondée sur le temps de déplacement total lié aux affectations de vol. Je ne vois aucune erreur de droit ni de fait dans le raisonnement suivi par le juge pour tirer cette conclusion.
[23] Les stipulations de la convention collective des pilotes d’Air Canada ont été examinées en détail par le juge Woods dans l’affaire Sutcliffe, et il n’est pas nécessaire de refaire ici cet examen. Qu’il suffise de signaler que le taux horaire de base, le taux horaire, le taux par mille, le taux au poids total en charge, le taux des activités outre‑mer, etc., sont tous payés en fonction du temps de vol du pilote. De plus, plusieurs autres éléments de la rémunération des pilotes, y compris le traitement reçu pour les tâches au sol, sont basés en grande partie sur le temps de vol.
[24] Bref, le système de rémunération des pilotes d’Air Canada repose principalement sur les minutes reconnues comme temps de vol en vertu de la convention collective. La méthode qui conviendrait le mieux pour répartir le revenu gagné au Canada et du revenu gagné à l’étranger doit donc également être fondée sur le temps de vol. Cette méthode de répartition a été retenue par le juge Woods dans l’affaire Sutcliffe et confirmée par le juge dans la présente affaire, et c’est également celle que nous devons confirmer en l’espèce.
[25] L’appelant n’a pas démontré pourquoi nous devrions écarter la méthode prévue par la convention collective au profit d’une méthode largement fondée sur le temps non rémunéré d’attente et de repos en escale. Je remarque que si cette méthode peut favoriser l’appelant, compte tenu de ses affectations à des vols internationaux comportant des escales à l’étranger, elle peut aussi fort bien désavantager d’autres pilotes d’Air Canada qui font des escales au Canada. La méthode proposée par l’appelant n’est pas fondée sur les conditions de la convention collective, et elle ne garantit pas non plus une répartition plus équitable du revenu des pilotes d’Air Canada. Il n’y a pas lieu de la retenir.
Troisième question : les prestations d’invalidité
[26] La convention collective des pilotes d’Air Canada expose de façon assez détaillée le régime collectif de prestations d’invalidité. Le régime assure un niveau raisonnable de protection du revenu pour les périodes au cours desquelles un pilote n’est pas en mesure d’exercer ses fonctions habituelles pour des raisons médicales. La participation au régime est une condition d’emploi, et l’employeur verse la totalité de la prime mensuelle au régime collectif d’assurance‑invalidité pertinent.
[27] Les prestations versées en application du régime sont visées par l’alinéa 6(1)f) de la Loi, selon lequel le contribuable doit inclure dans le calcul du revenu qu’il tire d’une charge ou d’un emploi le total des sommes qu’il a reçues au cours de l’année, à titre d’indemnité payable périodiquement pour la perte totale ou partielle du revenu afférent à une charge ou à un emploi, en vertu d’un régime d’assurance invalidité dans le cadre duquel son employeur a contribué.
[28] L’appelant soutient toutefois que ces prestations d’invalidité ne sont pas imposables entre les mains des non‑résidents. Sa thèse est essentiellement fondée sur la jurisprudence Blauer . Au paragraphe 24 de cette décision, le juge Hershfield de la Cour canadienne de l’impôt a exprimé l’avis que le libellé du sous‑alinéa 115(1)a)(i) de la Loi « n’inclut pas tous les paiements qui représentent un revenu d’emploi lorsqu’ils sont gagnés par un non‑résident, mais il inclut plutôt uniquement un certain type de revenu d’emploi, à savoir le revenu tiré de l’exercice des fonctions d’une charge ou d’un emploi ». Selon lui, puisque les paiements d’assurance‑invalidité ou d’assurance‑salaire ne sont pas effectués en contrepartie de services rendus dans le cadre d’un emploi, ils n’entrent pas dans les prévisions de cette disposition : Blauer, au paragraphe 16.
[29] À l’instar du juge, je ne suivrais pas le raisonnement exposé dans Blauer.
[30] À mon avis, il est important de signaler que le sous‑alinéa 115(1)a)(i) de la Loi renvoie spécifiquement à l’article 3, lequel renvoie lui‑même à la notion de revenu tiré d’une charge ou d’un emploi. L’article 3 se trouve à la section B de la partie I de la Loi, section qui a trait au « Calcul du revenu ». La notion de revenu tiré d’une charge ou d’un emploi est elle‑même précisée davantage aux paragraphes 5(1) et 6(1) de la Loi, qui se trouvent eux aussi à la section B de la partie I. Ainsi, toutes ces dispositions doivent être interprétées comme un tout de manière à conférer à la notion de revenu tiré d’une charge ou d’un emploi un sens constant et harmonieux, que ce revenu soit gagné par un résident ou un non‑résident du Canada. De fait, selon un principe bien établi, il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la Loi, l’objet de la Loi et l’intention du législateur : Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, au paragraphe 10; A.Y.S.A. Amateur Youth Soccer Association c. Canada (Agence du revenu), 2007 CSC 42, [2007] 3 R.C.S. 217, au paragraphe 16.
[31] Au paragraphe 6(1), le législateur énumère certains avantages et montants qui sont à inclure dans le calcul du revenu d’un contribuable tiré d’une charge ou d’un emploi, notamment les honoraires d’administrateur qu’il a reçus au titre, dans l’occupation ou en vertu d’une charge ou d’un emploi (alinéa 6(1)c)); les sommes qui lui sont attribuées dans le cadre d’un régime de participation des employés aux bénéfices (alinéa 6(1)d)); les sommes qu’il a reçues en vertu d’un régime d’assurance contre la maladie ou les accidents, d’un régime d’assurance invalidité ou d’un régime d’assurance de sécurité du revenu dans le cadre duquel son employeur a contribué (alinéa 6(1)f)); les montants qu’il a reçus dans le cadre d’une entente d’échelonnement du traitement (alinéa 6(1)i)); les avantages liés au fonctionnement d’une automobile (alinéa 6(1)k)); etc.
[32] Je ne vois pas pourquoi les avantages et les sommes mentionnés au paragraphe 6(1) ne devraient pas être inclus dans le revenu du non‑résident au sens du sous‑alinéa 115(1)a)(i) de la Loi quand la réception ou le paiement de ces avantages ou de ces sommes découle des fonctions d’une charge ou d’un emploi exercé au Canada. Je signale que notre Cour a conclu que, comme le sous‑alinéa 115(1)a)(i) renvoie spécifiquement à l’article 3 de la Loi, qui se trouve à la section B de la partie I de la Loi, il faut tenir compte, dans le calcul du revenu d’un non‑résident, de l’article 7 de la Loi, lequel se trouve lui aussi à la section B de la partie I : Hurd, précité, aux pages 557 et 558. Ainsi, le même principe s’applique à l’égard du paragraphe 6(1) de la Loi.
[33] Le fait que le sous‑alinéa 115(1)a)(i) renvoie aux revenus tirés des fonctions de charges et d’emplois exercées par la personne non‑résidente au Canada n’exclut pas de la portée de cette disposition les avantages et les sommes mentionnés au paragraphe 6(1) de la Loi. Au contraire, les mots « fonctions » et « exercées » sont simplement utilisés dans ce contexte pour opérer une distinction entre les revenus tirés de charges et d’emplois au Canada et ceux qui sont gagnés à l’extérieur du Canada.
[34] Je suis conforté dans cette opinion par la deuxième portion du sous‑alinéa 115(1)a)(i), qui vise à englober le revenu d’emploi gagné à l’extérieur du Canada pendant que la personne résidait au Canada; cette portion se lit comme suit : « et, si elle résidait au Canada au moment où elle exerçait les fonctions, à l’étranger ».
[35] L’interprétation que fait l’appelant du sous‑alinéa 115(1)a)(i) rendrait non imposables plusieurs des avantages monétaires et non monétaires énumérés au paragraphe 6(1) et reçus par un non‑résident en raison d’un emploi au Canada. Cette interprétation ne s’appuie ni sur le libellé du sous‑alinéa 115(1)a)(i), ni n’est conforme à la notion de revenu tiré d’une charge ou d’un emploi définie clairement et sans ambiguïté dans la Loi. Il y a donc lieu de rejeter cette interprétation.
[36] Dans leur consentement partiel à jugement, les parties ont convenu d’appliquer la méthode prescrite par le ministre pour répartir le montant des prestations d’invalidité entre le revenu gagné au Canada et le revenu gagné à l’extérieur du Canada, dans l’éventualité où notre Cour conclurait que les prestations sont imposables aux termes du sous‑alinéa 115(1)a)(i) de la Loi. Il ne sera donc pas nécessaire de déterminer ici quelle méthode de répartition s’applique à ces sommes quand elles sont versées au non‑résident.
Conclusions
[37] J’ai donné une réponse négative à toutes les questions soulevées dans le présent appel par l’appelant, et normalement, je rejetterais l’appel, n’était le consentement partiel à jugement auquel sont arrivées les parties. J’accueillerais donc l’appel et annulerais le jugement de la Cour canadienne de l’impôt à la seule fin de renvoyer au ministre, aux fins de réexamen et de réévaluation, les nouvelles cotisations établies à l’égard de l’appelant pour les années d’imposition de 1995 à 2000, conformément aux faits énoncés dans le consentement partiel à jugement.
[38] Le juge n’a pas adjugé de dépens en Cour canadienne de l’impôt, et je ne modifierais pas sa décision sur cette question. Cependant, je condamnerais l’appelant aux dépens relativement au présent appel.
« Robert M. Mainville »
j.c.a.
« Je suis d’accord
J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »
« Je suis d’accord
Eleanor R. Dawson, j.c.a. »
ANNEXE
Extraits pertinents de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.)
2. (1) Un impôt sur le revenu doit être payé, ainsi qu’il est prévu par la présente loi, pour chaque année d’imposition, sur le revenu imposable de toute personne résidant au Canada à un moment donné au cours de l’année. (2) Le revenu imposable d’un contribuable pour une année d’imposition est son revenu pour l’année plus les ajouts prévus à la section C et moins les déductions qui y sont permises. (3) Un impôt sur le revenu doit être payé, ainsi qu’il est prévu par la présente loi, sur son revenu imposable gagné au Canada pour l’année, déterminé conformément à la section D, par la personne non imposable en vertu du paragraphe (1) pour une année d’imposition et qui, à un moment donné de l’année ou d’une année antérieure, a : a) soit été employée au Canada; b) soit exploité une entreprise au Canada; c) soit disposé d’un bien canadien imposable. 3. Pour déterminer le revenu d’un contribuable pour une année d’imposition, pour l’application de la présente partie, les calculs suivants sont à effectuer : a) le calcul du total des sommes qui constituent chacune le revenu du contribuable pour l’année (autre qu’un gain en capital imposable résultant de la disposition d’un bien) dont la source se situe au Canada ou à l’étranger, y compris, sans que soit limitée la portée générale de ce qui précède, le revenu tiré de chaque charge, emploi, entreprise et bien; |
2. (1) An income tax shall be paid, as required by this Act, on the taxable income for each taxation year of every person resident in Canada at any time in the year.
(2) The taxable income of a
taxpayer for a taxation year is the taxpayer’s income for the year plus the
additions and minus the deductions permitted by Division C. (3) Where a person who is not taxable under subsection 2(1) for a taxation year (a) was employed in Canada, (b) carried on a business in Canada, or (c) disposed of a taxable Canadian property, at any time in the year or a previous year, an income tax shall be paid, as required by this Act, on the person’s taxable income earned in Canada for the year determined in accordance with Division D. 3. The income of a taxpayer for a taxation year for the purposes of this Part is the taxpayer’s income for the year determined by the following rules: (a) determine the total of all amounts each of which is the taxpayer’s income for the year (other than a taxable capital gain from the disposition of a property) from a source inside or outside Canada, including, without restricting the generality of the foregoing, the taxpayer’s income for the year from each office, employment, business and property, |
5. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le revenu d’un contribuable, pour une année d’imposition, tiré d’une charge ou d’un emploi est le traitement, le salaire et toute autre rémunération, y compris les gratifications, que le contribuable a reçus au cours de l’année.
|
5. (1) Subject to this Part, a taxpayer’s income for a taxation year from an office or employment is the salary, wages and other remuneration, including gratuities, received by the taxpayer in the year. |
6. (1) Sont à inclure dans le calcul du revenu d’un contribuable tiré, pour une année d’imposition, d’une charge ou d’un emploi, ceux des éléments suivants qui sont applicables a) la valeur de la pension, du logement et autres avantages
quelconques qu’il a reçus ou dont il a joui au cours de l’année au titre,
dans l’occupation ou en vertu d’une charge ou d’un emploi, [...] […] f) le total des sommes qu’il a reçues au cours de l’année, à titre d’indemnité payable périodiquement pour la perte totale ou partielle du revenu afférent à une charge ou à un emploi, en vertu de l’un des régimes suivants dans le cadre duquel son employeur a contribué : (i) un régime d’assurance contre la maladie ou les accidents, (ii) un régime d’assurance invalidité, (iii) un régime d’assurance de sécurité du revenu, (iii.1) un régime visé à l’un des sous‑alinéas (i) à (iii) qui est administré ou offert par une fiducie de soins de santé au bénéfice d’employés, le total ne peut toutefois dépasser l’excédent éventuel du total visé au sous‑alinéa (iv) sur le total visé au sous‑alinéa (v) : (iv) le total des sommes qu’il a ainsi reçues avant la fin de l’année et : (A) lorsqu’une de ces sommes a été, en vertu du présent alinéa, incluse dans le calcul de son revenu pour une année d’imposition antérieure se terminant après 1971, après cette année, (B) sinon,
après 1971, (v) le total des cotisations versées par le contribuable dans le cadre du régime avant la fin de l’année et : (A) lorsqu’il y a eu une année d’imposition antérieure, visée à la division (iv)(A), après cette année, (B) sinon, après 1967; |
6. (1) There shall be included in computing the income of a taxpayer for a taxation year as income from an office or employment such of the following amounts as are applicable (a) the value of board, lodging and other benefits of any kind whatever received or enjoyed by the taxpayer in the year in respect of, in the course of, or by virtue of an office or employment, ... ... (f) the total of all amounts received by the taxpayer in the year that were payable to the taxpayer on a periodic basis in respect of the loss of all or any part of the taxpayer’s income from an office or employment, pursuant to (i) a sickness or accident insurance plan, (ii) a disability insurance plan, (iii) an income maintenance insurance plan, or (iii.1) a plan described in any of subparagraphs (i) to (iii) that is administered or provided by an employee life and health trust, to or under which the taxpayer’s employer has made a contribution, not exceeding the amount, if any, by which (iv) the total of all such amounts received by the taxpayer pursuant to the plan before the end of the year and (A) where there was a preceding taxation year ending after 1971 in which any such amount was, by virtue of this paragraph, included in computing the taxpayer’s income, after the last such year, and (B) in any other case, after 1971, exceeds (v) the total of the contributions made by the taxpayer under the plan before the end of the year and (A) where there was a preceding taxation year described in clause (iv)(A), after the last such year, and (B) in any other case, after 1967; |
115. (1) Pour l’application de la présente loi, le revenu imposable gagné au Canada pour une année d’imposition d’une personne qui ne réside au Canada à aucun moment de l’année correspond à l’excédent éventuel du montant qui représenterait son revenu pour l’année selon l’article 3 : a) si elle n’avait pas de revenu autre : (i) que les revenus tirés des fonctions de charges et d’emplois exercées par elle au Canada et, si elle résidait au Canada au moment où elle exerçait les fonctions, à l’étranger, |
115. (1) For the purposes of this Act, the taxable income earned in Canada for a taxation year of a person who at no time in the year is resident in Canada is the amount, if any, by which the amount that would be the non‑resident person’s income for the year under section 3 if (a) the non‑resident person had no income other than (i) incomes from the duties of offices and employments performed by the non‑resident person in Canada and, if the person was resident in Canada at the time the person performed the duties, outside Canada, |
COUR D’APPEL FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : A‑431‑11
INTITULÉ : GORDON
PRICE c.
SA MAJESTÉ LA REINE
LIEU DE L’AUDIENCE : Ottawa (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 27 novembre 2012
MOTIFS DU JUGEMENT : LE JUGE MAINVILLE
Y ONT SOUSCRIT : LE
JUGE PELLETIER
LA JUGE DAWSON
DATE DES MOTIFS : Le 19 décembre 2012
COMPARUTIONS :
Frances M. Viele
|
POUR L’APPELANT
|
Charles Camirand
|
POUR L’INTIMÉE
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Frances M. Viele Ottawa (Ontario)
|
POUR L’APPELANT
|
William F. Pentney Sous‑procureur général du Canada
|
POUR L’INTIMÉE
|