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Cour d’appel fédérale

Federal Court of Appeal

Date : 20120522

Dossier : A-69-12

Référence : 2012 CAF 147

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE PELLETIER

                        LE JUGE MAINVILLE

ENTRE :

L’INSTITUT PROFESSIONNEL

DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

 

appelant

et

IRENE J. BREMSAK

intimée

 

 

 

Audience tenue à Vancouver (Colombie-Britannique), le 14 mai 2012

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 22 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                        LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LE JUGE PELLETIER

                                                                                                                    LE JUGE MAINVILLE                       

 


Cour d’appel fédérale

Federal Court of Appeal

Date : 20120522

Dossier : A-69-12

Référence : 2012 CAF 147

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LE JUGE PELLETIER

                        LE JUGE MAINVILLE

ENTRE :

L’INSTITUT PROFESSIONNEL

DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

 

appelant

et

IRENE J. BREMSAK

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA JUGE SHARLOW

 

[1]               Par jugement en date du 16 février 2012 (2012 CF 213), le juge Lemieux a déclaré l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada coupable d’outrage au tribunal pour désobéissance à l’ordonnance rendue le 26 août 2009 par la Commission des relations de travail dans la fonction publique (2009 CRTFP 103) prescrivant, notamment, la réintégration de l’intimée Irene Bremsak dans les postes auxquels elle avait été élue ou nommée et dont elle avait été indûment suspendue (l’ordonnance de réintégration). Pour les motifs exposés ci‑dessous, je rejetterais l’appel.

 

Instance devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique

[2]               La présente affaire a commencé par deux plaintes de pratique déloyale déposées par Mme Bremsak devant la Commission sous le régime de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22. La première, datée du 16 novembre 2007, allègue que l’Institut a contrevenu à l’alinéa 188c) de la Loi en présentant des excuses pour des commentaires faits par Mme Bremsak à la suite d’une élection locale.

 

[3]               La deuxième plainte, déposée le 8 juillet 2008, concernait la réaction de l’Institut à la première plainte. L’Institut, qui avait adopté une politique prévoyant que tout membre qui soumettait à un « organisme extérieur » (dont la Commission) une question relevant de la procédure interne de l’Institut était automatiquement passible de suspension temporaire de tout poste électif ou nominatif, a appliqué cette politique lorsque Mme Bremsak a saisi la Commission de sa première plainte et l’a suspendue des postes qu’elle occupait alors (déléguée syndicale, membre particulière, sous-groupe SP de Vancouver, présidente, chapitre de Vancouver; membre particulière, exécutif régional de la C.-B et du Yukon et coordonnatrice d’un sous-groupe, exécutif du groupe SP). La deuxième plainte déposée devant la Commission allègue que l’Institut a contrevenu au sous‑alinéa 118e)(ii) de la Loi en adoptant cette politique.

 

[4]               Dans l’ordonnance de réintégration, la Commission a rejeté la première plainte, accueilli la deuxième et formulé diverses mesures de réparation s’y rapportant, dont les suivantes (paragraphes 143 à 145 des motifs de la Commission) :

143. L’[Institut] doit annuler l’application de sa « Politique relative aux membres et aux plaintes à des organismes extérieurs » à [Mme Bremsak].

144. L’[Institut] doit modifier sa « Politique relative aux membres et aux plaintes à des organismes extérieurs » pour la rendre conforme à la Loi.

145. L’[Institut] doit rétablir [Mme Bremsak] dans son rôle de dirigeante élue de l’unité de négociation et aviser ses membres et ses dirigeants, de la manière décrite au paragraphe 131 de la présente décision, que la plaignante a été réintégrée dans tous les postes auxquels elle a été élue et nommée, sous réserve de l’application régulière des statuts de l’[Institut].

 

 

 

[5]               La mention du paragraphe 131 au paragraphe 145 de l’ordonnance de réintégration sème quelque peu la confusion. Il semblerait que c’est plutôt du paragraphe 132, établissant le texte de l’avis à donner aux membres et dirigeants de l’Institut, qu’il était question. Les parties le reconnaissent implicitement dans l’exposé conjoint des faits déposé en Cour fédérale. Voici le texte des paragraphes 131 et 132 de la décision de la Commission :

131 Pour finir, j’estime que le préjudice, dans ce cas-ci, ne peut avoir été causé que par la suspension qui a été imposée à la plaignante et que, dans la mesure du possible, la réparation accordée doit avoir pour but de corriger ce préjudice et de rétablir la plaignante dans la situation dans laquelle elle se trouvait avant d’être suspendue des postes auxquels elle avait été élue. J’enjoins donc à l’agent négociateur d’annuler les suspensions imposées à la plaignante. J’accorde également une grande importance au fait que les membres et les dirigeants de l’agent négociateur ont été informés de la suspension de la plaignante et je conclus qu’il convient d’exiger qu’ils soient avisés de l’annulation de la suspension. À la différence du commissaire qui a instruit l’affaire Veillette 2, j’estime que j’ai le pouvoir d’intervenir dans la conduite des affaires internes de l’agent négociateur pour façonner une réparation relativement aux mesures visées au sous‑alinéa 188e)(ii) de la Loi, notamment les sanctions imposées par l’agent négociateur parce qu’une personne a présenté une demande à la Commission. Dans ce cas-ci, il s’agissait d’une suspension. L’ordonnance n’a pas pour but de contourner l’application régulière des statuts de l’agent négociateur régissant la durée habituelle du mandat des membres élus et nommés.

 

 

132   Pour ces motifs, j’estime indiqué dans les circonstances d’enjoindre à l’agent négociateur de publier le communiqué suivant, à un endroit bien visible, dans le prochain numéro d’une de ses publications périodiques et significatives destinées aux membres (le communiqué pourrait être affiché sur le site Web) :

Communiqué à l’intention des membres et dirigeants de l’Institut

Le 9 avril 2008, Mme Irene Bremsak a été suspendue de ses fonctions à titre de membre particulière, sous-groupe SP de Vancouver, de présidente, chapitre de Vancouver; de membre particulière, Exécutif régional de la C.-B et du Yukon; et de coordonnatrice d’un sous-groupe, Exécutif du groupe SP. Cette suspension lui a été imposée aux termes de la « Politique relative aux membres et aux plaintes à des organismes extérieurs » de l’Institut après qu’elle eut déposé une plainte devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique.

 

La Commission des relations de travail dans la fonction publique a récemment enjoint à l’Institut, en vertu du sous‑alinéa 188e)(ii) et de l’article 192 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, d’annuler la suspension imposée à Mme Bremsak aux termes de la politique et d’apporter les modifications nécessaires à la politique pour la rendre conforme à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. La Commission a également conclu que l’Institut pouvait être fondé, dans d’autres circonstances, à suspendre un membre du poste auquel il a été élu ou nommé. Pour finir, la Commission a ordonné que le présent communiqué soit distribué aux membres et aux dirigeants de l’Institut.

Il s’ensuit que Mme Bremsak est réintégrée, en date d’aujourd’hui, dans tous les postes auxquels elle a été élue et nommée, sous réserve de l’application régulière des statuts de l’Institut.

 

Contestation par l’Institut de l’ordonnance de réintégration

[6]               Le 2 septembre 2009, l’Institut a demandé le contrôle judiciaire de l’ordonnance de réintégration devant notre Cour, et il a ensuite présenté deux requêtes pour sursis de l’exécution de cette ordonnance. Notre Cour a rejeté ces deux requêtes le 28 octobre 2009 (2009 FCA 312). Le 28 avril 2010, l’Institut s’est désisté de la demande de contrôle judiciaire.

 

Défaut de l’Institut de se conformer à l’ordonnance de réintégration

[7]               L’Institut ne s’est pas conformé à l’ordonnance de réintégration à la date de son prononcé, le 26 août 2009, ou peu après. Pour des raisons qui deviendront évidentes, le dossier ne renferme aucun élément de preuve expliquant pourquoi l’Institut n’a pas obtempéré à l’ordonnance peu après son prononcé, mais, comme on le verra, il soutient avoir une excuse légitime pour ne pas s’y être conformé à compter du 20 octobre 2009.

 

[8]               L’Institut soutient aussi qu’il serait déraisonnable de le déclarer coupable d’outrage au tribunal pour la période antérieure au 28 octobre 2009, date à laquelle notre Cour a statué sur ses deux demandes de sursis. Cet argument est si dénué de fondement qu’il convient de l’écarter d’entrée de jeu. Une demande de sursis ne saurait justifier en droit le non‑respect d’une ordonnance, bien que dans certains cas on puisse considérer le fait qu’une telle demande soit en instance comme une circonstance atténuante dans l’appréciation des conséquences du non‑respect.

 

Procédure d’exécution

[9]               Le 1er septembre 2009, Mme Bremsak a demandé à la Commission de déposer l’ordonnance de réintégration en Cour fédérale conformément à l’article 52 de la Loi, afin qu’elle puisse être exécutée comme une ordonnance de la Cour. L’article 52 est ainsi libellé :

52. (1) Sur demande écrite de la personne ou de l’organisation touchée, la Commission dépose à la Cour fédérale une copie certifiée conforme

du dispositif de l’ordonnance sauf si, à son avis :

a) soit rien ne laisse croire qu’elle n’a pas été exécutée ou ne le sera pas;

b) soit, pour d’autres motifs valables, le dépôt ne serait d’aucune utilité.

52. (1) The Board must, on the request in writing of any person or organization affected by any order of the Board, file a certified copy of the order, exclusive

of the reasons for the order, in the Federal Court, unless, in its opinion,

(a) there is no indication of failure or likelihood of failure to comply with the order; or

(b) there is other good reason why the filing of the order in the Federal Court would serve no useful purpose.

(2) En vue de son exécution, l’ordonnance rendue par la Commission, dès le dépôt à la Cour fédérale de la copie certifiée conforme, est assimilée à une ordonnance rendue par celle-ci.

(2) An order of the Board becomes an order of the Federal Court when a certified copy of the order is filed in that court, and it may subsequently be enforced as such.

 

 

 

[10]           L’Institut s’est opposé à cette demande de dépôt. Dans une décision rendue le 4 décembre 2009 (2009 CRTFP 159), la Commission, concluant que l’Institut ne s’était pas conformé aux paragraphes 143 et 145 de l’ordonnance de réintégration et rejetant l’argument de celui‑ci voulant que le dépôt de l’ordonnance en Cour fédérale ne soit d’aucune utilité, a ordonné le dépôt, lequel a eu lieu le 8 décembre 2009. Mme Bremsak a immédiatement introduit une instance pour outrage au tribunal.

 

Autres mesures prises par l’Institut contre Mme Bremsak

[11]           Pendant ce temps, l’Institut a pris d’autres mesures contre Mme Bremsak, par suite de plaintes de harcèlement déposées contre elle par cinq membres du comité exécutif de l’Institut en avril et juin 2009. Le 20 octobre 2009, il l’a informée qu’après enquête, il lui retirait son statut de membre pour une période de cinq ans, avec effet immédiat. Il l’a aussi avisée qu’elle ne pouvait plus se porter candidate à une charge, voter pour les dirigeants de l’Institut ou participer autrement aux affaires de l’Institut.

 

[12]           Mme Bremsak a saisi la Commission d’une nouvelle plainte de pratique déloyale par suite de cette décision du 20 octobre 2009; l’Institut l’a contestée, et l’affaire est encore pendante devant la Commission.

 

L’instance en matière d’ordonnance de justification devant la Cour fédérale

[13]           Devant le protonotaire instruisant la demande d’ordonnance de justification le 26 mars 2010, l’Institut a reconnu dans l’exposé conjoint des faits qu’à la date du dépôt de l’ordonnance de réintégration en Cour fédérale, le 8 décembre 2009, il n’avait annulé aucune des suspensions visant Mme Bremsak, ne l’avait réintégrée à aucun des postes auxquels elle avait été nommée ou élue et n’avait pas donné à ses membres et dirigeants l’avis de réintégration prévu aux paragraphes 131 et 132 de l’ordonnance.

[14]           Un protonotaire a rendu une ordonnance de justification le 17 juin 2010 (2010 FC 661), concluant que Mme Bremsak avait établi prima facie que l’Institut avait commis un outrage au tribunal. L’allégation d’outrage est ainsi libellée dans l’ordonnance du protonotaire :

[Traduction] Il est reproché à l’Institut d’avoir désobéi à l’ordonnance du 8 décembre 2009 de la Cour en ne procédant pas à la réintégration, en temps opportun, de [Mme Bremsak] dans ses fonctions de déléguée syndicale, de membre de l’exécutif régional de la Colombie‑Britannique et du Yukon et de présidente de l’exécutif du sous-groupe SP de Vancouver, et de ne pas avoir informé ses membres et ses représentants conformément aux modalités prévues au paragraphe 131 de la décision [de la Commission] en question que [Mme Bremsak] avait été réintégrée dans tous les postes auxquels elle avait été élue et nommée, sous réserve de l’application régulière des statuts et des règlements administratifs de [l’Institut].

 

 

 

[15]           Deux postes dont Mme Bremsak avait été suspendue ne figuraient pas parmi les postes énumérés dans l’ordonnance de justification, à savoir les postes qu’elle occupait dans l’exécutif national du groupe SP et dans l’exécutif du chapitre du Grand Vancouver, parce que le mandat de Mme Bremsak à ces deux postes avait pris fin avant le 8 décembre 2009.

 

[16]           Le protonotaire avait conclu (au paragraphe 33 de ses motifs) qu’aucune [traduction] « preuve prima facie de l’outrage reproché n’a été établie en ce qui concerne la réintégration de Mme Bremsak aux deux postes à l’égard desquels son mandat avait expiré au moment où la décision de la Commission a été déposée à la Cour ». Cette conclusion procédait de la prémisse, exposée au paragraphe 30 de ses motifs, selon laquelle l’obligation de se conformer à l’ordonnance de réintégration s’était cristallisée le 8 décembre 2009, date de son dépôt devant la Cour fédérale, lequel en avait fait une ordonnance de la Cour.

Warman c. Tremaine

[17]           L’ordonnance de justification a été rendue avant que notre Cour rende l’arrêt Warman c. Tremaine, 2011 CAF 297 (autorisation d’appel refusée par la Cour suprême du Canada : Tremaine c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [2011] C.S.C.R. no 510). Notre Cour y a tranché une question de portée étroite, statuant que l’ordonnance d’un tribunal administratif déposée devant la Cour fédérale en application d’une disposition analogue à l’article 52 de la Loi peut donner lieu à l’instance en matière d’outrage au tribunal devant la Cour fédérale si la personne qu’on accuse d’outrage avait connaissance de l’ordonnance, qu’elle ait su ou non que l’ordonnance avait été déposée devant la Cour fédérale.

 

[18]           De façon plus générale, Warman établit que la procédure d’exécution faisant suite au dépôt de l’ordonnance d’un tribunal administratif devant la Cour fédérale vise l’ordonnance du tribunal administratif. Les passages suivants des motifs du juge Noël, qui a rendu le jugement majoritaire, l’expliquent clairement :

38. Selon moi, la question soulevée dans le présent appel porte sur l’enregistrement des ordonnances aux termes de l’article 57 de la [Loi canadienne sur les droits de la personne], et en particulier la question de savoir si l’ordonnance exécutée en vertu de cette disposition est l’ordonnance du Tribunal ou celle de la Cour.

39. La réponse à cette question est relativement simple si l’on considère que l’unique ordonnance exécutée selon ce régime est celle du Tribunal et qu’il

n’existe aujourd’hui aucun principe juridique limitant la procédure de l’outrage aux seules ordonnances rendues par les cours supérieures.

40. Ce dernier principe découle de l’arrêt de la Cour suprême United Nurses of Alberta c. Le Procureur général de l’Alberta, [1992] A.C.S. no 37; [1992] 1 R.C.S. 901 [l’arrêt United Nurses]. La question posée dans ce précédent concernait le paragraphe 142(7) du Labour Relations Act de l’Alberta, R.S.A. 1980, ch. L-1.1, une disposition analogue à l’article 57 de la Loi :

[traduction] 142. (7)  En cas de violation d’une directive émise par la Commission en conformité avec les paragraphes (5) et (6), la Commission peut, […] déposer, au greffe de la Cour [du banc de la Reine] une copie de la directive, qui est alors exécutoire au même titre qu’un jugement ou une ordonnance de la Cour.

41. La question était de savoir si une procédure d’outrage criminel pouvait validement être engagée après qu’une directive de la Commission albertaine a été déposée en vertu de cette disposition auprès de la Cour du banc de la Reine de l’Alberta. L’un des arguments avancés était que, en common law, le pouvoir de punir un outrage criminel n’existe que pour les ordonnances des cours supérieures et, puisque la directive à exécuter était celle d’un tribunal de juridiction inférieure, la Cour du banc de la Reine de l’Alberta n’était pas habilitée à invoquer ses pouvoirs de punir pour outrage pour faire respecter la directive (arrêt United Nurses, paragraphe 70).

42. La juge McLachlin (maintenant Juge en chef) s’exprimant pour les juges majoritaires, a rejeté cet argument. Elle expliquait que, bien que les ordonnances de la Commission albertaine ne soient pas des ordonnances de la Cour du banc de la Reine de l’Alberta, cela ne signifie pas que les cours supérieures sont de ce fait moins habilitées à les faire exécuter par l’entremise de procédures d’outrage (arrêt United Nurses, paragraphe 71). Elle adoptait ainsi le raisonnement suivi par le juge Blair dans un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario Re Ajax and Pickering General Hospital and Canadian Union of Public Employees, Local 906, 132 D.L.R. (3d) 270; [1981] O.J. no 1121 [Ajax], pour qui l’ordonnance rendue par une commission conformément à la disposition correspondante de la Loi sur les relations de travail de l’Ontario, L.R.O. 1980, ch. 228, était exécutoire, en elle-même, dès son dépôt devant la Cour supérieure de justice (arrêt Ajax, paragraphes 63 à 83).

43. Plus haut dans ses motifs, la juge McLachlin expliquait qu’autrefois seules les ordonnances des cours supérieures étaient considérées comme méritant le respect qu’une procédure d’outrage est censée assurer. Cependant, il n’en est plus ainsi; la question de savoir si les pouvoirs de sanction de l’outrage criminel devraient pouvoir être exercés pour les ordonnances des tribunaux de juridiction inférieure ne porte plus sur une question de compétence, mais sur une question de principe (arrêt United Nurses, paragraphe 69) :

[Ce moyen] soulève la question de savoir si le législateur provincial devrait décréter que la violation d’une ordonnance d’un tribunal est assujettie aux mêmes conséquences que la violation d’une ordonnance d’une cour de justice. Le pouvoir de la législature d’agir ainsi ne peut être mis en doute; les législatures apportent couramment à la loi des modifications qui exigent que les juges nommés par le gouvernement fédéral imposent certaines réparations ou qui leur en donnent le pouvoir. Par conséquent, il s’agit d’une question de principe qui, par ailleurs, peut être contestée. À la prétention que le pouvoir de condamner pour outrage est tellement important qu’il ne devrait être exercé que dans les cas de violation d’ordonnances rendues par les juges nommés en vertu de l’art. 96, on peut opposer la prétention que, en réalité, d’importantes parties de notre droit sont administrées non pas par ces juges, mais par des tribunaux inférieurs, et que ces décisions, comme celles des cours de justice, font partie du droit et méritent le respect et, par conséquent, le soutien qu’offre le pouvoir de condamner pour outrage.

44. Il est aujourd’hui bien établi que les décisions des tribunaux de juridiction inférieure peuvent être exécutées en elles-mêmes par l’entremise de procédures d’outrage parce que, comme pour les décisions des cours supérieures, le législateur estime qu’elles méritent le respect que les procédures d’outrage sont censées assurer. C’est ce que fait l’article 57 pour les ordonnances rendues par le Tribunal en vertu des articles 53 et 54 de la Loi.

45. Il s’ensuit que, dans la présente affaire, il n’y a qu’une seule ordonnance – l’ordonnance du Tribunal – qui est exécutée par la Cour fédérale conformément à l’article 57, comme si elle était une ordonnance de cette Cour. Cette intention est on ne peut mieux exprimée par la version française, selon laquelle : « [L]es ordonnances rendues en vertu des articles 53 et 54 […] peuvent […] être assimilées aux ordonnances rendues par celle-ci [c’est-à-dire la Cour fédérale] ».

 

 

 

[19]           Ce même raisonnement mène nécessairement à la conclusion que la présente instance en outrage au tribunal doit porter sur la violation alléguée de l’ordonnance de réintégration à compter de la date de cette ordonnance, soit le 26 août 2009, et non de la date où elle a été déposée en Cour fédérale. Il s’ensuit que le protonotaire a conclu à tort que l’Institut ne pouvait être déclaré coupable d’outrage pour la période allant du 26 août au 8 décembre 2009.

 

[20]           Tout comme je l’ai fait, le juge Lemieux a conclu que, compte tenu de l’arrêt Warman, il appert que l’ordonnance du protonotaire reposait sur un principe juridique erroné, et il a procédé à l’examen du bien‑fondé de l’accusation d’outrage au tribunal en fonction du défaut de l’Institut de se conformer à l’ordonnance de réintégration à compter du moment où celle‑ci a été rendue.

 

[21]           Devant nous, l’Institut a avancé deux arguments concernant l’effet de Warman. Il soutient d’abord qu’indépendamment de l’accusation d’outrage qui aurait pu être portée en application de Warman, l’accusation formulée dans l’ordonnance de justification ne fait état que d’événements postérieurs au 8 décembre 2009, de sorte que la question de l’existence d’une excuse légitime pour le non‑respect de l’ordonnance de réintégration doit être tranchée en fonction de la situation à compter du 8 décembre 2009. Il fait valoir, en deuxième lieu, qu’il serait contraire aux règles d’équité procédurale de le déclarer coupable d’outrage à raison d’événements s’étant produits avant le 8 décembre 2009 parce qu’il n’a pas eu la possibilité de se défendre à une accusation reposant sur des faits antérieurs à cette date.

 

[22]           Dans les circonstances inhabituelles de la présente espèce, aucun de ces arguments ne peut être retenu. Notre Cour a rendu l’arrêt Warman le 26 octobre 2011, après l’instruction de l’accusation d’outrage pour non‑respect de l’ordonnance de réintégration (les 20 et 21 octobre 2010), mais avant que le jugement ne soit rendu. Le juge Lemieux a transmis une copie de Warman aux parties en les invitant à soumettre des observations. Les deux parties ont déposé des observations écrites dans le délai prescrit. En présentant ces observations, les parties savaient que, par suite de cet arrêt, le juge Lemieux pourrait conclure que l’instance en outrage pour non‑respect de l’ordonnance de réintégration pouvait porter sur des faits antérieurs au 8 décembre 2009 et qu’il envisageait d’examiner si ces faits antérieurs devaient être pris en compte.

 

[23]           Dans ses observations, l’Institut a soutenu que, malgré Warman, le libellé de l’accusation faisait en sorte que les faits antérieurs au 8 décembre 2009 n’étaient pas juridiquement pertinents. Il a aussi fait valoir, subsidiairement, que même en supposant que la date pertinente était le 26 août 2009, son défaut d’obtempérer était justifié parce que notre Cour n’a statué que le 28 octobre 2009 sur les demandes de sursis qu’il lui avait présentées (argument que j’ai déjà rejeté).

 

[24]           Pour autant, l’Institut n’a pas cherché à faire rouvrir l’instruction pour présenter une preuve relative à la période écoulée entre le 26 août et le 8 décembre 2009, alors qu’il aurait manifestement pu le faire. Il n’a pas non plus indiqué au juge Lemieux qu’il pouvait présenter des éléments de preuve pour établir l’existence d’une excuse légitime le justifiant de ne pas s’être conformé à l’ordonnance de réintégration pour la période antérieure au 8 décembre 2009 (autre que la preuve déjà soumise pour établir l’existence d’une excuse légitime après cette date).

 

[25]           Il aurait été préférable, sur le plan procédural, que le juge Lemieux modifie en bonne et due forme l’ordonnance de justification en fonction du principe formulé dans Warman, ce qui aurait eu pour effet de recommencer l’instance en outrage. Rien dans le dossier, toutefois, ne donne motif à la Cour de conclure que l’absence de modification de l’accusation a causé préjudice à l’Institut.

 

Le bien-fondé de l’accusation d’outrage

[26]           L’Institut ne conteste pas la conclusion du juge Lemieux selon laquelle il n’a pas rétabli Mme Bremsak dans les postes auxquels elle avait été élue ou nommée et n’a pas donné à ses membres et dirigeants l’avis de réintégration prévu par l’ordonnance. Notre Cour doit déterminer si le juge Lemieux a conclu à tort à l’absence d’excuse légitime pour la non-réintégration.

 

[27]           Pour plus de commodité, la question de l’excuse légitime sera examinée en deux étapes. J’aborderai en premier lieu la période allant du 26 août 2009 (date de l’ordonnance de réintégration) au 20 octobre 2009 (date de la suspension du statut de membre de Mme Bremsak pour une période de cinq ans). J’analyserai ensuite la période postérieure au 20 octobre 2009, lorsque la suspension était en vigueur.

 

Période du 26 août au 20 octobre 2009

[28]           Comme je l’ai déjà indiqué, lorsque l’ordonnance de réintégration a été déposée en Cour fédérale, le 8 décembre 2009, l’Institut n’avait rétabli Mme Bremsak dans aucun des postes auxquels elle avait été élue ou nommée. La réintégration n’avait toujours pas été accomplie à la date de l’audience devant le juge Lemieux. L’Institut a exposé au juge Lemieux qu’à l’égard de la période antérieure au 8 décembre 2009, la suspension du statut de membre de Mme Bremsak pour une période de cinq ans, prononcée le 20 octobre 2009, constituait une excuse légitime pour la non‑réintégration de cette dernière puisqu’elle ne pouvait plus occuper de poste.

 

[29]           Le juge Lemieux a conclu que la suspension de Mme Bremsak le 20 octobre 2009 n’avait pas relevé l’Institut de son obligation de la réintégrer avant cette date. Selon son interprétation, l’ordonnance prescrivait de réintégrer « immédiatement Mme Bremsak pour éviter que ses mandats expirent et pour éviter qu’il devienne impossible de réparer le préjudice qui lui était causé » (paragraphe 78 de ses motifs). Cette interprétation de l’ordonnance de réintégration procédait d’un examen minutieux des motifs de la Commission, et j’estime qu’elle est juste. Je suis d’avis que le juge Lemieux n’a pas commis d’erreur en déclarant l’Institut coupable d’outrage au tribunal pour n’avoir pas réintégré Mme Bremsak entre le 26 août et le 20 octobre 2009.

 

Après le 20 octobre 2009

[30]           Le juge Lemieux a conclu aussi que la défense d’excuse légitime invoquée à l’égard de la période postérieure au 20 octobre 2009 n’avait pas non plus été établie. Il a reconnu, pour parvenir à cette conclusion, que c’est à la Commission, non à lui, qu’il appartenait de statuer sur les plaintes de Mme Bremsak se rapportant à sa suspension, mais il a aussi indiqué que notre Cour avait formulé une directive portant qu’il n’était pas tenu de présumer que la suspension était valide.

 

[31]           Voici dans quel contexte a été formulé la directive dont le juge Lemieux a fait mention. Le 31 mars 2011, pendant que l’affaire était en délibéré après l’audience tenue les 20 et 21 octobre 2010, le juge Lemieux a tenu une conférence téléphonique avec les parties au sujet du problème qu’il voyait à statuer en matière d’outrage sans disposer de la décision de la Commission sur le fond de la plainte de pratique déloyale de Mme Bremsak relative à la suspension de cinq ans prononcée le 20 octobre 2009. Le 1er avril 2011, le juge Lemieux a ordonné la suspension de l’instance en outrage jusqu’à l’issue de l’instance devant la Commission, résumant ainsi les raisons l’amenant à cette décision au paragraphe 10 de ses motifs (2011 FC 406) :

[traduction] 10   L’excuse légitime constitue un aspect fondamental de la défense de l’Institut contre l’accusation d’outrage au tribunal. Pendant l’audience tenue à Vancouver, j’ai écarté la présentation par l’une ou l’autre partie d’éléments de preuve relatifs à la capacité de la Cour d’examiner la décision du comité exécutif de la suspendre par suite de la plainte de harcèlement, parce que la validité de la décision du comité exécutif faisait l’objet d’un examen devant [la Commission] et qu’il ne conviendrait pas que je me prononce sur une question que le législateur a réservée à [la Commission], un tribunal spécialisé dans les questions relatives au travail. À mon avis, l’issue de l’instance devant ce tribunal sera déterminante pour l’instance en outrage. J’ai fait part hier aux parties de mon opinion que, dans l’intérêt de la justice, il y a lieu de suspendre la présente instance jusqu’à ce que [la Commission] statue sur les plaintes de Mme Bremsak relatives à la suspension de son statut de membre ou jusqu’à ce que le contrôle judiciaire de cette décision soit effectué, lequel relève de la Cour d’appel fédérale. 

 

 

 

[32]           Mme Bremsak a porté cette ordonnance de suspension en appel devant notre Cour. Les deux parties ont alors soutenu que l’ordonnance devait être annulée et que le juge Lemieux devait être tenu de statuer sur la question de l’outrage. L’appel a été accueilli le 19 septembre 2011 (2011 FCA 258), notre Cour concluant que l’Institut avait droit à ce que l’affaire se résolve promptement en fonction de la preuve que les parties avaient décidé de présenter à la Cour fédérale.

 

[33]           L’Institut fait valoir que le juge Lemieux a commis une erreur en se fondant sur la contestation par Mme Bremsak des suspensions prononcées le 20 octobre 2009 puisqu’il avait statué, pendant l’audience, que les parties ne seraient pas autorisées à présenter d’éléments de preuve sur le bien‑fondé des suspensions, lequel relevait de l’appréciation de la Commission. Je ne puis retenir cet argument.  Par suite du jugement en date du 19 septembre 2011 de notre Cour accueillant l’appel de son ordonnance de suspension, le juge Lemieux était obligé de se prononcer sur l’accusation d’outrage en fonction de la preuve dont il disposait. Le dossier renfermait alors des éléments de preuve documentaire admis à bon droit, concernant les allégations faites par Mme Bremsak à l’appui de sa plainte consécutive aux suspensions prononcées le 20 octobre 2009 ainsi que les motifs invoqués par l’Institut à l’appui de son allégation que cette plainte n’était pas fondée. Le seul élément de preuve exclu était les dépositions, lors de l’audience relative à l’outrage, de témoins expliquant pourquoi les suspensions avaient été infligées.

 

[34]           J’estime que le juge Lemieux n’a pas commis d’erreur en confrontant la preuve documentaire relative aux allégations de Mme Bremsak (bien qu’elles fussent contestées et non prouvées) et la preuve documentaire relative aux réponses de l’Institut (elles aussi non prouvées) afin de déterminer si les suspensions pouvaient justifier le non‑respect de l’ordonnance de réintégration. Le juge pouvait raisonnablement tirer les conclusions factuelles auxquelles il est parvenu compte tenu de cette preuve.

 

[35]           Le juge Lemieux a signalé, plus particulièrement, que les suspensions prenaient effet immédiatement et que le comité exécutif ne disposait pas d’observations de Mme Bremsak lorsqu’il a statué qu’une suspension de cinq ans constituait une mesure appropriée à l’égard du harcèlement allégué. L’Institut avait fait valoir devant la Commission que Mme Bremsak avait eu la possibilité de répondre au rapport de l’enquêteur relatif aux allégations de harcèlement. Toutefois, ce rapport, qui figure au dossier, ne renferme aucune recommandation concernant les mesures de réparation. Aucun élément de preuve n’indique que Mme Bremsak a eu l’occasion de présenter des observations au comité exécutif au sujet de ce qui pourrait constituer une mesure de réparation appropriée.

 

[36]           Je conclus que le juge Lemieux n’a commis aucune erreur de droit ou de fait en concluant que les suspensions prononcées le 20 octobre 2009 ne constituaient pas une excuse légitime pour le défaut de l’Institut de se conformer à l’ordonnance de réintégration et que l’Institut était coupable d’outrage pour la période postérieure au 20 octobre 2009.

 

Conclusion

[37]           Je rejetterais l’appel.

 

[38]           Mme Bremsak a demandé des dépens spéciaux couvrant les dépens du présent appel, du procès pour outrage, de l’instruction de la demande d’ordonnance de justification et de l’instance devant la Commission en vue du dépôt de l’ordonnance de réintégration devant la Cour fédérale. Notre Cour n’a pas le pouvoir d’adjuger des dépens à l’égard d’instances devant la Commission. Pour ce qui est des dépens devant la Cour fédérale, je constate que le juge Lemieux n’a pas encore examiné la question. Il ne conviendrait pas, dans le contexte du présent appel, que notre Cour adjuge des dépens relatifs à des instances devant la Cour fédérale. Je suis toutefois disposée à adjuger ses dépens à Mme Bremsak relativement au présent appel, et j’estime qu’ils devraient être

 

 

établis en fonction d’un barème supérieur au barème normal. Je lui adjugerais des dépens de 7 000 $ incluant les débours et taxes.

 

 

 

« K. Sharlow »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

         J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

         Robert M. Mainville, j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


 

COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                          A-69-12

 

APPEL D’UN JUGEMENT RENDU PAR LE JUGE LEMIEUX, DE LA COUR FÉDÉRALE, LE 16 FÉVRIER 2012 DANS LE DOSSIER T-2049-09

 

INTITULÉ :                                                        L’INSTITUT PROFESSIONNEL DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA c. IRENE J. BREMSAK

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                Vancouver

 

DATE DE L’AUDIENCE :                               Le 14 mai 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                             LA JUGE SHARLOW

 

Y ONT SOUSCRIT :                                         LES JUGES PELLETIER ET MAINVILLE

                                                                                               

DATE DES MOTIFS :                                       Le 22 mai 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Steven Welchner

POUR L’APPELANT

 

David Donohoe

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Welchner Law Office

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’APPELANT

 

Donohoe & Company

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR L’INTIMÉE

 

 

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