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Date : 20120424

Dossier : A-272-11

 

Référence : 2012 CAF 124

 

CORAM :      LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE GAUTHIER

                        LE JUGE STRATAS

                                                                                                                                                           

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

GERALD BLEROT

défendeur

 

 

 

Audience tenue à Edmonton (Alberta), le 17 avril 2012

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 24 avril 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                        LE JUGE PELLETIER                              

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LA JUGE GAUTHIER

                                                                                                                         LE JUGE STRATAS

 


Date : 20120424

Dossier : A-272-11

 

Référence : 2012 CAF 124

 

CORAM :      LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE GAUTHIER

                        LE JUGE STRATAS

                                                                                                                                                           

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

GERALD BLEROT

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PELLETIER

[1]               Le procureur général a interjeté trois appels à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale qui concernait trois demandes de contrôle judiciaire distinctes présentées par M. Siggelkow, M. Blerot et M. et Mme Lewry respectivement (collectivement, les défendeurs). Comme les appels visent la même décision et portent sur les mêmes questions, les mêmes motifs s’appliqueront à tous ces appels et une copie en sera versée dans les dossiers de la Cour nos A‑267‑11, A‑272‑11 et A‑273‑11.

 

[2]               La décision portée en appel a été rendue par le juge Simon Noël de la Cour fédérale (le juge de la Cour fédérale ou le juge) et a été répertoriée sous les intitulés suivants : Blerot c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), 2011 CF 882, [2011] A.C.F. no 1083 [Blerot], Siggelkow c. Canada (Procureur général), 2011 CF 884, [2011] A.C.F. no 1085 [Siggelkow], et Lewry c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), 2011 CF 883, [2011] A.C.F. no 1084 [Lewry]. Dans sa décision, le juge de la Cour fédérale a accueilli les appels interjetés par les défendeurs à l’encontre d’une décision du protonotaire Lafrenière (le protonotaire), lequel avait radié l’avis de demande déposé par chacun d’eux auprès de la Cour fédérale. Dans chaque cas, l’avis de demande visait à contester de différentes façons la délivrance d’un mandat de perquisition fondé sur l’article 487 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46. Dans Blerot et dans Lewry, les mandats de perquisition avaient été délivrés par un juge de paix de la Saskatchewan, alors que, dans Siggelkow, le mandat avait été délivré par un juge de la Cour provinciale de l’Alberta.

 

[3]               Les avis de demande ne sont pas identiques, mais ils visent tous essentiellement à obtenir le même redressement :

1 – l’annulation des mandats de perquisition délivrés relativement à chacun des défendeurs, un jugement déclaratoire portant que ces mandats sont invalides et la remise de toutes les choses saisies en vertu de ceux‑ci;

 

2 – un jugement déclaratoire portant qu’il est interdit à l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) d’invoquer les dispositions relatives aux mandats de perquisition contenues à l’article 487 du Code criminel dans le cadre d’une enquête sur des infractions criminelles menée en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), ou de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E‑15, et que l’ARC doit plutôt se servir des dispositions relatives aux mandats de perquisition figurant à l’article 231.3 de la Loi de l’impôt sur le revenu ET à l’article 290 de la Loi sur la taxe d’accise;

 

3 – un jugement déclaratoire portant que la décision de l’ARC d’obtenir des mandats de perquisition en vertu de l’article 487 du Code criminel porte atteinte aux droits garantis aux défendeurs par les articles 7, 8 et 26 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.‑U.), 1982, ch. 11 [la Charte], et une ordonnance fondée sur l’article 24 de la Charte écartant les éléments de preuve obtenus au moyen de ces mandats dans toute action intentée contre les défendeurs en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu ou de la Loi sur la taxe d’accise;

 

4 – un jugement déclaratoire portant que les personnes qui ont obtenu les mandats de perquisition n’étaient pas dûment autorisées par la loi à les demander.

 

 

[4]               Je devrais ajouter que j’ai résumé le redressement demandé dans les avis de demande en employant des termes juridiques plutôt qu’en reprenant les termes utilisés par les défendeurs. Essentiellement, j’ai remplacé l’expression [traduction] « une décision quant à la question de savoir » par « un jugement déclaratoire portant que ». Je devrais ajouter également que le principal argument des défendeurs, selon lequel le ministre aurait dû demander les mandats de perquisition en vertu des dispositions habilitantes de la Loi de l’impôt sur le revenu, et non en vertu des dispositions générales du Code criminel, s’applique aussi aux instances visées par la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E‑15. Cependant, comme les dispositions relatives aux mandats des deux lois sont essentiellement identiques, je me référerai uniquement à la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[5]               Après le dépôt de ces avis de demande, le ministre a présenté des requêtes en vertu de l’article 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, afin de les faire radier au motif qu’ils n’avaient aucune chance de succès. Les requêtes ont été examinées et accueillies par le protonotaire.

 

[6]               Le protonotaire a conclu que la décision de l’ARC de demander les mandats de perquisition était une mesure administrative et procédurale et que, cela étant, elle ne pouvait pas être contrôlée : F.K. Clayton Group Ltd. c. M.R.N., [1988] A.C.F. no 1066, (1988), 24 F.T.R. 162 [F.K. Clayton Group].

 

[7]               Le protonotaire a conclu également que, comme les mandats de perquisition avaient été délivrés par un juge de paix de la Saskatchewan ou un juge de la Cour provinciale de l’Alberta, cette délivrance devait être contestée devant les tribunaux provinciaux. Selon lui, la Cour fédérale devait refuser d’exercer sa compétence si les motifs sur lesquels les demandes étaient fondées relevaient bien clairement de la compétence des tribunaux provinciaux. Il a jugé que les défendeurs disposaient d’un recours adéquat devant les tribunaux provinciaux. Il a ajouté que ceux‑ci avaient compétence, soit en vertu de la Charte soit en raison de la compétence inhérente des cours supérieures, pour examiner les allégations selon lesquelles les demandes de mandat de perquisition avaient été faites arbitrairement ou de mauvaise foi, ou pour des raisons inappropriées ou sans importance.

 

[8]               Le protonotaire a finalement statué que chacun des avis de demande devait être radié pour abus de procédure.

 

[9]               En statuant sur l’appel interjeté à l’encontre de cette décision, le juge de la Cour fédérale a souligné que, même si la décision du protonotaire était valable en droit et dans les faits, elle devait être infirmée, mais uniquement parce que les défendeurs ont soulevé en appel des questions qui n’avaient pas été soumises au protonotaire.

 

[10]           Le juge a d’abord confirmé que la Cour fédérale n’avait pas compétence pour contrôler les ordonnances des juges de paix ou des juges des tribunaux provinciaux. Il a convenu que la délivrance de mandats de perquisition en vertu du Code criminel relevait bien clairement de la compétence des tribunaux provinciaux.

 

[11]           Il a ensuite examiné les prétentions que les défendeurs n’avaient pas invoquées devant le protonotaire. Il a conclu que ce que les défendeurs contestaient en vertu des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, ce n’était pas la délivrance des mandats de perquisition en tant que tels, mais plutôt la politique écrite de l’ARC qui consistait à présenter des demandes de mandat de perquisition en vertu de l’article 487 du Code criminel, plutôt qu’en vertu de l’article 231.3 de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[12]           Le juge était d’accord avec les défendeurs lorsqu’ils prétendaient qu’une politique concorde avec la notion de plus en plus répandue de ce qui peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire en vertu de la Loi sur les Cours fédérales : May c. CBC/Radio Canada, 2011 CAF 130, [2011] A.C.F. no 519.   

 

[13]           Le juge a également souscrit aux prétentions des défendeurs selon lesquelles les décisions sur lesquelles le ministre s’était fondé, par exemple F.K. Clayton Group, ci‑dessus, Canada (Gendarmerie royale du Canada) c. Canada (Procureur général), 2007 CF 564, [2007] A.C.F. no 752, R. c. Multiform Manufacturing Co., [1990] 2 R.C.S. 624, [1990] A.C.S. no 83 [Multiform], et R. c. Grant, [1993] 3 R.C.S. 223, [1993] A.C.S. no 98 [Grant], étaient différentes. Il s’est appuyé à cet égard sur le fait qu’une version antérieure des dispositions relatives aux mandats de perquisition de la Loi de l’impôt sur le revenu avait été jugée inconstitutionnelle par la Cour suprême du Canada dans Baron c. Canada, [1993] 1 R.C.S. 416, [1993] A.C.F. no 6. Il a aussi semblé être influencé par le fait que d’autres lois fédérales que la Loi de l’impôt sur le revenu étaient en cause dans ces affaires. Enfin, il estimait que des faits nouveaux étaient nécessaires pour trancher les demandes des défendeurs.

 

[14]           Le juge de la Cour fédérale a conclu son analyse en soulignant que de nombreuses prétentions contenues dans les avis de demande initiaux devaient être radiées pour les motifs donnés par le protonotaire. Il a cependant ajouté : « [O]n ne peut pas dire la même chose de la question sous-jacente à juger, soit la légalité de la pratique qu’a l’ARC (si pratique il y a) de recourir à l’article 487 du Code criminel lorsqu’elle demande des mandats de perquisition et de saisie. »

 

[15]           Les appels interjetés à l’encontre de la décision du protonotaire ont été accueillis et son ordonnance a été infirmée. 

 

ANALYSE

[16]           Le protonotaire et le juge de la Cour fédérale ont fait allusion à la doctrine relative aux attaques indirectes sans toutefois en traiter directement. Cette doctrine s’applique pleinement en l’espèce et constitue une réponse complète aux avis de demande des défendeurs. En conséquence, j’accueillerais l’appel.

 

[17]           La doctrine relative aux attaques indirectes est décrite par la Cour suprême du Canada dans R. c. Wilson, [1983] 2 R.C.S. 594, aux pages 599 et 600 :

Selon un principe fondamental établi depuis longtemps, une ordonnance rendue par une cour compétente est valide, concluante et a force exécutoire, à moins dêtre infirmée en appel ou légalement annulée. De plus, la jurisprudence établit très clairement qu’une telle ordonnance ne peut faire l’objet d’une attaque indirecte; l’attaque indirecte peut être décrite comme une attaque dans le cadre de procédures autres que celles visant précisément à obtenir l’infirmation, la modification ou l’annulation de l’ordonnance ou du jugement. Lorsquon a épuisé toutes les possibilités d’appel et que les autres moyens dattaquer directement un jugement ou une ordonnance, comme par exemple les procédures par brefs de prérogative ou celles visant un contrôle judiciaire, se sont révélés inefficaces, le seul recours qui soffre à une personne qui veut faire annuler l’ordonnance d’une cour est une action en révision devant la Haute Cour, lorsqu’il y a des motifs de le faire. Sans vouloir en dresser une liste complète, de tels motifs comprendraient la fraude ou la découverte de nouveaux éléments de preuve.

 

[18]           Compte tenu des faits en l’espèce, les mandats de perquisition délivrés par les autorités provinciales sont des ordonnances. Ces ordonnances doivent être contestées devant l’instance qui les a rendues, en suivant la procédure de celle‑ci. L’applicabilité de F.K. Clayton, Multiform et Grant peut être invoquée dans le cadre d’une demande présentée aux tribunaux provinciaux dans le but de faire annuler ces mandats ou d’écarter les éléments de preuve saisis en vertu de ceux‑ci. Toutefois, il n’appartient pas à la Cour fédérale ou la Cour d’appel fédérale de trancher ces questions de façon à lier les tribunaux provinciaux.

 

[19]           La seule question qu’il reste à trancher est celle de savoir si le juge de la Cour fédérale a commis une erreur lorsqu’il a conclu qu’il y avait une question susceptible de contrôle pour des motifs relevant du droit administratif. Le juge a formulé cette question dans les termes suivants : « la légalité de la pratique qu’a l’ARC (si pratique il y a) de recourir à l’article 487 du Code criminel lorsqu’elle demande des mandats de perquisition et de saisie ». Il ressort des observations qui nous ont été présentées par les deux défendeurs présents à l’audition de l’appel que la question qu’ils veulent faire trancher est la légalité de la politique qu’a l’ARC de recourir exclusivement à l’article 487 du Code criminel lorsqu’elle demande des mandats de perquisition.

 

[20]           Supposant, sans toutefois en décider, que cette question est autrement sujette au contrôle judiciaire, elle devrait, dans les circonstances de l’espèce, être tranchée par les tribunaux qui ont compétence en matière de mandats et qui ont délivré les mandats ayant donné lieu à la présente instance. Ces tribunaux ont toute la compétence voulue pour régler toutes les questions qui pourraient mener à la conclusion que les mandats de perquisition n’ont pas été légalement délivrés ou exécutés, y compris l’application d’une politique ministérielle qui est contraire à la loi : voir R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265, [1987] A.C.S. no 15, au paragraphe 23, R. c. Porisky, 2012 BCSC 68, [2012] B.C.J. No. 93, R. c. 2821109 Canada Inc., [1995] N.B.J. No. 435, 167 N.B.R. (2d) 78 (C.A.). En refusant d’exercer sa compétence, la Cour fédérale a évité de créer une situation où elle intervient dans les processus de contrôle offerts dans les administrations où les mandats de perquisition ont été délivrés. En résumé, la doctrine interdisant les attaques collatérales et les politiques qui la sous‑tendent s’appliquent pleinement en l’espèce.

 

[21]           Ce n’est pas parce que les demandes présentées par les défendeurs à la Cour fédérale ne sont pas manifestement condamnées à être rejetées sur le fond qu’il ne s’agit pas pour autant d’attaques collatérales.

 

[22]           Compte tenu du fait que le juge de la Cour fédérale a, de son propre aveu, tranché une question qui n’avait pas été soumise au protonotaire, la norme de contrôle applicable est celle qui s’applique à un appel interjeté à l’encontre d’une décision d’un juge de première instance sur une question de droit, à savoir la norme de la décision correcte : voir Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, au paragraphe 8. À mon avis, le juge de la Cour fédérale a commis une erreur de droit en ne donnant pas effet à la doctrine relative aux attaques collatérales lorsqu’il a décidé s’il devait maintenir les avis d’appel des défendeurs.

 

[23]           En conséquence, j’accueillerais l’appel dans chaque dossier, les dépens étant adjugés au procureur général pour toutes les instances, j’annulerais l’ordonnance du juge de la Cour fédérale et je rétablirais l’ordonnance du protonotaire.

 

« J.D. Denis Pelletier »

j.c.a.

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                   A-272-11

 

INTITULÉ :                                                 PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c.

                                                                       GERALD BLEROT

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                         Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                        Le 17 avril 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                      LE JUGE PELLETIER

 

Y ONT SOUSCRIT :                                  LA JUGE GAUTHIER

                                                                       LE JUGE STRATAS

                                                                                               

DATE DES MOTIFS :                                Le 24 avril 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Wendy Bridges

Brin Frape

POUR LE DEMANDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DEMANDEUR

 

 

 

 

 

 

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