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Cour d’appel fédérale

Federal Court of Appeal

Date : 20120413

Dossier : A-64-12

Référence : 2012 CAF 112

 

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

En présence de monsieur le juge en chef BLAIS

 

ENTRE :

SHARMARKE MOHAMED

appelant

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

intimé

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 5 avril 2012 par vidéoconférence.

Ordonnance rendue à Ottawa (Ontario) le 13 avril 2012.

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                                                         LE JUGE EN CHEF BLAIS

 


Cour d’appel fédérale

Federal Court of Appeal

Date : 20120413

Dossier : A-64-12

Référence : 2012 CAF 112

 

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

En présence de monsieur le juge en chef BLAIS

 

ENTRE :

SHARMARKE MOHAMED

appelant

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

intimé

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE EN CHEF BLAIS

[1]               Il s’agit d’une requête en sursis, en attendant l’appel, du renvoi de l’appelant prévu pour le 16 avril 2012.

 

[2]               M. Mohamed est un citoyen somalien. Il avait 27 ans lorsqu’il est arrivé au Canada et a demandé l’asile. En 1991, on a conclu qu’il était un réfugié au sens de la Convention et est devenu un résident permanent du Canada en décembre 1991.

 

[3]               Malheureusement, l’établissement de M. Mohamed au Canada n’était pas tout à fait paisible. Il s’est marié deux fois, a eu deux enfants de chacun de ces mariages, et actuellement vit séparé de sa deuxième épouse et de ses enfants. Il a travaillé pendant dix ans comme technicien de laboratoire chimique et a quitté la Colombie-Britannique lorsque l’entreprise a fait faillite en 2005.

 

[4]               Entre-temps, il a été condamné pour voies de fait contre son colocataire avec un couteau de boucher et pour le pillage de trois banques. Il a également été accusé de plusieurs autres infractions en vertu du Code criminel, y compris voies de fait, agression armée, et voies de fait entraînant des lésions corporelles.

 

[5]               Il n’est donc pas surprenant que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ait pris en 2009 une mesure d’expulsion à l’encontre de M. Mohamed au motif de grande criminalité.

 

[6]               En juillet 2011, le délégué du ministre a publié un avis selon lequel M. Mohamed constituait un danger pour le public, en vertu du paragraphe 115(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR). M. Mohamed a demandé le contrôle judiciaire de l’avis de danger du délégué ministériel.

 

[7]               L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a pris des dispositions pour renvoyer M. Mohamed en Somalie en octobre 2011. Toutefois, l’ASFC a accepté de différer le renvoi en attendant que la demande de contrôle judiciaire de M. Mohamed concernant l’avis de danger soit tranchée.

 

[8]               En janvier 2012, le juge Harrington de la Cour fédérale a rejeté la demande. Il a néanmoins certifié la question suivante :

[traduction]

Dans le contexte d’une analyse d’un avis de danger, si le ministre décide que la personne en question ne serait pas exposée à un risque personnel et par conséquent évite de pondérer le risque que présente la personne au public à l’égard du risque auquel la personne est exposée, le ministre sera-t-il tenu à ce moment-là en vertu de l’article 7 de la Charte de soupeser le risque généralisé auquel la personne sera confrontée à l’étape de l’analyse des motifs d’ordre humanitaire?

 

[9]               L’appelant a déposé un avis d’appel le 17 février 2012.

 

[10]           Lorsque la demande de contrôle judiciaire a été rejetée, l’ASFC a pris de nouvelles dispositions pour le renvoi de M. Mohamed à Bosaso, au Puntland, dans le nord de la Somalie. À moins que la requête en sursis de M. Mohamed ne soit accueillie, son renvoi aura lieu le 16 avril 2012.

 

[11]           Pour que sa requête soit accueillie, M. Mohamed doit démontrer qu’il répond à chaque volet du critère à trois volets établi dans Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 N.R. 302, [1988] A.C.F. no 587 (C.A.F.). Il doit démontrer que (i) il existe une question sérieuse à trancher; (ii) qu’il subirait un préjudice irréparable si la requête était rejetée; et (iii) que la prépondérance des inconvénients milite en sa faveur.

 

QUESTION SÉRIEUSE À TRANCHER

[12]           Il est important de se rappeler que, selon le principe du « non-refoulement » dans le droit des réfugiés, un réfugié ne doit pas être renvoyé à un pays où il risquerait d’être persécuté. Le principe du non-refoulement se trouve à l’article 115 de la LIPR. Cet article interdit le renvoi des réfugiés au sens de la Convention dans un pays où il existe un risque de persécution au motif de la Convention ou un risque de torture ou de traitement ou peine cruels ou inusités. Néanmoins, le paragraphe 115(2) de la LIPR précise qu’il existe des exceptions au principe du non-refoulement, par exemple lorsque la personne est interdite de territoire au motif de grande criminalité et constitue un danger pour le public selon le ministre.

 

[13]           Un grand nombre de tribunaux au Canada ont abordé cette question au fil des ans.

 

[14]           Premièrement, je devrais indiquer qu’en l’espèce, le juge de première instance, en certifiant une question, a reconnu l’existence d’une question grave de portée générale. Comme l’a indiqué mon collègue le juge Evans dans Palka c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) 2008 CAF 165, au paragraphe 9, « [i]l devrait être facile de persuader un juge de notre Cour qu’une question certifiée en vue d’un appel par un juge de la Cour fédérale n’est ni futile ni vexatoire ».

 

[15]           En outre, il convient de se rappeler que le fait de certifier une question de portée générale déclenche un appel sans contrainte auprès de notre Cour (Richter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 73, aux paragraphes 9 et 10). Par conséquent, afin de décider s’il existe une question sérieuse à trancher, je dois examiner non seulement la question certifiée, mais aussi les arguments de l’appelant. L’essentiel de l’argument de l’appelant se trouve aux paragraphes 59 à 61 de son mémoire des arguments :

[traduction]

Le demandeur soutient qu’en concluant que le seul risque auquel il serait exposé à son retour en Somalie était un risque auquel la population est exposée en général, le ministre s’est soustrait à la pondération exigée par l’article 7 de la Charte. Autrement dit, le ministre n’a effectué aucune prépondérance à ce stade étant donné qu’il a conclu qu’il n’y avait aucun risque d’ordre personnel.

 

Le demandeur soutient qu’alors que ce fait n’est pas nécessairement problématique en soi, pour que le régime de l’avis de danger se conforme aux principes de justice fondamentale en vertu de l’article 7 de la Charte, il faut pondérer le risque auquel la personne concernée est exposée à une étape donnée de l’analyse; si ce n’est pas à l’étape de la détermination du danger, ce sera à l’étape des motifs d’ordre humanitaire.

 

Si l’on permettait au ministre d’éviter la prépondérance du risque auquel la personne renvoyée sera exposée à son retour au pays d’origine en concluant simplement que ce risque est d’ordre général, ce serait permettre que les droits d’une personne en vertu de l’article 7 soient violés d’une façon qui n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale.

 

[16]           Le ministre, quant à lui, réfute l’existence d’une question sérieuse. Il soutient que le droit des réfugiés n’interdit pas le renvoi d’un réfugié à un pays où la population tout entière est exposée à un certain risque général pour sa vie. Il ajoute que ce principe est manifeste et bien établi. Il renvoie à une série de références, telles que Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1 et Nagalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 153 concernant le fait que le délégué doit évaluer le risque d’ordre personnel plutôt que les risques d’ordre général. Le ministre mentionne également Jama c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 781, où le juge Russel a rejeté un argument semblable à la thèse de l’appelant.

 

[17]           Je souligne que la question en appel a déjà été en litige au Royaume-Uni et allée jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dans une affaire avec un contexte semblable. La CEDH a conclu que les risques auxquels la population est exposée de manière générale peuvent être assimilables à un risque réel de mauvais traitement à la personne renvoyée (Sufi and Elmi c. United Kingdom, [2011] CEDH 1045, aux paragraphes 248, 293). Mais notre Cour n’est pas liée par les affaires étrangères. En fait, il n’existe aucune référence canadienne pour appuyer les arguments de M. Mohamed selon lesquels le délégué du ministre doit examiner les risques généralisés dans le cadre de son analyse pour l’avis de danger.

 

[18]           Néanmoins, étant donné que le juge de première instance a certifié une question, et étant donné que le critère de la question sérieuse est facilement satisfait, je conclus qu’il existe une question sérieuse à trancher.

 

PRÉJUDICE IRRÉPARABLE

[19]           Les deux parties conviennent que la Somalie est en ce moment l’un des endroits les plus dangereux du monde. Néanmoins, nous devrions nuancer une affirmation générale de ce type. En fait, les éléments de preuve fournis par les deux côtés démontrent que la situation est bien plus dangereuse et instable dans le sud et dans la région autour de la capitale somalienne, Mogadiscio.

 

[20]           Les Somaliens font face à la situation instable tous les jours. Le rapport d’Amnesty International intitulé « Les civils en Somalie, cibles et victimes ordinaires », datant du 6 mai 2008 se lit comme suit :

Conclusion : Le sud et le centre de la Somalie sont le théâtre d’une crise grave des droits humains

 

Le sud et le centre de la Somalie sont le théâtre d’une crise grave des droits humains, qui contribue largement à l’urgence humanitaire actuelle. Un million de Somaliens sont déplacés à l’intérieur de leur propre pays. Des centaines de milliers d’entre eux le sont depuis peu. […] Toute la population de Mogadiscio est traumatisée par les atteintes aux droits humains et au droit international humanitaire dont elle a été victime ou témoin. […] La population civile somalienne est régulièrement prise pour cible et soumise à de multiples atrocités et exactions dans les zones de conflit du sud et du centre du pays, le long des routes empruntées par tous ceux et toutes celles qui tentent de fuir les combats, et jusque dans les camps plus ou moins provisoires où ils cherchent à se réfugier.

 

(Dossier de requête de l’appelant, onglet 9, page 25).

 

[21]           En revanche, la situation dans le nord où l’appelant serait renvoyé semble plus stable. La Note d’orientation opérationnelle au sujet de la Somalie publiée par l’Agence frontalière du Royaume-Uni stipule à l’alinéa 2.4.5 que :

[traduction]

Le Somaliland et le Puntland sont généralement relativement stables. Un conflit de longue date existe concernant les territoires de Cayn, de Sool et de Sanaag, qui sont revendiqués à la fois par le Somaliland et le Puntland et les alliances entre les peuples Sool, Sanaag et Cayn luttent pour continuer à faire partie de l’état original de la Somalie. Une insécurité globale découlant du conflit armé continue d’être la préoccupation principale en ce qui concerne la protection dans les régions du nord-ouest du Somaliland, et il y a également eu une augmentation de violence et d’assassinats au Puntland, depuis le début de 2011, principalement à Galkacyo, à Bosaso et dans les régions autour de Gal Gala.

 

et à l’alinéa 2.4.8 :

[traduction]

L’aéroport de Mogadiscio continue de fonctionner normalement. Il y a des services aériens réguliers à plusieurs destinations en Somalie – Mogadiscio, Bosaso, Hargeisa, Berbera, Burao et Galcaiyo.

 

et aussi à l’alinéa 3.7.8 :

[traduction]

Conclusion. De vastes parties du nord de la Somalie sont relativement sécuritaires de manière générale en dépit de l’appartenance à des clans. Le Somaliland et le Puntland demeurent sécuritaires de manière générale malgré un peu de violence armée et les assassinats ciblés. Dans d’autres parties de la Somalie, il est peu probable qu’un Somalien appartenant à l’une des familles des clans principaux – leurs groupes de clan immédiats ou des sous-clans connexes – serait en mesure de démontrer qu’il a une crainte bien fondée de mauvais traitement à son retour au seul motif de leur appartenance à un clan.

 

(Dossier de requête de l’intimé, page 298).

 

[22]           Dans le rapport de Human Rights Watch intitulé « Guerre cruelle, paix cruelle : Exactions perpétrées par Al-Chabaab, le Gouvernement fédéral de transition et l’AMISOM en Somalie » à la page 179, il est indiqué que :

[traduction]

 

La Somalie demeure embourbée dans un cruel conflit entre le Gouvernement fédéral de transition (GFT), qui ne détient qu’un morceau infime de la capitale, Mogadiscio, et les groupes d’opposition armés qui ont le contrôle sur la plus grande partie du pays. Au cours de l’an dernier, les hostilités se déroulaient dans des régions stratégiques, y compris Mogadiscio, tandis que le reste de la Somalie était relativement paisible.

 

(Dossier de requête de l’appelant, onglet 15, page 174).

 

[23]           Dans un autre document fourni par l’International Crisis Group, intitulé « Somalia, The Transitional Government on Life Support », datant du 21 février 2011, à la page 231 (le « rapport de l’ICG ») :

[traduction]

 

Cependant, la situation n’est pas aussi morose qu’elle le semble. Certaines parties de la Somalie, plus particulièrement le Somaliland et le Puntland au nord, sont relativement stables et, comme l’a démontré la funeste Union des tribunaux islamiques en 2006, il est possible de réinstaurer rapidement la paix et la stabilité au sud et au centre de la Somalie si les conditions favorables sont réunies. Contrairement à ce qui est souvent présumé, il y a peu d’anarchie dans le pays. La plupart des régions sont gérées par des autorités locales qui maintiennent un minimum d’ordre public. Les Somaliens et les agences humanitaires et les ONG sur le terrain savent qui est responsable et quelles sont les règles et poursuivent leur travail.

 

(Dossier de requête de l’appelant, onglet 16, page 228).

 

[24]           À ce stade, mon devoir n’est pas d’examiner l’avis de danger du délégué ministériel. Il n’est pas non plus de mon devoir de mettre en doute toutes les conclusions de fait du délégué ministériel concernant la situation en Somalie. Cela dit, je dois tirer mes propres conclusions sur la question de savoir si M. Mohamed subira un dommage irréparable s’il est renvoyé à son pays d’origine.

 

[25]           Bien que la situation soit particulièrement difficile au sud et au centre de la Somalie, y compris à Mogadiscio, il existe aussi des éléments de preuve selon lesquels la vie quotidienne continue dans la plupart de ces régions. Comme il est formulé dans le rapport de l’Agence frontalière du Royaume-Uni intitulé [traduction] « Somalie : le rapport d’une mission d’enquête à Nairobi » :

Mis à part quelques régions, on peut voir des signes de la vie quotidienne normale à Mogadiscio, tels que les enfants jouant dans la rue. La majorité du pays est traversable, mais cela dépend de qui vous êtes. Tous ceux qui ne sont pas somaliens sont exposés à un risque, y compris l’AMISOM et les ONG. Pour les Somaliens ordinaires qui exercent leurs activités quotidiennes, Mogadiscio est raisonnablement sécuritaire. Ils peuvent aller faire leurs achats et au marché, les enfants vont à l’école. Le transport public, des minibus et le service de taxi sont disponibles. L’économie de Mogadiscio est en plein essor et florissante en l’absence de règlements. Bien des personnes ont quitté Mogadiscio, mais il y a encore des signes d’une vie normale.

 

Selon [le conseiller en sécurité], les personnes qui retournent au pays ne seraient exposées à aucun risque à Mogadiscio.

 

Agence frontalière du Royaume-Uni, Somalie : le rapport d’une mission d’enquête à Nairobi, du 9 au 15 septembre 2010, p. 22 (Affidavit de K. Lynch, pièce jointe « C ») [Dossier de requête de l’intimé, onglet 2-C].

 

(Dossier de requête de l’intimé, page 351).

 

[26]           Ces commentaires sont corroborés par le rapport de l’ICG, précité :

Contrairement à ce qui est souvent présumé, il y a peu d’anarchie dans le pays. La plupart des régions sont gérées par des autorités locales qui maintiennent un minimum d’ordre public. Les Somaliens et les agences humanitaires et les ONG sur le terrain savent qui est responsable et quelles sont les règles et poursuivent leur travail.

 

« Somalia: The Transitional Government of Life Support, datant du 21 février 2011, [Affidavit de F. Dominguez, pièce jointe « J »]

 

(Dossier de requête de l’intimé, page 352).

 

[27]           Je prends également en considération l’affidavit de M. Adam Parsons, l’agent de l’ASFC qui a été chargé d’organiser le renvoi de l’appelant du Canada.

 

[28]           M. Parsons a déposé son affidavit à l’appui du dossier de l’intimé. Il indique ce qui suit aux paragraphes 9 et 10 :
                        [traduction]

a.       L’ASFC prend des dispositions pour renvoyer M. Mohamed en Somalie. Selon mon expérience, les renvois en Somalie sont compliqués. Toutefois, la Section de l’exécution de la Loi dans les bureaux intérieurs de la région du Pacifique a renvoyé avec succès plusieurs personnes en Somalie au cours des dernières années à la suite des efforts conjoints de l’ASFC, de l’agent d’intégrité des mouvements migratoires de l’ASFC ou l’agent de liaison à l’ambassade du Canada à Nairobi (Kenya) et des lignes aériennes commerciales.

 

b.      Le protocole actuel de l’ASFC concernant le renvoi en Somalie exige une approbation préalable de la part de la ligne aérienne commerciale, qui confirme que la destination ultime suggérée est une destination qui convient à la lumière du groupe de soutien du clan ou du sous-clan de la personne renvoyée. Une fois que c’est approuvé par la ligne aérienne, le renvoi en Somalie est acheminé par Nairobi (Kenya). De Nairobi, la personne renvoyée prend un vol commercial pour Mogadiscio et ensuite à sa destination ultime en Somalie.

 

(Dossier de requête de l’intimé, page 004).

 

[29]           L’affidavit de M. Parson renvoie également à une lettre envoyée par télécopieur à l’avocat de M. Mohamed dans laquelle ce dernier indique ce qui suit :

[traduction]

Mon client m’a avisé qu’il a été informé par un agent de l’ASFC qu’il serait probablement envoyé au Kenya et de là il serait emmené à Mogadiscio (Somalie).

 

M. Mohamed demande qu’il soit emmené plutôt à Bosaso, au nord de la Somalie. Il a suggéré qu’il serait plus facile de prendre l’avion à Djibouti ensuite poursuivre son chemin de là à Bosaso. Sa demande est fondée sur la crise humanitaire qui tourmente la Somalie actuellement, en particulier dans la région de Mogadiscio. Il a également indiqué qu’il peut avoir quelques parents éloignés à Bosaso qui pouvaient l’aider dans sa réinstallation.

 

[30]           Le paragraphe 12 de l’affidavit de M. Parson renvoie plus loin à une déclaration sous serment signée par M. Mohamed où ce dernier indique [traduction] « Je suis frappé d’une mesure d’expulsion du Canada, et je suis prêt à être renvoyé à la ville de Mogadiscio ».

 

[31]           J’ai examiné les renseignements fournis par les parties concernant la situation au nord de la Somalie, particulièrement la situation dans la ville de Bosaso. J’ai également examiné les renseignements fournis par M. Parsons concernant la capacité de renvoyer M. Mohamed à Bosaso, ensemble avec les commentaires et suggestions de M. Mohamed concernant sa capacité de réinstallation à Bosaso. Je ne suis pas convaincu qu’il sera personnellement exposé à un risque de persécution au motif de la convention ni à un risque de torture ou de traitement ou de peine cruels ou inusités s’il est renvoyé en Somalie.

 

[32]           Pour ce qui est de la préoccupation de l’appelant que le présent appel devienne théorique s’il était renvoyé avant l’audience, cet inconvénient ne constitue pas en soi un préjudice irréparable. Autrement, on pourrait tirer une conclusion de préjudice irréparable chaque fois qu’une mesure de renvoi est exécutée avant l’audience d’un appel. Cela empêcherait la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’évaluer le préjudice irréparable au cas par cas. Le renvoi n’empêchera pas l’appelant de donner des instructions à son avocat depuis l’étranger.

 

[33]           Par conséquent, je n’ai pas été convaincu par l’appelant qu’il subirait un préjudice irréparable s’il était renvoyé en Somalie.

 

LA PRÉPONDÉRANCE DES INCONVÉNIENTS

[34]           La prépondérance des inconvénients penche énormément en faveur du ministre puisque la personne exposée au renvoi a été reconnue coupable d’infractions criminelles et il a été conclu qu’elle constituait un danger pour le public. Dans Sittampalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2010 CF 562, le juge Shore a résumé les facteurs qui doivent être pris en considérations dans une situation de ce type.

[70]           La Cour a eu l’occasion de rappeler que, lorsqu’un demandeur a été déclaré coupable d’actes criminels, la prépondérance des inconvénients joue largement en faveur du ministre :

[7]        Pour ce qui est du critère relatif à la répartition des inconvénients, je suis d’accord avec le raisonnement du juge Rothstein dans l’arrêt Mahadeo cCanada (Secrétaire d’État), 31 octobre 1994 (inédit), dossier de la Cour IMM‑4647‑94 (C.F. 1re inst.). Le juge Rothstein a déclaré dans cette décision que lorsqu’un requérant est coupable de fraude en matière d’aide sociale ou qu’il a été reconnu coupable d’un acte criminel au Canada, la prépondérance des inconvénients penche énormément en faveur de l’intimé. Le requérant en l’espèce a été reconnu coupable de voies de fait infligeant des blessures corporelles et cela, à mon avis, l’emporte sur toute considération ayant trait au grave choc émotif infligé à la famille du requérant.  Je conclus par conséquent que la répartition des inconvénients joue en faveur de l’intimé

[Non souligné dans l’original]

 

(Gomes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] ACF no 199 (QL), 91 FTR 264; on cite également Townsend c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 247, 53 ACWS (3e) 358, au paragraphe  6; Thamotharampillai, précité, au paragraphe 10;  Moncrieffe c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 62 ACWS (3e) 964; [1995] ACF no 1576 (QL) 1re inst, au paragraphe 13; Grant c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 141, 112 A.C.W.S. (3) 128, au paragraphe 10).

 

[71]           S’appliquent également en l’occurrence les observations faites par le juge Evans de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Tesoro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 148, [2005] 4 RCF 210, affaire dans laquelle le demandeur, qui avait été déclaré coupable de graves actes d’atteinte frauduleuse à la propriété, sollicitait un sursis au renvoi :

 

[47]      Cependant, si j’avais décidé que le renvoi de M. Tesoro causerait un préjudice irréparable, parce que les effets de la séparation familiale étaient plus que de simples inconvénients, j’aurais situé ce préjudice au bas de l’échelle de gravité et j’aurais conclu que, selon la prépondérance des inconvénients, il devait céder le pas devant l’intérêt du public dans le renvoi rapide du Canada de ceux jugés interdits de territoire pour cause de grande criminalité. Si l’on veut que l’administration du droit de l’immigration soit crédible, il faut que le renvoi des personnes visées par une mesure d’expulsion soit la règle, et que l’octroi d’un sursis en attendant l’issue d’une instance judiciaire, l’exception.

[Non souligné dans l’original]

 

[72]           La Cour doit prendre en compte le fait que M. Sittampalam est considéré comme un danger pour le public au Canada. Si une personne constitue un danger pour le public, l’intérêt public et la prépondérance des inconvénients militent contre l’octroi d’un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi (Jama c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 374, 166 ACWS (3e) 297, aux paragraphes 8, 10, 24, 25 et 32; Choubaev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 816, 115 ACWS (3d) 854, au paragraphe 17).

 

73]           En ce qui concerne l’application de l’article 196 de la LIPR, la Cour suprême a, dans l’arrêt Medovarski, précité, jugé que l’intention est de donner priorité à la sécurité du Canada Cette intention se dégage du dispositif adopté afin de faciliter le renvoi de résidents permanents qui se sont livrés à des actes criminels graves, et de l’accent que la LIPR met sur l’obligation qu’ont les résidents permanents de se conformer aux lois du Canada.

 

Sittampalam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 563, aux paragraphes 70 à 73.

           

(Dossier de requête de l’intimé, page 354).

 

[35]           En l’espèce, M. Mohamed a été aux prises avec le système de la justice pénale pendant deux décennies et, en raison de ses antécédents criminels, on a conclu qu’il était interdit de territoire au Canada et qu’il constituait un danger pour le public du Canada.

 

[36]           Nous devrions également garder à l’esprit que le ministre a une obligation juridique de renvoyer l’appelant à la première occasion.

 

[37]           Le fait que l’appelant est détenu ne milite pas en sa faveur. Au contraire, il est détenu parce qu’il a été reconnu coupable de crimes graves et qu’il constitue un danger pour le public. À sa libération, il demeurera un danger pour le public canadien. Je n’ai aucune hésitation à conclure que la prépondérance des inconvénients milite en faveur du ministre.

 

[38]           Par conséquent, bien que j’aie conclu qu’il existait une question sérieuse à trancher, étant donné que l’appelant n’est pas en mesure de me convaincre qu’il subirait un préjudice irréparable et étant donné que la prépondérance des inconvénients milite en faveur du ministre, la requête en sursis de l’appelant est rejetée.

 

 

 

« Pierre Blais »

Juge en chef

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            A-64-12

 

 

INTITULÉ :                                                                           Sharmarke Mohamed c. le MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE PAR

VIDÉOCONFÉRENCE :                                                      Le 5 avril 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LE JUGE EN CHEF BLAIS

 

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 13 avril 2012          

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Peter Edelmann

Me Jennifer Godwin-Ellis

POUR L’APPELANT

 

Me R. Keith Reimer

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Edelmann & Co. Law Offices

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR L’APPELANT

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

 

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