Décisions de la Cour d'appel fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20120413

Dossier : A-383-11

Référence : 2012 CAF 113

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE DAWSON

 

ENTRE :

MOHAMMAD ASLAM CHAUDHRY

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 26 mars 2012

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 13 avril 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                               LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LA JUGE SHARLOW

LA JUGE DAWSON

 


Date : 20120413

Dossier : A-383-11

Référence : 2012 CAF 113

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE DAWSON

 

ENTRE :

MOHAMMAD ASLAM CHAUDHRY

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EVANS

Introduction

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté par Mohammad Aslam Chaudhry à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale, datée du 19 septembre 2011, dans laquelle le juge Hughes (le juge des requêtes) a accueilli la requête présentée par la Couronne – l’intimé – afin que la Cour fédérale radie la déclaration de M. Chaudhry et rejette son action en entier sans lui accorder l’autorisation de la modifier.

 

[2]               Le juge des requêtes fonde sa décision sur deux motifs. Premièrement, la déclaration constitue un « abus de pouvoir » – je suppose qu’il voulait dire « abus de procédure » – parce qu’elle vise à faire en sorte que des questions ayant déjà été tranchées par la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale dans d’autres instances intentées par M. Chaudhry soient jugées à nouveau. Deuxièmement, elle demande à la Cour fédérale de conseiller M. Chaudhry quant aux recours dont il peut se prévaloir pour qu’une décision soit rendue relativement à ce qu’il dit être maintenant sa principale préoccupation : l’agent qui l’a licencié de la fonction publique fédérale avait‑il le pouvoir délégué de le faire?

 

[3]               Les brefs motifs contenus dans l’ordonnance rendue oralement par le juge des requêtes ne sont peut‑être pas tout à fait exacts en ce qui concerne la description de la demande de M. Chaudhry. Néanmoins, je suis convaincu qu’il a tiré la conclusion qui convenait lorsqu’il a accueilli la requête de la Couronne, radié la déclaration de M. Chaudhry et rejeté l’action de celui‑ci. Il ne fait aucun doute que l’action ne peut être couronnée de succès.

 

[4]               Les dispositions législatives relatives au présent appel qui étaient en vigueur à l’époque pertinente sont reproduites dans l’annexe ci‑jointe.

 

Le contexte

[5]               M. Chaudhry conteste depuis sept ans son licenciement de la fonction publique fédérale. Les questions soulevées dans le présent appel ont une longue histoire et certaines d’entre elles composent le contexte de la présente instance.

 

[6]               M. Chaudhry a commencé à travailler dans la fonction publique fédérale le 17 février 2003, plus précisément pour le Service correctionnel du Canada, à titre d’adjoint des services administratifs à l’Établissement de Bath. Comme tous les autres employés provenant de l’extérieur de la fonction publique, il a été nommé pour un stage de 12 mois, soit, dans son cas, jusqu’au 16 février 2004.

 

[7]               Le 16 juin 2003, il a été nommé à un poste permanent au bureau central à l’Établissement de Millhaven, à la condition qu’il termine son stage. À Millhaven, il a d’abord été préposé aux virements, puis, à compter d’octobre 2003, préposé à la saisie des données et à la libération.

 

[8]               Le directeur de l’Établissement de Millhaven a toutefois remis à M. Chaudhry, le 6 février 2004, une note de service l’informant que, en vertu du paragraphe 28(2) de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P‑33, qui a été abrogée par la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 284 (la LEFP), il serait renvoyé en cours de stage en date du 6 février 2004 pour rendement inacceptable et mauvaises relations avec ses collègues. Il a appris également qu’il ne serait plus un employé du Service correctionnel du Canada après le 7 mars 2004, à la suite d’un congé payé d’un mois.

 

(i) La décision de l’arbitre 

[9]               M. Chaudhry a présenté sans succès un grief à l’égard de son renvoi au dernier palier de la procédure de règlement des griefs de son employeur en vertu de l’article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P‑35, qui a été abrogée par la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 285 (la LRTFP). La LRTFP a été remplacée par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique actuelle, L.C. 2003, ch. 22, art. 2; il n’y a pas de différences importantes entre ces deux lois au regard des questions qui doivent être tranchées dans le présent appel.

 

[10]           M. Chaudhry a soumis son grief à un arbitre en vertu de l’article 92 de la LRTFP. Il a aussi déposé une plainte de pratique déloyale de travail auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la Commission) en vertu de l’article 23 de la LRTFP, alléguant notamment que l’employeur avait contrevenu au sous‑alinéa 8(2)c)(ii) de la LRTFP en le menaçant de représailles s’il présentait un grief concernant sa charge de travail.

 

[11]           Ian R. Mackenzie a été saisi des deux affaires : le grief en sa qualité d’arbitre de grief et la plainte en sa qualité de membre et de vice‑président de la Commission. La plainte n’est pas pertinente en l’espèce. Il suffit de dire que la Commission l’a rejetée sur le fond.

 

[12]           En réponse au grief présenté par M. Chaudhry en vertu du paragraphe 92(1) de la LRTFP, l’intimé a fait valoir que l’arbitre n’avait pas compétence pour statuer sur ce grief. Le paragraphe 92(3) prévoit que le droit de présenter un grief en vertu du paragraphe 92(1) ne s’applique pas aux licenciements prévus sous le régime de la LEFP, et M. Chaudhry a été licencié à la suite d’un renvoi en cours de stage fondé sur le paragraphe 28(2) de la LEFP.

 

[13]           S’appuyant sur la jurisprudence de la Commission, M. Chaudhry a soutenu que le paragraphe 92(3) ne s’appliquait pas à son grief parce que son renvoi en cours de stage était nul. Ce renvoi avait été décidé de mauvaise foi, il était contraire à l’équité procédurale et il constituait une mesure disciplinaire déguisée. En conséquence, il avait le droit de présenter un grief en vertu du paragraphe 92(1). 

 

[14]           L’arbitre a conclu que l’intimé avait démontré qu’il avait des raisons liées à l’emploi de licencier M. Chaudhry. Il a décrit la note de service que le directeur de l’Établissement de Millhaven avait fait parvenir à M. Chaudhry pour l’informer de son renvoi et il a déclaré, à la page 5 de ses motifs, que le directeur possédait le pouvoir délégué de renvoyer celui‑ci en cours de stage.

 

[15]           Ayant conclu que l’emploi de M. Chaudhry avait pris fin en cours de stage en vertu du paragraphe 28(2) de la LEFP, l’arbitre a statué qu’il avait compétence seulement si M. Chaudhry établissait que son licenciement avait été décidé de mauvaise foi ou constituait une mesure disciplinaire.

 

[16]           Pour démontrer la mauvaise foi de l’employeur, M. Chaudhry a fait valoir qu’il n’avait pas reçu un préavis suffisant de son licenciement qui lui aurait permis de répondre et de corriger les lacunes concernant son rendement. Il prétendait que l’employeur n’avait pas suivi la procédure préalable au licenciement qui est prévue par les Lignes directrices du Conseil du Trésor concernant la rétrogradation et le licenciement pour un motif valable (Secrétariat du Conseil du Trésor, Ottawa, Division des relations de travail et des activités de rémunération, juillet 2002) (les Lignes directrices).

 

[17]           L’arbitre a rejeté cette prétention particulière parce qu’une note contenue dans les Lignes directrices indique que celles‑ci ne s’appliquent pas aux renvois en cours de stage, lesquels continuent d’être régis par la LEFP. Après avoir examiné la preuve dans son ensemble, il a conclu que M. Chaudhry ne s’était pas acquitté de son fardeau de prouver que son renvoi en cours de stage avait été décidé de mauvaise foi ou constituait une mesure disciplinaire déguisée. M. Chaudhry ayant été avisé de son renvoi en vertu du paragraphe 28(2) de la LEFP, l’arbitre n’avait donc pas compétence pour statuer sur le grief en raison du paragraphe 92(3) de la LRTFP.

 

[18]           Un représentant de son agent négociateur, l’Alliance de la Fonction publique du Canada, a représenté M. Chaudhry tout au long des procédures. Les décisions de l’arbitre et de la Commission sont répertoriées sous Chaudhry c. Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada), 2005 CRTFP 72.

 

(ii) La décision de la Cour fédérale

[19]           M. Chaudhry a présenté à la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire visant le rejet de son grief et de sa plainte. Après avoir instruit la demande le 26 février 2007, la juge Simpson l’a rejetée à l’égard à la fois du grief et de la plainte dans une décision motivée datée du 13 avril 2007 et publiée à 2007 CF 389.

 

[20]           La Cour fédérale a statué que l’arbitre n’avait commis aucune erreur susceptible de contrôle en rejetant le grief de M. Chaudhry concernant son licenciement au motif qu’il n’avait pas compétence pour l’instruire selon le paragraphe 92(1) de la LRTFP. Elle a rejeté sa prétention selon laquelle l’employeur avait porté atteinte aux droits qui lui sont garantis en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés et de la Déclaration canadienne des droits en ne lui donnant pas un préavis suffisant de son licenciement. La Cour fédérale a convenu avec la Commission que les Lignes directrices ne s’appliquaient pas au licenciement de M. Chaudhry parce que celui‑ci avait été renvoyé en cours de stage.

 

[21]           La Cour fédérale a statué également qu’elle n’avait pas compétence à l’égard du rejet de la plainte de M. Chaudhry visée à l’article 23 parce qu’il s’agissait d’une décision de la Commission. Cette décision pouvait donc être contrôlée seulement par la Cour d’appel fédérale conformément à l’alinéa 28(1)i) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7. M. Chaudhry n’a pas demandé à la cette cour de contrôler le rejet de sa plainte visée à l’article 23 de la LRTFP.

 

(iii) La décision de la Cour d’appel fédérale

[22]           M. Chaudhry a interjeté appel à la Cour d’appel fédérale de la décision rendue par la Cour fédérale relativement à son grief concernant son licenciement, mais non de la décision relative à sa plainte. Dans son appel, il prétendait que son licenciement était invalide parce que le paragraphe 28(2) de la LEFP confère le pouvoir de renvoyer un fonctionnaire à l’administrateur général – au sens de l’article 2 de la LEFP – et que la preuve n’indiquait pas que le directeur de l’Établissement de Millhaven avait le pouvoir de l’aviser de son intention de le renvoyer en cours de stage.

 

[23]           La Cour d’appel fédérale a refusé de trancher cette question, que M. Chaudhry n’avait pas invoquée dans son avis de demande de contrôle judiciaire, ni dans son mémoire des faits et du droit déposé auprès de la Cour fédérale. S’opposant à la demande présentée par M. Chaudhry afin que la Cour d’appel fédérale examine la question du pouvoir du directeur de le licencier, l’avocat de l’intimé a dit qu’il aurait produit une preuve s’il avait été avisé de cette question plus tôt.

 

[24]           La Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel, essentiellement pour les motifs donnés par la Cour fédérale. La décision est publiée à 2008 CAF 61. La Cour suprême du Canada a rejeté la demande d’autorisation de pourvoi de M. Chaudhry : [2008] CSCR no 349. 

 

[25]           J’ajouterais seulement que M. Chaudhry se représentait lui‑même devant la Cour fédérale dans le cadre du contrôle judiciaire, ainsi qu’en appel devant la Cour d’appel fédérale. En tant que profane, il n’y a aucun doute qu’il a dû trouver frustrant les obstacles en matière de compétence qui ont empêché l’arbitre de statuer sur son grief et la Cour fédérale de contrôler le rejet de sa plainte par la Commission. Il doit aussi avoir été déçu d’entendre la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale lui dire qu’elles ne décideraient pas si le pouvoir de l’administrateur général de renvoyer un employé en cours de stage avait été subdélégué au directeur parce qu’il n’avait pas soulevé la question dans son avis de demande ou dans le mémoire des faits et du droit qu’il avait déposé auprès de la Cour fédérale.

 

(iv) Le réexamen par l’arbitre

[26]           En janvier 2009, M. Chaudhry a demandé à la Commission de réexaminer, en vertu de l’article 43 de la LRTFP, sa décision de rejeter sa plainte. La Commission a rejeté la demande pour cause de retard et d’absence de fondement; la décision est publiée à 2009 CRTFP 39. La demande de M. Chaudhry était fondée, au moins en partie, sur l’absence d’une preuve démontrant que le directeur avait le pouvoir de renvoyer des employés en cours de stage.

 

[27]           Le vice‑président Mackenzie a souligné que M. Chaudhry semblait avoir commencé à être préoccupé par la question de la délégation en janvier 2007, tout juste avant l’audition de sa demande de contrôle judiciaire par la Cour fédérale. Il a cependant statué que cette question n’était pas pertinente au regard de sa plainte de pratique déloyale de travail visée à l’article 23 de la LRTFP. La demande de réexamen vise seulement la plainte. Les décisions rendues par les arbitres relativement à des griefs ne peuvent faire l’objet d’un réexamen en vertu de la loi.

 

Les questions en litige et l’analyse

[28]           La réouverture d’une question déjà tranchée : M. Chaudhry affirme que le juge des requêtes a commis une erreur en rejetant son action au motif qu’il cherchait à rouvrir des questions qui avaient déjà été tranchées par la Cour fédérale et par la Cour d’appel fédérale. Il soutient que ni la Commission ni les Cours fédérales ne se sont prononcées sur la question qu’il estime maintenant être fondamentale au regard de la légalité de son licenciement, à savoir le pouvoir du directeur de le renvoyer en cours de stage. En conséquence, on ne peut considérer, selon lui, que la présente action constitue une tentative de rouvrir une question alors que celle‑ci n’a jamais été tranchée.

 

[29]           Je ne suis pas d’accord avec lui. L’interdiction générale visant la réouverture de questions déjà tranchées s’applique à la fois aux questions qui ont été tranchées par un tribunal administratif et à celles que la partie aurait pu soulever devant le tribunal et ne l’a pas fait. M. Chaudhry aurait pu soulever la question du pouvoir du directeur dans le cadre du grief visant son licenciement qu’il a présenté en vertu de l’article 91 de la LRTFP et qui a été examiné selon la procédure interne de règlement des griefs.

 

[30]           Si les décideurs avaient repoussé cet argument et rejeté le grief, M. Chaudhry aurait pu présenter une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale afin que celle‑ci décide si le directeur avait le pouvoir de le renvoyer en cours de stage, une question de droit.

 

[31]           De plus, M. Chaudhry aurait pu invoquer la question de l’absence de pouvoir dans le cadre de son grief concernant son licenciement qu’il a renvoyé à la Commission en vertu de l’article 92 de la LRTFP. La question de savoir si le directeur avait légalement le pouvoir de le renvoyer en cours de stage aurait pu constituer la preuve que son licenciement avait été décidé de mauvaise foi et aurait pu permettre à l’arbitre de statuer sur le grief. La question n’a pas été examinée par la Cour fédérale ni par la Cour d’appel fédérale dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire visant la décision de l’arbitre parce que M. Chaudhry ne l’avait pas soulevée dans son avis de demande et dans son mémoire des faits et du droit.

 

[32]           Il ne fait donc aucun doute que M. Chaudhry a eu des occasions de contester le pouvoir légal du directeur dans le cadre de son grief visé à l’article 91 et, peut‑être aussi, devant la Commission dans le cadre de son grief visé à l’article 92.

 

[33]           La seule question qu’il reste à trancher consiste à déterminer s’il y avait un fondement sur lequel le juge pouvait s’appuyer pour exercer son pouvoir discrétionnaire et permettre à l’action d’aller de l’avant, malgré le fait que M. Chaudhry n’avait pas fait valoir précédemment que le pouvoir de le renvoyer en cours de stage n’avait pas été subdélégué au directeur. À mon avis, il n’y en avait pas.

 

[34]           M. Chaudhry a lui‑même admis, lors de l’audition du présent appel, qu’il s’était intéressé à la question de savoir si le directeur jouissait du pouvoir subdélégué nécessaire en janvier 2007 seulement, lorsqu’il se préparait en vue de l’audition de sa demande de contrôle judiciaire. Il a affirmé qu’il avait supposé auparavant que les Lignes directrices s’appliquaient à son licenciement. Le point 1 des Lignes directrices, intitulé « Autorisation », indique que le paragraphe 12(3) de la Loi sur la gestion des finances publiques prévoit qu’un administrateur général peut subdéléguer le pouvoir de licenciement pour des raisons autres qu’un manquement à la discipline ou une inconduite. Lorsqu’il s’est rendu compte que les renvois en cours de stage n’étaient pas régis par les Lignes directrices, mais par la LEFP, M. Chaudhry s’est demandé si le pouvoir de l’administrateur général de renvoyer un employé en cours de stage, prévu au paragraphe 28(2) de la LEFP, avait été subdélégué au directeur.

 

[35]           Sans exprimer d’opinion sur le bien‑fondé des prétentions de M. Chaudhry, j’aimerais faire ressortir les points suivants.

 

[36]           Premièrement, dans sa lettre du 6 février 2004 avisant M. Chaudhry de son renvoi en cours de stage, le directeur a indiqué que celui‑ci était licencié en vertu du paragraphe 28(2) de la LEFP.

 

[37]           Deuxièmement, dans sa décision du 13 juillet 2005, par laquelle il a rejeté le grief de M. Chaudhry au motif qu’il excédait la compétence qui lui était conférée à l’article 92 de la LRTFP, l’arbitre a déclaré que les Lignes directrices ne s’appliquent pas à des employés en cours de stage : 2005 CRTFP 72, au paragraphe 115. Il a cependant exprimé l’avis (au paragraphe 5) que le directeur « possédait le pouvoir délégué d’effectuer le renvoi en cours de stage (pièce E‑17) ». La pièce A‑17 renferme les Lignes directrices : voir 2007 CF 389, au paragraphe 433.

 

[38]           Troisièmement, le fait que les Lignes directrices ne s’appliquent pas au renvoi d’un employé en cours de stage n’est pas déterminant en ce qui a trait au pouvoir du directeur de licencier M. Chaudhry en vertu du paragraphe 28(2) de la LEFP. Le paragraphe 6(5) de la LEFP permet à un administrateur général de subdéléguer l’exercice des pouvoirs que lui confère la Loi.

 

[39]           Quatrièmement, la juge Simpson ne mentionne pas expressément la question du pouvoir subdélégué du directeur dans les motifs qu’elle a donnés pour rejeter la demande de contrôle judiciaire de M. Chaudhry visant la décision de l’arbitre. Cette question semble cependant avoir été incluse dans les neuf points soulevés par M. Chaudhry sous le titre [traduction] « Erreurs et omissions », que la juge Simpson a refusé d’examiner (au paragraphe 41) parce qu’il n’en était pas question dans son mémoire des faits et du droit.

 

[40]           Compte tenu de l’ensemble des circonstances, il n’y a aucune raison de permettre à M. Chaudhry de soulever la question dans le cadre de la présente action ou dans une instance subséquente. L’intérêt public qui consiste à assurer le caractère définitif des litiges doit prévaloir.

 

[41]           Le refus de fournir des renseignements : Dans sa déclaration, M. Chaudhry affirme que la Couronne a l’obligation de lui assurer un accès à un tribunal indépendant et impartial qui statuera sur ses droits et de lui dire quel tribunal a compétence pour déterminer si le directeur de l’Établissement de Millhaven avait légalement le pouvoir délégué de le licencier.

 

[42]           M. Chaudhry prétend que le juge des requêtes n’a pas bien compris la déclaration puisqu’il pensait qu’il demandait à la Cour fédérale des conseils sur le tribunal auquel il devait s’adresser pour obtenir une décision sur la question de savoir si le directeur avait le pouvoir subdélégué de le renvoyer en vertu du paragraphe 28(2) de la LEFP. En fait, dans sa déclaration, M. Chaudhry demandait à la Cour fédérale d’ordonner à l’intimé de lui fournir cette information.

 

[43]           Même si le juge des requêtes a commis une erreur comme M. Chaudhry l’allègue, cette erreur n’est pas importante. Comme il a été expliqué ci‑dessus, le législateur avait donné à M. Chaudhry la possibilité de contester le pouvoir légal du directeur. M. Chaudhry aurait pu soulever cette question dans le cadre du grief concernant son renvoi en cours de stage qu’il a présenté en vertu de l’article 91 de la LRTFP. Si l’argument n’avait pas été retenu, il aurait pu présenter à la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire visant le rejet de son grief et, au besoin, interjeter ensuite appel à la Cour d’appel fédérale.

 

[44]           Il aurait pu probablement aussi soulever la question du pouvoir du directeur devant l’arbitre. Si celui‑ci avait néanmoins rejeté son grief visé à l’article 92 de la LRTFP, il aurait pu aborder la question dans son avis de demande de contrôle judiciaire et dans son mémoire des faits et du droit. Comme il ne l’a pas fait, la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont refusé de trancher la question. 

 

[45]           Ainsi, à mon avis, M. Chaudhry a eu, en vertu de la loi, suffisamment d’occasions d’obtenir une décision sur le pouvoir légal du directeur de le licencier. Malheureusement, il n’en a pas profité. En conséquence, sa déclaration est dénuée de fondement dans la mesure où elle suppose qu’il n’a pas eu la possibilité de soumettre la question aux tribunaux. En outre, la Couronne n’a aucune obligation légale de donner des conseils juridiques ou des renseignements aux personnes qui intentent des poursuites contre elle. Dans un système accusatoire, les parties doivent obtenir elles‑mêmes des conseils juridiques; elles ne peuvent pas compter sur leurs adversaires, y compris la Couronne, pour leur en donner. 

 

[46]           Pour être clair, je répète que je ne me prononce pas sur la question de savoir si la prétention de M. Chaudhry selon laquelle le directeur n’avait pas le pouvoir de l’aviser de son intention de le renvoyer en cours de stage en vertu du paragraphe 28(2) de la LEFP est fondée. M. Chaudhry aurait dû demander une preuve que l’administrateur général avait subdélégué ce pouvoir au directeur en vertu du paragraphe 6(5) de la LEFP lorsqu’il a présenté son grief visant son licenciement en vertu des articles 91 et 92 de la LRTFP.

 

[47]           Pour tous ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

 

« John M. Evans »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

            K. Sharlow, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


ANNEXE A

 

 

Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-33.

 

6. (5) Sous réserve du paragraphe (6), un administrateur général peut autoriser des subordonnés ou toute autre personne à exercer l’un des pouvoirs et fonctions que lui confère la présente loi, y compris, mais avec l’approbation de la Commission et conformément à la délégation de pouvoirs accordée par celle-ci en vertu du présent article, l’un de ceux que la Commission l’a autorisé à exercer.

 

 

 

 

28. (2) À tout moment au cours du stage, l’administrateur général peut aviser le fonctionnaire de son intention de le renvoyer, pour un motif déterminé, au terme du délai de préavis fixé par la Commission pour lui ou la catégorie de fonctionnaires dont il fait partie. Le fonctionnaire perd sa qualité de fonctionnaire au terme de cette période.

6. (5) Subject to subsection (6), a deputy head may authorize one or more persons under the jurisdiction of the deputy head or any other person to exercise and perform any of the powers, functions or duties of the deputy head under this Act including, subject to the approval of the Commission and in accordance with the authority granted by it under this section, any of the powers, functions and duties that the Commission has authorized the deputy head to exercise and perform.

 

28. (2) The deputy head may, at any time during the probationary period of an employee, give notice to the employee that the deputy head intends to reject the employee for cause at the end of such notice period as the Commission may establish for that employee or any class of employees of which that employee is a member, and the employee ceases to be an employee at the end of that period.

 

 

Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35.

 

8. (2) Sous réserve du paragraphe (3), il est interdit :

[…]

c) de chercher, notamment par intimidation, par menace de destitution ou par l’imposition de sanctions pécuniaires ou autres, à obliger un fonctionnaire :

[…]

(ii)               à s’abstenir d’exercer tout autre droit que lui accorde la présente loi.

 

23. (1) La Commission instruit toute plainte dont elle est saisie et selon laquelle l’employeur ou une organisation syndicale ou une personne agissant pour le compte de celui-là ou de celle-ci n’a pas, selon le cas :

 

a) observé les interdictions énoncées aux articles 8, 9 ou 10;

[…]

 

91. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et si aucun autre recours administratif de réparation ne lui est ouvert sous le régime d’une loi fédérale, le fonctionnaire a le droit de présenter un grief à tous les paliers de la procédure prévue à cette fin par la présente loi, lorsqu’il s’estime lésé :

[…]

 

b) par suite de tout fait autre que ceux mentionnés aux sous-alinéas a)(i) ou (ii) et portant atteinte à ses conditions d’emploi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

92. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief portant sur :

[…]

 

c) dans les autres cas, une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la suspension ou une sanction pécuniaire.

 

 

[…]

 

 

 

 

 

 

 

(3) Le paragraphe (1) n’a pas pour effet de permettre le renvoi à l’arbitrage d’un grief portant sur le licenciement prévu sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique.

 

[…]

 

8. (2) Subject to subsection (3), no person shall

(c) seek by intimidation, threat of dismissal or any other kind of threat, by the imposition of a pecuniary or any other penalty or by any other means to compel an employee

(ii)    to refrain from exercising any other right under this Act.

 

 

23. (1) The Board shall examine and inquire into any complaint made to it that the employer or an employee organization, or any person acting on behalf of the employer or employee organization, has failed

 

(a) to observe any prohibition contained in section 8, 9 or 10;

 

91. (1) Where any employee feels aggrieved

 

 

 

 

 

 

 

(b) as a result of any occurrence or matter affecting the terms and conditions of employment of the employee, …

 

in respect of which no administrative procedure for redress is provided in or under an Act of Parliament, the employee is entitled, subject to subsection (2), to present the grievance at each of the levels, up to and including the final level, in the grievance process provided for by this Act.

 

 

92. (1) Where an employee has presented a grievance, up to and including the final level in the grievance process, with respect to

 

 

 

(c) in the case of an employee not described in paragraph (b), disciplinary action resulting in termination of employment, suspension or a financial penalty,

 

and the grievance has not been dealt with to the satisfaction of the employee, the employee may, subject to subsection (2), refer the grievance to adjudication.

 

 

(3) Nothing in subsection (1) shall be construed or applied as permitting the referral to adjudication of a grievance with respect to any termination of employment under the Public Service Employment Act.

 

 

 

 

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7.

 

28. (1) La Cour d’appel fédérale a compétence pour connaître des demandes de contrôle judiciaire visant les offices fédéraux suivants :

 

 

[…]

 

i) la Commission des relations de travail dans la fonction publique constituée par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique;

28. (1) The Federal Court of Appeal has jurisdiction to hear and determine applications for judicial review made in respect of any of the following federal boards, commissions or other tribunals:

 

 

(i) the Public Service Labour Relations Board established by the Public Service Labour Relations Act;

 


 

COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                   A-383-11

 

INTITULÉ :                                                 MOHAMMAD ASLAM CHAUDHRY c.

                                                                       LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                         Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                        Le 26 mars 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                      LE JUGE EVANS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                  LA JUGE SHARLOW

                                                                       LA JUGE DAWSON

 

DATE DES MOTIFS :                                Le 13 avril 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mohammad Aslam Chaudhry

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Jessica M. Winbaum

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.