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Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20120320

Dossier : A-362-09

Référence : 2012 CAF 95

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

ENTRE :

RON BALLANTYNE

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

Audience tenue à Winnipeg (Manitoba), le 16 novembre 2011.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 20 mars 2012.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                               LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LE JUGE PELLETIER

LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

 


Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20120320

Dossier : A-362-09

Référence : 2011 CAF 95

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

ENTRE :

RON BALLANTYNE

appelant

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EVANS

[1]               Ron Ballantyne est un Indien inscrit et un membre de la Première Nation de Grand Rapids. Il a toujours vécu dans la réserve de Grand Rapids (la réserve), qui est située sur les rives du lac Winnipeg au Manitoba.

 

[2]               Dans une décision datée du 16 juin 2009 et publiée sous 2009 CCI 325, le juge Webb (le juge) de la Cour canadienne de l’impôt a rejeté l’argument de M. Ballantyne voulant que le ministre du Revenu national (le ministre) ait inclus par erreur dans son revenu pour les années d’imposition 2001 et 2002 un revenu qu’il avait tiré de son entreprise de pêche commerciale.

[3]               Le juge a conclu que le revenu en question n’était pas situé sur une réserve et n’était donc pas exempté de taxation en vertu de l’alinéa 87(1)b) de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I‑5, au titre des « biens meubles d’un Indien […] situés sur une réserve ».

 

[4]               Le juge a résumé ainsi (au paragraphe 77) les motifs de sa décision :

L’appelant pêchait à l’extérieur de la réserve; pendant la saison de pêche, il passait la plus grande part de son temps de travail pour l’entreprise à l’extérieur de la réserve; il vendait tout le poisson pêché à l’Office [de commercialisation du poisson d’eau douce], qui est situé à l’extérieur de la réserve et qui transportait le poisson à l’extérieur de la réserve le plus rapidement possible. L’appelant ne vendait aucune de ses prises sur la réserve. J’ai conclu que les activités de pêche de l’appelant faisaient qu’il participait au commerce général, et que les revenus que l’appelant en tirait ne sont pas visés par l’exemption de taxation prévue à l’article 87 de la Loi sur les Indiens.

 

[5]               M. Ballantyne interjette appel de cette décision devant la Cour. L’audition de son appel a été ajournée pour permettre à la Cour de l’entendre en même temps que le groupe d’appels interjetés par le ministre à l’encontre des décisions rendues par la Cour de l’impôt dans Robertson c. Sa Majesté la Reine et Saunders c. Sa Majesté la Reine, publiées sous la référence 2010 CCI 552 (Robertson).

 

[6]               La Cour a rejeté l’appel dans Robertson, et cet arrêt est rendu en même temps que le présent arrêt. Il est publié sous la référence 2012 CAF 94. Pour les motifs exposés par la Cour dans l’arrêt Robertson, je suis d’avis d’accueillir l’appel de M. Ballantyne.

 

[7]               Les faits pertinents du présent appel ressemblent beaucoup à ceux de l’affaire Robertson. En bref, M. Ballantyne est un pêcheur travaillant à son compte depuis 1976, et est propriétaire de deux quotas de pêche qui lui permettent d’exercer ce métier. Il pêche la moitié du temps à un endroit sur le lac Winnipeg situé près de sa résidence, et l’autre moitié dans la baie Gull, également sur le lac Winnipeg, à 45 minutes de route. Lorsqu’il s’éloigne de son domicile pour pêcher, il partage son temps entre deux camps de pêche situés sur le lac Winnipeg. Il effectue ses opérations bancaires sur la réserve.

 

[8]               M. Ballantyne est membre de la Grand Rapids Fishermen’s Co-op (la coopérative des pêcheurs de Grand Rapids, ci-après « la coopérative »), une institution située sur la réserve qui compte approximativement 104 membres. Environ 99 de ces membres sont des Indiens visés par un traité, tandis que les cinq autres sont d’ascendance autochtone mixte. La coopérative a ses propres employés, qui travaillent à son bureau administratif et à son poste d’emballage, situés tous deux sur la réserve. La coopérative aide les pêcheurs en leur vendant des fournitures (comme de l’huile, de l’essence et des filets) à crédit. Elle agit également à titre de mandataire de l’Office de commercialisation du poisson d’eau douce (l’Office) dans l’achat et la vente de poisson, et comme représentante des pêcheurs lorsqu’il s’agit de traiter avec l’Office. Bien que la coopérative ait été créée avant la constitution de l’Office, l’arrangement actuel entre les pêcheurs, la coopérative et l’Office est décrit ci-dessous.

 

[9]               La coopérative trie, classe et emballe le poisson que lui apportent ses membres, et remet à ceux‑ci des reçus correspondant à leurs prises. L’Office passe ensuite prendre le poisson au poste d’emballage de la coopérative situé sur la réserve pour ultérieurement vendre le poisson sur les marchés nationaux et internationaux. L’Office transfère des fonds à la coopérative sur la base des reçus remis aux pêcheurs. Le montant transféré à la coopérative en fiducie pour les pêcheurs équivaut à 85 % de la valeur marchande prévue par l’Office pour les différentes espèces de poisson vendues pendant l’exercice. En plus des sommes collectées auprès de la coopérative, les pêcheurs reçoivent directement de l’Office, à la fin de chaque exercice, un chèque correspondant à la différence entre 85 % de la valeur marchande prévue et la valeur marchande réelle, le cas échéant.

 

[10]           Étant donné que je me fonde sur les motifs exposés dans l’arrêt Robertson, je n’ai pas à énoncer en détail les motifs du présent arrêt. Cependant, en toute déférence pour le juge, dont la décision a été rendue avant les arrêts de la Cour suprême du Canada dans Bastien c. Canada, 2011 CSC 38, [2011] 2 R.C.S. 710 (Bastien) et Dubé c. Canada, 2011 CSC 39, [2011] 2 R.C.S. 764, je tiens à souligner deux aspects de son analyse qui, à la lumière de l’arrêt Bastien et de l’arrêt de la Cour dans Robertson, semblent, avec égards, l’avoir mis sur une fausse piste.

 

[11]           D’abord, le juge a accordé beaucoup de poids au fait que tout le poisson était vendu à l’extérieur de la réserve : tant l’Office, qui achetait le poisson de M. Ballantyne, que les clients de l’Office étaient à l’extérieur de la réserve. Cependant, comme il est expliqué dans l’arrêt Robertson (aux paragraphes 75 à 79), ce que l’Office faisait avec le poisson après l’avoir acheté des pêcheurs est très peu pertinent pour déterminer le situs du revenu tiré de l’entreprise de pêche. Le juge a également eu tort d’accorder plus d’importance à l’Office, comme client de l’entreprise des pêcheurs, qu’à la coopérative, l’institution située sur la réserve avec laquelle les pêcheurs faisaient affaire et par l’intermédiaire de laquelle le poisson était vendu. La coopérative jouait un rôle crucial et prépondérant dans tous les aspects des entreprises de pêche de ses membres.

 

[12]           Ensuite, le juge a affirmé que les activités de pêche de M. Ballantyne étaient exercées dans le cours du commerce général et n’étaient donc pas exemptées de taxation en vertu de l’article 87. Le fondement principal de cette conclusion semble avoir été que le poisson était vendu à l’extérieur de la réserve et, dans une moindre mesure, qu’il était pêché à l’extérieur de la réserve également. Il était aussi d’avis (au paragraphe 14) qu’une activité ne pouvait pas à la fois être menée dans le cours du commerce général et faire partie intégrante de la vie sur la réserve.

 

[13]           L’arrêt Bastien (au paragraphe 52) met toutefois en garde contre l’utilisation du principe du « marché ordinaire » pour conclure qu’un revenu n’est pas situé sur une réserve. La Cour a également affirmé (au paragraphe 54) que, même s’il est gagné sur le « marché ordinaire », un revenu peut quand même être suffisamment lié à une réserve pour être situé sur celle‑ci au sens de l’article 87 : comparer avec les motifs énoncés par le juge Hershfield dans l’arrêt Robertson (aux paragraphes 144 et 145). C’est d’ailleurs sur ce fondement que la juge Valerie Miller, dans MacDonald c. Canada, 2011 CCI 437, une autre affaire portant sur un revenu de pêche, mais tranchée après l’affaire Bastien, a fait droit à la prétention de l’appelant voulant que son revenu soit exempté de taxation en vertu de l’article 87.

 

[14]           Je remarque également cinq différences factuelles entre les affaires Ballantyne et Robertson.

 

[15]           Premièrement, contrairement à M. Saunders, un des intimés dans l’affaire Robertson, M. Ballantyne vivait dans la réserve, où il entreposait aussi son équipement et les dossiers de son entreprise.

 

[16]           Deuxièmement, contrairement aux postes d’emballage utilisés par MM. Robertson et Saunders, le poste d’emballage où M. Ballantyne livrait ses prises, et où les reçus pour les prises étaient remis, était situé sur la réserve.

 

[17]           Troisièmement, la plupart du temps, il nettoyait aussi son poisson au poste d’emballage situé sur la réserve, tandis que MM. Robertson et Saunders nettoyaient habituellement le leur à l’extérieur de la réserve.

 

[18]           À mon avis, ces différences, qui peuvent sembler peu importantes, renforcent, au lieu de l’affaiblir, le lien entre la réserve et le revenu que M. Ballantyne a tiré de son entreprise de pêche.

 

[19]           Quatrièmement, le juge ne disposait pas d’une preuve historique aussi abondante que celle présentée au juge Hershfield dans l’affaire Robertson. Cependant, à mon avis, l’historique de la pêche commerciale est loin d’avoir été déterminant quant à l’ultime question en litige : le revenu d’entreprise tiré de la pêche était‑il situé sur la réserve?

 

[20]           Cinquièmement, M. Ballantyne est propriétaire de deux quotas de pêche, qui déterminent la quantité et les espèces de poisson qu’il peut pêcher dans une saison, tandis que dans l’affaire Robertson, les quotas de pêche appartenaient à la coopérative, qui les distribuait aux pêcheurs. Cependant, tous les autres rôles que la coopérative a joués dans l’entreprise de pêche de M. Ballantyne ainsi que l’ensemble des circonstances de la présente affaire doivent être pris en compte. Je ne suis pas convaincu que le fait que la coopérative n’ait pas été propriétaire des quotas affaiblit le lien entre la réserve et l’entreprise de pêche à tel point que le revenu tiré de celle‑ci n’était pas situé sur une réserve.

 

[21]           Pour ces motifs, et pour ceux exposés par la Cour dans l’arrêt Robertson, j’accueillerais l’appel avec dépens devant notre Cour et devant la juridiction inférieure, j’annulerais la décision de la Cour de l’impôt et je renverrais l’affaire au ministre pour qu’il établisse une nouvelle cotisation conformément aux présents motifs.

 

« John M. Evans »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

            J.D. Denis Pelletier j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            Carolyn Layden-Stevenson j.c.a. »

 

Traduction certifiée conforme

Diane Provencher, trad. a.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                          A-362-09

 

 

INTITULÉ :                                                        RON BALLANTYNE c.

                                                                              SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                               Le 16 novembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                             LE JUGE EVANS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                         LES JUGES PELLETIER ET

                                                                              LAYDEN-STEVENSON

 

 

DATE DES MOTIFS :                                       Le 20 mars 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

R. Ivan Holloway

Shawn C. Scarcero

POUR L’APPELANT

 

 

Bonnie F. Moon

Melissa Danish

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

D’Arcy & Deacon LLP

Winnipeg (Manitoba)

POUR L’APPELANT /

DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 

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