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Date : 20120208

Dossiers : A-265-11

A-266-11

Référence : 2012 CAF 43

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

ROBERT GRAVEL

appelant

et

TELUS COMMUNICATIONS INC.

intimée

 

 

 

 

 

 

 

 

Audience tenue à Québec (Québec), le 31 janvier 2012.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 8 février 2012.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT PAR LA COUR

 


Cour d'appel fédérale

    CANADA

Federal Court of Appeal

Date : 20120208

Dossiers : A-265-11

A-266-11

Référence : 2012 CAF 43

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NOËL

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

ROBERT GRAVEL

appelant

et

TELUS COMMUNICATIONS INC.

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA COUR

 

Les faits à l’origine des présents appels

 

[1]               Nous sommes saisis de deux appels réunis pour fin d’audition par une ordonnance du 16 août 2011 émise par notre collègue, Madame la juge Trudel. Les appels furent logés à l’encontre d’une décision du juge Beaudry (juge) de la Cour fédérale rendue dans les dossiers T-2086-09 et T-2087-09.

 

[2]               Par sa décision du 7 juin 2011, le juge rejetait deux demandes de contrôle judiciaire initiée par l’appelant à l’encontre de deux sentences arbitrales rendues par un arbitre de griefs (arbitre). La première de ces sentences faisait suite à une plainte de congédiement injuste déposée par l’appelant à l’encontre de son employeur Telus Communications Inc., intimée dans les présentes instances d’appel. La seconde portait sur des réclamations salariales et autres bénéfices que l’appelant s’estimait en droit de recevoir dans les circonstances.

 

[3]               Au terme d’une audition qui a duré quinze (15) jours, l’arbitre a conclu le 6 novembre 2009, dans une décision fort élaborée et détaillée de 184 paragraphes, que la cessation d’emploi de l’appelant résultait non pas d’un congédiement, mais plutôt d’un licenciement suite à une réorganisation nationale par l’intimée de certains des services qu’elle offrait. Cette réorganisation passait, selon l’arbitre, par la suppression de postes de « Sales Specialist (SS) rattachés à la division National Applicative Solution (NAS) de l’unité d’affaires Telus Solution d’Affaires/Telus Business Solution (TBS) » : voir le paragraphe 20 de la sentence arbitrale du 6 novembre 2009. L’appelant occupait un tel poste. Conséquemment, l’arbitre s’est dit sans compétence pour remédier à la plainte de congédiement injuste de l’appelant.

 

[4]               La deuxième sentence arbitrale porte la date du 12 novembre 2008 et est tout aussi explicite que la première. Elle contient 196 paragraphes de faits et d’analyse. Elle accueille l’appel de l’employeur, rejette celui de l’employé (l’appelant dans les présents appels) et ordonne le remboursement à l’employeur d’une somme de 34 079,55 $ qui avait été mise en fiducie pour le compte de l’appelant.

 

La décision du juge de la Cour fédérale

 

[5]               Le juge saisi des demandes de contrôle judiciaire a appliqué à la révision des sentences arbitrales la norme de la décision raisonnable. Il a jugé que les conclusions de l’arbitre étaient étayées, logiques et basées sur la preuve de sorte qu’une intervention de sa part n’était ni souhaitable et ni justifiable selon les normes juridiques applicables en la matière : voir les motifs de sa décision aux paragraphes 19, 30, 32, 36 et 43 à 47.

 

[6]               L’appelant s’est aussi plaint d’un manquement à l’équité procédurale lors du déroulement des auditions devant l’arbitre. Pour l’analyse de cette question, le juge s’est servi de la norme de la décision correcte. Il a estimé que l’appelant n’avait pu se décharger de son fardeau de prouver qu’il y avait eu une violation de l’équité procédurale : ibidem, aux paragraphes 55 à 60. De là le rejet des demandes de contrôle judiciaire.

 

Analyse de la décision du juge

 

[7]               On ne peut que déplorer le fait qu’en aucun moment l’appelant n’a bénéficié d’une représentation par procureur, particulièrement à l’étape cruciale de l’audition devant l’arbitre. Nous l’avons donc informé des limites de nos pouvoirs en appel d’une décision de la Cour fédérale en matière de révision judiciaire de sentences arbitrales. Nous lui avons indiqué qu’il devait nous convaincre que le juge avait commis soit des erreurs de droit, soit des erreurs de fait ou mixtes de fait et de droit manifestes et dominantes qui justifieraient en fait ou en droit notre intervention. Enfin, nous lui avons aussi indiqué qu’au besoin, et dans les limites que nous impose notre fonction d’adjudication, nous l’assisterions et le guiderions dans le déroulement de l’audience.

 

[8]               En appel, comme en révision judiciaire, l’appelant faisait face à un défi titanesque. Premièrement, les sentences arbitrales doivent faire l’objet d’une grande déférence de notre part et, comme l’a décidé à juste titre le juge, elles sont soumises à la norme de la décision déraisonnable pour fin d’intervention : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [1008] 1 R.C.S. 190; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, [2009] 1 R.C.S. 339.

 

[9]               Deuxièmement, les griefs de la nature de ceux soulevés par l’appelant reposent, en règle générale, grandement sur des questions de fait et soulèvent nécessairement des questions de crédibilité qui ressortent du domaine de la compétence de l’arbitre. Comme les deux décisions arbitrales le laissent voir, le cas de l’appelant n’échappe pas à cette règle. D’ailleurs, référant à l’arbitre, le juge écrit aux paragraphes 31, 32, 45 et 46 des motifs de sa décision :

 

[31]     Ce dernier a eu la chance de voir et d’entendre les parties, d’apprécier leur crédibilité, de scruter la preuve documentaire.

 

[32]     Le tribunal a motivé et justifié ses conclusions en disant pourquoi il attribuait plus de crédibilité à certains témoins et documents en fournissant des détails précis.

 

[…]

 

[45]     Le tribunal qui a entendu les témoins, a apprécié la preuve documentaire déposée par les parties et a fait une analyse de chaque poste de réclamations du demandeur ainsi que des montants attribués par l’inspecteur dans son ordre de paiement.

 

[46]     Le tribunal explique de façon détaillée pourquoi il retient par exemple la version de M. Hamill au sujet de l’application du programme incitatif à la vente, pourquoi le demandeur n’a pas droit à la reconnaissance pour le Club du Président pour les voyages à Sonora en Colombie Britannique ainsi qu’à Dubaï.

 

 

Dans de telles circonstances, le juge en révision ne peut substituer son appréciation de la crédibilité des témoins à celle de l’arbitre.

 

[10]           Troisièmement, dans le présent cas, il n’existe pas de notes sténographiques du déroulement des audiences devant l’arbitre. Non seulement cette absence de notes sténographiques rend-elle difficile et périlleuse, sur la foi d’affidavits contradictoires, une détermination qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale (voir le paragraphe 56 des motifs de la décision du juge), mais encore il devient impossible de vérifier le bien-fondé d’une allégation qu’une conclusion de l’arbitre est contraire à la preuve testimoniale ou même documentaire, ou n’est pas supportée par celle-ci. L’exemple suivant illustre la difficulté à laquelle tant le juge que nous sommes confrontés.

 

[11]           L’appelante invoque en partie au soutien de l’argument qu’il fut congédié pour cause cet extrait d’une lettre adressée par les procureurs de l’intimée à Madame Johanne Blanchette, à l’emploi du Gouvernement du Canada à titre d’inspecteur :

 

Dans un premier temps, Telus a mis fin à l’emploi de Robert Gravel (l’ « Employé ») pour des raisons de performance et de compétence suivant une réorganisation corporative. Suite à cette décision de Telus, l’Employé s’est vu offrir un montant à titre de délai congé. Nous pouvons qualifier ce montant de généreux eu

 

 

égard au fait qu’il a accumulé 1 an et 10 mois d’ancienneté. Il est à noter que suite à la réorganisation corporative, le poste occupé par l’Employé n’existe plus.

 

[Nous soulignons.]

 

[12]           Il n’y a pas de doute que le passage souligné prête à interprétations divergentes. Le procureur de l’intimée l’a reconnu à l’audience devant nous. Mais il a affirmé et expliqué que l’extrait cité avait fait l’objet de plusieurs témoignages et d’amples et abondantes discussions devant l’arbitre. Le terme « performance » utilisé dans la lettre, dit-il, ne référait pas à la performance de l’appelant, mais bien à celle de l’intimée en tant qu’entreprise. Par contre, le terme « compétence », admet-il, faisait, de fait, référence à celle de l’appelant, mais à sa compétence au lendemain de la réorganisation, après la suppression de son poste : il ne possédait pas l’expérience et la compétence requises pour une réaffectation au sein de la nouvelle structure.

 

[13]           Cette affirmation du procureur de l’intimée se vérifie indubitablement dans les paragraphes 43 à 92 de la sentence arbitrale du 6 novembre 2009 où l’arbitre rapporte les dires des témoins sur ces deux questions et en fait l’analyse. Cependant, en l’absence de notes sténographiques, il nous est impossible de vérifier l’exactitude du rapport et de l’analyse de l’arbitre ou encore d’effectuer des comparaisons avec l’actuelle preuve testimoniale. Il nous est encore moins loisible de substituer notre opinion à celle de l’arbitre à partir d’affidavits tentant de reconstituer ou d’interpréter les témoignages reçus par l’arbitre.

 

[14]           Le juge qui a statué sur les deux demandes de contrôle judiciaire n’a pas vu dans les deux sentences arbitrales d’erreurs de droit, de fait ou mixtes de fait et de droit qui, si elles n’avaient pas été commises, auraient pu amener l’arbitre à des conclusions différentes de celles auxquelles il en est venu. Notre analyse des sentences arbitrales, des prétentions des parties et de la décision du juge nous satisfait que nous n’avons légalement et légitimement aucun motif d’intervention et de réformation de sa décision.

 

Conclusion

 

[15]           Pour ces motifs, nous sommes d’avis de rejeter avec dépens les appels dans les dossiers A-265-11 et A-266-11, ceux-ci étant cependant limités à un seul jeu pour l’audition et la préparation de l’audition. Copie des présents motifs sera déposée dans le dossier A-266-11 au soutien du jugement à intervenir.

 

 

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

 

 

 

« Marc Noël »

j.c.a.

 

 

 

« Robert M. Mainville »

j.c.a.

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIERS :                                                  A-265-11 et A-266-11

 

 

INTITULÉ :                                                   ROBERT GRAVEL c. TELUS

                                                                        COMMUNICATIONS INC.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 31 janvier 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LA COUR (LE JUGE LÉTOURNEAU, LE

                                                                        JUGE NOEL et LE JUGE MAINVILLE)

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 8 février 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert Gravel

POUR LUI-MÊME

 

Me Jean-François Dolbec

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS :

 

 

Heenan Blaikie Aubut

Québec (Québec)

POUR L’INTIMÉE

 

 

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