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Cour d'appel fédérale

    CANADA

Federal Court of Appeal

Date : 20120208

Dossier : A-253-11

Référence : 2012 CAF 42

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE GAUTHIER

 

ENTRE :

OPSIS, GESTION D’INFRASTRUCTURE INC.

demanderesse

et

MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES

GOUVERNEMENTAUX DU CANADA

défendeur

 

 

 

 

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 19 janvier 2012.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 8 février 2012.

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                     LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                     LE JUGE PELLETIER

                                                                                                                       LA JUGE GAUTHIER

 


Cour d'appel fédérale

    CANADA

Federal Court of Appeal

Date : 20120208

Dossier : A-253-11

Référence : 2012 CAF 42

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE GAUTHIER

 

ENTRE :

OPSIS, GESTION D’INFRASTRUCTURE INC.

demanderesse

et

MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET DES SERVICES

GOUVERNEMENTAUX DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Les questions en litige

 

[1]               Le Tribunal canadien du commerce extérieur (Tribunal) était-il justifié de décliner compétence pour enquêter sur la plainte logée par la demanderesse à l’égard d’un marché public passé en vue de l’entretien et de l’opération des systèmes mécaniques et électriques du Centre météorologique canadien (CMC) situé à Dorval, au Québec? La plainte fut logée en vertu du paragraphe 30.11(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985 (4e suppl.), c. 47.

 

[2]               À cette question s’ajoute celle de la norme de contrôle applicable à la révision de la décision du Tribunal. Cette deuxième question revêt moins d’importance en l’espèce puisque la décision du Tribunal est à la fois correcte et raisonnable.

 

Les faits à l’origine de la décision du Tribunal

 

[3]               Comme nous ne sommes saisis que de la question de la compétence du Tribunal, il n’est pas nécessaire de nous attarder aux faits relatifs au mérite même de la plainte dont le fondement serait que le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux aurait mal évalué la proposition de la demanderesse faite en réponse à l’offre d’un marché public assujettie à l’Accord sur le Commerce intérieur, (1995) 129 Gaz. Can. 1, 1323 (ACI).

 

[4]               Selon le défendeur, le CMC est une installation qui héberge les superordinateurs du ministère d’Environnement Canada. Ces équipements sont jugés essentiels pour la sécurité du Canada. Le CMC se situe au cœur des opérations du système de prévision météorologique d’Environnement Canada et du réseau de télécommunications de ce ministère.

 

[5]               L’obtention et la fourniture de données météorologiques sont estimées essentielles par le défendeur pour les services suivants :

 

a)         le soutien stratégique aux opérations militaires;

 

b)         le soutien aux opérations de Santé Canada en cas de rejet de matières radioactives ou dangereuses dans l’atmosphère;

 

c)         les services d’alertes météorologiques aux canadiens; et

 

d)         les services aux transporteurs maritimes et aériens, incluant les alertes de cendres volcaniques.

 

[6]               La demanderesse détenait le contrat d’entretien depuis 2006 lorsque survint le moment du renouvellement. Une ombre surgit alors au tableau : le CMC est devenu trop à l’étroit dans ses locaux et, pour améliorer les services, il faut se relocaliser et obtenir de nouveaux superordinateurs. Les coûts projetés sont élevés : possiblement jusqu’à 100 millions : voir dossier de la demanderesse, vol. 2, à la page 495. Mais il y a plus. Des délais sont inévitables avant que l’on puisse être complètement opérationnel au nouvel endroit de sorte que les services continueront dans l’intervalle d’être offerts à partir  de la location du CMC à Dorval.

 

[7]               Une fois les soumissions terminées, la demanderesse est informée que le contrat d’entretien a été accordé à un autre soumissionnaire. Elle dépose alors une plainte auprès du Tribunal qui décide d’ouvrir une enquête et en avise les parties le 3 mars 2011. Le 23 mars 2011, le défendeur, par requête, demande au Tribunal de rejeter la plainte de la demanderesse au motif que le défendeur avait invoqué l’exception concernant la sécurité nationale prévue à l’article 1804 de l’ACI. Cet article se lit :

 

Article 1804 :     Sécurité nationale

 

Le présent accord n’a pas pour effet :

 

a)         d’obliger le gouvernement fédéral à fournir des renseignements dont la divulgation serait, selon lui, contraire à la sécurité nationale, ou à donner accès à de tels renseignements;

 

b)         d’empêcher le gouvernement fédéral de prendre les mesures qu’il juge nécessaires pour protéger les intérêts du Canada en matière de sécurité nationale ou pour respecter ses obligations internationales en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales.

 

 

[8]               En invoquant l’article 1804, le défendeur soustrait le marché public en cause de l’application de l’ACI, ce qui a pour effet de rendre inapplicables les règles de passation des marchés publics et les procédures de contestation des offres prévues à l’ACI.

 

[9]               Confronté au fait que le marché public dont la demanderesse se plaint est exempt du champ d’application de l’ACI pour des raisons de sécurité nationale et constatant qu’il n’est régi par aucun autre des accords commerciaux, le Tribunal en vient à la conclusion que la plainte ne vise pas un contrat spécifique tel que prévu au paragraphe 30.11(1) de la Loi. En conséquence, il rejette la plainte pour absence de compétence conformément au paragraphe 10a) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieurs sur les marchés publics, DORS/93-602.

 

 

Analyse de la décision du Tribunal et des prétentions des parties

 

[10]           Dans la foulée de sa jurisprudence antérieure, le Tribunal a conclu qu’il n’avait pas compétence pour revoir « une détermination par le gouvernement qu’une question particulière se rapporte à la sécurité nationale » : voir la décision du Tribunal au paragraphe 13. Cependant, il pouvait « vérifier que l’exception au titre de la sécurité nationale a effectivement été invoquée en bonne et due forme » : ibidem, au paragraphe 14. Aussi, l’invocation de l’exception devait-elle être faite par une personne dûment autorisée, par le gouvernement avant la fin de la procédure de passation du marché public et viser le marché public en question : ibidem, au paragraphe 17. C’est au niveau de ce dernier élément que se situe la contestation de la demanderesse.

 

[11]           De fait, la demanderesse prétend que l’exception invoquée ne visait que les marchés publics futurs reliés à l’achat ou la location de nouveaux superordinateurs et les installations pour les héberger et qu’elle ne s’appliquait pas aux locaux existants à Dorval. En conséquence, sa plainte n’était pas soustraite de la compétence du Tribunal et devait faire l’objet d’une adjudication par ce dernier.

 

[12]           Elle fonde sa prétention sur l’interprétation qu’elle fait du passage suivant (que je souligne) dans un échange de correspondance entre le sous-ministre adjoint et dirigeant principal de l’information d’Environnement Canada (M. Shawcross) et le sous-ministre adjoint de la Direction générale des approvisionnements du défendeur (M. Ring), lettre par laquelle M. Shawcross demandait que soit invoquée l’exception de la sécurité nationale : voir dossier de la demanderesse, vol. 1, aux pages 199 à 201. La lettre d’acceptation de M. Ring se lit :

 

Dear Mr. Shawcross,

 

            Thank you for your letter, dated June 15, 2012, requesting my approval to invoke a National Security Exception with respect to the extension of the existing contract, as well as with respect to any future procurements of supercomputers and the facilities to house them.

 

            Based on the reasons set out in your letter dated June 15, 2010, I agree to invoke the National Security Exception to exempt the extension of the existing contract as amended, as well as with respect to any future procurements of supercomputers and the facilities to house them from the provisions of Canada’s international trade agreements, current and future, including the World Trade Organization – Agreement on Government Procurement, Article XXIII(1), the North American Free Trade Agreement, Article 1018(1), the Canada-Chile Free Trade Agreement, Article Kbis-16(1) and the Agreement on Internal Trade, Article 1804, for all purposes.

 

            It is intended that the applicable project will be managed, on your behalf, in PWGSC Acquisitions Branch by Levent Ozmutlu, Senior Director, Informatics and Telecommunications Systems Procurement Directorate. Mr. Ozmutlu can be reached at 819-956-9514, if you have any questions. This letter does not constitute either an approval or rejection of a sole source procurement strategy. Any procurement strategy must be in accordance with Government Contracts Regulations and applicable policies. I would recommend that your staff discuss proposed procurement strategies with Mr. Ozmutlu.

 

[Je souligne.]

 

[13]           Après analyse des éléments de preuve au dossier et des prétentions qui lui étaient soumises, le Tribunal a conclu que l’invocation de l’exception dans la lettre de M. Ring acceptant la demande de M. Shawcross pouvait être raisonnablement interprétée comme visant les services faisant l’objet de la plainte et qu’elle était suffisamment large et générale pour raisonnablement englober le CMC de Dorval.

 

[14]           Voici comment s’exprime le Tribunal sur le sujet aux paragraphes 19 et 20 de sa décision :

 

19.     Concernant la première question, le Tribunal est d’avis que l’invocation de l’exception au titre de la sécurité nationale contenue dans cette lettre de M. Ring peut être raisonnablement interprétée comme visant les services faisant l’objet de la plainte et du marché public en question. Le Tribunal remarque que la lettre de M. Ring fait mention que l’exception invoquée vise « […] tous marchés publics futurs de superordinateurs et les installations pour les héberger » (“…any future procurements of super computers and the facilities to house them”). Le Tribunal est d’avis que cette mention est suffisamment large et générale pour raisonnablement viser et englober les marchés publics futurs reliés aux installations qui hébergent les superordinateurs, c’est-à-dire le Centre météorologique canadien de Dorval, ainsi que les marchés publics futurs reliés à un éventuel approvisionnement de nouveaux superordinateurs et aux installations pour les héberger, que ce soit à Dorval ou ailleurs.

 

20.     Le Tribunal accepte donc les arguments de TPSGC selon lesquels les termes de la lettre du 6 août 2010 visaient à soustraire du champ d’application de l’ACI tous les marchés publics futurs visant les installations où sont hébergés les superordinateurs dont l’opération est nécessaire pour protéger les intérêts du Canada en matière de sécurité nationale. Étant donné que l’exception invoquée vise tous les futurs marchés publics reliés à ces installations, elle s’applique nécessairement, selon le Tribunal, aux marchés publics en vue de l’approvisionnement de la main d’œuvre qualifiée pour l’opération, l’entretien et les réparations mineures à ces installations. Le Tribunal observe que la demande de proposition en question stipule que les responsabilités de l’entrepreneur relativement à ce service concernent l’opération, l’entretien et la réparation des systèmes mécaniques, électriques et architecturaux de l’édifice de Dorval, c.-à-d. des services clairement reliés aux installations. D’autre part, le marché public en question établit clairement que ces services doivent être fournis tout en maintenant la pleine opération des activités opérationnelles, informatiques, de développement, de recherche et administratives du Centre météorologique canadien de Dorval. Bien qu’il puisse y avoir d’autres contrats en place pour des aspects de cette installation, ceci ne diminue en rien le fait que les services en question concernent bel et bien les installations de Dorval. Par conséquent, le Tribunal conclut que l’invocation du 6 août 2010 est spécifique au contexte de la présente plainte qui concerne un marché public pour l’entretien et l’opération des systèmes mécaniques et électriques du Centre météorologique canadien de Dorval, y compris l’entretien et les réparations mineures des systèmes mécaniques, électriques et architecturaux de l’édifice ou de cette installation.

 

 

[15]           Que l’interprétation que le Tribunal fait de cette lettre de M. Ring invoque une pure question de droit soumise à la norme de la décision correcte ou qu’elle soulève une question mixte de faits et de droit révisable à l’enseigne de la raisonnabilité est, à mon avis, sans importance en l’occurrence car elle satisfait aux deux normes.

 

[16]           Je signale en terminant que, par ses effets, l’invocation de l’exception concernant la sécurité nationale contient les germes redoutables d’un abus. Lorsqu’invoquée, l’exception a pour effet de mettre un marché public d’offres à l’abri de toute contestation devant le Tribunal spécialisé en la matière. Or, elle peut receler des motifs obliques ou impropres qui la détournent de sa véritable finalité et justifient une révision judiciaire. Je m’empresse d’ajouter qu’il n’y a pas de preuve en ce sens dans le cas qui nous est soumis.

 

Conclusion

 

[17]           Pour ces motifs, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire avec dépens.

 

 

 

 

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord

            J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

            Johanne Gauthier, j.c.a. »

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A-253-11

 

 

INTITULÉ :                                                   OPSIS, GESTION D’INFRASTRUCTURE INC.

                                                                        c. MINISTÈRE DES TRAVAUX PUBLICS ET

                                                                        DES SERVICES GOUVERNEMENTAUX DU

                                                                        CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 19 janvier 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE PELLETIER

                                                                        LA JUGE GAUTHIER

 

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 8 février 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Patrice Gladu

Bernard Mahoney

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Alexandre Kaufman

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Dunton Rainville s.e.n.c.r.l.

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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