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Date : 20111110

Dossier : A-35-11

Référence : 2011 CAF 308

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE DAWSON

 

ENTRE :

IMPERIAL TOBACCO CANADA LIMITÉE

(successeure d’Imasco Limitée)

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 26 octobre 2011.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 10 novembre 2011.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                            LE JUGE NADON

                                                                                                                          LA JUGE DAWSON

 

 


 

 

 

Date : 20111110

 

Dossier : A-35-11

 

Référence : 2011 CAF 308

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE DAWSON

 

ENTRE :

 

IMPERIAL TOBACCO CANADA LIMITÉE

(successeure d’Imasco Limitée)

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE SHARLOW

[1]               La question soulevée dans la présente affaire est de savoir si, dans le calcul de son revenu aux fins de l’impôt sur le revenu, Imasco Limitée (Imasco) a le droit de déduire les sommes qu’elle a versées à ses propres employés et aux employés de ses filiales parce qu’ils avaient restitué leurs options d’achat d’actions d’Imasco. Imasco a versé les sommes en question au cours de ses années d’imposition 1999 et 2000, et elle en a réclamé la déduction au motif qu’il s’agissait d’une rémunération du personnel. Le ministre, s’appuyant sur l’alinéa 18(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1, a établi une nouvelle cotisation à l’égard d’Imasco et refusé les déductions au motif que les sommes payées étaient des paiements à titre de capital. Imasco (représentée par l’appelante Imperial Tobacco Canada Limitée, qui l’a remplacée par suite d’une fusion) a fait appel devant la Cour canadienne de l'impôt. Le juge Bowie a rejeté l’appel dans sa décision répertoriée : Imperial Tobacco Canada Limitée c. Canada, 2010 CCI 648. Imperial interjette maintenant appel devant la Cour d'appel fédérale. Pour les motifs qui suivent, je rejetterais l’appel.

 

Norme de contrôle

[2]               Les parties sont en désaccord sur la question de savoir si certains paiements sont des paiements à titre de capital ou à titre de revenu. La résolution du différend requiert d’appliquer les principes juridiques aux faits, ce qui est une question mixte de droit et de fait (Canada c. Johns-Manville Corp., [1985] 2 R.C.S. 46, à la page 62). La Cour ne sera donc justifiée d’intervenir qu’en présence d’une erreur manifeste et dominante, ou d’ « une erreur de principe isolable [commise] en déterminant la norme applicable ou en appliquant cette norme, auquel cas l’erreur peut constituer une erreur de droit » (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, au paragraphe 37).

 

[3]               Les faits ne sont pas contestés. Devant la Cour de l'impôt, l’appel a été instruit sur la base d’un exposé conjoint des faits et d’extraits des interrogatoires préalables des deux parties. Aucun témoin n’a été entendu. Pour l’essentiel, Imasco soutient que le juge Bowie a commis une erreur dans l’application des principes issus de la jurisprudence.

 

Les faits

[4]               Durant les années d’imposition d’Imasco terminées le 31 décembre 1999 et le 1er février 2000, Imasco était une société ouverte et une société canadienne imposable. Imasco et ses filiales étaient actives dans plusieurs secteurs. Le 11 mai 1983, Imasco s’est dotée d’un régime d’options d’achat d’actions en vertu duquel les employés d’Imasco et de ses filiales pouvaient se voir accorder le droit d’acheter des actions d’Imasco selon leur juste valeur marchande à la date de l’attribution de l’option. À l’époque des opérations intéressant la présente affaire, les options accordées dans le cadre du régime d’options d’achat d’actions représentaient des droits d’acquérir environ 5 millions d’actions d’Imasco (un peu plus de 1 p. 100 des actions alors en circulation).

 

[5]               Selon les conditions du régime d’options d’achat d’actions, une option serait « acquise » deux ans après avoir été attribuée (c’est-à-dire qu’elle ne pouvait pas être exercée dans les deux ans suivant son attribution). Une option non exercée expirerait dix ans après avoir été attribuée, ou à la cessation de l’emploi du titulaire de l’option (autrement que par mise à la retraite en vertu d’un régime de retraite approuvé). Les options n’étaient pas cessibles ni transférables sauf par testament ou en vertu du droit successoral.

 

[6]               Par l’effet d’une modification apportée en 1995 au régime d’options d’achat d’actions, Imasco se voyait habilitée à offrir à un titulaire d’options le droit de restituer ses options en échange d’une somme égale à la différence entre d’une part la valeur marchande des actions d’Imasco que le titulaire pouvait acquérir en exerçant les options et, d’autre part, le prix d’exercice. Les titulaires d’options à qui était accordé ce droit de restitution et qui l’exerçaient seraient dans la même position financière que si l’option avait été exercée et si les actions avaient été immédiatement vendues (compte non tenu des incidences fiscales et des coûts de transaction, le cas échéant). Il est établi que, avant même la modification de 1995, Imasco versait occasionnellement une compensation à l’employé qui acceptait de restituer une option, et que la modification de 1995 officialisait simplement ce qui se faisait déjà de temps à autre.

 

[7]               En mars 1999, British American Tobacco p.l.c. (BAT) s’est adressée à Imasco afin de discuter d’une proposition d’« opération de fermeture », en vertu de laquelle BAT ferait, directement ou indirectement, l’acquisition de toutes les actions d’Imasco détenues par les actionnaires publics. On ne sait pas, à la lecture du dossier, combien d’actions cela représentait en mars 1999, mais, le 14 décembre 1999, BAT détenait indirectement 42,5 p. 100 des actions d’Imasco alors en circulation. La proposition d’acquisition a été l’objet d’un communiqué de presse le 7 juin 1999.

 

[8]               Le 9 juin 1999, le conseil d’administration d’Imasco adoptait une résolution portant modification de l’article 10 du régime d’options d’achat d’actions, afin de donner à tous les titulaires d’options le droit de restituer leurs options en échange d’une somme. L’effet de cette modification était que la décision de restituer une option en échange d’une somme appartenait à chaque titulaire d’options, plutôt qu’à Imasco.

 

[9]               Il est raisonnable d’en déduire, comme l’a fait le juge Bowie au paragraphe 12 de ses motifs, que cette modification était l’une des mesures prises par Imasco pour faciliter l’opération de fermeture. Imasco a prétendu que la modification avait été faite pour s’assurer que les titulaires d’options étaient traités équitablement en cas d’exécution de l’opération de fermeture. Cette affirmation s’accorde aussi avec la preuve documentaire. Je ne vois nul conflit entre l’objectif de faciliter l’opération de fermeture et l’objectif de traiter équitablement les titulaires d’options.

 

[10]           En juillet 1999, British American Tobacco (Canada) Limitée (Bidco) était constituée en tant que filiale indirecte à part entière de BAT pour l’acquisition des actions d’Imasco.

 

[11]           Le 2 août 1999, un accord appelé « Entente relative à une proposition d’opération » était conclu par BAT, Bidco et Imasco, qui concernait l’opération de fermeture. L’accord envisageait aussi plusieurs autres opérations, dont la cession de certains actifs d’Imasco que BAT ne souhaitait pas acquérir. Ces cessions devaient précéder l’opération de fermeture. Après l’opération de fermeture, Bidco et Imasco devaient fusionner.

 

[12]           L’article 5 de l’Entente relative à une proposition d’opération est intitulé « L’opération de fermeture et les opérations connexes ». L’article 5.2 précise que les parties se sont entendues pour que certaines opérations de réorganisation interne (ci-après, la réorganisation) aient lieu après que toutes les parties auraient l’assurance que certaines conditions contractuelles avaient été remplies. La réorganisation requérait pour l’essentiel de modifier les modalités des actions d’Imasco de sorte que le transfert des actions d’Imasco à Bidco puisse être déclenché par une directive venant d’Imasco. On s’assurait ainsi que le transfert des actions d’Imasco serait automatique une fois remplies les conditions convenues de l’opération de fermeture.

 

[13]           L’article 5.8 de l’Entente relative à une proposition d’opération est intitulé « Les options d’achat d’actions en circulation et les dispositions en matière d’emploi prises par Imasco ». Dans cette clause, Imasco s’engageait à ce que son conseil d’administration adopte à l’unanimité une résolution encourageant tous les titulaires d’options d’achat d’actions à exercer leurs options ou à les restituer tout de suite avant la conclusion de la réorganisation. Imasco s’engageait aussi à ce que, sous réserve de l’agrément des autorités administratives et boursières, son conseil d’administration prenne les mesures requises pour s’assurer que toutes les options d’achat d’actions soient acquises avant la réorganisation, de telle sorte qu’elles puissent être exercées avant la conclusion de la réorganisation. Cela fut fait, mais l’acquisition anticipée des options d’achat d’actions ci-dessus était subordonnée à la condition que, si certaines étapes de la clôture de la réorganisation n’étaient pas terminées, l’acquisition anticipée serait réputée n’avoir jamais eu lieu.

 

[14]           L’acquisition anticipée des options d’achat d’actions, combinée à la disposition prévoyant la restitution des options en échange d’une somme, au choix des titulaires d’options, ferait en sorte qu’Imasco aurait pris toutes les mesures possibles pour que Bidco soit, après la réorganisation, en état d’acquérir toutes les actions d’Imasco. Il était évidemment possible que certains titulaires d’options décident de ne pas restituer leurs options ou de ne pas les exercer. Il se trouve cependant que cela ne s’est pas produit.

 

[15]           Le 18 novembre 1999, l’Entente relative à une proposition d’opération fut modifiée. Entre autres choses, la modification fixait le prix d’achat des actions d’Imasco à 41,60 $ l’action. Elle comprenait aussi une recommandation favorable du conseil d’administration d’Imasco. Une réunion extraordinaire des actionnaires d’Imasco fut convoquée pour le 28 janvier 2000, au cours de laquelle serait examinée l’opération de fermeture. L’opération fut approuvée par les actionnaires à cette date et exécutée le 1er février 2000.

 

[16]           Avant la clôture, des employés détenant ensemble des options qui permettaient l’acquisition de 4 848 600 actions d’Imasco ont choisi de restituer leurs options en échange d’une somme égale à la différence entre 41,60 $ l’action et le prix d’exercice. Les paiements de restitution totalisaient environ 118 millions $. Un petit nombre d’options (62 800) n’ont pas été restituées. Elles ont été exercées avant la clôture, et les actions émises en conséquence ont été acquises par Bidco à la date de clôture. Il en a résulté que, après l’opération de fermeture, Imasco n’avait pas d’autres obligations découlant de son régime d’options d’achat d’actions.

 

[17]           Les paiements de restitution comprenaient une somme additionnelle destinée à indemniser les employés qui avaient restitué leurs options en échange d’un paiement comptant et qui, pour cette raison, pourraient ne pas avoir droit à une déduction au titre de l’alinéa 110(1)d) de la Loi de l’impôt sur le revenu. Cette déduction allait bénéficier à ceux qui exerçaient leurs options et vendaient les actions. Aucune des parties ne donne à entendre que ce complément intéresse la déductibilité des sommes qu’Imasco a versées à ceux de ses employés qui ont restitué leurs options.

 

Dispositions applicables et jurisprudence

[18]           Le paragraphe 9(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu est la règle générale servant à calculer, aux fins de l’impôt sur le revenu, le revenu d’un contribuable tiré d’une entreprise ou d’un bien. Il est formulé ainsi :

9. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le revenu qu’un contribuable tire d’une entreprise ou d’un bien pour une année d’imposition est le bénéfice qu’il en tire pour cette année.

9. (1) Subject to this Part, a taxpayer’s income for a taxation year from a business or property is the taxpayer’s profit from that business or property for the year.

 

Le mot « bénéfice », au paragraphe 9(1), s’entend généralement du bénéfice établi en vertu des principes commerciaux reconnus, sous réserve des principes dégagés par la jurisprudence et des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canderel Limitée c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 147, au paragraphe 53).

 

[19]           Il semble que, pour établir son bénéfice aux fins de l’impôt sur le revenu et aux fins de ses rapports financiers, Imasco a déduit les paiements de restitution. La Couronne n’a pas prétendu que la déduction ne se justifiait pas selon les principes comptables généralement reconnus, et aucune preuve n’a été produite en ce sens. Cependant, ce fait n’est d’aucune aide à Imasco. Le bénéfice dont parle l’article 9 est calculé « sous réserve des autres dispositions de la présente partie ». Cette expression restrictive renvoie à de nombreuses règles détaillées de la partie I de la Loi de l’impôt sur le revenu qui servent à calculer le bénéfice aux fins de l’impôt sur le revenu. L’article 18 est l’une de ces dispositions. Il limite ou interdit la déduction de certaines sommes. La position de la Couronne selon laquelle les paiements de restitution ne sont pas déductibles se fonde sur l’article 18 – plus précisément l’alinéa 18(1)b). Si la Couronne a raison, alors il n’importe pas de savoir si les principes comptables généralement reconnus auraient autorisé la déduction aux fins des rapports financiers.

 

[20]           L’alinéa 18(1)b) est ainsi formulé (non souligné dans l’original) :

18. (1) Dans le calcul du revenu du contribuable tiré d’une entreprise ou d’un bien, les éléments suivants ne sont pas déductibles :

18. (1) In computing the income of a taxpayer from a business or property no deduction shall be made in respect of

[…]

b) une dépense en capital, une perte en capital ou un remplacement de capital, un paiement à titre de capital ou une provision pour amortissement, désuétude ou épuisement, sauf ce qui est expressément permis par la présente partie […].

(b) an outlay, loss or replacement of capital, a payment on account of capital or an allowance in respect of depreciation, obsolescence or depletion except as expressly permitted by this Part….

 

 

 

[21]           L’interdiction légale de déduire un paiement à titre de capital requiert d’examiner les principes permettant de faire la distinction entre capital et revenu. La conclusion à laquelle on arrive tient principalement aux faits de l’espèce, la jurisprudence offrant des indications sur les facteurs à prendre en compte. Ce principe est bien exprimé dans l’arrêt Ministre du Revenu national c. Algoma Central Railway, [1968] R.C.S. 447, à la page 449 et 450 (non souligné dans l'original) :

[TRADUCTION]

Le Parlement ne définit pas les expressions « dépense […] de capital » ou « dépense à compte de capital ». Comme il n’y a pas de critère législatif, appliquer ou non ces expressions à toutes dépenses particulières doit dépendre des circonstances propres à l’affaire. Nous ne pensons pas qu’un critère unique permet d’élaborer cette définition, et souscrivons à l’opinion exprimée par lord Pearce dans un arrêt récent du Conseil privé, B.P. Australia Ltd. v. Commissioner of Taxation of the Commonwealth of Australia [[1966] A.C.

224]. Sur la question de savoir si une dépense était une dépense en capital ou une dépense déclarée comme revenu, il a affirmé ce qui suit, à la page 264 :

On ne peut pas trouver la solution du problème en appliquant un critère ou une description rigide. Elle doit découler de plusieurs aspects de l’ensemble des circonstances dont certaines peuvent aller dans un sens et d’autres dans un autre. Une considération peut se détacher si nettement qu’elle domine d’autres et de plus vagues indications dans le sens contraire. C’est une appréciation saine de toutes les caractéristiques directrices qui doit apporter la réponse finale.

 

 

 

[22]           L’un des extraits les plus souvent cités sur la question qui se pose en l’espèce se trouve dans un arrêt rendu par le vicomte Cave, British Insulated and Helsby Cables c. Atherton, [1926] A.C. 205 (H.L.), aux pages 213 et 214 :

[TRADUCTION] … lorsqu’une dépense est faite non seulement une fois pour toutes, mais dans le but de créer un bien ou un avantage de façon durable, je crois que c’est un motif très valable (en l’absence de circonstances spéciales menant à une conclusion dans le sens opposé) pour considérer une telle dépense comme véritablement imputable non pas au revenu, mais au capital.

 

 

 

[23]           Si universel que soit ce propos, il n’offre pas une ligne de démarcation très nette. C’est plutôt un guide utile indiquant quelques-uns des facteurs pouvant être pertinents.

 

[24]           L’arrêt Canada c. Johns-Manville Corp., [1985] 2 R.C.S. 46 confirme que, en dépit des nombreuses décisions qui ont conduit à des formules utiles, il n’existe aucun critère juridique unique permettant de faire la distinction entre les paiements à titre de revenu et les paiements à titre de capital. L’arrêt Johns-Manville permet également de recenser certains facteurs que l’on peut prendre en compte pour savoir si un paiement est un paiement à titre de capital. Dans cette affaire, la société contribuable exploitait une mine à ciel ouvert. Elle voulait déduire certaines sommes qui avaient servi à l’achat de biens-fonds situés autour de la mine, biens-fonds dont elle avait besoin pour maintenir la pente de la paroi de la mine. Après un examen minutieux des faits et de la jurisprudence, le juge Estey, s’exprimant pour la Cour suprême, a conclu que les dépenses n’étaient pas des dépenses à titre de capital. Le fait que les dépenses n’avaient pas été engagées pour acquérir des actifs présentant une valeur intrinsèque ou durable me semble avoir été l’élément particulièrement important. Il s’agissait plutôt d’un élément facilement discernable et relativement constant des coûts d’exploitation de la société contribuable, qui serait consommé durant les opérations de la société exploitante.

 

Application des principes aux circonstances de l’espèce

[25]           En l’espèce, la Couronne fait valoir que les paiements en cause sont des dépenses à titre de capital parce qu’ils ont été effectués dans le cadre d’une réorganisation du capital d’Imasco et qu’ils ont éteint toutes les obligations d’Imasco d’émettre des actions. Si je comprends bien les motifs du juge Bowie, il s’agit là essentiellement de la raison pour laquelle il a conclu que les paiements en cause étaient des paiements à titre de capital.

 

[26]           Imasco fait valoir que les paiements en cause ne sont rien d’autre qu’une rémunération du personnel et qu’ils sont donc déductibles en tant que dépenses ordinaires d’entreprise. Cet argument se fonde sur le jugement Imperial Tobacco Canada Ltée c. Canada, 2007 CCI 636 (ci-après, Shoppers Drug Mart), et en particulier sur le propos suivant, au paragraphe 22 (la note en bas de page est omise) :

Je pars du principe suivant lequel, normalement, un paiement fait par un employeur à un employé pour le rachat d’une option prévue dans un régime d’options d’achat d’actions pour acquérir des actions d’une société constitue une dépense déductible pour la société. Cette conclusion n’est pas fondée sur une disposition particulière de la Loi de l’impôt sur le revenu. Ce paiement fait

simplement partie intégrante de la rémunération d’un employé et fait donc partie des frais liés à l’exploitation de l’entreprise en vertu de l’article 9.

 

 

 

[27]           L’affaire Shoppers Drug Mart portait sur un autre aspect de l’opération de fermeture visée en l’espèce. Cet aspect concernait la déductibilité d’un paiement fait par Shoppers Drug Mart Limitée (SDM) à Imasco, alors sa société-mère, à titre de remboursement de paiements faits par Imasco après que les employés de SDM avaient restitué les options d’achat d’actions qui leur avaient été attribuées en vertu du régime d’options d’achat d’actions d’Imasco. Une décision de la Cour d'appel fédérale, Kaiser Petroleum Ltd. c. Ministre du Revenu national (1990), 116 N.R. 209; [1990] 2 C.T.C. 439; 90 D.T.C. 6603 (C.A.F.) (Kaiser), qui portait sur des faits semblables, a été considérée comme distincte au motif que le paiement fait par SDM ne comportait aucune restructuration du capital de SDM ni aucun avantage durable pour SDM. Il ne restait donc que le principe susmentionné, qui a conduit le juge à conclure que le paiement était déductible à titre de rémunération du personnel.

 

[28]           On pourrait prétendre qu’une somme payée par une société à un employé qui restitue des options d’achat d’actions constitue une rémunération du personnel et que la société peut donc déduire ce paiement s’il représente l’une de plusieurs opérations semblables conduites dans le cadre de l’interaction quotidienne de la société et de ses employés (peut-être par analogie avec l’affaire Johns-Manville). Je ne crois pas que je serais arrivé à cette conclusion concernant le paiement en cause dans le jugement Shoppers Drug Mart, mais il ne m’est pas nécessaire d’exprimer une opinion définitive sur ce point. La question à trancher en l’espèce est de savoir si Imasco a raison d’affirmer que le juge Bowie a commis une erreur parce qu’il n’a pas considéré comme une rémunération du personnel les paiements qui sont en cause dans la présente affaire.

[29]           Plus précisément, il s’agit de savoir si la conclusion tirée par le juge Bowie dans la présente affaire résultait d’une erreur d’interprétation ou d’application de la jurisprudence pertinente. Un examen attentif des motifs du juge Bowie ne révèle aucune erreur du genre. À mon avis, trois facteurs militent en faveur de la conclusion selon laquelle les paiements en cause étaient des paiements à titre de capital. Premièrement, ils coïncidaient avec une réorganisation du capital d’Imasco (l’opération de fermeture et la fusion). Deuxièmement, les dispositions mises en place en vue des paiements facilitaient et devaient faciliter la réorganisation du capital. Troisièmement, les paiements devaient mettre fin, et ont effectivement mis fin, à toutes les obligations futures d’Imasco se rapportant à ses propres actions, cette situation peut à juste titre être considérée comme un paiement définitif qui a procuré à Imasco un avantage de nature durable.

 

[30]           Deux facteurs pourraient peut-être militer en faveur de la position d’Imasco. Premièrement, le régime lui-même d’options d’achat d’actions avait été institué pour offrir une forme de rémunération au personnel et le régime avait, du moins depuis 1995, comporté, encore qu’au gré d’Imasco, des restitutions périodiques d’options d’achat, en échange de paiements. Deuxièmement, les actions représentées par les options restituées ne constituaient qu’une petite partie des actions émises d’Imasco.

 

[31]           Le juge Bowie était clairement informé de ces faits, et tout aussi clairement il n’a pas trouvé qu’ils étaient déterminants au point de l’emporter sur les facteurs permettant de conclure que les paiements en cause étaient des dépenses à titre de capital. En concluant comme il l’a fait, le juge Bowie s’est fondé sur l’arrêt Kaiser (précité), qu’il a jugé ne pas être différent de la présente affaire. La Cour a statué, dans Kaiser, que les paiements en cause étaient des paiements à titre de capital parce que leur résultat immédiat était [TRADUCTION] « d’éliminer des possibilités externes d’émission d’actions », ce qu’elle a considéré comme une forme de restructuration du capital. Imasco fait valoir que l’arrêt Kaiser se distingue de la présente espèce, pour plusieurs raisons. Il est vrai que les faits sont un peu différents. Les différences sont énumérées au paragraphe 10 des motifs du juge Bowie. Cependant, selon lui, « ces distinctions sont toutes vides de sens ». Je partage l’avis du juge Bowie pour qui les faits sont suffisamment similaires pour justifier un résultat similaire.

 

[32]           Imasco donne à entendre que l’arrêt Kaiser est erroné dans son principe et qu’il ne devrait pas être suivi (Miller c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 370). Cet argument semble fondé sur l’idée que l’arrêt Kaiser n’est pas en phase avec les réalités économiques actuelles parce qu’il est plus courant aujourd’hui pour une société de se doter d’un régime d’options d’achat d’actions dans le cadre du régime salarial ordinaire applicable aux employés de tous les niveaux. Je ne vois aucune raison de conclure qu’un recours plus répandu aux régimes d’options d’achat d’actions devrait signifier, par le fait même, qu’une opération comme celle dont il s’agissait dans l’arrêt Kaiser n’est pas une opération à titre de capital.

 

[33]           À mon avis, la conclusion du juge Bowie s’accorde avec la preuve et avec les principes juridiques applicables. Je ne puis voir aucune erreur susceptible de justifier l’intervention de la Cour.

 

Conclusion

[34]           Je rejetterais l’appel, avec dépens.

 

« K. Sharlow »

j.c.a.

« Je suis d’accord

            M. Nadon, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

            Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-35-11

 

INTITULÉ :                                                                           IMPERIAL TOBACCO CANADA LIMITÉE c.

                                                                                                SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     TORONTO (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   LE 26 OCTOBRE 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LA JUGE SHARLOW

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE NADON

                                                                                                LA JUGE DAWSON

 

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 10 NOVEMBRE 2011

 

 

COMPARUTIONS:

 

Al Meghji

Patrick Marley

Pooja Samtani

 

POUR L’APPELANTE

 

Bobby J. Sood

Aleksandrs Zemdegs

Rita Araujo

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

 

Osler, Hoskin & Harcourt s.c.p.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 

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