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Cour d'appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

 Date : 20111018

Dossier : A-420-10

Référence : 2011 CAF 288

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

DUNDURN STREET LOFFTS INC.

et ALEXANDER STREET LOFTS

DEVELOPMENT CORPORATION INC.

 

appelantes

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 5 octobre 2011

Jugement rendu à Vancouver (Colombie‑Britannique), le 18 octobre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                               LE JUGE STRATAS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                           LE JUGE EVANS

                                                                                                LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 


Cour d'appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

 Date : 20111018

Dossier : A-420-10

Référence : 2011 CAF 288

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

DUNDURN STREET LOFFTS INC.

et ALEXANDER STREET LOFTS

DEVELOPMENT CORPORATION INC.

 

appelantes

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE STRATAS

 

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté à l’encontre d’un jugement de la Cour canadienne de l’impôt (le juge Favreau) : 2010 TCC 553.

 

[2]               La Cour doit déterminer s’il est interdit aux appelantes, en raison de la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, de remettre en cause le montant de la taxe nette et des pénalités payables selon certaines nouvelles cotisations établies en application de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E‑15. Cette interdiction découlerait des conclusions de fait tirées dans le cadre d’une poursuite pénale intentée contre les appelantes, au terme de laquelle celles‑ci ont été déclarées coupables de fraude concernant des demandes de crédit de taxe sur les intrants. Les crédits de taxe sur les intrants qui ont été frauduleusement demandés concernent la période visée par les nouvelles cotisations.

 

[3]               La Cour de l’impôt a conclu que la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée empêchait les appelantes de remettre en cause le montant qu’elles contestaient. Elle a conclu également qu’elle n’exercerait pas son pouvoir discrétionnaire de façon à permettre aux appelantes de le faire.

 

[4]               Comme il n’existe aucun motif justifiant l’annulation de ces conclusions, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

A.        Les nouvelles cotisations en cause

 

[5]               En 2000, le ministre a délivré, à l’égard des appelantes, de nouvelles cotisations totalisant 702 646 $ au titre de la taxe nette et des pénalités. Ces nouvelles cotisations étaient fondées sur le fait que les appelantes avaient irrégulièrement demandé des crédits de taxe sur les intrants du 17 décembre 1996 au 31 janvier 1999.

 

B.        Les procédures qui auraient entraîné l’interdiction

 

[6]               En 2004, les appelantes et leur administrateur et dirigeant, M. Stelmaszynski, ont été accusés de fraude et de tentative de fraude en application de l’article 327 de la Loi. Ils ont été accusés plus précisément d’avoir réclamé ou tenté de réclamer des remboursements de manière frauduleuse sous le régime de la Loi en demandant de faux crédits de taxe sur les intrants dans leurs déclarations de TPS.

 

[7]               Les appelantes et M. Stelmaszynski ont été déclarés coupables au terme d’un procès de 17 jours devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario.

 

[8]               M. Stelmaszynski a été condamné à une peine d’emprisonnement et, conjointement avec les appelantes, à une amende totale de 702 646,59 $, soit le montant de la fraude et de la tentative de fraude allégué dans l’acte d’accusation : R. c. Alexander Street Lofts Development Corp., [2005] G.S.T.C. 141 (C.S.J. Ont.).

 

[9]               Le montant de l’amende était conforme à la formule prévue à l’alinéa 327(2)a) de la Loi : l’amende correspondait à « 100 % […] de la taxe ou taxe nette [que les appelantes ont] tenté d’éluder ».

 

[10]           Le montant de l’amende, c.‑à‑d. le montant de la taxe que les appelantes ont tenté d’éluder, est le montant que le ministre réclame dans les nouvelles cotisations dont est actuellement saisie la Cour de l’impôt.

 

[11]           L’appel interjeté par les appelantes à l’encontre de leur condamnation et des peines qui leur ont été infligées a été rejeté : R. c. Alexander Street Lofts Development Corporation Inc., 2007 ONCA 309. L’autorisation d’appel à la Cour suprême a été refusée : (2007), 248 OAC 398. Les procédures pénales ont donc acquis un caractère définitif.

 

C.        Les procédures ultérieures devant la Cour de l’impôt

 

[12]           À la suite de leur condamnation, les appelantes ont interjeté appel de leurs nouvelles cotisations à la Cour de l’impôt. Quelque temps après, l’intimée a demandé à la Cour de l’impôt, par requête, de rendre une ordonnance interdisant aux appelantes de remettre en cause le montant de la taxe nette et des pénalités payables selon les nouvelles cotisations.

 

[13]           La Cour de l’impôt a accordé l’ordonnance. Elle a conclu que la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée empêchait les appelantes de remettre en cause le montant de la taxe nette et des pénalités payables selon les nouvelles cotisations. La préclusion découlant d’une question déjà tranchée est l’une des trois doctrines visant à empêcher les remises en cause, les deux autres étant l’abus de procédure et la contestation incidente : Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, [2001] 2 R.C.S. 460 (préclusion découlant d’une question déjà tranchée); Toronto (Ville) c. C.S.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 R.C.S. 77 (abus de procédure); R. c. Consolidated Maybrun Mines Ltd., [1998] 1 R.C.S. 706 (contestation incidente).

 

[14]           La Cour de l’impôt a conclu que les conditions d’application de la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée étaient remplies. Cette conclusion n’a pas été contestée sérieusement en l’espèce. La Cour de l’impôt n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle en tirant cette conclusion :

 

●          la même question : la question dont était saisie la Cour de l’impôt – le montant de la taxe payable – avait été tranchée dans le cadre de l’instance pénale. Comme il est mentionné au paragraphe 9 ci‑dessus, la Cour supérieure de justice de l’Ontario devait, pour calculer l’amende conformément à l’alinéa 327(2)a) de la Loi, tirer une conclusion concernant le montant de la taxe que les appelantes avaient cherché à éluder;

 

●          le caractère définitif : l’instance pénale a débouché sur la décision de la Cour suprême de ne pas autoriser l’appel. L’instance a donc acquis un caractère définitif;

 

●          les mêmes parties : les appelantes et l’intimée, Sa Majesté la Reine, sont parties à la fois à l’instance pénale et à l’instance devant la Cour de l’impôt.

 

(Voir Danyluk, précité, au paragraphe 25.)

 

[15]           La Cour de l’impôt s’est penchée ensuite sur la question de savoir si elle devait exercer son pouvoir discrétionnaire de façon à permettre la remise en cause. Après avoir examiné les circonstances de l’espèce, elle a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire de cette façon.

 

D.        La principale question dont est saisie la Cour en l’espèce : la décision de la Cour de l’impôt de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire de façon à permettre la remise en cause

 

[16]           Les arguments présentés à la Cour dans le présent appel portaient principalement sur la décision de la Cour de l’impôt de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire de façon à permettre la remise en cause. Il s’agit d’une décision discrétionnaire fondée principalement sur les faits. Pour que la Cour intervienne, il faut que la décision de la Cour de l’impôt soit viciée par une erreur manifeste et dominante. Or, je ne relève aucune erreur de ce genre en l’espèce.

 

[17]           De manière générale, les appelantes laissent entendre que le montant de la taxe qu’elles auraient cherché à éluder n’a jamais vraiment été calculé dans le cadre de l’instance devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario, ce qui, selon elles, aurait dû amener la Cour de l’impôt à exercer son pouvoir discrétionnaire de façon à leur permettre de remettre en cause ce montant.

 

[18]           Les appelantes allèguent que la question du montant n’a pas été soumise au jury et que le montant en question n’a jamais vraiment été calculé par la juge qui a présidé l’instance pénale. En fait, l’avocat des appelantes et le procureur de la Couronne ont simplement supposé que les montants de taxe que les appelantes avaient cherché à éluder étaient ceux indiqués dans les actes d’accusation. La juge qui a présidé l’instance a simplement fondé sa décision relative au montant de l’amende sur cette supposition.

 

[19]           Certaines observations de la Cour d’appel de l’Ontario renforcent la prétention des appelantes. Cette cour a mentionné que la juge du procès avait présumé le montant de la taxe que les appelantes avaient cherché à éluder et qu’il aurait été préférable qu’elle tire une conclusion précise sur cette question en se fondant sur la preuve dont elle disposait : voir les paragraphes 30 à 32.

 

[20]           En réponse à cette question, la Cour de l’impôt a indiqué (au paragraphe 24) que les montants en cause [traduction] « constituaient un élément essentiel qui faisait partie intégrante » de l’instance pénale. Bien que cela soit exact en ce sens que l’amende était fondée sur ces montants, la réponse de la Cour de l’impôt ne règle pas directement la principale préoccupation des appelantes, à savoir que les montants ont seulement été présumés et non déterminés.

 

[21]           Cependant, le refus de la Cour de l’impôt de permettre la remise en cause était amplement appuyé par d’autres facteurs qu’elle a décrits. Certains de ces facteurs concernaient M. Stelmaszynski, qui n’était pas partie à l’instance devant la Cour de l’impôt, mais qui, en tant que dirigeant et administrateur des appelantes, contrôlait cette instance. La Cour de l’impôt a tiré une conclusion de fait selon laquelle M. Stelmaszynski n’avait aucun intérêt à défendre les droits des appelantes au regard des montants en cause. Il se servait plutôt de l’instance de la Cour de l’impôt pour remettre en cause les accusations pénales portées contre lui et pour se disculper et (au paragraphe 26). En outre, la Cour de l’impôt a souligné que les appelantes n’étaient plus exploitées, qu’elles n’avaient aucun actif et qu’elles n’avaient pas encore acquitté leur amende (au paragraphe 27). Enfin, la Cour de l’impôt était préoccupée par l’économie des ressources judiciaires, par la conformité possible des issues de son instance et de l’instance pénale et par l’intégrité de l’administration de la justice (au paragraphe 27).

 

[22]           Il y a un autre facteur qui appuie fortement le refus de la Cour de l’impôt de permettre la remise en cause. Les appelantes avaient déjà en main les nouvelles cotisations établies à leur égard lorsque le procès pénal a commencé. Elles savaient qu’elles pouvaient interjeter appel de ces nouvelles cotisations à la Cour de l’impôt. Malgré cela et le risque réel que celle‑ci conclue à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, elles ont choisi, au cours du processus de détermination de la peine dans le cadre de l’instance pénale, de ne pas contester sérieusement le montant de la taxe qu’elles auraient éludé. Elles étaient représentées par un avocat lorsqu’elles ont fait ce choix. La preuve ne permet pas de croire que celui‑ci a été fait par hasard ou par erreur. Il n’y a aucune preuve d’une tentative de se réserver des droits éventuels. À mon avis, il n’y a aucun motif de dégager les appelantes des conséquences de leur choix.

 

[23]           Enfin, pour que le pouvoir discrétionnaire soit exercé de façon à permettre la remise en cause, il faut que les circonstances justifiant cet exercice l’emportent sur les politiques publiques importantes qui vont à son encontre, notamment la nécessité du caractère définitif des décisions, le fait d’éviter les instances faisant double emploi, le risque de résultats contradictoires et les dépenses inutiles : Danyluk, précité, au paragraphe 18. La Cour de l’impôt n’était pas convaincue que les circonstances favorables à la remise en cause l’emportaient sur ces politiques publiques importantes. Il n’y a aucune raison de modifier cette conclusion.

 

E.         Décision proposée

 

[24]           Par conséquent, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

« David Stratas »

j.c.a.

 

 

 

« Je suis d’accord.

     John M. Evans, j.c.a. »

« Je suis d’accord.

     Carolyn Layden-Stevenson, j.c.a. »

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                A-420-10

 

APPEL D’UNE ORDONNANCE RENDUE PAR LE JUGE RÉAL FAVREAU EN DATE DU 28 OCTOBRE 2010, NO 2005-2906(GST)G

 

INTITULÉ :                                                               DUNDURN STREET LOFFTS INC. et

                                                                                    ALEXANDER STREET LOFTS DEVELOPMENT CORPORATION INC. c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       Le 5 octobre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    LE JUGE STRATAS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                 LE JUGE EVANS

                                                                                    LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

                                                                                   

DATE DES MOTIFS :                                              Le 18 octobre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Adam J. Stelmaszynski

POUR LES APPELANTES

 

Suzanie Chua

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 

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