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Cour d'appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20111017

Dossier : A-440-10

Référence : 2011 CAF 284

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LE JUGE PELLETIER

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

CAROL BERGERON

défendeur

 

 

 

Audience tenue à Québec (Québec), le 4 octobre 2011.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 17 octobre 2011.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                    LE JUGE EN CHEF BLAIS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                       LE JUGE PELLETIER

LE JUGE MAINVILLE


Cour d'appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20111017

Dossier : A-440-10

Référence : 2011 CAF 284

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LE JUGE PELLETIER

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

CAROL BERGERON

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE EN CHEF BLAIS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la part du Procureur général du Canada à l’encontre d’une décision du juge-arbitre rendue le 23 septembre 2010 en faveur de Carol Bergeron. Dans sa décision, le juge-arbitre a conclu qu’il était raisonnable pour le conseil arbitral, vu la preuve, de conclure au caractère involontaire de la conduite du défendeur.

 

[2]               J’accueillerais l’appel du Procureur général.

 

FAITS PERTINENTS

[3]               Depuis l’été 1977, le défendeur a reçu des avertissements répétés en raison de ses nombreuses absences injustifiées du travail. Ces absences ont débuté au courant du mois de juillet 2007 et ont perduré jusqu’à la fin novembre 2008.

 

[4]               Il apparaît du dossier que le 26 novembre 2008, un psychiatre a diagnostiqué chez le défendeur une dépression majeure, tel qu’il apparaît au certificat médical, mais a néanmoins prévu une date de retour au travail quatre jours plus tard, soit le 1er décembre 2008.

 

[5]               Le défendeur est donc revenu au travail le 5 décembre 2008, mais le problème d’absentéisme s’est manifesté à nouveau : l’employeur a été incapable de rejoindre le défendeur  le 30 décembre 2008 ainsi qu’entre le 2 et le 4 janvier 2009 afin de fixer son horaire de travail. Il a été averti cette fois qu’il pourrait être congédié s’il continuait à s’absenter du travail sans motif valable. Finalement, le défendeur s’est absenté de nouveau, à deux reprises, sans autorisation et sans raison valable au cours du mois de janvier. Le 3 février 2009, le défendeur est arrivé au travail en retard et est congédié le même jour.

 

[6]               Après avoir présenté une demande initiale de prestations régulières à la Commission de l’assurance-emploi (Commission), une période de prestations a été établie à son profit à compter du 15 mars 2009.

 

[7]               Dans sa demande de prestations, le défendeur admet qu’il a été congédié en raison de ses absences répétées, ajoute qu’il a été rappelé au travail le 6 janvier 2009 et qu’il était informé qu’il devait se rapporter à son employeur, faute de quoi il était passible d’un congédiement.

 

[8]               Selon les procédures habituelles, la Commission a communiqué avec l’employeur pour obtenir des détails sur les circonstances à l’origine du congédiement. Le représentant de l’employeur a confirmé les nombreuses absences au travail du défendeur ainsi que l’escalade des mesures d’avertissement et de suspension entre juillet 2007 et le 3 février 2009, date du congédiement.

 

[9]               Le défendeur a confirmé à la Commission la version de l’employeur. Il a mentionné qu’il avait agi de la sorte en raison de son divorce duquel il était incapable de se remettre et qu’il s’était absenté de son travail à plusieurs reprises en raison de ses problèmes personnels. Le 11 mai 2009, la Commission a informé le défendeur qu’elle ne pouvait pas lui payer les prestations régulières d’assurance-emploi à partir du 15 mars 2009, début de la période de prestations qui avait été établie, puisqu’il avait perdu son emploi le 3 février 2009 en raison de son inconduite. La Commission a informé le défendeur qu’il pouvait communiquer avec la Commission s’il désirait vérifier son admissibilité aux prestations spéciales de maladie.

 

[10]           Lors de son appel devant le conseil arbitral, le défendeur n’était pas présent et n’a pas apporté de nouveaux éléments de preuve quant aux faits.

 

[11]           Le représentant du défendeur a déposé le rapport médical, daté du 26 novembre 2008, d’un psychiatre, lequel rappelons-le avait établi un diagnostic de dépression majeure et avait indiqué un retour au travail quatre jours plus tard, soit le 1er décembre 2008.

 

[12]           Le 17 juin 2009, le conseil arbitral a accueilli l’appel du défendeur. Selon le conseil, le défendeur n’avait pas agi de façon volontaire ou délibérée puisque la preuve médicale de dépression majeure était connue de l’employeur et n’avait pas été contredite par celui-ci.

 

[13]           Le 23 septembre 2010, le juge-arbitre a rejeté l’appel de la Commission aux motifs qu’il ne lui appartenait pas de substituer sa propre conclusion factuelle à celle du conseil arbitral lorsque celle-ci n’est pas déraisonnable et trouve appui dans la preuve.

 

ANALYSE

[14]           Toutes les parties s’entendent sur la chronologie des événements et tant l’employeur que le défendeur semblent être d’accord sur les motifs qui ont entraîné le congédiement du défendeur.

 

[15]           Lorsque le défendeur dépose sa demande de prestations en mars 2009, il mentionne simplement qu’il a été congédié pour absentéisme répété. Il passe sous silence son état de dépression majeure.

 

[16]           Ce n’est en fait que devant le conseil arbitral que le représentant du défendeur fait état du diagnostic de « dépression majeure ». Le diagnostic mentionne qu’aucun suivi n’est nécessaire par un spécialiste et prévoit un retour au travail quatre jours plus tard, soit le 1er décembre 2008.

 

[17]           Il n’existe aucune preuve ni témoignage à l’effet qu’après le retour au travail en décembre 2008, le défendeur se soit retrouvé dans l’état de dépression majeure sur lequel s’est basé le conseil arbitral pour arriver à ses conclusions.

 

[18]           Dans sa décision, le conseil arbitral mentionne clairement à la page 3 que :

La question que doit se poser le conseil arbitral est à savoir si le prestataire a, oui ou non, perdu son emploi en raison de sa propre inconduite en vertu des articles 29 et 30 de la Loi sur l’assurance-emploi.

 

Pour que le geste reproché constitue de l’inconduite au sens de l’article 30 de la Loi, il faut qu’il y ait un caractère volontaire ou délibéré ou qu’il résulte d’une insouciance ou d’une négligence telle qu’il frôle le caractère délibéré. Il doit également y avoir une relation de cause à effet entre l’inconduite et le congédiement.

 

Dans la présente cause, le prestataire a été mis à pied en raison du fait qu’il avait des problèmes d’absentéisme au travail.

 

[19]           Il m’apparaît que jusque-là, le conseil avait bien compris quel était son rôle quant à l’appréciation des faits.

 

[20]           Cependant, le conseil arbitral continue son analyse de la façon suivante :

À l’audience, le représentant du prestataire a déposé un certificat médical mentionnant que le prestataire était en dépression majeure depuis le mois de novembre 2008. Donc, un fait qui était connu de son employeur.

 

Face à cette preuve médicale non contredite par l’employeur, le conseil arbitral conclut que le prestataire n’a pas agi de façon volontaire, délibérée. Il faut que l’acte reproché ait un caractère volontaire ou délibéré ou doit résulter d’une insouciance ou d’une négligence telle qu’il frôle le caractère délibéré (Arrêt Tucker A-381-85).

 

Le prestataire n’a pas perdu son emploi en raison de sa propre inconduite au sens de la Loi.

 

[21]           Force est de conclure que le conseil arbitral a donné une portée au certificat médical beaucoup plus large qu’il possède vraiment. En vérité, ce rapport médical était rattaché à une demande de prestations d’assurance-salaire pour une absence du travail au cours du mois de novembre 2008. Bien que le docteur Rupert Lessard fait mention d’une dépression majeure dans son diagnostic, il établit le degré de gravité à « moyen », ajoute que l’arrêt de travail résulte de difficultés liées à la vie conjugale-familiale du défendeur, mentionne plus loin qu’aucune autre date de consultation n’est prévue, que le patient ne sera pas dirigé vers un psychiatre, mais plutôt un médecin de pratique générale et que son retour au travail est prévu pour le 1er décembre 2008, soit quatre jours plus tard.

 

[22]           À mon avis, l’employeur n’avait pas à contredire ou répondre à la preuve médicale, puisque le retour au travail était prévu et qu’en fait le défendeur a repris le travail.

 

[23]           Il ressort donc que le conseil arbitral a considéré que ce diagnostic, même s’il prévoyait un retour au travail pour le 1er décembre 2008, pouvait l’amener à conclure que le prestataire était toujours en situation de dépression majeure depuis le mois de novembre 2008 et que l’existence de ce certificat démontrait que le défendeur n’avait pas agi de façon volontaire ou délibérée.

 

[24]           Il s’agit, à mon avis, non pas d’une inférence de la preuve mais plutôt d’une spéculation quant à la portée réelle d’un document; le conseil conclut qu’en dépit du certificat médical qui prévoit un retour au travail le 1er décembre 2008, la situation de dépression majeure continue dans les mois subséquents. À mon avis, en donnant une portée démesurée au certificat médical, le conseil arbitral était dans l’erreur.

 

[25]           Bien qu’il ne soit pas fréquent pour une cour d’appel de se pencher sur les questions factuelles, force est de constater en l’espèce qu’il y a une absence totale de preuve et que l’utilisation d’un certificat médical pour une période ultérieure de plus de trois mois à la période visée par ledit certificat, est tout à fait déraisonnable.

 

[26]           Le conseil arbitral ne pouvait pas, en l’absence totale de preuve, conclure que le prestataire n’avait pas perdu son emploi en raison de sa propre inconduite au sens de la Loi.

 

[27]           En appel, le juge-arbitre souligne le caractère discutable de la conclusion factuelle du conseil arbitral, mais conclut qu’il ne lui appartient pas de substituer sa propre conclusion factuelle, à celle du conseil arbitral.

 

[28]           En rejetant l’appel, le juge-arbitre adopte l’erreur factuelle du conseil arbitral en donnant lui aussi une portée beaucoup plus grande au certificat médical du 26 novembre 2008. Selon lui, il était loisible pour le conseil arbitral de conclure que les absences du défendeur de janvier 2009 et sa dépression majeure étaient concomitants.

 

[29]           À mon avis, le juge-arbitre avait le devoir d’intervenir et d’annuler la décision du conseil arbitral.

 

[30]           Depuis l’arrêt Tucker, la jurisprudence est très claire : un acte est délibéré lorsqu’il est fait de façon consciente, voulue ou intentionnelle. Tel que le mentionne le juge Nadon dans l’arrêt Mishibinijima,

« […] il y a inconduite lorsque le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédié.

(Mishibinijima c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 36, paragraphe 14, page 414)

 

[31]           Les faits dans ce dossier sont d’une grande limpidité. La preuve au dossier révèle que le défendeur avait reçu plusieurs avertissements verbaux et écrits pour ses absences répétées, non autorisées, au cours des mois et semaines qui ont précédé son congédiement.

 

[32]           Le défendeur était conscient que ses nombreuses absences n’étaient plus acceptables. Il avait eu des rencontres tant avec son syndicat qu’avec son employeur pour discuter de ses problèmes personnels et tenter d’arriver à corriger son absentéisme. Le juge-arbitre avait le devoir de s’assurer que le conseil arbitral avait appliqué le test juridique pour déterminer le caractère volontaire ou non de l’inconduite. Le juge-arbitre aurait dû conclure qu’aucune preuve n’appuyait la thèse du défendeur et que ce dernier avait perdu son emploi en raison de son inconduite.

 

[33]           Notre cour n’a donc d’autre choix que d’intervenir elle-même pour accueillir la demande de contrôle judiciaire, annuler la décision rendue par le juge-arbitre, et renvoyer l’affaire au juge-arbitre en chef ou un juge-arbitre désigné pour qu’il la décide à nouveau en tenant pour acquis que le défendeur doit être exclu du bénéfice des prestations en raison de sa propre inconduite au sens de l’article 30 de la Loi sur l’assurance-emploi.

« Pierre Blais »

j.c.a.

« Je suis d’accord

            J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

            Robert M. Mainville, j.c.a. »


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-440-10

 

Demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un juge-arbitre rendue le 23 septembre 2010 (CUB 753-17).

 

INTITULÉ :                                                                           PGC c. Carol Bergeron

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   Le 4 octobre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                JUGE EN CHEF BLAIS

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             JUGE PELLETIER

                                                                                                JUGE MAINVILLE

 

DATE DES MOTIFS :                                                          Le 17 octobre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Chantal Labonté

Me Pauline Leroux

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Sabrina Tremblay

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan, sous-procureur général du Canada

POUR LE DEMANDEUR

 

Masson Ste-Marie Avocats s.e.n.c.r.l.

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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