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Date : 20110414

Dossier : A‑483‑10

Référence : 2011 CAF 136

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE DAWSON

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET

LA COMMISSION NATIONALE DES

LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES

appelants

et

JOHN ANTHONY FRANCHI

défendeur

 

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 11 avril 2011

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 14 avril 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                   LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                         LA JUGE DAWSON

                                                                                                                           LE JUGE STRATAS

 

 


Date : 20110414

Dossier : A‑483‑10

Référence : 2011 CAF 136

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE DAWSON

                        LE JUGE STRATAS

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET

LA COMMISSION NATIONALE

DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES

appelants

et

JOHN ANTHONY FRANCHI

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EVANS

Introduction

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté par le procureur général du Canada et la Commission nationale des libérations conditionnelles (la Commission) à l’encontre d’une décision de la Cour fédérale datée du 24 novembre 2010. Dans cette décision (2010 CF 1179), le juge Harrington (le juge) a accueilli une demande de contrôle judiciaire présentée par John Anthony Franchi. Le juge a annulé une décision de la Section d’appel de la Commission, datée du 19 mars 2010, confirmant la révocation de la libération conditionnelle de jour de M. Franchi et le rejet de sa demande de libération conditionnelle totale.

 

[2]               La Commission a révoqué la libération de M. Franchi parce qu’il avait contrevenu aux conditions qui lui avaient été imposées. En particulier, il avait omis de signaler, sans délai, tout changement dans sa situation financière et de fournir à son agent de libération conditionnelle, sans délai et sur demande, des renseignements financiers complets (notamment ses éléments d’actif, ses dettes, ses revenus et ses dépenses).

 

[3]               Le juge a convenu que M. Franchi n’avait pas signalé sans délai un changement dans sa situation financière. Toutefois, il a conclu que, prises ensemble, les deux conditions en cause étaient contradictoires et ambiguës, et qu’elles ne permettaient pas à M. Franchi de savoir avec certitude quelles étaient ses obligations en matière de déclarations. Il était donc déraisonnable que la Commission révoque sa libération conditionnelle de jour et refuse de lui accorder une libération conditionnelle totale au motif qu’il n’avait pas respecté la condition exigeant qu’il informe sans délai son agent de libération conditionnelle d’un changement dans sa situation financière. Le juge a en outre statué que la Commission avait manqué à son obligation d’équité en ne précisant pas dans ses motifs les raisons l’ayant amenée à écarter les explications de M. Franchi quant à savoir pourquoi il n’avait pas, après qu’on en lui est fait la demande, fourni sans délai tous les renseignements d’ordre financier.

 

[4]               J’estime que la conclusion du juge est erronée. Correctement interprétées, les conditions étaient complémentaires et non contradictoires ou ambiguës. Elles imposaient à M. Franchi des obligations distinctes, à savoir signaler sans délai, de sa propre initiative, tout changement dans sa situation financière et fournir, sur demande, sans délai des renseignements financiers complets. De plus, une interprétation objective m’amène à conclure que les motifs de la Commission permettaient à M. Franchi de connaître les fondements de sa décision.

 

[5]               En conséquence, j’accueillerais l’appel.

 

Le contexte factuel et législatif

[6]               M. Franchi a 58 ans. En 2007, il a plaidé coupable à une série d’infractions de fraude commises sur plusieurs années, et il a été condamné à six ans d’emprisonnement. Il s’agissait de sa deuxième déclaration de culpabilité et de sa deuxième peine d’emprisonnement de six ans pour des infractions de cette nature remontant à 1989. De plus, il a commis des infractions de fraude à l’aide de cartes de crédit pendant que, sur le coup de sa première peine, il était en libération conditionnelle de jour.

 

[7]               En mars 2009, la Commission lui a accordé une libération conditionnelle de jour. Sa libération était assujettie aux conditions habituelles imposées en vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20, paragraphe 133(2) (la Loi).

133. (2) Sous réserve du paragraphe (6), les conditions prévues par règlement sont réputées avoir été imposées dans tous les cas de libération conditionnelle ou d’office ou de permission de sortir sans escorte.

133. (2) Subject to subsection (6), every offender released on parole, statutory release or unescorted temporary absence is subject to the conditions prescribed by the regulations.

 

 

[8]               La condition en cause dans le présent appel figure au sous‑alinéa 161(1)g)(iii) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92‑620.

161. (1) Pour l’application du paragraphe 133(2) de la Loi, les conditions de mise en liberté qui sont réputées avoir été imposées au délinquant dans tous les cas de libération conditionnelle ou d’office sont les suivantes :

[…]

 

g) dès sa mise en liberté, il doit communiquer à son surveillant l’adresse de sa résidence, de même que l’informer sans délai de :

[…]

iii) tout changement dans sa situation domestique ou financière

[…]

161. (1) For the purposes of subsection 133(2) of the Act, every offender who is released on parole or statutory release is subject to the following conditions, namely, that the offender

 

[…]

 

(g) advise the parole supervisor of the offender’s address of residence on release and thereafter report immediately

[...]

iii) any change in the domestic or financial situation of the offender  […]

 

 

[9]               De plus le paragraphe 133(3) de la Loi autorise la Commission à imposer à sa discrétion certaines conditions :

133. (3) L’autorité compétente peut imposer au délinquant qui bénéficie d’une libération conditionnelle ou d’office ou d’une permission de sortir sans escorte les conditions qu’elle juge raisonnables et nécessaires pour protéger la société et favoriser la réinsertion sociale du délinquant.

133. (3) The releasing authority may impose any conditions on the parole, statutory release or unescorted temporary absence of an offender that it considers reasonable and necessary in order to protect society and to facilitate the successful reintegration into society of the offender.

 

 

[10]           Parmi les conditions que la Commission a imposées à M. Franchi dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, voici celle qui nous intéresse plus particulièrement :

[traduction] Fournir sans délai et sur demande des renseignements financiers complets, y compris ses éléments d’actif, ses dettes, ses revenus et ses dépenses, à son surveillant de libération conditionnelle.

 

Une autre condition prévoyait ce qui suit : [traduction] « tout emploi doit au préalable être approuvé par votre surveillant de libération conditionnelle […] ».

 

[11]           M. Franchi a été mis en liberté conditionnelle de jour le 14 avril 2009, sous réserve des conditions susmentionnées. Il a travaillé pour l’entreprise d’aménagement paysager et de construction de sa sœur, mais se disait préoccupé du fait que ce travail ne mettait pas à profit ses compétences et que son salaire ne lui permettait de rembourser ses dettes.  

 

[12]           Son équipe de gestion de cas s’est réunie le 1er septembre 2009 pour examiner, en vue de déterminer s’il y avait lieu de lui accorder une libération conditionnelle totale, des rapports financiers concernant M. Franchi que le Bureau de libération conditionnelle avait obtenus d’Equifax Canada Inc., une agence d’évaluation du crédit. Ces rapports ont suscité des interrogations parce qu’il y était indiqué que M. Franchi travaillait pour une société de placement appartenant à son cousin. Si tel était le cas, il s’agissait d’un manquement à la condition discrétionnaire à laquelle sa libération était assujettie étant donné qu’il n’avait pas obtenu l’autorisation préalable de son surveillant de libération conditionnelle pour occuper cet emploi. De plus, le rapport indiquait qu’il avait participé aux activités de placement de l’entreprise, notamment en fournissant des conseils financiers à un investisseur et qu’il avait fait de fausses déclarations au sujet de son emploi afin d’améliorer sa capacité d’emprunt.   

 

[13]           À la suite d’une réunion de supervision tenue le 3 septembre 2009, l’équipe de gestion de cas de M. Franchi a suspendu sa libération conditionnelle de jour en raison des interrogations que soulevaient les rapports fournis par Equifax. Lors d’une entrevue effectuée après la suspension, le 9 septembre 2009, le surveillant de libération conditionnelle de M. Franchi lui a expliqué les raisons ayant motivé la décision de suspension. Ce dernier a nié avoir travaillé pour l’entreprise de placement et il a prétendu qu’il était sans doute question dans le rapport de l’emploi qu’il avait auparavant occupé au sein de la société de placement de son cousin – et qui a pris fin lorsqu’il a été incarcéré.

 

[14]           En examinant les documents financiers produits par M. Franchi lors de la réunion du 3 septembre 2009, l’agent de libération conditionnelle a constaté que ce dernier avait emprunté au mois d’août la somme de 53 000 $ par le biais de marges de crédit et de cartes de crédit, emprunts dont il n’avait pas communiqué l’existence. Il a par la suite été établi qu’il avait emprunté un total de 104 000 $.

 

[15]           Lorsqu’il a été interrogé à ce sujet pendant la réunion subséquente à sa suspension, tenue le 9 septembre 2009, M. Franchi a indiqué qu’il avait l’intention d’investir, par l’entremise de la société d’investissement, les sommes empruntées dans un placement rapportant un taux d’intérêt élevé et de rembourser ses dettes préexistantes à l’aide des intérêts ainsi gagnés. Toutefois, il n’a fourni aucun document montrant qu’il avait effectivement investi la somme 104 000 $ par l’entremise de la société de placement.

 

[16]           Dans sa décision subséquente à la suspension, datée du 2 décembre 2009, la Commission a décrit les activités financières auxquelles M. Franchi s’est livré pendant qu’il était en libération conditionnelle et elle a relevé qu’il n’avait pas informé son agent de libération conditionnelle des changements dans sa situation financière lorsqu’ils se sont rencontrés au mois d’août. La Commission a en outre constaté (dossier d’appel, p. 44) que bien que M. Franchi ait plus tard fourni des renseignements concernant son prêt de 104 000 $ et la façon dont il avait investi le produit du prêt, il n’avait produit

[traduction] aucun document officiel, reçu ou contrat indiquant où les fonds avaient été investis, à quel taux et pour quelle durée.

 

 

[17]           La Commission a révoqué la libération conditionnelle de M. Franchi parce qu’il avait contrevenu à la condition type exigeant qu’il signale sans délai tout changement dans sa situation financière, et à la condition discrétionnaire selon laquelle il devait fournir sans délai, sur demande, des renseignements financiers complets à son agent de libération conditionnelle. Toutefois, la Commission a statué que la preuve ne permettait pas de conclure qu’il avait contrevenu à la condition relative à son emploi. Enfin, elle a refusé de lui accorder une libération conditionnelle totale au motif que le risque qu’il récidive avant l’expiration de sa peine était trop élevé.

 

Décision de la Section d’appel de la Commission

[18]           Devant la Section d’appel de la Commission, M. Franchi a fait valoir que les deux conditions en cause en l’espèce portaient à confusion parce qu’elles ne permettaient pas de savoir avec certitude s’il avait l’obligation de fournir des renseignements financiers immédiatement ou seulement lorsque son agent de libération conditionnelle en faisait la demande. De plus, dit‑il, lors de sa rencontre avec son agent de libération conditionnelle au mois d’août 2009, on ne lui a pas demandé de fournir des renseignements financiers complets. Lorsqu’on lui a plus tard demandé de le faire, il a fourni tous les renseignements dont il disposait à ce moment. Il était donc injuste et déraisonnable que la Commission révoque sa libération conditionnelle de jour et refuse de lui accorder une libération conditionnelle totale.

 

[19]           La Section d’appel a rejeté les arguments susmentionnés ainsi que tous les autres arguments avancés par M. Franchi. Elle a souscrit à la décision subséquente à la suspension de la Commission selon laquelle il n’avait pas « sans délai » informé son agent de libération conditionnelle des changements dans sa situation financière, à savoir, le fait qu’il avait emprunté et placé la somme de 104 000 $ au mois d’août. Elle a également convenu que les renseignements fournis, en réponse à la demande de renseignements financiers complets, n’étaient pas exhaustifs étant donné que la [traduction] « nature exacte du placement » n’était pas précisée (dossier d’appel, p. 119).

 

[20]           Se fondant sur ce qui précède, et tenant compte des antécédents criminels de M. Franchi, la Section d’appel a conclu qu’une libération, de jour ou totale, présentait un trop grand risque pour la société. Elle a donc confirmé les décisions de la Commission faisant suite à l’audience subséquente à la suspension, à savoir révoquer la libération de jour et refuser la libération totale, et elle a conclu que les raisons l’ayant amenée à rendre sa décision étaient clairement exprimées dans ses motifs. 

 

ANALYSE

[21]           Dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire, M. Franchi a de nouveau fait valoir que les deux conditions portaient à confusion, et que les motifs de la Commission n’expliquaient pas clairement pourquoi elle avait conclu que les renseignements relatifs à la nature de son investissement n’étaient pas complets. Le juge a souscrit à son point de vue.

 

                  (i)  Les conditions

[22]           Comme il a déjà été signalé, le juge a statué que les conditions étaient contradictoires et ambiguës. Prise isolément, la condition type exigeait clairement que M. Franchi signale « sans délai » tout changement dans sa situation financière. Toutefois, selon le juge, l’ajout de la condition discrétionnaire exigeant qu’il fournisse des renseignements financiers complets a embrouillé le sens de la première condition. Prises ensemble, il a estimé que les deux conditions ne permettaient pas à M. Franchi de savoir avec certitude s’il devait signaler un changement dans sa situation financière dès qu’il survenait, ou si son agent de libération conditionnelle devait ou non lui en faire la demande.

 

[23]           Dans ces circonstances, le juge a conclu que la décision de la Commission, selon laquelle M. Franchi avait contrevenu à l’obligation type, l’avait privé de façon foncièrement injuste de sa libération conditionnelle. De façon à éviter un tel résultat, il a interprété la condition discrétionnaire dans laquelle figure l’obligation de communication « sur demande » comme modifiant l’obligation de signaler les changements « sans délai » prévue dans la condition type.

 

[24]           Par conséquent, selon le juge, la révocation de la libération de M. Franchi et le rejet de sa demande de libération conditionnelle totale par la Commission ne pouvaient être justifiés que s’il avait été validement établi qu’il avait contrevenu à son obligation de fournir des renseignements financiers complets sur demande.

 

[25]           Selon moi, le sens devant être attribué aux conditions dont était assortie sa libération est une question de droit étant donné que ces conditions sont fixées en vertu de pouvoirs conférés par la Loi. Comme il s’agit de la loi habilitante de la Commission, l’interprétation qu’elle fait des conditions de libération ne constitue une erreur de droit que si elle est déraisonnable, et qu’aucune question revêtant une importance fondamentale pour le fonctionnement du système de justice n’est soulevée : Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, par. 25‑28.

 

[26]           Il ressort clairement de leurs motifs que la Section d’appel et la Commission ont toutes deux estimé que les conditions légales et les conditions discrétionnaires étaient complémentaires. Vu leur libellé, leur objet et le contexte des conditions imposées à M. Franchi, cette conclusion n’était pas déraisonnable. De fait, il s’agissait de la seule interprétation qui s’offrait raisonnablement à la Section d’appel et à la Commission. Je suis donc d’avis que leur interprétation des conditions était correcte.

 

[27]           À première vue, les conditions en cause créent des obligations différentes. D’abord, comme la plupart des délinquants libérés sous condition, M. Franchi devait signaler « sans délai » tout changement dans sa situation financière. Emprunter une somme de 104 000 $ et l’investir par l’entremise de la société de placement de son cousin constituait un changement de cette nature. M. Franchi n’a pas signalé ces transactions à son agent de libération conditionnelle lors de la rencontre au mois d’août, le mois où les transactions ont été effectuées. Il a donc contrevenu à la condition type.

 

[28]           Le juge a indiqué (au par. 21) qu’il serait lui aussi arrivé à cette conclusion si M. Franchi n’avait pas été assujetti à la condition discrétionnaire. Lors de l’audience devant notre Cour, M. Franchi a lui aussi convenu qu’il y aurait lieu de conclure qu’il ne s’était pas conformé à la condition type si rien n’y avait été ajouté.

 

[29]           Vu la nature des antécédents criminels de M. Franchi, la Commission lui a imposé dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire une condition additionnelle. Cette condition prévoyait la fourniture de renseignements financiers complets, dont les documents énumérés dans ladite condition, sans délai, après que son agent de libération conditionnelle lui en ait fait la demande, et ce, que sa situation financière ait ou non changée. Comme l’agent de libération conditionnelle se doutait que M. Franchi n’avait pas signalé des changements dans sa situation financière comme il était tenu de le faire, il lui a demandé de fournir des renseignements financiers complets.

 

[30]           Je ne vois ni ambiguïté ni contradiction entre les deux conditions. Le fait de se conformer à une condition n’entraînait pas le non‑respect de l’autre. La Commission a à juste titre conclu que les conditions étaient complémentaires et que leur sens était clair : M. Franchi devait signaler les changements dans sa situation financière sans délai et, sur demande, sans délai également, fournir des renseignements financiers complets. Si M. Franchi n’était pas certain de l’étendue des obligations résultant des conditions lui ayant été imposées, ce dont je doute fort, il aurait dû demander des précisions.

 

[31]           M. Franchi admet que les conditions elles‑mêmes ne sont pas contradictoires, mais il fait valoir qu’elles ont été appliquées par l’agent de libération conditionnelle comme si elles formaient un tout. Par conséquent, il a été amené à croire qu’il lui suffisait de fournir des renseignements au sujet de sa situation et de ses activités financières sur demande. Pour répondre à cet argument, il suffit de rappeler que le fait que le délinquant soit obligé d’immédiatement signaler tout changement dans sa situation financière sans qu’il soit nécessaire qu’on le lui demande constitue l’élément central de la condition type, et que seule la Commission, et non l’agent de libération conditionnelle, peut modifier les conditions types : la Loi, par. 133(6).

 

[32]           La décision de la Commission selon laquelle M. Franchi avait contrevenu à la condition prévue par la loi exigeant qu’il signale tout changement dans sa situation financière sans délai n’était pas déraisonnable.

 

ii)  Motifs de la Section d’appel

[33]           Devant la Section d’appel de la Commission, M. Franchi a entre autre fait valoir qu’il n’avait pas contrevenu à la condition discrétionnaire de fournir des renseignements financiers complets sur demande parce qu’il ne savait pas ce que son cousin faisait avec l’argent que M. Franchi plaçait par l’entremise de sa société de placement.

 

[34]           Le juge était d’accord. Après avoir souligné que la Section d’appel avait conclu que M. Franchi avait contrevenu à la condition discrétionnaire parce que les renseignements financiers qu’il avait fournis n’étaient pas adéquats, le juge dit ce qui suit (au par. 25) :

Cependant, elle ne dit pas pourquoi ils l’étaient. L’arrangement conclu avec son cousin était manifestement plus informel qu’une relation sans lien de dépendance. Cependant, c’était le cousin qui décidait quoi faire avec l’argent. Il ne s’ensuit pas que M. Franchi avait directement en main les détails relatifs au placement. Ce défaut de la part de la Commission d’exprimer ses conditions constitue un manquement à l’équité procédurale, et il n’y a pas lieu de faire preuve d’une retenue quelconque à son égard.

 

Le juge revient sur la question à la fin de ses motifs (au par. 30) :

La seconde conclusion, à savoir que la divulgation était insuffisante parce que M. Franchi ne savait pas directement ce que son cousin faisait de l’argent, n’a pas été expliquée de manière compréhensible à la Cour.

 

 

[35]           Compte tenu de ce qui précède, le juge a conclu que la décision selon laquelle M. Franchi avait contrevenu à la condition discrétionnaire était invalide parce que cette conclusion a été tirée sans justification claire au mépris de l’obligation d’équité de la Commission. Pour ce motif, le juge a annulé la révocation de libération conditionnelle de jour et le refus d’accorder une libération conditionnelle totale.

 

[36]           L’équité procédurale exige que les motifs d’un tribunal administratif fournissent suffisamment de renseignements aux parties et au public sur le fondement de la décision pour permettre aux parties de déterminer s’il y a lieu d’en appeler ou de présenter une demande de contrôle judiciaire, et pour permettre au tribunal chargé du contrôle de s’acquitter de sa tâche : voir Administration de l’aéroport international de Vancouver c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2010 CAF 158, 320 D.L.R. (4th) 733, au par. 16.

 

[37]           Dans un cas comme celui qui nous occupe – où la Section d’appel a confirmé la décision de la Commission – la Cour doit aussi, pour évaluer si les motifs de la Section d’appel concernant une question particulière étaient adéquats, examiner les motifs de la Commission dans la décision subséquente à la suspension portant sur cette question. La décision de la Commission subséquente à la suspension se fonde quant à elle sur un volumineux rapport d’évaluation soumis à la Commission par l’agent de libération conditionnelle de M. Franchi, recommandant que la Commission révoque la libération conditionnelle de jour et refuse d’accorder une libération conditionnelle totale. Cela, aussi, fait partie du dossier administratif que la Cour peut prendre en compte pour déterminer si, vu l’ensemble du dossier, les motifs de la Section d’appel expliquent le fondement de sa conclusion selon laquelle, après que son agent de libération lui en ait fait la demande, M. Franchi n’avait pas fourni les renseignements financiers complets exigés aux termes de la condition discrétionnaire.

 

[38]           La Section d’appel n’a peut‑être pas décrit en détail à quels égards les renseignements financiers fournis par M. Franchi étaient insuffisants. Ainsi, après avoir fait remarquer qu’il avait eu amplement l’occasion de mentionner l’existence de son prêt et l’investissement des sommes empruntées, la Section d’appel indique ce qui suit (dossier d’appel, p. 119) :

[traduction] Les renseignements financiers que vous avez fournis ont été jugés incomplets, insatisfaisant et ils ne font pas mention de la nature exacte du placement que vous avez fait. 

 

 

[39]           En disant cela, la Section d’appel adoptait la conclusion de la Commission selon laquelle les renseignements financiers fournis par M. Franchi étaient incomplets. Dans sa décision subséquente à la suspension, la Commission énonce (dossier d’appel, p. 44) que, après la suspension, M. Franchi a donné d’autres renseignements au sujet de ses prêts et de ses placements, mais sans fournir

[traduction] […] les documents officiels, les reçus ou les contrats indiquant où les fonds avaient été placés, à quel taux et pour combien de temps. 

 

 

[40]           Selon moi, les motifs de la Section d’appel, lus en corrélation avec les motifs de la Commission dans sa décision subséquente à la suspension, expliquent adéquatement les lacunes que comportaient les renseignements communiqués par M. Franchi. Suivant mon interprétation, la conclusion selon laquelle il a contrevenu à la condition discrétionnaire ne se fonde pas uniquement sur le fait qu’il n’a pas, immédiatement après la demande de renseignements financiers de son agent de libération conditionnelle, indiqué ce que son cousin faisait avec la somme de 104 000 $. Fait plus important, les détails essentiels du placement et les pièces justificatives n’ont jamais été produites. Je déduis du fait que la Commission a relevé que M. Franchi avait été évasif et qu’il faisait à nouveau preuve d’un comportement témoignant d’une  [traduction] « tendance constante à la supercherie » qu’elle ne l’a pas jugé crédible et qu’elle doutait du fait qu’il en sache aussi peu qu’il le prétendait au sujet de la nature des placements effectués. 

 

[41]           Étant donné que l’obligation d’équité ne suppose pas la perfection sur le plan procédural, on ne peut reprocher à la Section d’appel de ne pas avoir traité explicitement de chacun des arguments avancés par M. Franchi en ce qui concerne l’étendue des renseignements financiers communiqués. La question de savoir si les motifs de la Section d’appel permettaient à M. Franchi de déterminer pourquoi elle avait estimé que les renseignements fournis étaient inadéquats doit être évaluée à la lumière de l’ensemble du dossier, y compris les motifs de la Commission. Dans cette optique, les motifs de la Section d’appel ne comportent, à mon humble avis, aucune lacune justifiant l’intervention de la Cour. 

 

[42]           Enfin, M. Franchi a soutenu qu’en refusant d’annuler la suspension de sa libération conditionnelle de jour et en la révoquant en application des alinéas 135(5)a) et b) de la Loi, la Commission a omis d’examiner la question de savoir si, dans l’hypothèse où il serait libéré, le risque qu’il récidive avant l’expiration de sa peine était inacceptable pour la société. Et, il souligne qu’aucune des activités financières auxquelles il aurait participé pendant qu’il était en libération conditionnelle de jour n’étaient illégales.

 

[43]           Je ne suis pas d’accord. La Commission a expliqué ce sur quoi elle s’est appuyée pour conclure que la libération conditionnelle de jour devrait être révoquée et la libération conditionnelle totale refusée parce que le [traduction] « risque lié à [sa] mise en liberté dans la collectivité [était]  inacceptable ».

[traduction] En examinant votre comportement pendant votre libération en tenant compte de vos antécédents criminels, la Commission constate que vous avez à de très nombreuses reprises par le passé participé à des activités trompeuses et frauduleuses. Selon nous, le fait de ne pas avoir divulgué des renseignements financiers cruciaux à votre agent de libération conditionnelle en temps opportun témoigne de l’existence d’une tendance constante à la supercherie. (dossier d’appel, p. 45)

 

La Section d’appel a approuvé le raisonnement de la Commission (dossier d’appel, p. 119).

 

[44]           La Commission a indiqué que compte tenu de ses antécédents criminels, la violation par M. Franchi de ses conditions de libération témoignait de [traduction] « l’existence d’une tendance constante à la supercherie ». Il ressort implicitement de ce qui précède que la Commission procédait alors à l’évaluation du risque de récidive. C’est ce qu’en a déduit la Section d’appel, comme il ressort de toute évidence du fait qu’elle ait précisé qu’il ne lui revenait pas de substituer son pouvoir discrétionnaire à celui des membres de la Commission [traduction] « qui ont évalué le risque de récidive » (dossier d’appel, p. 154). Ayant évalué le risque que M. Franchi présentait pour la société, la Commission et la Section d’appel ont toutes les deux estimé que les éléments négatifs de son dossier l’emportaient sur les éléments positifs.

 

[45]           Selon moi, la révocation par la Section d’appel de la libération conditionnelle de jour de M. Franchi et son refus de lui accorder une libération conditionnelle étaient raisonnables compte tenu du droit applicable et des éléments dont elle disposait, et ses motifs sont clairs. Il n’est pas nécessaire de conclure qu’une infraction a été commise pendant une libération conditionnelle pour conclure à l’existence d’un risque inacceptable.

 

Conclusion

[46]           Pour les motifs qui précèdent, j’accueillerais l’appel et je rejetterais la demande de contrôle judiciaire de M. Franchi avec dépens devant notre Cour et les instances inférieures. 

 

 

« John M. Evans »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord

            Eleanor R. Dawson, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

            Stratas, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

Dossier :                                                    A‑483‑10

 

APPEL DE L’ORDONNANCE RENDUE LE 24 NOVEMBRE 2010 PAR LE JUGE HARRINGTON DANS LE DOSSIER T‑662‑07

 

INTITULÉ :                                                   Procureur général du Canada
et LA
COMMISSION NATIONALE DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES c.
John Anthony Franchi

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 11 avril 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE EVANS

 

MOTIFS CONCOURANTS :                       LES JUGES DAWSON ET STRATAS

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 14 avril 2011

 

 

Comparutions :

 

Michael J. Sims

 

Pour les appelants

 

John Anthony Franchi

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

Pour les appelants

 

 

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