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Cour d'appel fédérale

    CANADA

Federal Court of Appeal

Date : 20110530

Dossier : A-290-10

Référence : 2011 CAF 183

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LA JUGE TRUDEL

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

REMSTAR CORPORATION

demanderesse

et

SYNDICAT DES EMPLOYÉ-ES DE TQS INC. (FNC-CSN);

SYNDICAT DES EMPLOYÉ-E-S DE L’INGÉNIERIE

DE TQS INC (FNC-CSN);

SYNDICAT DES EMPLOYÉ(E)S DE BUREAU DE TQS INC. (FNC-CSN);

SYNDICAT DES REALISATRICES ET RÉALISATEURS EN

AUTO-PUBLICITÉ DE TQS (FNC-CSN);

SYNDICAT DES EMPLOYÉ-ES DE TSQ-ESTRIE (FNC-CSN);

SYNDICAT DES RÉALISATEURS DE TQS MAURICIE (FNC-CSN);

SYNDICAT DE TQS MAURICIE (FNC-CSN);

SYNDICAT DES EMPLOYÉ(E)S DE COGÉCO TÉLÉVISION

JONQUIÈRE CKTV-TQS (FNC-CSN);

SYNDICAT DES EMPLOYÉ(E)S DE CFAP-TV (TQS-QUEBEC),

SECTION LOCALE 3946 DU SYNDICAT CANADIEN DE LA

FONCTION PUBLIQUE

 

défendeurs

et

 

V-INTERACTIONS INC. (anciennement TQS INC.)

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

parties intéressées

 

 

 

 

Audience tenue à Montréal (Québec), le 24 mai 2011.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 30 mai 2011.

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                     LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                          LA JUGE TRUDEL

                                                                                                                      LE JUGE MAINVILLE

 


Cour d'appel fédérale

    CANADA

Federal Court of Appeal

Date : 20110530

Dossier : A-290-10

Référence : 2011 CAF 183

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LA JUGE TRUDEL

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

REMSTAR CORPORATION

demanderesse

et

SYNDICAT DES EMPLOYÉ-ES DE TQS INC. (FNC-CSN);

SYNDICAT DES EMPLOYÉ-E-S DE L’INGÉNIERIE

DE TQS INC (FNC-CSN);

SYNDICAT DES EMPLOYÉ(E)S DE BUREAU DE TQS INC. (FNC-CSN);

SYNDICAT DES REALISATRICES ET RÉALISATEURS EN

AUTO-PUBLICITÉ DE TQS (FNC-CSN);

SYNDICAT DES EMPLOYÉ-ES DE TSQ-ESTRIE (FNC-CSN);

SYNDICAT DES RÉALISATEURS DE TQS MAURICIE (FNC-CSN);

SYNDICAT DE TQS MAURICIE (FNC-CSN);

SYNDICAT DES EMPLOYÉ(E)S DE COGÉCO TÉLÉVISION

JONQUIÈRE CKTV-TQS (FNC-CSN);

SYNDICAT DES EMPLOYÉ(E)S DE CFAP-TV (TQS-QUEBEC),

SECTION LOCALE 3946 DU SYNDICAT CANADIEN DE LA

FONCTION PUBLIQUE

 

défendeurs

et

 

V-INTERACTIONS INC. (anciennement TQS INC.)

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

parties intéressées

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Les questions en litige

 

[1]               La demanderesse, Remstar Corporation, conteste par voie de contrôle judiciaire une décision du Conseil canadien des relations industrielles (Conseil) rendue le 9 juillet 2010 (dossier 27758-C). Cette décision fait suite à une demande de réexamen de sa décision rendue le 14 septembre 2009 par un premier banc du Conseil (dossier 26864-C).

 

[2]               Pour éviter toute confusion possible, je référerai à la décision du 14 septembre 2009 comme étant la décision initiale. J’appellerai celle du 9 juillet 2010 la décision en réexamen.

 

[3]               Je signale d’emblée que la décision initiale n’a pas fait l’objet d’une contestation devant notre Cour. Elle a donc acquis l’autorité de la chose jugée. Selon une jurisprudence constante, notre Cour ne se livrera pas à un examen de la décision initiale. Elle se limitera plutôt à déterminer si la décision en réexamen est raisonnable : Guan v. Purolator Courier Ltd., 2010 CAF 103; Lamoureux c. Assoc. canadienne des pilotes de lignes, [1993] F.C.J. No. 1128; Halifax Employers Association Inc. v. The Council of ILA Locals for the Port of Halifax, 2006 CAF 82; Williams v. Teamsters Local Union 938, 2005 CAF 302. Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable à la révision de la décision du Conseil en réexamen est la norme de la décision raisonnable.

 

[4]               Quoique le mémoire des faits et du droit de la demanderesse s’attaquait en fait au mérite de la décision initiale, son procureur à l’audience a reconnu la jurisprudence de notre Cour. Pour cerner les questions en litige devant nous, il a accepté l’énoncé que le Conseil en réexamen a fait des questions qui lui étaient soumises. On retrouve cet énoncé au paragraphe 80 de la décision en réexamen. Je le reproduis ci-après et j’accepte sa teneur :

 

[80]     L’essence de la présente décision est donc de décider si le Conseil s’est éloigné des principes susmentionnés dans sa conclusion à une « vente d’entreprise » entre TQS et Remstar; s’il a créé un précédent dans ce cas en ce qui a trait à l’application de la LACC et si par cette décision il a commis une erreur de droit.

 

 

[5]               Il s’agit donc pour nous de déterminer si la conclusion à laquelle le Conseil en réexamen en est arrivé est raisonnable dans les circonstances.

 

Un bref rappel des faits à l’origine du litige

 

[6]               TQS exploitait un réseau de télévision et possédait plusieurs stations au Québec. Ses actions appartenaient à une compagnie à numéro dont les actions étaient détenues en partie par Cogeco Radio-Télévision et CTV Télévision inc.

 

[7]               L’entreprise de TQS éprouvait des difficultés financières. Le 17 décembre 2007, elle présente à la Cour supérieure du Québec une demande d’ordonnance lui permettant de bénéficier de la protection offerte par la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. (1985), c. C-36 (LACC). Elle obtient l’ordonnance sollicitée. Un contrôleur RSM Richter inc. est nommé pour surveiller les affaires et les finances du Groupe TQS à titre d’officier de la Cour.

 

[8]               Suite à une approbation par la Cour supérieure d’un processus formel d’offres d’achat du Groupe TQS, la demanderesse fait une offre d’acquisition des actions du Groupe TQS le 3 mars 2008. Celle-ci est acceptée par les actionnaires et le conseil d’administration de TQS. L’acceptation a lieu le 5 mars 2008 et l’offre de la demanderesse ainsi acceptée est approuvée par la Cour supérieure le 10 mars 2008.

 

[9]               La demanderesse conclut le 14 mars 2008, avec le Groupe TQS incluant la compagnie à numéro, un contrat de gestion par lequel la demanderesse est investie d’un certain nombre d’importants pouvoirs. Ainsi, elle obtient le pouvoir de « gérer les affaires tant commerciales qu’internes des membres du Groupe TQS ». À cette fin, elle détient irrévocablement une « pleine autorité sur tous et chacun des dirigeants et autres salariés de chaque membre du Groupe TQS, incluant le droit de congédiement, de licenciement et d’embauche » : voir le contrat de gestion, dossier de la demanderesse, vol. 1, onglet 6, clause 6.3a), à la page 110.

 

[10]           En outre, « aucun acte, règlement, résolution ou décision du conseil d’administration ou des actionnaires d’un membre du Groupe TQS ne saurait être exécutoire, opposable ou mis en œuvre, à moins que la mise en œuvre de tel acte, règlement, résolution ou décision n’ait été préalablement approuvée ou sanctionnée par écrit » par la demanderesse : ibidem, clause 6.11, à la page 111.

 

[11]           Enfin, chacune des personnes que la demanderesse désigne obtient l’autorité de représenter seule la demanderesse auprès du Groupe TQS. Chacun des membres du Groupe TQS, ainsi que ses gestionnaires, dirigeants et employé(e)s agiront selon les directives et les instructions de tout représentant de la demanderesse : ibidem, clause 6.12, à la page 111.

 

[12]           Il n’est point besoin d’être devin pour savoir que ce contrat de gestion s’est retrouvé au cœur du débat qui a conduit à la décision initiale du Conseil et à celle en réexamen.

 

[13]           Le contrat de gestion confié à la demanderesse était de nature temporaire. La délégation de la gestion temporaire à la demanderesse devait être approuvée par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC). L’approbation fut donnée le 20 mars 2008. Les termes de cette approbation par le CRTC méritent d’être reproduits :

 

Le Conseil approuve la demande ci-haut mentionnée et autorise Remstar Corporation à poursuivre l’exploitation de cette entreprise pendant les six mois qui suivent la date de cette décision, soit jusqu’au 20 septembre 2008, selon les mêmes modalités et conditions que celle des licences de radiodiffusion actuelles.

 

Durant cette période, Remstar Corporation aura la responsabilité exclusive de l’exploitation de l’entreprise. S’il s’avère nécessaire de renouveler cette autorisation, la titulaire devra en faire la demande au moins un mois avant l’expiration du délai prescrit.

 

[Je souligne, sauf pour les mots « au moins un

mois avant » qui sont soulignés dans l’original]

 

 

[14]           Le 26 juin 2008, le CRTC a approuvé le changement de contrôle de TQS. Conformément à la clause 3d) du contrat de gestion, ce dernier a pris fin le 29 août 2008 par le transfert du capital social de la compagnie à numéro à la demanderesse.

 

La décision initiale du Conseil

 

[15]           Les défendeurs ont saisi le Conseil d’une demande en vertu de l’article 44 du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, c. L-2 (Code) pour faire statuer qu’il y avait eu vente, transfert ou autre disposition de l’entreprise TQS à la demanderesse. Cet article 44 doit être lu avec l’article 46 qui confère au Conseil la compétence pour trancher toute question qui se pose en rapport avec l’application de l’article 44.

 

[16]           Je reproduis les deux articles :

 

44. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article et aux articles 45 à 47.1.

 

« entreprise »

 

“business”

 

« entreprise » Entreprise fédérale, y compris toute partie de celle-ci.

 

« entreprise provinciale »

 

“provincial business”

 

« entreprise provinciale » Installations, ouvrages, entreprises — ou parties d’installations, d’ouvrages ou d’entreprises — dont les relations de travail sont régies par les lois d’une province.

 

« vente »

 

“sell”

 

« vente » S’entend notamment, relativement à une entreprise, du transfert et de toute autre forme de disposition de celle-ci, la location étant, pour l’application de la présente définition, assimilée à une vente.

 

Vente de l’entreprise

 

(2) Les dispositions suivantes s’appliquent dans les cas où l’employeur vend son entreprise :

 

a) l’agent négociateur des employés travaillant dans l’entreprise reste le même;

 

b) le syndicat qui, avant la date de la vente, avait présenté une demande d’accréditation pour des employés travaillant dans l’entreprise peut, sous réserve des autres dispositions de la présente partie, être accrédité par le Conseil à titre d’agent négociateur de ceux-ci;

 

c) toute convention collective applicable, à la date de la vente, aux employés travaillant dans l’entreprise lie l’acquéreur;

 

d) l’acquéreur devient partie à toute procédure engagée dans le cadre de la présente partie et en cours à la date de la vente, et touchant les employés travaillant dans l’entreprise ou leur agent négociateur.

 

 

Changements opérationnels ou vente d’une entreprise provinciale

 

(3) Si, en raison de changements opérationnels, une entreprise provinciale devient régie par la présente partie ou si elle est vendue à un employeur qui est régi par la présente partie :

 

a) le syndicat qui, en vertu des lois de la province, est l’agent négociateur des employés de l’entreprise provinciale en cause demeure l’agent négociateur pour l’application de la présente partie;

 

b) une convention collective applicable à des employés de l’entreprise provinciale à la date des changements opérationnels ou de la vente continue d’avoir effet ou lie l’acquéreur;

 

c) les procédures engagées dans le cadre des lois de la province en cause et qui, à la date des changements opérationnels ou de la vente, étaient en instance devant une commission provinciale des relations de travail ou tout autre organisme ou personne compétents deviennent des procédures engagées sous le régime de la présente partie, avec les adaptations nécessaires, l’acquéreur devenant partie aux procédures s’il y a lieu;

 

d) les griefs qui étaient en instance devant un arbitre ou un conseil d’arbitrage à la date des changements opérationnels ou de la vente sont tranchés sous le régime de la présente partie, avec les adaptations nécessaires, l’acquéreur devenant partie aux procédures s’il y a lieu.

 

 

[…]

 

46. Il appartient au Conseil de trancher, pour l’application de l’article 44, toute question qui se pose, notamment quant à la survenance d’une vente d’entreprise, à l’existence des changements opérationnels et à l’identité de l’acquéreur.

44. (1) In this section and sections 45 to 47.1,

 

“business”

 

« entreprise »

 

“business” means any federal work, undertaking or business and any part thereof;

 

“provincial business”

 

« entreprise provinciale »

 

“provincial business” means a work, undertaking or business, or any part of a work, undertaking or business, the labour relations of which are subject to the laws of a province;

 

“sell”

 

« vente »

 

“sell”, in relation to a business, includes the transfer or other disposition of the business and, for the purposes of this definition, leasing a business is deemed to be selling it.

 

 

 

Sale of business

 

(2) Where an employer sells a business,

 

(a) a trade union that is the bargaining agent for the employees employed in the business continues to be their bargaining agent;

 

(b) a trade union that made application for certification in respect of any employees employed in the business before the date on which the business is sold may, subject to this Part, be certified by the Board as their bargaining agent;

 

(c) the person to whom the business is sold is bound by any collective agreement that is, on the date on which the business is sold, applicable to the employees employed in the business; and

 

(d) the person to whom the business is sold becomes a party to any proceeding taken under this Part that is pending on the date on which the business was sold and that affects the employees employed in the business or their bargaining agent.

 

Change of activity or sale of a provincial business

 

(3) Where, as a result of a change of activity, a provincial business becomes subject to this Part, or such a business is sold to an employer who is subject to this Part,

 

(a) the trade union that, pursuant to the laws of the province, is the bargaining agent for the employees employed in the provincial business continues to be their bargaining agent for the purposes of this Part;

 

(b) a collective agreement that applied to employees employed in the provincial business at the time of the change or sale continues to apply to them and is binding on the employer or on the person to whom the business is sold;

 

(c) any proceeding that at the time of the change or sale was before the labour relations board or other person or authority that, under the laws of the province, is competent to decide the matter, continues as a proceeding under this Part, with such modifications as the circumstances require and, where applicable, with the person to whom the provincial business is sold as a party; and

 

(d) any grievance that at the time of the change or sale was before an arbitrator or arbitration board continues to be processed under this Part, with such modifications as the circumstances require and, where applicable, with the person to whom the provincial business is sold as a party.

 

 

46. The Board shall determine any question that arises under section 44, including a question as to whether or not a business has been sold or there has been a change of activity of a business, or as to the identity of the purchaser of a business.

 

[Je souligne]

 

 

[17]           Le Conseil a reconnu que l’affaire qui lui était soumise se situait « dans un contexte très particulier, voire même inusité » : voir le paragraphe 137 de la décision initiale, ainsi que le paragraphe 134 où il dit se retrouver devant une situation unique.

 

[18]           Après étude de la preuve et des représentations des parties, le Conseil a conclu qu’il y avait eu un transfert temporaire et donc une vente d’entreprise au sens de l’article 44 du Code. Ce transfert s’est fait auprès de la demanderesse pour la durée d’application du contrat de gestion, soit du 21 mars 2008 au 29 août 2008 : voir le paragraphe 188 de la décision initiale.

 

[19]           En conséquence, la demanderesse, dit le Conseil, est devenue liée par tous les certificats d’accréditation et toutes les conventions collectives applicables conformément à l’article 44 du Code : ibidem, au paragraphe 189. En somme, pour cette période, elle était le véritable employeur des employés de TQS du fait qu’elle n’était pas un simple mandataire de l’entreprise, qu’elle exerçait l’autorité sur celle-ci et qu’elle avait un contrôle effectif de l’exploitation de l’entreprise active de TQS : ibidem, aux paragraphes 136, 154, 155 et 174.

 

La décision du Conseil en réexamen

 

[20]           Le pouvoir du Conseil de réexaminer une de ses décisions lui est conféré par l’article 18 du Code :

 

18. Le Conseil peut réexaminer, annuler ou modifier ses décisions ou ordonnances et réinstruire une demande avant de rendre une ordonnance à son sujet.

18. The Board may review, rescind, amend, alter or vary any order or decision made by it, and may rehear any application before making an order in respect of the application.

 

 

[21]           L’article 44 du Règlement de 2001 sur le Conseil canadien des relations industrielles, DORS/2001-520 fixe d’une manière qui n’est pas limitative les paramètres de son intervention en matière de réexamen : voir ADM Agri-Industries Ltée c. Syndicat National des Employés de Les Moulins Maple Leaf (de l’Est), 2004 CAF 69; Société des Arrimeurs de Québec c. Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 3810, 2008 CAF 237. Ils sont ainsi formulés :

 

44.  Les circonstances dans lesquelles une demande de réexamen peut être présentée au Conseil sur le fondement du pouvoir de réexamen que lui confère l’article 18 du Code comprennent les suivantes :

 

a) la survenance de faits nouveaux qui, s’ils avaient été portés à la connaissance du Conseil avant que celui-ci ne rende la décision ou l’ordonnance faisant l’objet d’un réexamen, l’auraient vraisemblablement amené à une conclusion différente;

 

b) la présence d’erreurs de droit ou de principe qui remettent véritablement en question l’interprétation du Code donnée par le Conseil;

 

c) le non-respect par le Conseil d’un principe de justice naturelle;

 

d) toute décision rendue par un greffier aux termes de l’article 3.

 

 

[22]           Fidèle à son interprétation antérieure de cet article, le Conseil en réexamen a rappelé que « son pouvoir de réexamen ne peut constituer un processus d’appel d’une décision à laquelle un banc est arrivé » : voir le paragraphe 74 de la décision.

 

[23]           Toujours au même paragraphe, il ajoute :

 

Le rôle du banc de révision n’est pas de réexaminer la preuve déjà présentée au Conseil afin d’y substituer son propre jugement. Il ne s’agit pas de permettre aux parties une nouvelle audience.

 

 

[24]           Au terme de son réexamen, le Conseil s’est dit d’avis que, dans les circonstances, le banc qui a rendu la décision initiale était justifié de conclure qu’il y avait eu vente de l’entreprise TQS à la demanderesse pendant une période déterminée et pendant l’application de la LACC à TQS : voir la décision en réexamen au paragraphe 83.

 

[25]           Il a rejeté la prétention de la demanderesse que la décision initiale constituait un précédent important en rapport avec l’application de la LACC. Il y a plutôt vu une application des principes dégagés dans une affaire antérieure similaire impliquant un dossier de vente qui se déroulait aussi en vertu de la LACC : ibidem, au paragraphe 85. Il a donc fait référence à sa décision dans l’affaire Association internationale des machinistes et des travailleurs de l’aérospatiale (AIM) c. Intair Inc., Les lignes aériennes Inter-Québec Inc., 2847-8451 Québec Inc. et Teamsters, section locale 1999, dossiers 530-1955, 560-259 et 585-425, décision no. 1042 du 13 décembre 1993, confirmée par notre Cour, Inter-Canadien 1991 Inc. c. Canada (Conseil canadien des relations de travail) (C.A.F.), [1994] F.C.J. no. 1575.

 

[26]           Enfin, s’appuyant sur notre décision dans l’affaire Grimard c. Canada, 2009 CAF 47, il a entériné la démarche du premier banc qui consistait à aller au-delà de l’intention et des prétentions des parties pour examiner la réalité factuelle engendrée par l’application du contrat de gestion : ibidem, au paragraphe 91.

 

[27]           Comme le premier banc, il y a vu une manifestation évidente d’un contrôle effectif par la demanderesse : ibidem, au paragraphe 192. Sur dissidence d’un membre, la majorité a rejeté la demande de réexamen, n’étant pas satisfaite que des motifs de l’accueillir lui avaient été fournis.

 

[28]           Le membre dissident, pour sa part, aurait fait droit à la demande. Car, pour lui, il n’y avait pas lieu de conclure à une vente parce que le contrat de gestion n’a donné lieu à aucun préjudice quelconque qu’il fallait réprimer : ibidem, au paragraphe 110. En l’absence de préjudice, rien ne justifiait de donner une interprétation large et libérale à l’article 44 du Code : ibidem, au paragraphe 136.

 

 

 

Analyse de la décision en réexamen et des prétentions des parties

 

[29]           Dès le début de l’audience, le procureur de la demanderesse s’est quelque peu distancié du mémoire des faits et du droit produit au dossier. Il en est résulté de sa part les admissions suivantes.

 

[30]           Les conclusions factuelles prises par le Conseil ne sont plus contestées. La demanderesse ne remet pas en question la nécessité de donner une interprétation large et libérale au concept de vente de l’article 44 du Code. Cet article est une disposition d’ordre public dont l’application ne dépend pas d’une décision du Conseil et est immédiate à la date de la vente ou du transfert.

 

[31]           Enfin, le procureur de la demanderesse, à juste titre, reconnaît qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait un préjudice pour que l’article 44 s’applique. J’ajouterais ceci. La qualification juridique d’une transaction sous l’article 44 n’est pas tributaire de l’existence d’un préjudice. Le rôle premier de cette disposition est d’ordre préventif, sans pour autant exclure sa vocation réparatrice. Dans l’affaire Lester (W.W.) (1978) Ltd. c. Association unie des compagnons et apprentis de l’industrie de la plomberie et de la tuyauterie, section locale 740, [1990] 3 R.C.S. 644, à la page 671 , la Cour suprême écrit en rapport avec des dispositions de législation provinciale du travail analogues à l’article 44 du Code :

 

Le but fondamental de ces dispositions est d’empêcher que des employés ne perdent leur protection syndicale lorsqu’une entreprise est vendue ou transférée ou lorsque des modifications sont apportées à la structure d’une entreprise. […]

 

 

[32]           Quoiqu’il en soit, il y avait en l’instance devant le Conseil une litanie d’allégations d’actes préjudiciables aux défendeurs : refus d’honorer l’entente sur l’équité salariale conclue quelques mois avant l’arrivée de la demanderesse, mises à pied contraires à la convention collective, congédiement abusif de personnes, non-respect des droits de rappel des employés réguliers, non-respect des règles d’ancienneté des surnuméraires et assignations contraires à la convention collective, sous-traitance illégale, négociation directe avec des employés, non-versement et retenue illégale des cotisations syndicales retenues à la source, etc. D’une part, la demanderesse refusait de donner suite aux griefs formulés par les défendeurs alléguant, comme le révèle la lettre de ses procureurs adressée au Syndicat des employés de TQS-Québec le 27 mai 2008, qu’elle n’était pas l’employeur et qu’il n’existait aucun lien de fait ou de droit entre eux : voir le dossier du défendeur, vol. II, à la page 252. D’autre part, au terme du contrat de gestion, aucun des interlocuteurs chez TQS n’avait l’autorité pour discuter avec les représentants des syndicats. Il ne fut, en conséquence, jamais donné suite par TQS aux griefs qui lui avaient été acheminés : ibidem, à la page 156, paragraphes 87 à 89 et vol. III, aux pages 537 à 555. Le syndicat se retrouvait donc dans l’impossibilité d’exercer les droits de ses membres en vertu de la convention collective.

 

L’allégation que, dans sa décision initiale, le Conseil s’est éloigné des principes applicables à l’article 44 du Code lorsqu’il a conclu à une vente de l’entreprise à la demanderesse

 

 

[33]           La demanderesse prétend que le contrat de gestion ne pouvait fonder une conclusion qu’il y avait eu vente de l’entreprise TQS en sa faveur. Elle ajoute que l’interprétation donnée à l’article 44 du Code va au-delà de l’intention législative qu’elle reconnaît être celle de protéger l’accréditation syndicale et les droits qui en découlent.

 

[34]           Que la définition du mot « vente » à l’article 44 n’est ni limitative, ni exhaustive, ne saurait faire l’objet de contestation. Elle inclut une location, un transfert et « toute autre forme de disposition ».

 

[35]           Dans l’affaire Lester, précitée, la Cour suprême du Canada devait interpréter l’article 89 de la loi de Terre-Neuve (The Labour Relations Act, 1977, S.N. 1977, ch. 64) qui mentionnait des opérations comme la vente, la location, le transfert et l’aliénation. À la page 674, la majorité écrit :

 

Même si les expressions « vente » et « location » peuvent avoir des sens restreints, les mots « transfert » et « autre acte d’aliénation » font l’objet d’une interprétation large et embrassent plusieurs types d’opérations, y compris l’échange, le don, la fiducie, la prise de contrôle, l’absorption et la fusion.

 

[Je souligne]

 

[36]           Au paragraphe suivant, elle endosse la position prise par la Commission de l’Ontario dans l’affaire United Steelworkers of America c. Thorco Manufacturing Ltd. (1965), 65 CLLC (PP) 16,052 selon laquelle « une définition extensive correspond au but de la disposition – conserver les droits de négociation peu importe la forme juridique de l’opération qui les met en péril ».

 

[37]           Le procureur de la demanderesse insiste sur un passage de la décision où la majorité énonce « qu’il doit y avoir d’une part abandon de quelque chose par l’entreprise prédécesseur et d’autre part obtention de quelque chose par le successeur pour que l’espèce soit visée par la disposition législative ». Il va de soi, je crois, que cet abandon de quelque chose n’a pas à être définitif et peut n’être que temporaire. Sinon, la location et la prise de contrôle ne pourraient entrer dans cette catégorie d’opérations et constituer un transfert.

 

[38]           La prise de contrôle est un type d’opération pouvant emporter abandon d’une part et obtention d’autre part. En l’espèce, l’obtention par la demanderesse du contrôle effectif de l’entreprise active de TQS, ainsi que l’a conclu le Conseil dans sa décision initiale, a résulté en un abandon, forcé dans le cas présent, par le Groupe TQS.

 

[39]           Or, comme le dit la Cour suprême du Canada dans l’affaire U.E.S., Local 298 c. Bibeault, [1988] 2 R.C.S. 1048, au paragraphe 157, une « convention collective est négociée avec un seul employeur et elle est conclue afin de lier cet employeur ». Et pour identifier celui-ci, elle ajoute que le « seul employeur qui détient le pouvoir d’adapter les conditions de travail aux exigences de la convention collective au sein de l’entreprise est celui qui contrôle cette entreprise » : ibidem [je souligne].

 

[40]           Compte tenu de la preuve et des pouvoirs que la demanderesse s’est vue attribuer par le contrat de gestion, le Conseil, aussi bien en première instance qu’en réexamen, s’est déclaré satisfait qu’il y avait, dans les faits, eu prise de contrôle de l’exploitation de l’entreprise TQS par la demanderesse. Je ne saurais dire que cette conclusion de fait est déraisonnable, surtout si on y ajoute l’approbation du CRTC du 20 mars 2008 à laquelle j’ai fait allusion précédemment. On se rappellera que le CRTC a autorisé la demanderesse « à poursuivre l’exploitation de cette entreprise pendant les six mois qui suivent la date de cette décision » et statué que « durant cette période, [la demanderesse] aura la responsabilité exclusive de l’exploitation de l’entreprise » [je souligne].

 

Le Conseil a-t-il créé un précédent en ce qui a trait à l’application de la LACC?

 

[41]           Je suis d’accord avec la conclusion du Conseil en réexamen que la décision initiale n’a pas créé de précédent quant à l’application de la LACC. La question de la relation entre l’article 44 du Code et la LACC fut soulevée pour la première fois dans les affaires Intair Inc. c. Inter-Canadien 1991 Inc., précitées.

 

[42]           Le parallèle entre ces deux affaires et celle qui nous occupe vaut la peine qu’on l’examine. Tout comme le Groupe TQS, le Groupe Intair éprouvait des difficultés d’opérations et allait mettre fin à certaines d’entre elles. À l’instar de ce qui s’est passé chez TQS, une offre d’achat d’actifs et/ou d’actions du Groupe Intair fut faite et acceptée par ce dernier.

 

[43]           L’offre faite et acceptée par le Groupe Intair comprenait aussi, comme dans le cas présent, un contrat de gestion. Ce dernier prévoyait que l’acquéreur aurait la responsabilité de gérer les activités quotidiennes d’Inter-Québec (un membre du Groupe Intair) ainsi qu’une clause d’immunité de l’acquéreur pour les réclamations résultant de sa gestion. La prise de contrôle de la gestion quotidienne des opérations n’a pas tardé : elle eût lieu dès une semaine après l’acceptation de l’offre.

 

[44]           Ce contrat de gestion était considérablement moins draconien et léonin que celui auquel le Groupe TQS a dû consentir. En fait, par comparaison avec le Groupe Intair, le Groupe TQS était en totale tutelle et ne pouvait ni factuellement, ni légalement, accomplir de son propre chef quelque acte ou prendre quelque décision que ce soit.

 

[45]           Pourtant, dans l’affaire Intair Inc., précitée, le Conseil a conclu qu’il y avait eu vente au sens de l’article 44. Comme ce fut fait dans notre instance, il a examiné la substance plutôt que la forme de la transaction : voir Inter Inc., cahier d’autorités du défendeur, onglet 7, à la page 91. « La question », dira-t-il, « que l’on doit se poser est celle de savoir s’il y a une continuation, une poursuite de l’entreprise préexistante ou d’une partie de celle-ci » : ibidem. N’est-ce pas ce qui s’est passé avec l’entreprise du Groupe TQS?

 

[46]           Le conseil a pris en compte qu’Inter-Canadien (qui est devenu le nouveau transporteur régional et successeur d’une partie d’Intair) avait « un rôle décisif quant à l’orientation, les décisions en matière de relations de travail, de fermeture de service, et le sort ultime des Lignes aériennes Intair ». N’est-ce pas ce que l’on retrouvait également tant dans le contrat de gestion de la demanderesse que dans son contrôle effectif de l’entreprise TQS?

 

[47]           La décision du Conseil dans l’affaire Intair Inc. fut portée en révision judiciaire devant notre Cour qui a reconnu que c’est à bon droit que le Conseil avait examiné la substance plutôt que la forme de la transaction : voir Inter-Canadien 1991 Inc., précité, au paragraphe 4.

 

[48]           Appelée à se prononcer sur la raisonnabilité de la décision du Conseil, notre Cour écrit au paragraphe 5 :

 

Il y avait au dossier des éléments de preuve qui certainement permettaient au Conseil de choisir la date du 4 mars 1991. Notamment, c’était à cette date que la convention maîtresse avait été acceptée, « que le vendeur a commencé à abandonner au preneur la partie la plus importante de son entreprise (l’exploitation des routes cédulées), et que la requérante a commencé à exercer une sorte de tutelle sur la gestion de celle-ci ».

 

[Je souligne]

 

Dans notre cas, tel que déjà mentionné, la prise de contrôle et la tutelle étaient totales par suite d’un abandon total forcé de l’entreprise TQS.

 

[49]           Enfin, je terminerai sur le sujet en disant que tant la présente instance que l’affaire Intair Inc. font ressortir que la LAAC et l’article 44 du Code poursuivent des objectifs différents qui, du fait qu’ils ne sont pas incompatibles, laissent place à une interprétation et application harmonieuses des dispositions législatives en cause.

 

Conclusion

 

[50]           La décision du Conseil en réexamen, dans les circonstances particulières de la présente instance, n’est pas déraisonnable. Comme le Conseil le fait remarquer au paragraphe 98 de sa décision en réexamen, le choix du moyen de compléter la transaction était celui de la demanderesse. Elle aurait pu s’y prendre autrement et s’éviter la tourmente dans laquelle elle s’est retrouvée.

 

[51]           Pour ces motifs, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire avec dépens en faveur du Syndicat des employé(e)s de CFAP-TV (TQS-Québec), section locale 3946 du Syndical canadien de la fonction publique.

 

 

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord

            Johanne Trudel, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

            Robert M. Mainville, j.c.a. »

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A-290-10

 

INTITULÉ :                                                   REMSTAR CORPORATION c.

                                                                        SYNDICAT DES EMPLOYÉ-ES DE TQS

                                                                        INC. (FNC-CSN) et al.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 24 mai 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LA JUGE TRUDEL

                                                                        LE JUGE MAINVILLE

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 30 mai 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Philippe Frère

Me Catherine Maheu

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Isabelle Lacas

 

Me Pierre Grenier

Me Annick Desjardins

POUR LES DÉFENDEURS (CSN)

 

POUR LES DÉFENDEURS (SCFP)

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lavery, De Billy, s.e.n.c.r.l.

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Pepin et Roy, Avocat-e-s

Montréal (Québec)

 

Melançon Marceau Grenier Sciortino

Montréal (Québec)

POUR LES DÉFENDEURS (CSN)

 

 

POUR LES DÉFENDEURS (SCFP)

 

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