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Date : 20110418

Dossier : A-90-10

Référence : 2011 CAF 140

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE DAWSON

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

R. MAXINE COLLINS

appelante

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

intimée

 

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 30 mars 2011.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 18 avril 2011.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                            LA JUGE DAWSON

Y ONT SOUSCRIT:                                                                                            LE JUGE EVANS

                                                                                                                           LA JUGE TRUDEL

 

 

 


Date : 20110418

Dossier : A-90-10

Référence : 2011 CAF 140

 

CORAM :      LE JUGE EVANS

                        LA JUGE DAWSON

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

R. MAXINE COLLINS

appelante

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LA JUGE DAWSON

[1]        L’appelante, R. Maxine Collins, interjette appel d’une décision d’une juge de la Cour fédérale radiant, avec dépens, sa déclaration modifiée. L’ordonnance de la juge ne précisait pas si l’acte de procédure était radié avec ou sans autorisation de le modifier. Les motifs à l’appui de l’ordonnance sont publiés sous la référence 2010 CF 254, 366 F.T.R. 40.

 

[2]        Au paragraphe 1(a) de la déclaration modifiée, Mme  Collins réclame des dommages‑intérêts généraux contre l’État en raison de :

i.                     la faute dans l’exercice d’une charge publique;

ii.                   l’inertie fautive et délibérée à faire appliquer des dispositions légales;

iii.                  les infractions à la Charte canadienne des droits et libertés (Charte).

 

[3]        La principale question à trancher dans le cadre du présent appel est de savoir si la juge a commis une erreur en radiant la déclaration modifiée.

 

La nature de la demande de Mme Collins

[4]        La demande de Mme Collins découle de son affirmation selon laquelle pendant qu’elle était à l’emploi de l’Agence du revenu du Canada (ARC), ses collègues ont violé le paragraphe 241(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) (Loi) en examinant de façon inappropriée ses renseignements fiscaux personnels. Bien qu’aux termes du paragraphe 239(2.2) de la Loi, toute personne qui contrevient au paragraphe 241(1) commet une infraction, Mme Collins prétend que, hormis le congédiement d’un employé, l’ARC ne lui a offert aucun recours efficace. Les deux paragraphes de la Loi invoqués par Mme Collins prévoient ce qui suit :

239. (2.2) Commet une infraction et encourt, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, une amende maximale de 5 000 $ et un emprisonnement maximal de 12 mois, ou l’une de ces peines, toute personne :

a) soit qui contrevient au paragraphe 241(1);

b) soit qui, sciemment, contrevient à une ordonnance rendue en application du paragraphe 241(4.1).

. . .

 

241. (1) Sauf autorisation prévue au présent article, il est interdit à un fonctionnaire ou autre représentant d’une entité gouvernementale :

a) de fournir sciemment à quiconque un renseignement confidentiel ou d’en permettre sciemment la prestation;

b) de permettre sciemment à quiconque d’avoir accès à un renseignement confidentiel;

c) d’utiliser sciemment un renseignement confidentiel en dehors du cadre de l’application ou de l’exécution de la présente loi, du Régime de pensions du Canada, de la Loi sur l’assurance-chômage ou de la Loi sur l’assurance-emploi, ou à une autre fin que celle pour laquelle il a été fourni en application du présent article.

239. (2.2) Every person who

(a) contravenes subsection 241(1), or

(b) knowingly contravenes an order made under subsection 241(4.1)

is guilty of an offence and liable on summary conviction to a fine not exceeding $5,000 or to imprisonment for a term not exceeding 12 months, or to both.

 

 

 

[…]

 

241. (1) Except as authorized by this section, no official or other representative of a government entity shall

(a) knowingly provide, or knowingly allow to be provided, to any person any taxpayer information;

(b) knowingly allow any person to have access to any taxpayer information; or

(c) knowingly use any taxpayer information otherwise than in the course of the administration or enforcement of this Act, the Canada Pension Plan, the Unemployment Insurance Act or the Employment Insurance Act or for the purpose for which it was provided under this section.

 

[5]        Madame Collins soutient que l’ARC a pris la décision de principe planifiée et délibérée de ne pas appliquer le paragraphe 239(2.2) de la Loi. Elle ajoute qu’elle voulait que l’ARC dise à ses employés [traduction] « que ce qu’ils faisaient n’était pas seulement moralement et éthiquement répréhensible, mais qu’il s’agissait aussi d’une infraction criminelle pour laquelle ils pouvaient être poursuivis » (soulignement omis). Cependant, elle ne l’a pas fait, et après que Mme Collins eut demandé à l’ARC de mener une enquête sur l’accès non autorisé à ses dossiers fiscaux, les employés de l’ARC ont exercé des représailles contre elle de sorte que l’environnement de travail est devenu toxique. Madame Collins a sollicité l’aide de l’Agence de gestion des ressources humaines de la fonction publique du Canada, du Commissariat à l’intégrité de la fonction publique et de la GRC, a voulu déposer une plainte conformément au Code canadien du travail et a présenté des demandes d’accès en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur l’accès à l’information, mais cela ne lui a apporté aucune aide.  

 

Les questions en litige

[6]        Dans le cadre du présent appel, Mme Collins invoque plusieurs arguments, y compris ses prétentions selon lesquelles la juge n’a pas tenu compte des actes fautifs commis par le procureur de l’intimée, a restreint les débats et a fait preuve d’une « partialité évidente » à son endroit dans ses motifs. À mon avis, les questions à trancher en appel sont les suivantes :

 

i.                     L’appelante a-t-elle prouvé ses allégations de partialité visant la juge?

ii.                   Si ce n’est pas le cas, quelle est la norme de contrôle applicable par la Cour à l’encontre de la décision de la juge de radier la déclaration modifiée?

iii.                  La juge a-t-elle commis une erreur en radiant la déclaration modifiée?

iv.                 L’appelante devrait-elle se voir accorder l’autorisation de modifier à nouveau la déclaration modifiée?

 

Examen des questions en litige

i.          Les allégations de partialité ont-elles été prouvées?

[7]        Comme nous l’avons expliqué dans nos motifs rejetant les trois demandes de Mme Collins dans lesquelles elle demandait aux juges entendant l’appel de se récuser en raison d’une crainte réelle ou possible de partialité, il y a une forte présomption que les juges administreront la justice de façon impartiale. Cette présomption n’est pas facilement repoussée et une « preuve concluante » doit être présentée pour prouver une allégation de crainte raisonnable de partialité (R. c. R.D.S., [1997] 3 R.C.S. 484, au paragraphe 32).

 

[8]        Madame Collins reconnaît qu’elle ne peut pas justifier les allégations de partialité suscitées par la conduite de l’audience devant la juge. Il en est ainsi parce qu’elle prétend qu’il y a eu complot impliquant le sténographe et d’autres personnes de sorte que la transcription est falsifiée et fabriquée.

 

[9]        En ce qui concerne ses autres allégations de partialité, la prétention de Mme Collins selon laquelle la juge a agi de façon inappropriée en acceptant la requête modifiée de l’État visant à faire radier la déclaration n’est pas fondée. Le juge Campbell a permis à Mme Collins de modifier sa déclaration pour supprimer des parties portant sur un recours collectif envisagé et il a dit que cette modification ne portait pas atteinte au droit de l’État de poursuivre sa requête visant à faire radier la déclaration dans son ensemble. La requête en radiation de l’État avait été déposée, mais pas signifiée (voir la page 94 du dossier d’appel). Rien dans les commentaires du juge Campbell ne pouvait interdire ou a interdit à l’État de modifier son dossier de requête afin de faire valoir d’autres motifs de radiation de l’acte de procédure.

 

[10]      Enfin, plusieurs des imputations de partialité de Mme Collins découlent de l’interprétation de la déclaration modifiée faite par la juge. Madame Collins affirme que la juge n’a pas interprété la déclaration comme elle le voulait. Elle en conclut que la juge était partiale. Cependant, pendant l’instruction du présent appel, nous avons avisé Mme Collins que nous n’étions pas convaincus que la déclaration modifiée pouvait être équitablement interprétée de la façon dont le prétend Mme Collins. Cette dernière a reconnu qu’elle n’était [traduction] « pas un plaideur habile » et que la déclaration « n’était pas parfaite ». Le fait que la juge ait donné une interprétation différente aux allégations contenues dans la déclaration de celle préconisée par Mme Collins n’est pas une preuve de partialité.

 

[11]      À mon avis, les motifs de la juge démontrent un examen attentif et complet d’un acte de procédure long (123 paragraphes) et complexe. Rien dans les motifs n’appuie une crainte raisonnable de partialité de la part de la juge. Aucune preuve concluante de partialité réelle ou de crainte de partialité n’a été fournie par Mme  Collins.

 

ii.          La norme de contrôle applicable à l’encontre de la décision de la juge

[12]      Dans Apotex Inc. c. Canada (Gouverneur en conseil), 2007 CAF 374, 370 N.R. 336, notre Cour a examiné le critère applicable à l’examen d’une décision d’un juge portant sur une requête en radiation d’un acte de procédure. Au paragraphe 15, le critère a été décrit comme suit :

Les intimés soulignent avec raison que la décision d’accueillir ou de rejeter une requête en radiation est une décision de nature discrétionnaire. Une décision discrétionnaire en première instance appelle habituellement une certaine retenue de la part de la cour d’appel. Toutefois, la cour d’appel sera libre de substituer l’exercice de son propre pouvoir discrétionnaire à celui exercé par le juge de première instance si elle conclut clairement que le juge de première instance n’a pas accordé suffisamment d’importance à des facteurs pertinents ou s’est fondé sur un mauvais principe de droit : Elders Grain Co. c. Ralph Misener (The), [2005] A.C.F. n° 612, 2005 CAF 139, au paragraphe 13. Notre Cour peut aussi annuler la décision discrétionnaire de l’instance inférieure lorsqu’elle est convaincue que le juge a mal apprécié les faits, ou encore qu’une injustice évidente serait autrement causée : Mayne Pharma (Canada) Inc. c. Aventis Pharma Inc., [2005] A.C.F. n° 215, 2005 CAF 50, 38 C.P.R. (4th) 1, au paragraphe 9. [Je souligne.]

 

[13]      Il incombe à Mme Collins de prouver une erreur qui justifie l’intervention de la Cour à l’égard de l’ordonnance visée par l’appel (j2 Global Communications, Inc. c. Protus IP Solutions Inc., 2009 CAF 41, 387 N.R. 135, aux paragraphes 4-5).

 

iii.         La juge a-t-elle une commis une erreur en radiant la déclaration modifiée?

[14]      Comme il a été indiqué précédemment, la déclaration modifiée visait à demander des dommages-intérêts en raison de :

a.                   la faute dans l’exercice d’une charge publique;

b.                  l’inertie fautive et délibérée à faire appliquer des dispositions légales;

c.                   les infractions à la Charte.

 

J’examinerai successivement chacun des aspects en question.

 

            a.         La faute dans l’exercice d’une charge publique

[15]      La juge a déduit de la déclaration modifiée que l’allégation de faute reposait sur le fait que l’ARC et la GRC n’ont pas déposé d’accusations et engagé de poursuites en vertu du paragraphe 239(2.2) de la Loi. La juge a eu raison de conclure que les responsables de l’application de la loi et les procureurs sont investis du pouvoir discrétionnaire de déposer ou non des accusations et d’engager ou non des poursuites, de sorte que le fait de ne pas déposer d’accusations ne saurait constituer un acte illégitime requis pour établir le délit de faute dans l’exercice d’une charge publique.

[16]      Madame Collins ne conteste pas cette analyse. Elle affirme plutôt que la déclaration modifiée ne fonde pas l’allégation de faute dans l’exercice d’une charge publique sur la non‑application des dispositions légales.

 

[17]      Cependant, aux paragraphes 4, 29, 36, 37, 42 et 43 de la déclaration modifiée, Mme Collins allège ce qui suit :

            [traduction]

4.         Dans une politique écrite conforme aux propos qui se trouvent sur le site Web de l’Agence du revenu du Canada [ARC], l’ARC a pris la décision planifiée et délibérée de ne pas appliquer le paragraphe 239(2.2) de la LIR en qualifiant l’accès autorisé d’illégitime, c.-à-d. non autorisé par la loi, plutôt que d’illégal, c.-à-d. expressément interdit pas la loi, ou une infraction passible d’une amende ou d’un emprisonnement.

 

. . .

 

29.              D’après l’expérience de la demanderesse dans le dépôt d’une dénonciation et d’une plainte en vertu du paragraphe 244(1) de la LIR, la GRC est d’accord avec l’ARC en ce qui concerne la non-application du paragraphe 239(2.2) de la LIR.

 

. . .

 

36.              Le fait que l’ARC ne dise pas la vérité en ce qui concerne les infractions commises par ses employés montre le caractère clairement prioritaire de la protection des employés afin de protéger la réputation de l’ARC, même si elle ne protège pas correctement la confidentialité des renseignements du contribuable.

 

37.              La demanderesse affirme que l’ARC est légalement tenue envers les contribuables canadiens d’assurer que les renseignements personnels ne soient pas divulgués sans autorisation aux employés de l’ARC, et au grand public par l’intermédiaire des employés; et, l’ARC fait délibérément preuve de négligence en s’acquittant de cette obligation puisqu’elle n’applique pas les dispositions adoptées à cette fin.

 

. . .

 

42.              La demanderesse a en sa possession des documents attestant la participation de plusieurs entités gouvernementales fédérales, y compris des documents qui confirment le fait que la GRC est d’accord avec la politique de l’ARC en ce qui concerne la non-application du paragraphe 239(2.2) de la LIR.

 

43.              La demanderesse prétend que la conduite délibérée de l’ARC et du gouvernement fédéral décrite ci-dessus, en vue de priver les contribuables, notamment la demanderesse, de la protection de la loi, de la jurisprudence et de la Charte des droits et libertés constitue une faute dans l’exercice d’une charge publique, une administration négligente de la loi, un abus de pouvoir et un mépris des principes de justice fondamentale en vertu de la primauté du droit, ce qui a occasionné à la demanderesse des pertes et préjudices.

 

[18]      À mon avis, l’interprétation que la juge a faite de la déclaration, telle que formulée par Mme Collins, était raisonnable, et son analyse était appropriée. Madame Collins n’a pas démontré qu’en radiant l’acte de procédure relatif à la faute dans l’exercice d’une charge publique la juge a très mal apprécié les actes de procédure, s’est fondée sur un mauvais principe de droit ou a autrement commis une erreur justifiant l’intervention de notre Cour.

 

            b.         Faute dans l’application d’une disposition légale

[19]      Madame Collins prétend ce qui suit :

            [traduction]

46.       C’est en vertu de la cause d’action découlant de la négligence que la déclaration dépasse les limites de l’ARC et s’étend aux autres entités gouvernementales fédérales qui ont été avisées de la violation de l’article 241 de la Loi de l’impôt sur le revenu et n’ont rien fait pour protéger les renseignements fiscaux, préférant protéger l’ARC.

 

47.              Cette cause d’action ne repose pas sur l’obligation légale d’appliquer le paragraphe 239(2.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, mais plutôt sur la nécessité d’appliquer cette disposition pour satisfaire aux exigences d’une obligation de diligence de droit privé qui consiste à protéger les renseignements fiscaux. Cela est clairement établi aux paragraphes [5] et [6] de la déclaration modifiée.

 

. . .

 

52.              L’appelante a expressément établi l’obligation de diligence prévue par la loi aux paragraphes [10] et [12] de la déclaration modifiée.

 

53.              Dans l’ensemble de la déclaration modifiée, l’appelante a fait valoir que le paragraphe 239(2.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, étant une disposition relative à une infraction criminelle, a été adopté dans le but de décourager l’accès non autorisé aux renseignements fiscaux.

 

[20]      Les paragraphes 5, 6, 10 et 12 de la déclaration modifiée invoqués dans les arguments présentés par Mme Collins prévoient ce qui suit :

            [traduction]

5.         D’après l’expérience de la demanderesse, les employés de l’ARC ne sont pas informés par l’ARC, soit verbalement ou par écrit, que les violations du paragraphe 241(1) de la LIR constituent une infraction en vertu du paragraphe 239(2.2) de la LIR.

 

6.         Cette politique prive les contribuables canadiens de la protection de l’article 241 qui a été considéré par la Cour d’appel fédérale [Diversified Holdings Ltd. v. Canada, [1991] 1 C.T.C. 118] comme étant une disposition relative à la protection des contribuables.

 

. . .

 

10.              L’ARC est tenue, en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, de tenir un registre de toutes les utilisations autorisées et non autorisées des renseignements personnels des contribuables.

 

. . .

 

12.       La Cour d’appel fédérale a conclu que l’intention législative de l’article 241 était d’assurer la protection de la confidentialité des renseignements donnés au ministre pour l’application de la LIR. La Cour d’appel fédérale a aussi conclu que la protection avait été établie en faveur du contribuable qui donne des renseignements à Revenu Canada en croyant que ces renseignements demeureront confidentiels.

 

[21]      Se fondant sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada Canada c. Saskatchewan Wheat Pool, [1983] 1 R.C.S. 205, la juge a conclu que le fait de ne pas respecter une disposition législative ne constitue pas en soi de la négligence. Elle a aussi conclu que l’État n’a pas l’obligation formelle en common law de porter des accusations et d’engager des poursuites en vertu du paragraphe 239(2.2) de la Loi.

 

[22]      Madame Collins n’a démontré aucune erreur dans l’analyse de la juge. Aucune obligation de diligence en droit privé ou en common law ne découle des faits invoqués dans la déclaration modifiée. Par conséquent, la déclaration modifiée ne révèle aucune cause d’action valable fondée sur la négligence. Cette partie de l’acte de procédure portant sur l’allégation de négligence a été radiée à bon droit.

 

            c.         Les violations de la Charte

[23]      Comme la juge l’a judicieusement fait remarquer, la déclaration modifiée n’indiquait pas quels droits auraient été violés et n’alléguait pas de faits matériels pouvant soutenir une telle déclaration. Dans le cadre du présent appel, Mme Collins prétend ce qui suit sur cet aspect de la déclaration :

 

            [traduction]

59.       Les fonctionnaires, ou les ministres du gouvernement fédéral, ont-ils le pouvoir de créer et de mettre en œuvre une politique qui force les contribuables à respecter l’article 239 de la Loi de l’impôt sur le revenu, mais pas les employés du gouvernement fédéral?

 

60.       Dans la déclaration modifiée, il est indiqué qu’« ils » n’ont pas le pouvoir nécessaire en raison du principe de la primauté du droit inséré dans la Constitution.

 

61.       La politique incontestée qui consiste à ne jamais appliquer le paragraphe 239(2.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu est-elle une question visée par les critères établis dans l’arrêt Anns comme il est indiqué au paragraphe [20] des observations écrites modifiées de la partie intimée?

 

. . .

 

66.       L’intimée a une obligation de diligence prévue par la loi qui consiste à protéger les renseignements des contribuables. Elle a fait preuve de négligence dans l’exercice de cette obligation en ce sens qu’elle a omis d’utiliser et a ignoré un outil puissant fourni par le législateur.

 

67.       Le fait de ne pas utiliser cet outil contre les employés du gouvernement tout en déposant régulièrement des accusations criminelles contre les contribuables contrevient au principe de primauté du droit. Une politique qui va à l’encontre de la primauté du droit est une politique adoptée de mauvaise foi et sous l’influence indue de considérations étrangères.

 

. . .

 

71.       L’appelante ne réclame pas de dommages-intérêts en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte.

 

. . .

 

73.       L’appelante a établi une obligation de diligence prima facie de droit privé en vertu de l’article 241 de la Loi de l’impôt sur le revenu et aussi en se reportant à l’obligation légale de tenir un registre de tous les accès aux renseignements des contribuables comme le prévoient les dispositions pertinentes de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

[24]      À mon avis, ces paragraphes sont rejetés pour les mêmes raisons que l’allégation de négligence est rejetée. L’argument selon lequel l’inobservation de la loi confère un droit d’action va à l’encontre de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada dans des arrêts comme Saskatchewan Wheat Pool, précité, et Holland c. Saskatchewan, 2008 CSC 42, [2008] 2 R.C.S. 551.

 

iv.         L’appelante devrait-elle se voir accorder l’autorisation de modifier à nouveau la déclaration modifiée?

[25]      Comme je l’ai déjà indiqué, l’ordonnance de la juge ne précisait pas si la déclaration était radiée avec ou sans autorisation de la modifier. L’article 221 des Règles des Cours fédérales requiert un examen de la question.

 

[26]      Pour être radié sans autorisation d’être modifié, l’acte de procédure doit comporter un vice qui ne peut être corrigé par une modification. Voir Simon c. Canada, 2011 CAF 6, 410 N.R. 374, au paragraphe 8. À mon avis, la demande fondée sur la négligence et celle fondée sur une infraction à la Charte ne peuvent pas être corrigées par une modification. Cependant, j’estime que la demande fondée sur la faute dans l’exercice d’une charge publique peut être corrigée.

 

[27]      Les éléments de la cause d’action fondée sur la faute dans l’exercice d’une charge publique sont les suivants :

 

1.                  Le fonctionnaire doit avoir agi en cette qualité de manière illégitime et délibérée.  

2.                  Le fonctionnaire doit avoir été conscient du caractère non seulement illégitime de sa conduite, mais aussi de la probabilité de préjudice à l’égard du demandeur. Cette exigence établit le lien requis entre les parties. Le fonctionnaire doit faire sciemment preuve d’insouciance devant les intérêts de ceux qui seront touchés par l’inconduite en question.

 

[28]      S’agissant de la nature de l’inconduite, la question est essentiellement de savoir si l’inconduite alléguée revêt un caractère illégitime et délibéré. Un demandeur doit aussi démontrer qu’il a subi des dommages qui découlaient de l’inconduite alléguée et que ces dommages étaient d’une importance telle qu’ils justifiaient l’octroi d’une indemnité. Voir Succession Odhavji c. Woodhouse, 2003 CSC 69, [2003] 3 R.C.S. 263, au paragraphe 22 et suivants.

 

[29]      En ce qui concerne l’acte de procédure en cause, il est écrit ce qui suit dans la déclaration modifiée :

            [traduction]

 

a.                   L’alinéa 241(1)c) de la Loi interdit à un fonctionnaire d’utiliser sciemment un renseignement confidentiel en dehors du cadre de l’application ou de l’exécution de la Loi.  

b.                  La demanderesse a travaillé à l’ARC de novembre 2005 à novembre 2007.

c.                   Deux employés de l’ARC ont eu accès au dossier d’impôt sur le revenu de la demanderesse sans y être autorisés.

d.                  À la suite d’une enquête de l’ARC qui a permis de découvrir que l’accès n’était pas autorisé, des collègues ont fait des remarques à la demanderesse fondées sur une connaissance personnelle des déclarations de revenus personnelles de la demanderesse.

e.                   La demanderesse a subi des représailles et a été humiliée publiquement.

f.                    Par suite de la violation de la vie privée, la demanderesse a demandé l’aide d’un professionnel, a souffert de dépression et d’anxiété et elle avait des pensées suicidaires. De plus, elle a dû démissionner d’un lieu de travail toxique, ce qui a entraîné des difficultés financières.

 

[30]      J’estime qu’avec les modifications appropriées, une cause d’action peut être correctement plaidée, en alléguant que l’État doit être responsable du fait d’autrui de la faute des fonctionnaires qui ont eu un accès abusif aux renseignements confidentiels de Mme Collins et qui les ont diffusés. Il s’ensuit que j’apporterais une précision à l’ordonnance de la juge en affirmant que Mme Collins est autorisée à modifier l’acte de procédure à nouveau pour y alléguer le délit de faute dans l’exercice d’une charge publique. Aucune autorisation ne serait accordée pour modifier toute autre cause d’action.

 

[31]      Il serait bien utile de rappeler à Mme Collins que tout acte de procédure supplémentaire doit être conforme aux règles de la Cour fédérale régissant les actes de procédure. L’inobservation de ces règles pourrait entraîner la radiation de l’acte de procédure modifié de nouveau.

[32]      À titre d’exemple, la déclaration modifiée traite des éléments de preuve de manière approfondie et ne contient aucun exposé concis des faits substantiels comme le requiert l’article 174. Enfin, bien qu’une partie puisse soulever des points de droit dans un acte de procédure (article 175), une déclaration ne peut constituer un argument juridique.

 

[33]      L’exigence selon laquelle l’acte de procédure doit contenir un exposé concis des faits substantiels sur lesquels la partie se fonde est une exigence technique ayant un sens précis en droit. Chaque élément constitutif d’une cause d’action doit être invoqué avec suffisamment de détails. Les éléments qui sont requis au moment de plaider le délit de faute dans l’exercice d’une charge publique ont été examinés par notre Cour dans Merchant Law Group c. Canada (Agence du revenu), 2010 CAF 184, 405 N.R. 160, au paragraphe 29 et suivants. Il est peu probable qu’un compte rendu des événements satisfasse aux exigences des Règles des Cours fédérales. Madame Collins serait bien avisée de demander des conseils juridiques en ce qui concerne les éléments qui doivent figurer dans l’acte de procédure modifié qu’elle voudrait présenter.

 

Conclusion

[34]      Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter l’appel, mais j’apporterais une précision à l’ordonnance visée par l’appel en affirmant que Mme Collins a obtenu l’autorisation de modifier à nouveau la déclaration modifiée pour alléguer le délit de faute dans l’exercice d’une charge publique.

 

 

[35]      Je suis d’avis d’accorder les dépens de l’appel suivant l’issue de la cause.

 

 

 

« Eleanor R. Dawson »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord

            John M. Evans j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

            Johanne Trudel j.c.a. »

 

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas

 

 

 

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                       A-90-10

 

 

INTITULÉ :                                                      R. MAXINE COLLINS c.

                                                                           SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                              Le 30 mars 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                           LA JUGE DAWSON

 

Y ONT SOUSCRIT :                                        LE JUGE EVANS

                                                                           LA JUGE TRUDEL

 

DATE DES MOTIFS :                                     Le 18 avril 2011

 

COMPARUTIONS :

 

R. Maxine Collins

Pour son propre compte

 

POUR L’APPELANTE

 

P. Tamara Sugunasiri

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

R. Maxine Collins

Pour son propre compte

 

POUR L’APPELANTE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

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