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Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20110408

Dossier : A-39-10

Référence : 2011 CAF 128

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

JEAN-ROBERT LACROIX,

représentant de CANADEVIM LTÉE,

en vertu du paragraphe 38(1) de la

Loi sur la faillite et l'insolvabilité

intimé

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 16 mars 2011.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 8 avril 2011.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                      LE JUGE NOËL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                       LE JUGE PELLETIER

LA JUGE TRUDEL

 


Cour d’appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20110408

Dossier : A-39-10

Référence : 2011 CAF 128

 

CORAM :      LE JUGE NOËL

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

JEAN-ROBERT LACROIX,

représentant de CANADEVIM LTÉE,

en vertu du paragraphe 38(1) de la

Loi sur la faillite et l'insolvabilité

intimé

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE NOËL

[1]               Il s’agit d’un appel logé par la Couronne à l’encontre d’un jugement de la juge Lamarre de la Cour canadienne de l’impôt (la juge de la CCI). Cette dernière a accueilli l’appel de Canadevim ltée (Canadevim) et annulé la cotisation établie par le ministre du Revenu du Québec pour le compte du ministre du Revenu national (le ministre) en vertu de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. 1985, ch. E-15 (LTA).

 

[2]               Canadevim a été déclarée en faillite par jugement rendu en date du 24 janvier 2003 par la Cour supérieure du Québec. Un jugement ultérieur de cette même Cour a autorisé Jean-Robert Lacroix à intenter le présent recours en son nom.

 

[3]               En émettant la cotisation qui fait l’objet du présent litige, le ministre a tenu pour acquis que Canadevim devait, aux termes de l’alinéa 152(1)b) de la LTA, émettre une facture à un moment quelconque pendant la période couverte par la cotisation – soit du 1er mai 1998 au 31 octobre 2001 – pour les travaux qu’elle a effectués dans le cadre d’un contrat pour fourniture de service. La juge de la CCI a conclu que puisque les travaux effectués par Canadevim n’étaient pas « presque achevés » au sens de l’alinéa 168(3)c) de la LTA, aucune telle facture n’avait à être émise.

 

[4]               Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la décision de la juge de la CCI est entachée d’une erreur de droit et que l’appel doit être accueilli.

 

FAITS PERTINENTS

[5]               Seul Yoland Lacasse a témoigné pour le compte de Canadevim lors de l’audition (motifs, para. 4). Le résumé qui suit découle de son témoignage et de la preuve documentaire déposée au cours de l’instance.

 

[6]               Canadevim est une société dont les actionnaires et administrateurs étaient, pendant la période en cause, Yoland Lacasse et Jean-Robert Lacroix (dossier d’appel, vol. II, pp. 150, 151). En 1989, Yoland Lacasse agissant en son propre nom et pour le bénéfice de trois sociétés (Yoland Lacasse in trust) incluant Canadevim, a acheté un terrain d’environ 200 acres (dossier d’appel, vol. II, pp. 152, 153 et 239). Un individu du nom d’Harry Adams détenait un terrain adjacent, lequel avait une superficie approximative de 100 acres. En octobre 1996, la Ville d’Aylmer a approuvé un projet de développement domiciliaire et commercial, incluant l’aménagement d’un terrain de golf sur ces deux terrains.

 

[7]               Au printemps 1997, Yoland Lacasse et Yoland Lacasse in trust ont donné mandat à Canadevim en tant que contracteur général de commencer les travaux d’aménagement du terrain de golf (dossier d’appel, vol. II, pp. 165 et 240 à 242). Quant à savoir si Harry Adams avait lui aussi donné ce mandat, Yoland Lacasse a répondu « c’est plutôt moi » avant d’ajouter qu’Harry Adams était présent sur les lieux à compter du début et pendant presque toutes les étapes de construction (dossier d’appel, vol. II, p. 243).

 

[8]               L’entente n’a pas été consignée dans un écrit mais, selon Yoland Lacasse, elle prévoyait que Canadevim serait payée en fonction d’un taux horaire et que le coût des sous-traitants serait majoré de dix pour cent (dossier d’appel, vol. II, p. 250). Les travaux ont débuté au printemps 1997 et se sont poursuivis jusqu’à l’automne 1997, moment auquel Harry Adams a appris qu’il souffrait d’un cancer incurable. Les travaux qui avaient alors été complétés jusqu’à concurrence de 55% furent interrompus. La coupe du gazon a eu lieu au cours de l’été 1998 mais ce travail ne fut pas effectué par Canadevim (dossier d’appel, vol. II, p. 178).

 

[9]               Le 17 avril 1998, Harry Adams a fait don de son terrain à une fiducie créée pour le bénéfice de sa conjointe, Shirley Goodwin. Quelques mois plus tard, soit le 10 juillet 1998, Jean-Robert Lacroix agissant au nom de Canadevim a enregistré un avis d’hypothèque légale sur les deux terrains sur lesquels les travaux avaient été effectués. Selon Yoland Lacasse, Canadevim craignait que la succession Adams ne vende son terrain à un tiers (dossier d’appel, vol. II, p. 251).

 

[10]           L’avis d’hypothèque désigne Canadevim en tant que créancier et indique qu’elle « a effectué des travaux et fourni des matériaux à Harry Adams, […] à la fiducie de Shirley Goodwin, Yoland Lacasse et Yoland Lacasse in trust » pour un montant de 1,2 million de dollars (dossier d’appel, vol. I, p. 53). Ce montant fut calculé en fonction des travaux qui avaient été effectués au moment où les travaux furent interrompus et des coûts encourus selon les factures payées (dossier d’appel, vol. II, p. 184).

 

[11]           À l’automne 1998, Yoland Lacasse et Jean-Robert Lacroix ont formé avec deux autres individus la société le Club de Golf Les Vieux Moulins Inc. (Société Les Vieux Moulins). Cette société a donné à Canadevim le mandat de compléter les travaux nécessaires à l’ouverture du golf (dossier d’appel, vol. II, pp. 255-257). Le golf fut ouvert au public au printemps 1999 sans pour autant que les travaux soient entièrement complétés. Selon Yoland Lacasse, les travaux étaient toujours inachevés lors de l’audition en 2010 (dossier d’appel, vol. II, p. 210).

 

[12]           Le 1er février 1999 Canadevim, n’ayant toujours pas été payée, déposait devant la Cour supérieure une requête en délaissement forcé et prise en paiement des terrains sur lesquels les travaux avaient été effectués (dossier d’appel, vol. I, p. 63). Harry Adams est décédé en juillet 2000. Six mois plus tard Canadevim a conclu un règlement hors cour avec la succession Adams. Selon cette entente intervenue en janvier 2001, la succession Adams acceptait de vendre le terrain sur lequel les travaux avaient été effectués à la Société Les Vieux Moulins pour la somme de 245 000 $ sujet à ce que Canadevim renonce à tout montant qui pouvait lui être dû par Harry Adams ou sa succession (dossier d’appel, vol. I, p. 57, para. 3 b)).

 

[13]           Le 23 août 2002, le ministre a établi une cotisation pour la période s’étalant du 1er mai 1998 au 31 octobre 2001 retenant notamment comme fondement l’alinéa 152(1)b) de la LTA (dossier d’appel, vol. I, p. 15, para. 31) et se fondant, entre autres, sur l’hypothèse selon laquelle les travaux d’aménagement du terrain de golf effectués par Canadevim étaient presque achevés lors de l’enregistrement de l’hypothèque légale (idem, para. 26 h) et i)). Le montant de 1,2 million de dollars inscrit à l’avis d’hypothèque a servi de base au calcul de la taxe sur les produits et services (la taxe ou la TPS) à être remise par Canadevim en tant que mandataire (idem, para. 26 i) et 29). Le montant dû par Canadevim suite à la cotisation s’élevait à 135 570,69 $, incluant pénalités et intérêts.

 

CADRE LÉGISLATIF

[14]           En vertu du paragraphe 168(1) de la LTA, la TPS est payable au premier en date du jour où la contrepartie d’une fourniture taxable est payée (inapplicable en l’espèce) ou du jour où elle « devient due ». À cet égard, le paragraphe 152(1) de la LTA précise qu’elle est « réputée devenir due » le premier en date des trois jours qui y sont décrits :

 

152(1) Pour l’application de la présente partie, tout ou partie de la contrepartie d’une fourniture taxable est réputée devenir due le premier en date des jours suivants :

 

a) le premier en date du jour où le fournisseur délivre, pour la première fois, une facture pour tout ou partie de la contrepartie et du jour apparaissant sur la facture;

 

b) le jour où le fournisseur aurait délivré une facture pour tout ou partie de la contrepartie, n’eût été un retard injustifié;

 

c) le jour où l’acquéreur est tenu de payer tout ou partie de la contrepartie au fournisseur conformément à une convention écrite.

 

152(1) For the purposes of this Part, the consideration, or a part thereof, for a taxable supply shall be deemed to become due on the earliest of

 

 

(a) the earlier of the day the supplier first issues an invoice in respect of the supply for that consideration or part and the date of that invoice,

 

 

(b) the day the supplier would have, but for an undue delay, issued an invoice in respect of the supply for that consideration or part, and

 

(c) the day the recipient is required to pay that consideration or part to the supplier pursuant to an agreement in writing.

 

 

[15]           La juge de la CCI s’est appuyée sur l’alinéa 168(3)c) de la LTA afin de déterminer ce que constituait un « retard injustifié » pour les fins de l’alinéa 152(1)b) :

168(3) Par dérogation aux paragraphes (1) et (2), la taxe prévue à la présente section, calculée sur la valeur de tout ou partie de la contrepartie d’une fourniture taxable, est payable le dernier jour du mois qui suit le premier mois où l’un des faits suivants se réalise, dans le cas où tout ou partie de la contrepartie n’est pas payée ou devenue due au plus tard ce jour-là :

 

[…]

 

c) s’il s’agit d’une fourniture prévue par une convention écrite qui porte sur la réalisation de travaux de construction, rénovation, transformation ou réparation d’un immeuble ou d’un bateau ou autre bâtiment de mer — étant raisonnable de s’attendre dans ce dernier cas à ce que les travaux durent plus de trois mois — , les travaux sont presque achevés.

 

168(3) Notwithstanding subsections (1) and (2), where all or any part of the consideration for a taxable supply has not been paid or become due on or before the last day of the calendar month immediately following the first calendar month in which

 

 

 

 

 

 

(c) where the supply is under an agreement in writing for the construction, renovation or alteration of, or repair to,

(i) any real property, or

(ii) any ship or other marine vessel, and it may reasonably be expected that the construction, renovation, alteration or repair will require more than three months to complete,

the construction, renovation, alteration or repair is substantially completed,

tax under this Division in respect of the supply, calculated on the value of that consideration or part, as the case may be, is payable on that day.

 

[Mon soulignement]

 

DÉCISION DE LA CCI

[16]           Après avoir résumé les faits, la juge de la CCI aborde la question à savoir à quel moment la contrepartie pour les travaux effectués par Canadevim était devenue due aux termes de l’article 152 de la LTA. Constatant qu’aucune facture n’avait été émise et qu’il n’existait pas de convention écrite, la juge de la CCI se demande si Canadevim aurait dû « délivrer » une facture, n’eût été un retard injustifié, tel que le prévoit l’alinéa 152(1)b) (motifs, para. 26-32).

 

[17]           Afin de déterminer ce que constitue un retard injustifié, la juge de la CCI s’inspire de l’alinéa 168(3)c) de la LTA, qui prévoit que dans le cas d’une fourniture prévue par une convention écrite, la contrepartie devient due lorsque les travaux sont « presque achevés ». Dans le cas présent, la juge de la CCI note qu’à l’ouverture du terrain de golf en juin 1999, les travaux de construction n’étaient toujours pas achevés. À cet égard, elle souligne le fait que contrairement à ce qui fut allégué dans ses procédures, l’avocat du ministre a concédé au cours de l’audition que les travaux étaient inachevés lors du dépôt de l’avis d’hypothèque légale (motifs, para. 34). Il s’agissait donc de déterminer si malgré l’état incomplet des travaux, une facture devait être « délivrée » comme l’entend l’alinéa 152(1)b).

 

[18]           Selon la juge de la CCI, même si aucune convention écrite n’a été signée en l’espèce, le critère de la fin des travaux prévu à l’alinéa 168(3)c) de la LTA demeure un critère raisonnable pour déterminer si la contrepartie était due (motifs, par. 35). Elle poursuit en affirmant que puisque les travaux n’étaient pas complétés au moment où l’avis d’hypothèque légale a été enregistré, il ne peut y avoir de retard injustifié à « délivrer » une facture aux termes de l’alinéa 152(1)b) de la LTA (motifs, para. 35-38).

 

[19]           La juge de la CCI rappelle que le dépôt d’un avis d’hypothèque légale ne signifie pas que les travaux étaient presque terminés au sens de l’article 2727 C.c.Q (motifs, para. 39). L’hypothèque légale ne constitue qu’une mesure conservatoire. Selon elle, « l’avis d’hypothèque légale ne sert qu’à garantir la créance qui a donné une plus-value et non à faire la preuve du montant exact de cette plus-value » (motifs, para. 43). Elle s’en remet à cet égard à la décision de la Cour d’appel du Québec dans Beylerian c. Constructions et rénovations Willico inc., REJB 1997-00639 [Beylerian].

 

[20]           La juge de la CCI en vient à la conclusion que la contrepartie des travaux effectués par Canadevim n’était pas due au moment du dépôt de l’avis d’hypothèque légale et que Canadevim n’avait pas à « délivrer » une facture aux termes de l’alinéa 152(1)b) de la LTA. Elle accueille donc l’appel et ordonne l’annulation de la cotisation.

 

POSITION DU MINISTRE

[21]           Le ministre soumet que la juge de la CCI a commis une erreur de droit en retenant le critère des travaux « presque achevés » prévu à l’alinéa 168(3)c) de la LTA afin de déterminer à quel moment la contrepartie des travaux effectués par Canadevim était devenue due pour les fins de l’alinéa 152(1)b). L’alinéa 168(3)c) trouve application seulement lorsqu’il y a une convention écrite, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

 

[22]           Le ministre prétend que le retard injustifié à « délivrer » une facture au sens de l’alinéa 152(1)b) de la LTA doit plutôt être déterminé en fonction des faits et des circonstances propres à chaque affaire.

 

[23]           Le ministre soutient que la relation contractuelle qui a donné lieu à la première vague de travaux a pris fin à un moment quelconque entre le mois de novembre 1997, date à laquelle les travaux ont été interrompus, et le mois de juillet 1998, date du dépôt de l’avis d’hypothèque légale. Le ministre soumet qu’une facture devait être émise après que cette relation contractuelle ait pris fin. Il souligne que c’est en vertu d’une deuxième entente contractuelle, impliquant une autre partie, soit la Société Les Vieux Moulins, que Canadevim a entrepris la deuxième vague de travaux.

 

[24]           Le ministre dit s’en remettre à l’avis d’hypothèque légale non pas pour déterminer la date à laquelle Canadevim devait « délivrer » une facture aux termes de l’alinéa 152(1)b) de la LTA, mais pour établir de manière objective le montant qui aurait dû être facturé par Canadevim pour les travaux effectués.

 

POSITION DE CANADEVIM

[25]           Canadevim se rallie à la décision de la juge de la CCI et s’en remet à ses motifs. Selon Canadevim il est logique et raisonnable que la taxe ne devienne payable que lorsque les travaux sont « presque achevés » au sens de l’alinéa 168(3)c) de la LTA.

 

[26]           Canadevim soutient que la cotisation est fondée sur deux hypothèses lesquelles se sont avérées sans fondement. La première est à l’effet que la date de l’inscription de l’hypothèque légale permettait de déterminer le moment où les travaux étaient « presque achevés » et, par conséquent, le moment auquel la taxe devenait à la fois payable et percevable. La deuxième est que le montant mentionné à l’avis d’hypothèque légale peut servir à établir la contrepartie payable pour les services d’aménagement du terrain de golf fournis par Canadevim (mémoire de Canadevim, par. 21).

 

[27]           Canadevim soutient que l’inscription de l’avis d’hypothèque légale ne confirme pas une créance, mais a pour but de protéger une créance éventuelle payable à la fin des travaux. Canadevim précise que l’article 2728 C.c.Q. prévoit que l’hypothèque légale de la construction garantit la plus-value donnée à l’immeuble par les travaux, et non pas la créance. De plus, Canadevim s’en remet à la décision de la Cour d’appel du Québec dans Beylerian, selon laquelle un entrepreneur n’a pas à démontrer le montant de la plus-value conféré à l’immeuble, mais seulement son existence. Il s’ensuit qu’il n’y a pas d’équivalence entre le montant inscrit à l’avis d’hypothèque légale et la contrepartie payable pour les travaux effectués.

 

[28]           Canadevim remet aussi en question la validité juridique de l’hypothèque qu’elle a elle-même enregistrée. Elle précise que cette hypothèque couvre deux immeubles, soit le terrain détenu par Yoland Lacasse in trust et celui d’Harry Adams. Selon Canadevim, un avis d’hypothèque légale devait être inscrit pour chacun des immeubles en cause.

 

[29]           Canadevim tente également de démontrer que la contrepartie exigible pour les travaux effectués n’était pas de 1,2 million de dollars. Elle souligne entre autres le fait que la succession Adams n’a rien payé pour les travaux effectués sur son terrain suite à l’entente hors cour intervenue en janvier 2001 (mémoire de Canadevim, para. 78). Elle ajoute, s’appuyant sur la décision Rockport Developments Inc. c. La Reine, 2009 CCI 180 [Rockport Developments], que « la contrepartie relative aux services rendus était invérifiable au cours de la période visée par la cotisation » (mémoire de Canadevim, para. 86).

 

ANALYSE ET DÉCISION

[30]           La question fondamentale qui se pose est à savoir si la juge de la CCI pouvait s’en remettre au critère prévu à l’alinéa 168(3)c) de la LTA pour déterminer le moment auquel la facture devait être délivrée malgré le fait que la condition préalable à l’application de cette disposition, soit l’existence d’une entente écrite, n’était pas présente.

 

[31]           L’essentiel du raisonnement de la juge de la CCI quant à cette question est le suivant :

 

[35] […] Même s’il n’y a aucune convention écrite, il me semble que le critère de la fin des travaux prévu à l’alinéa 168(3)c) de la LTA est un critère raisonnable pour déterminer si une contrepartie était due, qui peut s’appliquer tout autant en présence ou en l’absence d’une convention écrite.

 

[36] De fait, si dans le cas de l’existence d’une convention écrite, le législateur a cru bon de dire que la contrepartie ne devient due que lorsque les travaux sont presque achevés, il me semble que ceci est une bonne référence pour déterminer quand la contrepartie devient due dans le cas où le fournisseur n’a pas délivré de facture pour la contrepartie.

 

[37] L’alinéa 152(1)b) de la LTA prévoit que la contrepartie est réputée devenir due le jour où le fournisseur aurait dû délivrer une facture, n’eût été un retard injustifié.

 

[38] Puisque les travaux étaient loin d’être complétés au moment où l’avis d’hypothèque légale a été enregistré (ce qui n’est plus contesté par [l’appelante]), je ne crois pas qu’on puisse parler d’un retard injustifié à délivrer une facture à cette date.

 

 

[32]           La difficulté que soulève ce raisonnement est que selon les termes mêmes de l’alinéa 152(1)b), l’émission d’une facture peut être assujettie à un retard injustifié, même si les travaux ne sont que partiellement complétés puisque la disposition fait état d’une facture « pour tout ou partie de la contrepartie ».

 

[33]           Il s’ensuit que la juge de la CCI ne pouvait arrêter son analyse sur le simple fait que les travaux n’étaient pas substantiellement complétés et conclure dès lors qu’une facture n’avait pas à être délivrée. Elle devait se demander si, selon la preuve, une facture devait être délivrée aux fins de l’alinéa 152(1)b) pour la partie des travaux qui avait été effectuée. À mon humble avis, si la juge de la CCI s’était posée cette question, elle n’aurait pu faire autrement que conclure dans l’affirmative.

 

[34]           En effet, la preuve démontre que les travaux effectués par Canadevim se sont arrêtés à compter du moment où Harry Adams découvre sa maladie alors qu’ils étaient complétés à 55%. C’est lorsque Harry Adams a fait don de son terrain à une fiducie pour sa conjointe quelques mois plus tard que Canadevim a constaté que le projet et les fonds qu’elle avait investis étaient en péril (motifs, para. 9; dossier d’appel, vol. II, pp. 180, 181). L’hypothèque légale fut enregistrée le 10 juillet 1998 et la requête en délaissement forcé et prise en paiement des terrains fut déposée sept mois plus tard.

 

[35]           Canadevim n’a pas cru bon de mettre cette requête en preuve mais il est clair que pour la déposer, Canadevim devait alléguer l’existence de sa créance (Art. 2765 C.c.Q.), son exigibilité (Art. 2748 C.c.Q.) et le défaut du débiteur (Art. 2765 et 2748 C.c.Q.). D’ailleurs, le jugement de la Cour supérieure rendu en date du 31 mai 2001 fait état du fait que Canadevim a allégué dans cette requête ne pas avoir été payée (dossier d’appel, vol. I, p. 63, 3ième plein paragraphe) et personne ne peut remettre en question le fait que la requête avait pour but de prendre les terrains en paiement du montant impayé.

 

[36]           Ceci confirme la thèse du ministre selon laquelle le mandat initial conféré à Canadevim a pris fin après la première vague de travaux et que c’est en vertu d’un contrat distinct impliquant une autre partie que les travaux nécessaires à l’ouverture du golf ont été complétés. En toute logique, une facture pour le montant impayé devait être délivrée avant que ne soit déposée la requête en délaissement forcé et prise en paiement. De fait, cette requête ne pouvait être déposée sans qu’une demande de paiement ne soit effectuée sous une forme quelconque. Dans ce contexte, l’omission d’émettre une facture ne peut se justifier. J’ajoute que la décision de la Cour d’appel du Québec dans l’affaire Beleyrian n’affecte en rien ce raisonnement. Ce qui découle de cet arrêt est que la plus-value résultant des travaux effectués n’a pas à être quantifiée lors de l’inscription de l’avis d’hypothèque légale. Aucune telle question ne se soulève dans le cadre du présent appel.

 

[37]           Quant au montant qui devait être facturé, l’hypothèque légale enregistrée par Canadevim fut calculée en fonction des coûts réels encourus pour effectuer les travaux et Yoland Lacasse, qui témoignait sur ce plan tant au nom de Canadevim qu’en son propre nom et celui de Yoland Lacasse in trust, a confirmé que l’entente verbale donnait droit à un montant calculé en fonction des coûts encourus (dossier d’appel, vol. II, p. 250). À part avoir allégué que l’hypothèque qu’elle a enregistrée serait illégale – parce qu’enregistrée sur deux terrains plutôt qu’un – Canadevim n’a pas démontré qu’un montant autre que celui indiqué aurait dû être inscrit ou que le montant qu’elle a réclamé dans sa requête était différent de celui qu’elle a enregistré.

 

[38]           J’en viens donc à la conclusion que n’eût été d’un retard injustifié, Canadevim aurait délivré une facture pour le montant de 1,2 million de dollars à un moment quelconque entre l’arrêt des travaux à l’automne 1997 et le 1er février 1999, date du dépôt de la requête en délaissement forcé et prise en paiement. Il s’ensuit que selon les termes du paragraphe 152(1) de la LTA, la contrepartie de la fourniture taxable effectuée par Canadevim est « devenue due » au plus tard le 1er février 1999.

 

[39]           Canadevim a par ailleurs prétendu que les événements subséquents au dépôt de cette requête démontrent que sa créance n’était pas de 1,2 million de dollars. Elle soutient que l’entente hors cour intervenue en janvier 2001 démontre qu’en ce qui a trait à la partie des travaux effectués sur le terrain appartenant à l’époque à Harry Adams, la contrepartie a été réduite à zéro puisqu’elle a renoncé à tout montant qui pouvait lui être dû par la succession Adams.

 

[40]           Le fait que la succession Adams n’ait rien payé n’établit pas que Canadevim a réduit la contrepartie qui lui était due. En effet, rien n’explique pourquoi Canadevim aurait fait don de sa créance ou choisi de l’abandonner. Ceci laisse plutôt croire que l’obligation de payer Canadevim a été assumée par ceux qui avaient intérêt à faire avancer le projet. J’ai à l’esprit notamment la Société Les Vieux Moulins laquelle a acquis de la succession le terrain sur lequel les améliorations furent apportées.

 

[41]           Finalement, la règle qui se dégage de la décision de la Cour canadienne de l’impôt dans Rockport Developments ne peut s’appliquer en l’espèce. La Cour devait dans cette affaire se prononcer sur l’assujettissement à la TPS de frais supplémentaires pour des travaux sur lesquels les parties ne s’étaient pas entendues. Aucune telle question ne se soulève ici puisqu’il y avait entente quant aux travaux qui devaient être effectués et à la considération qui devait être payée.

 

[42]           Pour ces motifs, j’accueillerais l’appel avec dépens, j’annulerais le jugement de la juge de la CCI, et rendant le jugement qu’elle devait rendre, je rejetterais l’appel de Canadevim avec dépens.

 

 

« Marc Noël »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord

        J.D. Denis Pelletier j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

       Johanne Trudel j.c.a. »

 

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                                A-39-10

 

(APPEL D’UN JUGEMENT DE L’HONORABLE JUGE LUCIE LAMARRE DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT DU 18 MARS 2010, N° DU DOSSIER 2003-3159(GST)G.)

 

INTITULÉ :                                                               SA MAJESTÉ LA REINE c. JEAN-ROBERT LACROIX, représentant de CANADEVIM LTÉE, en vertu du paragraphe 38(1) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       Le 16 mars 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    Le juge Noël

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                 Le juge Pelletier

                                                                                    La juge Trudel

 

DATE DES MOTIFS :                                              Le 8 avril 2011

 

COMPARUTIONS :

 

Me Benoît Denis

POUR L’APPELANTE

 

Me Chantal Donaldson

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Direction du contentieux du ministère du Revenu du Québec

Montréal (Québec)

 

POUR L’APPELANTE

 

LeBlanc Donaldson

Gatineau (Québec)

POUR L’INTIMÉ

 

 

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