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Date : 20110317

Dossier : A-44-10

Référence : 2011 CAF 104

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

GILDARD HACHÉ

intimé

 

 

 

Audience tenue à Fredericton (Nouveau-Brunswick), le 9 février 2011.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 17 mars 2011.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LA JUGE TRUDEL

Y ONT SOUSCRIT :                                                                              LE JUGE EN CHEF BLAIS

                                                                                                                         LE JUGE PELLETIER

 


Date : 20110317

Dossier : A-44-10

Référence : 2011 CAF 104

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF BLAIS

                        LE JUGE PELLETIER

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :

SA MAJESTÉ LA REINE

appelante

et

GILDARD HACHÉ

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA JUGE TRUDEL

[1]               Le produit de disposition par l’intimé de deux permis de pêche commerciale est-il imposable au titre d’un gain en capital? L’issue du présent pourvoi dépend de la réponse à cette question, laquelle nécessite que la Cour détermine au préalable si ces permis de pêche sont un bien, au sens du paragraphe 248(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.) (la LIR).

 

[2]               La juge de la Cour canadienne de l’impôt (CCI) saisie de la question a conclu que les permis de pêche n’étaient pas des biens (au sens de la LIR) dont l’intimé pouvait disposer et, « qu’en conséquence, la somme reçue ne [pouvait] donner lieu à un gain en capital devant être inclus dans son revenu pour l’année d’imposition 2001 » (motifs du jugement, au paragraphe 1 : 2010 CCI 10, 7 janvier 2010, la juge Lamarre).

 

[3]               Avec égards, je ne peux souscrire à ces conclusions. Je propose donc d’accueillir l’appel avec dépens devant les deux Cours.

 

Faits pertinents

 

[4]               Devant la CCI, les parties ont déposé un exposé conjoint des faits (dossier d’appel, onglet F, à la page 40). Pour les fins du présent appel, il nous suffit de savoir que l’intimé, Gildard Haché, est un pêcheur commercial enregistré en vertu de la Loi sur les pêches, L.R.C. 1985, c. F-14 (la LSLP). Il était titulaire, pour les années 1996 à 2000, inclusivement, de deux permis de pêche émis par le ministre des Pêches et des Océans (MPO), l’un pour le crabe des neiges et l’autre pour le poisson de fond. Il était aussi propriétaire d’un navire de pêche et des équipements nécessaires à ses activités de pêche commerciale.

 

[5]               Au cours de l’année 2000, en réponse au jugement de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 456, le MPO a mis en œuvre un Programme d’accès aux allocations de pêche [le Programme] visant à accroître la participation des Premières nations aux pêches commerciales en leur transférant  des quotas, de même que les navires, engins et matériel nécessaires pour pêcher.

[6]               Cet accès aux pêches commerciales était mis en œuvre par le truchement d’un processus de renonciation volontaire. En effet, le MPO offrait aux propriétaires de bateaux de pêche et aux détenteurs de permis de pêche commerciale, la possibilité de renoncer  à leurs intérêts dans ces biens contre paiement.

 

[7]               C’est dans ce contexte que l’intimé a choisi, en février 2001, de participer au Programme et signé, un mois plus tard, l’entente reproduite en annexe et par laquelle le MPO convenait de lui verser un paiement volontaire de 3 050 000 $ (article 9 de l’entente).

 

[8]               Dans sa déclaration de revenu pour l’année 2001, l’intimé a traité un montant de 2 825 000 $ comme le produit de disposition d’une immobilisation admissible. Cette somme représentait la partie du paiement volontaire reçu du MPO que l’intimé affectait au retrait de ses permis de pêche.

 

[9]               En janvier 2004, suite à une vérification de ses années d’imposition 2000 et 2001, l’intimé a reçu un avis de nouvelle cotisation selon laquelle le ministre du Revenu national (le ministre) fixait le produit de disposition des permis à la somme de 2 583 465 $. Les 466 535 $ attribués à la disposition du bateau et des équipements de pêche ne sont pas remis en question.

 

[10]           L’appel porte ainsi sur le traitement fiscal de ce montant de 2 583 465 $ qui ne devait pas, selon la CCI, être inclus dans le revenu de l’intimé pour l’année d’imposition 2001.

 

Le jugement de la CCI

 

[11]           Pour tirer cette conclusion, la juge s’est appuyée sur l’affaire Saulnier c. Banque Royale du Canada, 2008 CSC 58, [2008]  3 R.C.S. 166 [Saulnier] et sur l’arrêt Manrell c. Canada, 2003 CAF 128 [Manrell].

 

a)         Saulnier

 

[12]           Dans cette première affaire, il s’agissait de savoir si le permis de M. Saulnier était un « bien » pour l’application de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985, c. B-3 (la LFI) et de la Personal Property Security Act de la Nouvelle-Écosse, S.N.S. 1995-96, ch. 13.

 

[13]           Bien que les avantages découlant du permis ne correspondaient  pas entièrement à la totalité des droits nécessaires pour que quelque chose soit considéré comme un « bien » en common law, il a été jugé que le droit de participer à des activités de pêche exclusive selon les conditions du permis et le droit propriétal dans les poissons sauvages capturés, incluant les revenus de vente en découlant [ensemble le « faisceau de droits »], s’apparentaient raisonnablement à un profit à prendre en common law, « qui constitue indéniablement un intérêt de propriété » (Saulnier, au paragraphe 47). La définition de  « bien » à l’article 2 de la LFI incluait « toute espèce de domaines, d’intérêts ou de profits, présents ou futurs, acquis ou éventuels, sur des biens, ou en provenant ou s’y rattachant », englobant ainsi le permis de M. Saulnier.

 

[14]           Cela étant, la juge s’est écartée de Saulnier en distinguant cette affaire du cas en l’espèce pour deux raisons. Premièrement, le passage ci-dessus emprunté à la définition de « bien » dans la LFI n’apparaissait pas à la définition du même mot dans la LIR. Deuxièmement, elle a noté que dans Saulnier, le pêcheur détenait des permis valides au moment de sa faillite, contrairement, a-t-elle conclu, à l’intimé qui, au moment de la signature de l’entente, « ne possédait plus effectivement un « faisceau de droits » rattaché à ces permis, qui lui aurait conféré un droit propriétal pouvant constituer un  bien » (motifs du jugement, au paragraphe 21). Enfin, l’intimé ne transférait pas son permis à quiconque pouvant exercer ses droits à sa place. M. Haché, contrairement à M. Saulnier dont les biens étaient sous la saisine d’un syndic de faillite, renonçait tout simplement à son droit de demander un permis de pêche (ibidem, au paragraphe 23).

 

b)         Manrell

 

[15]           Par ailleurs, la juge a aussi cité Manrell, un arrêt dans lequel notre Cour a conclu  qu’un paiement reçu en vertu d’une entente de non-concurrence ne représentait pas le produit de disposition d’un bien au sens de la LIR.

 

[16]           Procédant à un constat analogique, la juge a conclu que :

 

…Le fait de renoncer à son droit d’exploiter une entreprise, donc à un droit à un revenu, en acceptant de signer une entente de non-concurrence peut s’apparenter, à mon avis, au fait de renoncer à demander un permis de pêche, abandonnant ainsi tout profit à prendre de ce permis. Tout comme dans l’arrêt Manrell, j’estime qu’on ne peut parler de la disposition d’un bien au sens de la LIR (ibidem, au paragraphe 24).

 

Analyse

 

[17]           Il n’y a pas de désaccord sur les faits. La mésentente entre les parties concerne essentiellement l’interprétation à donner au mot « bien » dans la LIR,  une question de droit révisable selon la norme de la rectitude; et l’application des faits de l’espèce à cette définition, une question mixte de fait et de droit pour laquelle notre Cour n’interviendra que pour corriger une erreur manifeste et dominante (Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235).

 

[18]           En l’instance, la juge n’a commis aucune erreur dans l’identification du cadre d’analyse requis en matière de gain en capital. En effet, elle s’est posé la question de savoir si l’abandon, par l’intimé, de ses permis de pêche, constituait une disposition de biens – une condition préalable à la réalisation d’un gain en capital. Il est clair, par ailleurs,  que la question de la validité des permis de l’intimé et la conclusion de notre Cour dans Manrell ont été déterminantes pour la juge. À mon avis, il n’aurait pas dû en être ainsi. En ont résulté des erreurs de droit et de fait requérant l’intervention de notre Cour. Tout d’abord, l’analogie avec Manrell est malheureuse.

 

[19]           Manrell portait sur la question de savoir si le paiement par un acquéreur d’actions en contrepartie de la promesse du vendeur de ne pas faire concurrence pour une période déterminée dans un territoire délimité donnait lieu à un gain en capital imposable. Sa Majesté la Reine prétendait que le paiement  relatif à la clause restrictive était le produit de disposition du « droit de faire concurrence », un droit de « quelque nature qu’il soit » au sens du paragraphe 248(1) de la LIR.

PARTIE XVII

INTERPRÉTATION

248(1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi :

 

« biens » Biens de toute nature, meubles ou immeubles, corporels ou incorporels, y compris, sans préjudice de la portée générale de ce qui précède :

 

a) les droits de quelque nature qu'ils soient, les actions ou parts;

b) à moins d'une intention contraire évidente, l'argent;

 

c) les avoirs forestiers;

 

d) les travaux en cours d'une entreprise qui est une profession libérale

PART XVII

INTERPRETATION

248(1)    In this Act, ...

 

 

"property" means property of any kind whatever whether real or personal or corporeal or incorporeal and, without restricting the generality of the foregoing, includes

(a) a right of any kind whatever, share or a chose in action,

 

(b) unless a contrary intention is evident, money,

 

(c) a timber resource property, and

 

(d) the work in progress of a business that is a profession.

 

[20]           L’argument ayant été ainsi campé, dans Manrell notre Cour a décidé que :

 

Le droit général de faire une chose que n’importe qui peut faire, ou un droit possédé par chacun, n’est pas le «bien» de qui que ce soit. En l’espèce, la seule chose que M. Manrell possédait avant de signer l’entente de non-concurrence et qu’il ne possédait pas par la suite était le droit qu’il partageait avec toute autre personne d’exploiter une entreprise. Quel que soit ce à quoi M. Manrell avait renoncé en signant cette entente, il ne s’agissait pas d’un «bien» au sens ordinaire de ce mot (au paragraphe 25). [Je souligne.]

 

[21]           S’appuyant sur cet énoncé, l’intimé argue que la seule chose dont il aurait pu se départir au moment de la signature de l’entente est le privilège qu’il partageait avec toute autre personne détenant un permis de pêche, c’est-à-dire un droit général et non-exclusif ne pouvant davantage constituer un «bien» au sens de la LIR (mémoire de l’intimé, au paragraphe 91).

[22]           Je ne peux souscrire à cette prétention. Tout d’abord, on ne saurait ici parler d’un droit général et non-exclusif, mais j’y reviendrai ci-dessous. Avant tout, on ne saurait comparer la situation de l’intimé à celle de M. Manrell qui, accessoirement à un contrat de vente d’actions, avait monnayé son engagement personnel envers son cocontractant à ne pas faire quelque chose. Cette obligation négative à laquelle il s’était engagé ne pouvait certes constituer «un droit de quelque nature qu’il soit» ou, selon Manrell, un «bien» comportant «quelque droit exclusif de présenter une demande contre quelqu’un d’autre» (au paragraphe 25).

 

[23]           Je suis donc d’avis que la juge a eu tort de conclure que l’abandon volontaire, par l’intimé, des permis lui permettant de participer à une activité commerciale contingentée s’apparentait à l’obligation de M. Manrell découlant d’une clause de non-concurrence.

 

[24]           Ceci dit, je passe maintenant à la question de la validité des permis de l’intimé. Pour mieux la saisir, il est utile de connaître la politique gouvernementale applicable en l’espèce. Intitulée la Politique d’émission des permis pour la pêche commerciale dans la région du Golfe, ministère des Pêches et des Océans, elle a pour objectif de «réduire la capacité de pêche, d’accroître la rentabilité des participants aux opérations de pêche commerciale et de prévenir d’autres augmentations de capacité» (dossier d’appel, à la page 69).

 

[25]           L’une des façons d’atteindre cet objectif fut la mise en place d’une stratégie d’émission des permis. Selon la définition retrouvée à l’article 5 de la Politique, un permis :

… autorise une activité qui autrement est interdite. Un permis ne confère donc aucun droit de propriété ou aucun autre droit pouvant être légalement vendu, échangé ou légué. Il s’agit essentiellement du privilège de mener une activité, mais sous réserve des conditions liées au permis.

 

[26]           Plus précisément, un permis de pêche :

 

… est un instrument par lequel le [MPO] accorde, conformément aux pouvoirs discrétionnaires que lui confère la Loi sur les pêches, la permission à une personne incluant une organisation autochtone de récolter certaines espèces de poissons ou de plantes marines sous réserve des conditions du permis. Il ne s’agit absolument pas d’une permission permanente, car celle-ci prend fin en même temps que le permis. Le titulaire du permis se voit accorder un privilège de pêche limitée et non un «droit de propriété» absolu ou permanent.

 

[27]           De plus, le permis de pêche ne confère aucun droit acquis à son titulaire (paragraphe 16(2) du Règlement de pêche (dispositions générales), DORS/93-53) (le Règlement) et le MPO peut le suspendre ou le révoquer, entre autres s’il constate un manquement à ses dispositions (article 9 LSLP).

 

[28]           Sans doute, la  LSLP limite les droits du titulaire d’un permis de pêche quant à sa durée, au lieu et aux modalités de son exercice (ensemble, les conditions du permis), mais il n’en demeure pas moins que la réalité commerciale dans ce secteur d’activité est à l’effet que les permis seront renouvelés, d’une année à l’autre, et que la politique ministérielle protégera ceux qui détiennent déjà des permis. En effet, tel que mentionné dans Saulnier, la stabilité du secteur des pêches dépend du renouvellement prévisible des permis par le MPO d’année en année (Saulnier, au paragraphe 14).

 

[29]           C’était d’ailleurs la compréhension de l’intimé. Lors de son contre-interrogatoire, il a admis qu’«on [ne] demandait jamais pour un permis» (transcription de l’audience devant la CCI, à la page 20, ligne 20). Membre de ce que la Politique appelle le «noyau» (dossier d’appel, à la page 45), l’intimé faisait partie «de ce nombre maximum» d’entreprises détenant plusieurs permis de pêche (une entreprise de noyau est une unité de pêche commerciale composée d’un pêcheur, de bateaux immatriculés et des permis statutaires requis) qui pouvaient s’adonner à la pêche commerciale dans la région du Golfe. Il faut savoir qu’il n’est possible de se joindre au «noyau» qu’en remplaçant une entreprise en faisant déjà partie et en étant un pêcheur professionnel accrédité (la Politique, aux articles 9(7) et 10). Ne pêche donc pas qui veut. L’intimé détenait ses permis depuis 25 ans (transcription de l’audience devant la CCI, à la page 7, ligne14).

 

[30]           Je crois que la juge aurait accepté que ces facteurs militent en faveur de la reconnaissance des permis de pêche commerciale de l’intimé au titre de «biens» au sens de la LIR, n’eut été qu’elle les a jugés invalides parce qu’ils étaient expirés ou qu’aucune condition ne s’y rattachait. Qu’en était-il vraiment?

 

a)         le poisson de fond

 

[31]           La preuve révèle que l’intimé était le titulaire du permis #004384 lui permettant de pêcher le poisson de fond (dossier d’appel, aux pages 46 et 142). Émis le 19 avril 2000, le document attestant de ce permis, lequel porte un numéro distinct, fait part d’une période de validité allant du 1er janvier 2000 au 14 mai 2001, alors que l’entente a été signée en mars 2001. On y lit que « (l)’utilisation de ce permis est sujette aux conditions émises par le MPO. Le détenteur de ce permis doit s’assurer d’avoir reçu les conditions de permis, et ne doit pas prendre part aux activités de pêche avec ce permis avant d’avoir reçu les conditions de permis valides et les avoir attachées à ce permis ».

[32]           C’est le Règlement qui prévoit, en son article 22, que le MPO peut indiquer sur un permis une ou plusieurs conditions permettant la gestion et la surveillance judicieuse des pêches et favorisant « la conservation et la protection du poisson ». Entre autres conditions limitant l’activité de pêche autorisée par le permis, on retrouve la période pendant laquelle l’activité peut être exercée, le bateau et le type d’équipements qui peuvent y servir et la zone géographique des prises et leur quantité.

 

[33]           Or, l’intimé n’avait jamais reçu les conditions afférentes à ce permis étant donné les nombreux stocks de poisson de fond assujettis à un moratoire depuis les années quatre-vingt-dix.   C’est pourquoi la juge a conclu qu’en ce qui concerne le poisson de fond :

 

…l’appelant n’a jamais reçu les conditions afférentes au permis de pêche, faisant en sorte que son permis n’était pas valide pour la période indiquée 2000/2001, et ce, à la face même du permis déposé en preuve (motifs du jugement, au paragraphe 21).

 

[34]           Je ne suis pas d’accord. Le permis autorise son titulaire à participer à des activités  de pêche exclusive en conformité avec les conditions y mentionnées. Les conditions y afférentes ne constituent que le cadre et les limites d’exercice de l’activité autorisée. Dans les faits, si le moratoire avait été levé, en tout ou en partie,  entre janvier 2000 et mai 2001, l’intimé aurait pu, dès les conditions d’exercice de son permis reçues,  prendre la mer et pêcher le poisson de fond puisqu’il était détenteur d’un permis valide pour cette période.

 

[35]           Comme le plaide l’appelante, si l’absence de conditions rattachées au permis devait faire obstacle à sa validité, ce permis n’aurait pu être émis le 19 avril 2000, ni au cours des années antérieures alors que le moratoire était toujours en vigueur. Par ailleurs, pourquoi acquitter les frais de renouvellement d’un permis qui sera vraisemblablement invalide si ce n’est parce que ce permis établit pour son détenteur le droit ou le pouvoir exclusif de faire partie du noyau et de participer aux activités de pêche commerciale?  Il ressort autant des textes législatifs que de la preuve que le fait que l’intimé n’ait pas reçu les conditions afférentes à ce permis ne l’empêchait pas de détenir un « faisceau de droits » qu’il aurait pu exercer dès l’obtention de ces conditions. C’est du permis lui-même qu’émanaient les droits de l’intimé de participer à une pêche commerciale exclusive,  non des conditions qui s’y rattachaient de temps à autre. Cette distinction, à mon avis déterminante, semble avoir échappé à la juge.

 

b)         le crabe des neiges

 

[36]           L’intimé était aussi le titulaire du permis #004385 émis le 16 décembre 2000, lequel l’autorisait à pêcher le crabe des neiges. La juge a conclu que ce permis n’était plus valide au  moment de la signature de l’entente puisqu’il « était expiré à la fin de l’année 2000, selon la période indiquée au permis temporaire » (motifs du jugement, au paragraphe 21). En conséquence,  l’intimé ne possédait plus «un faisceau de droits» rattaché à ce permis. Encore une fois, je ne suis pas d’accord.

 

[37]           Tout d’abord, je note que le permis temporaire n’avait été émis que pour permettre à l’intimé de pêcher le crabe des neiges selon les conditions qui s’y rattachaient pour la période du 15 avril au 15 août 2000, puisqu’il n’avait pas encore reçu le document attestant de son permis pour cette année civile (dossier d’appel, à la page 101). Dans les faits, comme je l’ai dit plus haut, l’intimé détenait depuis 25 ans les permis de pêche discutés en l’instance.

 

[38]           Je note aussi au dossier d’appel le formulaire intitulé « Demande d’enregistrement(s) et de(s) permis de pêche» visant le renouvellement de l’enregistrement «de pêcheur noyau» et des permis de pêche émis au nom de l’intimé pour l’année civile 2001 (dossier d’appel, à la page 144). L’intimé affirme ne pas avoir payé, pour l’année 2001, les frais mentionnés au Règlement (article 5), lequel prescrit que le MPO puisse délivrer un permis à quiconque en fait la demande et acquitte le droit requis.

 

[39]           Mais l’absence de preuve de paiement n’est pas ici déterminante. D’une part, cette demande d’enregistrement prévoit que « (t)ous les permis qui n’auront pas été renouvelés au plus tard le 31 décembre 2001 encourent l’annulation », alors que l’entente a été signée en mars 2001. J’en comprends donc que le droit de l’intimé à son permis pour l’année civile 2001 ne dépendait pas uniquement du versement des frais réglementaires. Autrement dit, la validité des permis se vérifie à davantage que la réception d’un paiement. Dans ce domaine commercial réglementé et contingenté, l’expiration du permis ne commande pas nécessairement une conclusion d’invalidité.

 

[40]           Par ailleurs, selon l’article 19 de l’entente reproduite en annexe, l’intimé a convenu et garanti que ses permis de pêche ne faisaient l’objet d’aucune mesure de sanction. Il comptait que ses permis seraient renouvelés, mais, a-t-il dit : « Pourquoi j’aurais payé? Je me débarrassais de mes licences » (transcription de l’audience devant la CCI, à la page 12, lignes 6-7). Par ailleurs, en vue de conclure ladite entente, l’intimé avait lui-même fixé la valeur de ses permis, un fait que la juge ne discute pas dans ses motifs.

 

[41]           Je reconnais que le rôle principal de la juge de première instance est d’apprécier et de soupeser les éléments mis en preuve par les parties;  en l’instance, je suis d’avis qu’elle aurait dû davantage tenir compte des déclarations mêmes de l’intimé alors qu’il manifestait son intérêt à participer au Programme. Dans sa demande au Programme d’accès aux allocations de pêches 2000/2001 (cahier d’appel, onglet G, à la page 145) [je souligne], l’intimé a décrit ses deux permis (crabe des neiges et poisson de fond). À la colonne «Prix demandé pour le paquet de licence au complet», il a demandé 2 009 518.20 $ pour le permis relatif au crabe des neiges; et 100 000 $ pour le permis visant le poisson de fond et ce, sans égard pour quelque considération que ce soit entourant la soi-disant validité de ses permis. Il ne fait aucun doute que l’intimé, selon moi, négociait alors sur un  «bien» au sens de la LIR et qu’il réclamait ces sommes en contrepartie de la disposition d’un «droit de quelque nature qu’il soit».

 

[42]           Par conséquent, je propose d’accueillir l’appel avec dépens devant les deux Cours.

 

« Johanne Trudel »

j.c.a.

 

 

 

« Je suis d’accord.

Pierre Blais j.c. »

 

« Je suis d’accord.

J.D. Denis Pelletier j.c.a. »


ANNEXE

 

 

 

PROGRAMME D’ACCÈS AUX ALLOCATIONS DE PÊCHE

ENTENTE ENTRE LE BÉNÉFICIAIRE

ET

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DES PÊCHES ET OCÉANS

ENTENTE NB-70-2001

 

PARTIE I : RETRAIT ET ABANDON DU PERMIS

 

1.         Je, Gildard Haché, NAS : (omis par la soussignée) (ci-après appelé le

« bénéficiaire »), titulaire d’un permis de pêche commerciale à l’égard :

crabe des neiges #4385 et poisson de fond #4384 (ci-après appelé le

« permis »), abandonne par les présentes tous les privilèges et droits se

rattachant au permis.

 

2.         En contrepartie des paiements volontaires prévus à la partie III, je reconnais

par les présentes ce qui suit, en ma qualité de bénéficiaire :

 

a) le présent abandon est irrévocable;

 

b) je comprends les dispositions énoncées dans les parties II et III de la

présente entente;

 

c) les parties II et III du présent document font partie de la présente

entente.

 

Signature du bénéficiaire : ___Gildard Haché________

 

 

Date : ________26 février 2001____

 

 

 

PARTIE II : TRANSFERT DU NAVIRE ET DE L’ÉQUIPEMENT

 

 

3.         Le bénéficiaire reconnaît qu’il est propriétaire du navire et de l’équipement

décrit de façon plus détaillée dans l’annexe de la présente entente (ci-après

appelé les « biens »).

 

4.         Le bénéficiaire convient et garantit que les biens ne sont grevés d’aucun

privilège ou autre obligation financière ou charge, sauf ceux qui sont

mentionnés à l’annexe de la présente entente.

 

5.         Le bénéficiaire reconnaît qu’il a convenu de transférer à ses frais à une

communauté autochtone (ci-après appelée « l’organisation

autochtone ») le titre de propriété afférent aux biens franc ainsi que le

bateau et l’équipement de pêche décrit dans cette entente et quitte de

tous privilèges, obligations financières et autres charges. (l’original est en caractère gras)

 

6.         Le bénéficiaire convient que le MPO, l’organisation autochtone et toute

personne que le MPO ou l’organisation autochtone désigne à l’occasion

peuvent examiner les biens en tout temps raisonnable.

 

7.         Les risques afférents aux biens sont à la charge du bénéficiaire jusqu’à ce

que le titre de propriété soit transféré à l’organisation autochtone.

 

8.         Le bénéficiaire convient de conserver les biens en bon état de navigabilité et

de réparation jusqu’à ce qu’ils soient transférés à l’organisation autochtone.

 

 

PARTIE III : PAIEMENT VOLONTAIRE

 

9.         Le MPO convient de verser au bénéficiaire un paiement volontaire au

montant de 3 050 000,00 $ (TROIS MILLIONS CINQUANTE MILLE

DOLLARS) une fois que :

 

a) le bénéficiaire aura signé la présente entente;

 

b) le bénéficiaire aura retourné au MPO tous les documents et plaques

établis à l’égard du permis;

 

c) le bénéficiaire aura transféré le titre de propriété afférent aux biens à

l’organisation autochtone;

 

d) le MPO sera convaincu que les biens sont francs et quittes de tous

privilèges, obligations financières et autres charges.

 

 

10.       Dans l’un ou l’autre des cas suivants :

 

a) si le bénéficiaire communique des renseignements faux ou trompeurs

au MPO à l’égard de la présente entente;

 

b) si le bénéficiaire ne se conforme pas à une disposition de celle-ci,

le MPO pourra

 

c) mettre fin à toute obligation de verser un paiement au bénéficiaire en

application des présentes;

 

d) obliger le bénéficiaire à rembourser au MPO tout paiement que celui-ci

lui aura versé en application des présentes;

 

e) exercer tout autre recours autorisé en droit.

 

11.       Lorsque, conformément à l’alinéa 10d) qui précède, le MPO demande au

bénéficiaire de lui rembourser un paiement, le montant constituera une dette

due à Sa Majesté La Reine du chef du Canada.

 

12.       Le bénéficiaire permet, sur demande, au MPO ou à toute personne que celui-ci

désigne à l’occasion de vérifier les livres, registres, pièces justificatives,

rapports et autres documents qui concernent la présente entente, le permis ou

les biens et dont le MPO juge l’examen opportun, ainsi que d’en faire des

copies et d’en prendre des extraits, et fournit toute l’aide nécessaire aux fins

des vérifications et des examens en question.

 

13.       Le bénéficiaire conservera les documents mentionnés à l’article 12 pendant

une période d’au moins deux ans suivant la date à laquelle le MPO lui aura

versé le montant mentionné à l’article 9.

 

14.       Les membres de la Chambre des Communes ne peuvent participer à la

présente entente ni en tirer avantage.

 

15.       Le bénéficiaire dégage Sa Majesté La Reine du chef du Canada et ses

ministres, fonctionnaires et employés de toutes les réclamations, poursuites,

actions ou demandes liées au permis et les indemnise de toutes les

réclamations, préjudices et coûts se rapportant au permis ou aux biens.

 

16.       Le MPO peut faire parvenir tout paiement au bénéficiaire à l’adresse

suivante :

 

Gildard Haché

C.P. 2085

Shippagan, NB

E8S 3H3

 

17.       Aucun paiement ne sera versé en application de l’article 9 de la présente

entente avant que le transfert à l’organisation autochtone du titre de propriété

afférent à un navire qui fait partie des biens soit enregistré.

 

18.       Toute obligation du MPO de verser un paiement au bénéficiaire en

application de l’article 9 des présentes prend fin six mois après la date à

laquelle les parties signent la présente entente, sauf si le bénéficiaire a signé

la partie I des présentes, retourné au MPO tous les documents et plaques

établis à l’égard du permis, transféré le titre de propriété afférent aux biens à

l’organisation autochtone et respecté toutes les conditions de la présente

entente avant l’expiration de la dite période.

 

19.       Le bénéficiaire convient et garantit que le permis ne fait l’objet d’aucune

mesure de sanction, sauf les mesures énoncées à l’annexe de la présente

entente.

 

20.       Dans le cas où le MPO autorise la rétention d’un/des permis, le(s) dernier(s)

ne seront pas émis/transférés à un autre pêcheur.

 

21.       Les délais prévus aux présentes sont de rigueur.

 

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                            A-44-10

 

INTITULÉ :                                                                           Sa Majesté la Reine c.

                                                                                                Gildard Haché

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Fredericton, Nouveau-Brunswick

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   9 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                LA JUGE TRUDEL

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             LE JUGE EN CHEF BLAIS

                                                                                                LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :                                                          17 mars 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Janie Payette

Catherine M.G. McIntyre

POUR L’APPELANTE

 

 

Gilles E. Bujold

POUR L’INTIMÉ

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR L’APPELANTE

 

 

Bujold Avocats – Fiscalistes

Moncton, Nouveau-Brunswick

POUR L’INTIMÉ

 

 

 

 

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