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Date : 20110308

Dossier : A‑205‑10

Référence : 2011 CAF 84

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE TRUDEL

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

SHELLEY APPLEBY‑OSTROFF

appelante

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

 

 

 

Audience tenue à Ottawa (Ontario), le 16 février 2011

Décision rendue à Ottawa (Ontario), le 8 mars 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                           LE JUGE MAINVILLE

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                       LA JUGE SHARLOW

                                                                                                                             LA JUGE TRUDEL

 


Date : 20110308

Dossier : A‑205‑10

Références : 2011 CAF 84

 

CORAM :      LA JUGE SHARLOW

                        LA JUGE TRUDEL

                        LE JUGE MAINVILLE

 

ENTRE :

SHELLEY APPLEBY‑OSTROFF

appelante

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE MAINVILLE

[1]               Il s’agit de l’appel d’un jugement, portant la référence 2010 CF 479 (les motifs), par lequel la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire de l’appelante visant à faire annuler la décision du président de l’Office des transports du Canada (l’OTC) qui rejetait le grief qu’elle avait déposé après que son employeur eut mis fin à son emploi comme avocate générale adjointe et directrice de la Direction des services juridiques de l’OTC.

 

[2]               L’argument fondamental invoqué par l’appelante dans son grief, puis devant la Cour fédérale, et aujourd’hui dans le présent appel, est que les conditions de travail qui s’appliquent à elle sont exposées dans la Directive sur le réaménagement des effectifs (la DRE) plutôt que dans la Politique de transition dans la carrière pour les cadres de direction (la PTCCD).

 

[3]               L’intimé reconnaît que les documents d’orientation du Conseil du Trésor indiquent que la PTCCD n’est plus en vigueur, mais affirme que le Conseil du Trésor a adopté une mesure de transition en vertu de laquelle la PTCCD devait s’appliquer à l’appelante. L’intimé n’a toutefois produit aucune copie de cette décision du Conseil du Trésor au motif qu’il ne peut le faire puisqu’il s’agit d’un document confidentiel du Cabinet. Pourtant, aucune attestation n’a été déposée conformément à l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C‑5, à l’appui de l’allégation. L’intimé soutient par ailleurs qu’il n’a aucune obligation de produire une copie de la décision du Conseil du Trésor adoptant la mesure de transition et qu’il peut se fonder sur l’affidavit d’un employé du Conseil du Trésor.

 

[4]               Comme nous le verrons, la position de l’intimé est contraire aux dispositions applicables de la Loi sur la preuve au Canada et aux principes de droit administratif régissant les décisions gouvernementales qui touchent aux droits individuels. Par conséquent, vu les circonstances inusitées de la présente affaire, l’appel sera accueilli et l’affaire sera renvoyée au président de l’OTC pour qu’il statue à nouveau sur le grief en se fondant sur la DRE.

 

Rappel des faits et contexte

[5]               L’appelante a été au service de l’OTC pendant environ 18 ans, et au moment de son licenciement elle occupait un poste supérieur classé au niveau LA‑3A. Son poste ne faisait pas partie d’une unité de négociation collective, et ses conditions de travail n’étaient pas régies par une convention collective exécutoire. Le dossier ne fait état d’aucune faute qu’aurait commise l’appelante ni d’insatisfaction de l’employeur à l’égard de son rendement. En fait, l’abolition de son poste résultait d’une réorganisation de l’OTC et avait été recommandée dans un rapport préparé par une société d’experts‑conseils. L’OTC a décidé de donner suite à cette recommandation.

 

[6]               Ainsi que l’a constaté le juge de première instance, la période qui a suivi la décision d’abolir le poste « ne s’est pas déroulée de façon harmonieuse » en raison de la façon dont l’appelante a été traitée (motifs, paragraphe 76). Le 15 octobre 2008, l’appelante a été informée par lettre que son poste deviendrait [traduction] « excédentaire en raison de la suppression de [ses] fonctions à compter de la fermeture des bureaux le 15 avril 2009 » (dossier d’appel, page 66). Il s’est par la suite avéré que la date du 15 avril 2009 à laquelle le poste de l’appelante devenait excédentaire était erronée et que le poste de l’appelante devait en réalité être déclaré excédentaire à compter du 5 novembre 2008, soit 21 jours après la réception de la lettre initiale notifiant la décision à l’appelante.

 

[7]               En outre, la PTCCD était annexée à la lettre du 15 octobre 2008, et celle‑ci indiquait les diverses options qui s’offraient à l’appelante aux termes de cette politique. Or, la PTCCD annexée à la lettre commençait par l’avis suivant : « Avis au lecteur : Ce document n’a plus de valeur exécutoire. Il a été archivé et demeure disponible en direct uniquement pour des fins de documentation » (dossier d’appel, page 68).

 

[8]               Des échanges ont eu lieu ensuite entre l’appelante et les représentants de l’OTC et du Conseil du Trésor à propos des diverses options qui s’offraient à l’appelante. Celle‑ci a sollicité un délai supplémentaire pour pouvoir examiner les options, mais sa demande a été refusée. Les échanges entre les parties ont abouti le 5 novembre 2008 à un ultimatum écrit par lequel l’employeur invitait l’appelante à choisir, dans un délai de quelques heures, l’une des options qui s’offraient à elle aux termes de la PTCCD (dossier d’appel, page 90) :

[traduction] Par conséquent, en accord avec la PTCCD, veuillez prendre note que si, à la fermeture des bureaux le mercredi 5 novembre 2008, vous n’avez pas renoncé à l’option 1, vous serez réputée avoir accepté une réaffectation au sein de la fonction publique, et vous n’aurez plus droit aux options 2 ou 3 décrites dans la lettre du 15 octobre 2008.

 

 

[9]               Il convient de noter que, selon l’option 1 de la PTCCD, l’appelante pouvait bénéficier d’un délai de six mois (jusqu’au 15 avril 2009) pour chercher un nouvel emploi dans l’administration publique centrale, après quoi elle serait mise en disponibilité « sans pouvoir bénéficier d’aucun autre avantage prévu par la présente politique » si elle ne parvenait pas à trouver un nouveau lieu d’affectation (dossier d’appel, page 66). Les options 2 et 3 concernaient des ententes individuelles d’indemnisation, qui nécessitaient une démission de la fonction publique et une renonciation aux droits de rappel prioritaire.

 

[10]           L’appelante a répondu le 5 novembre 2008 à l’ultimatum écrit le même jour : elle a renoncé à l’option 1, sous réserve de tous droits (dossier d’appel, page 93) :

[traduction] Par la présente, je vous informe que je renonce à l’option 1 énoncée dans la lettre en date du 15 octobre 2008 que vous m’avez envoyée. Le présent courriel ne doit en aucun cas être considéré comme une renonciation de ma part à l’un quelconque de mes droits, y compris à mon droit de déposer un grief. Il ne doit pas non plus être considéré comme une acceptation, explicite ou implicite, de l’échéance unilatérale indiquée dans votre lettre du 15 octobre. La présente communication vous est envoyée sous réserve de tous droits.

 

 

[11]           Le 7 novembre 2008, l’appelante s’est vu interdire l’accès à son bureau, et une lettre lui a été envoyée le même jour, l’informant qu’elle avait [traduction] « démissionné de la fonction publique le 5 novembre 2008 ». Ainsi s’achevait la carrière de l’appelante au sein de l’OTC, une carrière qui avait duré 18 ans.

 

[12]           L’appelante a consulté un avocat et déposé un grief conformément à l’article 208 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 2, alléguant que c’était la DRE qui s’appliquait à elle, et non la PTCCD qui n’était plus en vigueur. Selon la DRE, l’appelante aurait droit à des garanties et avantages additionnels non prévus par la PTCCD, notamment la garantie d’une offre d’emploi raisonnable, à défaut de quoi elle aurait droit à un délai de 120 jours pour pouvoir considérer d’autres options, notamment l’option d’une priorité d’employé excédentaire pendant une période de douze mois pour trouver une offre d’emploi raisonnable.

 

La décision relative au grief

[13]           Dans une décision‑lettre datée du 6 février 2009, le président de l’OTC a rejeté le grief. Il s’est entièrement fondé sur l’avis donné par les analystes du Conseil du Trésor et les employés de l’Agence de la fonction publique du Canada, sans effectuer une recherche ou analyse juridique indépendante pour savoir quelles conditions de travail s’appliquaient à l’appelante. Se fondant sur l’avis obtenu, il a conclu que la PTCCD s’appliquait à l’appelante à titre de « mesure transitoire » (dossier d’appel, pages 208 à 210).

 

La procédure introduite devant la Cour fédérale

[14]           L’appelante a contesté, au moyen d’une demande de contrôle judiciaire présentée à la Cour fédérale, la décision relative à son grief. L’intimé a décidé de ne pas produire une copie de la décision du Conseil du Trésor qui, à ses dires, élargissait temporairement l’application de la PTCCD au poste de l’appelante. L’intimé s’est plutôt fondé sur un affidavit souscrit par M. Marc Thibodeau, directeur de la négociation collective auprès du Conseil du Trésor. Dans son affidavit, M. Thibodeau écrivait que l’« Avis au lecteur », qui figurait au début de la politique publiée pour informer le lecteur que cette politique n’était plus en vigueur, était [traduction] « incomplet ». M. Thibodeau ajoutait que [traduction] « la décision du Conseil du Trésor prorogeait l’application de la PTCCD pendant la période de négociation de la première convention collective du groupe LA, processus qui suit son cours à la date à laquelle le présent affidavit est souscrit. La PTCCD continue de s’appliquer aux employés du groupe LA qui sont classés au niveau LA‑3A ou à un niveau supérieur » (dossier d’appel, pages 959 et 960).

 

[15]           Invité à produire une copie conforme de la décision du Conseil du Trésor dont il parlait, l’avocat représentant l’intimé a refusé de le faire au motif qu’il s’agissait d’un document confidentiel du Cabinet. L’échange suivant entre les avocats des parties au cours du contre‑interrogatoire de M. Thibodeau sur son affidavit est révélateur (dossier d’appel, pages 225 et 226) :

 

[traduction]

Q. [Me BROWN, avocat de l’appelante] : Vous me dites cela, mais vous ne pouvez pas aujourd’hui me montrer ou m’indiquer une quelconque décision du Conseil du Trésor ni un quelconque document publié sur le site Web attestant ce que vous affirmez.

Me FADER [avocat de l’intimé] : Si je puis me permettre… Le document lui‑même du Conseil du Trésor est un document confidentiel du Cabinet. Malheureusement, nous ne pouvons diffuser la décision elle‑même.

Me BROWN : La réponse à ma question est donc non, vous ne pouvez pas me montrer une décision précise ni un document précis.

Me FADER : Il y a une distinction entre ce qui existe et le fait de ne pas pouvoir vous le fournir ou en résumer le contenu parce qu’il s’agit d’un document confidentiel du Cabinet. Il s’agit d’un document confidentiel du Cabinet. C’est notre position – que la décision elle‑même du Conseil du Trésor, qui est décrite en partie dans l’affidavit de M. Thibodeau touchant la décision, la lettre‑décision et son contenu, est un document confidentiel du Cabinet qui fait donc intervenir l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada.

 

 

[16]           Or, aucune attestation n’a jamais été présentée à la Cour fédérale conformément à l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada.

 

[17]           Le juge de première instance a néanmoins estimé que le fardeau de la preuve incombait à l’appelante, qui devait prouver que la PTCCD ne faisait pas partie de ses conditions d’emploi, même si la version publiée de cette politique précisait qu’elle n’était plus en vigueur (motifs, paragraphes 62 et 73). Le juge de première instance a conclu aussi que le Conseil du Trésor n’était pas tenu « de rendre ses politiques accessibles » (motifs, paragraphe 67), qu’il n’était pas lié par les politiques qu’il affiche sur l’Internet (motifs, paragraphe 68), qu’il n’est pas tenu de publier et de faire connaître les conditions de travail de l’appelante (motifs, paragraphe 71), et que la preuve par affidavit de M. Thibodeau étayait l’idée selon laquelle la PTCCD s’appliquait à l’appelante (motifs, paragraphe 69).

 

[18]           Le juge de première instance a estimé que, une fois que l’intimé avait informé l’appelante des conditions de travail qui s’appliquaient à elle, il avait rempli son obligation et n’était plus tenu de lui fournir la preuve de la décision du Conseil du Trésor rendant la PTCCD applicable à l’appelante. C’était plutôt l’appelante qui avait la charge de réfuter les simples affirmations de l’intimé concernant les conditions de travail applicables et, en l’espèce, « [à] part le site Web sur lequel la demanderesse ne s’est jamais fondée, il n’y a aucune preuve que le Conseil du Trésor n’entendait pas que la PTCCD s’applique » (motifs, paragraphe 70). Par conséquent, l’appelante n’avait pas « produit assez de preuves pour montrer que le président de l’OTC s’est trompé en affirmant que la PTCCD s’appliquait bel et bien à elle » (motifs, paragraphe 73). La demande de contrôle judiciaire a donc été rejetée.

 

La question soulevée dans l’appel

[19]           L’appelante a invoqué neuf moyens à l’appui de son appel, mais ils se rapportent tous, à divers degrés, à une seule question centrale : le juge de première instance a‑t‑il commis une erreur en concluant que le président de l’OTC a eu raison d’estimer que la PTCCD s’appliquait à l’appelante? Pour les motifs qui suivent, et sur le fondement du dossier dont je dispose, je réponds par l’affirmative à cette question.

 

La norme de contrôle

[20]           Lorsqu’elle est saisie d’un appel d’un jugement statuant sur une demande de contrôle judiciaire, la Cour d’appel fédérale a pour rôle de déterminer si le juge de première instance a retenu et appliqué la bonne norme de contrôle, et, si tel n’est pas le cas, d’évaluer la décision contestée eu égard à la bonne norme de contrôle; la question de savoir si le juge de première instance a appliqué la bonne norme de contrôle est une question de droit qui doit, en appel, être contrôlée selon la norme de la décision correcte : Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, 2003 CSC 19, [2003] 1 R.C.S. 226, au paragraphe 43; Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100, au paragraphe 35; Prairie Acid Rain Coalition c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2006 CAF 31, [2006] 3 R.C.F. 610, aux paragraphes 13 et 14.

 

[21]           Dans leurs exposés respectifs des faits et du droit, l’appelante et l’intimé reconnaissent que la norme applicable est celle de la décision correcte. Le juge de première instance a lui aussi estimé que la norme de contrôle applicable dans la présente affaire est celle de la décision correcte. Je partage cet avis, essentiellement pour les motifs énoncés par le juge de première instance aux paragraphes 30 à 56 de ses motifs.

 

[22]           En l’espèce, la question est de savoir quelles conditions de travail s’appliquent à l’appelante, c’est‑à‑dire celles prévues par la PTCCD ou celles énoncées dans la DRE. Il s’agit là d’une question de droit qui échappe à l’expertise du président de l’OTC agissant en tant qu’arbitre de griefs aux termes des articles 207 et 208 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Dans la présente affaire, le président de l’OTC a reconnu qu’il n’était pas qualifié pour déterminer les conditions de travail applicables, et il s’est donc entièrement appuyé sur l’avis d’employés du Conseil du Trésor et de l’Agence de la fonction publique du Canada pour arriver à sa décision. Dans de telles circonstances, la décision de l’arbitre de griefs n’appelle aucune retenue de la part de la Cour.

 

[23]           Par ailleurs, l’arbitre de griefs dans le cas qui nous concerne n’est pas un arbitre indépendant, mais plutôt un cadre supérieur de l’employeur. Compte tenu des circonstances de l’espèce, la retenue judiciaire sur des questions de droit ne devrait pas s’étendre à la décision rendue par une personne qui n’est pas indépendante de l’employeur : Canada (Procureur général) c. Assh, 2006 CAF 358, [2007] 4 R.C.F. 46, aux paragraphes 50 à 52.

 

Analyse

[24]           Nul ne conteste que les documents publics se rapportant aux conditions de travail indiquent que la PTCCD « n’a plus de valeur exécutoire ». La version publique de ladite politique l’indique clairement (dossier d’appel, page 68), tout comme une autre politique accessible au public, la Politique de gestion des cadres supérieurs, qui a pris effet le 16 juillet 2007 et qui mentionne clairement, à l’article 1.2, qu’elle remplace à compter de cette date la PTCCD (dossier d’appel, page 132). Quant à la Directive sur la transition dans la carrière des cadres supérieurs, elle aussi accessible au public, publiée en vertu de l’autorité du Secrétariat du Conseil du Trésor et prenant effet le 16 juillet 2007, elle indique également qu’elle remplace la PTCCD à compter de cette date (dossier d’appel, page 119).

 

[25]           Cette nouvelle politique et cette nouvelle directive s’appliquent à compter du 16 juillet 2007 aux divers groupes de direction de l’administration publique centrale, mais non aux titulaires des postes exclus compris dans le groupe du droit, notamment à ceux du niveau LA‑3A, qui auparavant tombaient sous le régime de la PTCCD. Le dossier montre que la plupart des employés du groupe LA étaient alors en train de négocier une première convention collective et que les conditions de travail existantes continuaient par conséquent de s’appliquer aux LA compris dans l’unité de négociation, en application de l’article 107 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

 

[26]           Il n’est pas contesté que l’appelante n’est pas membre du groupe LA compris dans l’unité de négociation LA. Les parties conviennent en outre qu’elle occupait un poste exclu compris dans le groupe du droit, niveau LA‑3A, et qu’elle avait été nommée à ce poste pour une durée indéterminée. Il n’est pas non plus contesté que la DRE s’applique aux employés qui sont nommés pour une durée indéterminée et qui sont exclus ou non représentés, et auxquels la PTCCD ou une autre directive sur le réaménagement des effectifs ne s’applique pas. Ce constat découle des dispositions non équivoques de la DRE concernant son champ d’application (dossier d’appel, page 144).

 

[27]           Or, l’intimé affirme qu’une décision du Conseil du Trésor a eu pour effet de rendre la PTCCD applicable à l’appelante, excluant ainsi l’application de la DRE. La décision en date du 6 février 2009 rendue sur le grief par le président de l’OTC expose comme suit la position de l’intimé (dossier d’appel, page 44) :

[traduction] Les fonctionnaires ont donné des éclaircissements sur l’application de la politique eu égard à l’avis apparaissant sur la version électronique, où il est indiqué que la PTCCD n’a plus de valeur exécutoire, a été archivée et demeure disponible en direct. Ils ont expliqué qu’il s’agissait d’une mesure transitoire visant à faire en sorte que les conditions d’emploi existantes des LA exclus continuent d’être applicables durant la négociation de la première convention collective des LA. Pour cette raison, la Directive sur le réaménagement des effectifs (la DRE) dont il est question dans le grief ne s’applique pas à Mme Appleby‑Ostroff. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[28]           Aucune mention n’est faite ici d’une décision du Conseil du Trésor adoptant officiellement une telle mesure transitoire, mais l’intimé a fait savoir plus tard qu’une décision du Conseil du Trésor avait effectivement été prise en ce sens, mais qu’il s’agissait d’une décision « secrète » considérée comme un document confidentiel du Cabinet.

 

[29]           Le juge de première instance a estimé que, malgré les termes des documents publics relatifs aux conditions de travail qui indiquaient le contraire et le refus de l’intimé de présenter une version faisant autorité de la décision du Conseil du Trésor qui rendait la PTCCD applicable à l’appelante à titre de mesure transitoire, il appartenait néanmoins à l’appelante de prouver que la PTCCD ne s’appliquait pas à elle. Je ne partage malheureusement pas cet avis.

 

[30]           En application de l’alinéa 7(1)e) de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. 1985, ch. F‑11, le Conseil du Trésor peut déterminer les conditions d’emploi des personnes travaillant dans l’administration publique fédérale. Dans l’exercice de ces attributions, le Conseil du Trésor est investi d’un pouvoir considérable aux termes du paragraphe 11.1(1) de la Loi sur la gestion des finances publiques, notamment du pouvoir de régir les conditions de travail dans la mesure où il l’estime nécessaire à la bonne gestion des ressources humaines de la fonction publique. En l’absence d’une loi particulière prévoyant le contraire, étant donné que les conditions de travail établies par le Conseil du Trésor deviennent partie intégrante du contrat de travail de l’employé, il serait contraire aux principes d’équité et de bonne foi d’habiliter le Conseil du Trésor à déterminer ces conditions sans les communiquer à l’employé concerné, en particulier advenant un différend sur l’étendue de leur application.

 

[31]           En l’espèce, l’intimé affirme que ces conditions ont été communiquées à l’appelante dans la lettre du 15 octobre 2008, qui l’informait de la cessation de ses fonctions, et que par conséquent son appel est irrecevable. Le juge de première instance a souscrit à cette manière de voir. Malheureusement, tel n’est pas le point soulevé par l’appelante. Il s’agit en l’espèce de savoir si le Conseil du Trésor a effectivement adopté la mesure transitoire qui avait pour effet de rendre la PTCCD applicable à l’appelante. Lorsque c’est l’existence même de la décision qui est mise en doute, il incombe à l’intimé de prouver son existence par une preuve convaincante et faisant foi. Ce n’est pas à l’appelante de réfuter une chose sur laquelle elle n’a aucun contrôle et dont elle n’a pas une connaissance directe.

 

[32]           Le fait que des documents publics décrivant des conditions de travail mentionnent explicitement que la PTCCD n’est plus en vigueur autorise également la présomption prima facie selon laquelle ces documents rendent compte de façon exacte et contraignante de l’intention du Conseil du Trésor. Si les documents en cause sont erronés ou incomplets, il incombe à l’intimé d’apporter la preuve requise propre à les réfuter.

 

[33]           L’article 21 de la Loi sur la preuve au Canada expose la méthode par laquelle peut être faite la preuve d’une proclamation, d’un décret ou d’un règlement fédéral. Pour les proclamations, décrets ou règlements qui ne sont pas publiés dans la Gazette du Canada, les alinéas 21d) et e) disposent qu’ils peuvent être attestés par la production d’une expédition ou d’un extrait donné comme certifié conforme par le greffier, le greffier adjoint ou le greffier suppléant du Conseil privé, ou par le ministre, ou son sous‑ministre ou sous‑ministre suppléant, ou par le secrétaire ou le secrétaire suppléant du ministère qu’il préside :

21. La preuve de toute proclamation, de tout décret ou règlement pris, ou de toute nomination faite par le gouverneur général ou par le gouverneur en conseil, ou par un ministre ou chef de tout ministère du gouvernement du Canada, ou sous leur autorité, de même que la preuve d’un traité auquel le Canada est partie, peut être faite par les moyens ou l’un des moyens suivants :

[…]

 

d) s’il s’agit d’une proclamation, d’un décret ou règlement pris par le gouverneur général ou le gouverneur en conseil, ou d’une nomination faite par lui, la production d’une expédition ou d’un extrait présenté comme certifié conforme par le greffier, le greffier adjoint ou le greffier suppléant du Conseil privé de la Reine pour le Canada;

 

e) s’il s’agit d’un décret ou d’un règlement pris, ou d’une nomination faite par l’autorité ou sous l’autorité d’un tel ministre ou chef de ministère, la production d’une expédition ou d’un extrait donné comme certifié conforme par le ministre, ou son sous‑ministre ou sous‑ministre suppléant, ou par le secrétaire ou le secrétaire suppléant du ministère qu’il préside.

21. Evidence of any proclamation, order, regulation or appointment, made or issued by the Governor General or by the Governor in Council, or by or under the authority of any minister or head of any department of the Government of Canada and evidence of a treaty to which Canada is a party, may be given in all or any of the following ways:

[…]

 

 

(d) by the production, in the case of any proclamation, order, regulation or appointment made or issued by the Governor General or by the Governor in Council, of a copy or extract purporting to be certified to be true by the clerk or assistant or acting clerk of the Queen’s Privy Council for Canada; and

 

 

(e) by the production, in the case of any order, regulation or appointment made or issued by or under the authority of any minister or head of a department of the Government of Canada, of a copy or extract purporting to be certified to be true by the minister, by his deputy or acting deputy, or by the secretary or acting secretary of the department over which he presides.

 

 

 

[34]           L’intimé affirme toutefois qu’il ne peut communiquer une copie faisant autorité de la décision du Conseil du Trésor en raison de l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada. Cette disposition habilite un ministre fédéral ou le greffier du Conseil privé à s’opposer à la communication de renseignements s’il atteste par écrit que les renseignements constituent des renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada. Cependant, en l’espèce, aucune attestation n’a été déposée conformément à l’article 39. Sans une telle attestation, l’argument de l’intimé doit être rejeté.

 

[35]           Comme l’écrivait la juge en chef McLachlin dans Babcock c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 57, [2002] 3 R.C.S. 3, au paragraphe 22, l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada « s’applique uniquement lorsqu’il existe une attestation valide ». Par ailleurs, une attestation est valide « si : (1) elle émane du greffier ou d’un ministre; (2) elle vise des renseignements décrits au paragraphe 39(2); (3) elle est délivrée dans l’exercice de bonne foi d’un pouvoir délégué; (4) elle vise à empêcher la divulgation de renseignements demeurés jusque‑là confidentiels » (arrêt Babcock, paragraphe 27). L’intimé ne remplit aucune de ces conditions. Le renvoi ou le recours à l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada en vue d’obtenir un avantage tactique dans un litige est particulièrement désapprouvé : arrêt Babcock, paragraphe 25.

 

[36]           En l’espèce, l’intimé refuse de produire une preuve faisant foi de la décision du Conseil du Trésor. La Cour peut tirer une inférence défavorable de ce refus, même lorsqu’une attestation valide est produite en vertu de l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada : arrêt Babcock, paragraphe 36. L’inférence défavorable est d’ailleurs renforcée en l’espèce du fait qu’aucune attestation n’a été produite.

 

[37]           Enfin, l’affidavit de M. Thibodeau ne remédie pas au refus de l’intimé de produire une copie de la décision du Conseil du Trésor, et ce, pour plusieurs raisons :

a.       Premièrement, l’affidavit n’est manifestement pas un substitut à la meilleure preuve qui aurait dû être produite en vertu de la Loi sur la preuve au Canada.

b.      Deuxièmement, les affirmations contenues dans l’affidavit constituent du ouï‑dire puisque M. Thibodeau n’est pas membre du Conseil du Trésor et qu’il n’est pas censé, en sa qualité d’employé, assister aux réunions du Conseil du Trésor. Il ne précise d’ailleurs jamais quelle source il a consultée pour obtenir les renseignements qu’il expose dans son affidavit.

c.       Troisièmement, l’utilisation de cet affidavit porte atteinte à l’objet même du contrôle judiciaire : le président de l’OTC s’est fondé sur les dires des fonctionnaires du Conseil du Trésor, et aujourd’hui il est demandé à la Cour de faire de même. Cette manière de voir les choses nie l’objet du contrôle judiciaire car il empêche les tribunaux de consulter et d’interpréter les décisions gouvernementales en instituant un filtre bureaucratique entre lesdites décisions et le pouvoir judiciaire.

d.      Quatrièmement, l’affidavit est ambigu : il ne dit pas que l’application de la PTCCD a été étendue au poste de l’appelante, évoquant plutôt la prolongation de l’application de cette politique en raison de la négociation d’une convention collective pour le groupe LA, négociation qui ne concerne pas le poste de l’appelante.

e.       Cinquièmement, l’affidavit emploie un langage imprécis lorsqu’il mentionne que [traduction] « la PTCCD continue de s’appliquer [« à des » ou « aux »] [« to » en anglais] employés du groupe LA qui sont classés au niveau LA‑3A ou à un niveau supérieur », ce qui pourrait vouloir dire qu’elle s’étend à « certains » employés. Cet affidavit pourrait donc facilement être interprété comme confirmant simplement que l’application de la PTCCD est étendue aux employés du niveau LA‑3A qui sont compris dans l’unité de négociation. En tout état de cause, cet élargissement découle de l’article 107 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique.

f.        Enfin, vu l’absence de la décision concrète du Conseil du Trésor, il n’est tout simplement pas possible de conclure, sur la foi de cet affidavit, que la PTCCD a également été rendue applicable aux employés LA‑3A qui ne sont pas compris dans l’unité de négociation des LA.

 

[38]           La transparence et l’obligation redditionnelle sont d’importants principes qui s’appliquent aux mesures prises par le gouvernement, surtout lorsque ces mesures influent sur des droits individuels. Ainsi que l’écrivait le juge Binnie, « la transparence et l’obligation redditionnelle du gouvernement sont des questions d’une importance fondamentale pour le public » (R. c. National Post, 2010 CSC 16, [2010] 1 R.C.S. 477, au paragraphe 70). On ne fera pas la promotion de ces principes si l’on permet aux fonctionnaires d’invoquer des exceptions « secrètes », non divulguées, à des politiques et règles accessibles au public qui influent sur des droits individuels, sans que ces fonctionnaires soient investis du pouvoir légal de le faire.

 

[39]           Je ferais donc droit au présent appel, j’annulerais le jugement du juge de première instance, j’annulerais la décision du président de l’OTC rejetant le grief de l’appelante, et je renverrais l’affaire au président de l’OTC pour qu’il se prononce à nouveau sur le grief de l’appelante, étant entendu qu’il devra appliquer à l’appelante la Directive sur le réaménagement des effectifs. J’accorderais également à l’appelante ses dépens en appel ainsi que devant la Cour fédérale.

 

« Robert M. Mainville »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord.

            K. Sharlow, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord.

            Johanne Trudel, j.c.a. »

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A‑205‑10

 

 

INTITULÉ :                                                   SHELLEY APPLEBY‑OSTROFF c.
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 16 février 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE MAINVILLE

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LA JUGE SHARLOW

                                                                        LA JUGE TRUDEL

 

DATE DES MOTIFS:                                   Le 8 mars 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Dougald E. Brown

 

POUR L’APPELANTE

 

Richard Fader

 

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Nelligan O’Brien Payne s.r.l.

Ottawa (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR L’INTIMÉ

 

 

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