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Cour d'appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20100218

Dossier : A-483-10

Référence : 2011 CAF 63

 

[TRADUCTION FRANÇAISE]

En présence de  monsieur le juge SEXTON

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et la COMMISSION NATIONALE DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES

 

appelants

et

 

FRANCHI DE JOHN ANTHONY

intimé

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 17 février 2011.

Ordonnance délivrée à Ottawa (Ontario), le 18 février 2011.

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :   LE JUGE SEXTON

 


Cour d'appel fédérale

 

Federal Court of Appeal

Date : 20100217

Dossier : A-483-10

Référence : 2011 CAF 63

 

[TRADUCTION FRANÇAISE]

En présence de  monsieur le juge SEXTON

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et la COMMISSION NATIONALE DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES

 

appelants

et

 

JOHN ANTHONY FRANCHI

intimé

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE SEXTON

  • [1] Les appelants demandent un sursis en attendant l’appel d’un jugement du juge Harrington de la Cour fédérale (le « juge des demandes »), qui a accueilli une demande de M. Franchi visant à soumettre une décision de la Section d’appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles à un contrôle judiciaire.

 

  • [2] En octobre 2007, M. Franchi a été déclaré coupable pour la deuxième fois en octobre 2007 d’accusations de fraude; il purge actuellement une peine d’emprisonnement de six ans.Il a obtenu une libération conditionnelle de jour, ou « semi-liberté », en avril 2009.

 

  • [3] La semi-liberté de M. Franchi était assujettie aux conditions imposées à chaque libéré conditionnel en vertu de l’article 161 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 (le « Règlement »).Parmi ces conditions, le sous-alinéa 161(1)g)(iii) exige qu’un libéré conditionnel signale immédiatement « tout changement dans sa situation [...] financière » à son surveillant (la « condition habituelle »).En vertu du paragraphe 133(3) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, c. 20, la Commission nationale des libérations conditionnelles (la « Commission ») peut également d’imposer à un délinquant en particulier des conditions de mise en liberté au-delà des conditions habituelles imposées par le Règlement.Dans le cas de M. Franchi, voici ce que la Commission a notamment exigé : [traduction] « fournir immédiatement à votre surveillant, à sa demande, un portrait complet de votre situation financière, avec les actifs, les dettes, les revenus et les dépenses » (la « condition spéciale »).

 

  • [4] En août 2009, M. Franchi a emprunté environ 104 000 $.Il prétend qu’il entendait investir cet argent à un taux d’intérêt élevé, puis utiliser le produit pour rembourser ses dettes.Lorsque les autorités ont eu connaissance de cette situation, elles ont soulevé la question auprès de M. Franchi, qui leur a fourni des renseignements sur ces activités.Ce dernier n’a toutefois pas signalé cette activité de sa propre initiative avant de se faire demander de divulguer sa situation financière complète. Or, il avait eu l’occasion de le faire au cours d’au moins deux rencontres avec son agent de libération conditionnelle.

 

  • [5] La Commission a conclu que M. Franchi avait enfreint la condition habituelle, pour la raison qu’il n’avait pas informé immédiatement son agent de libération conditionnelle des prêts et de ses activités d’investissement.La Commission a également conclu que M. Franchi avait manqué à la condition spéciale au motif que sa divulgation sur demande était incomplète.Pour cette raison, la Commission a révoqué la semi-liberté.Cette décision a été confirmée par la Section d’appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles.

 

  • [6] Le juge des demandes a accueilli la demande de contrôle judiciaire de M. Franchi visant la décision de la Section d’appel.Il a reconnu que [traduction] « si ce n’était que de la condition spéciale, on pourrait dire à juste titre qu’il a manqué à ses obligations parce qu’il a omis de signaler immédiatement tout changement dans sa situation financière.Le fait d’emprunter plus de 100 000 $ est certainement un changement dans la situation financière d’une personne ». [Souligné dans l’original]Toutefois, selon le juge des demandes, il y avait une contradiction entre la condition habituelle et la condition spéciale.La seule façon de lire les conditions ensemble était que la condition spéciale modifiait la condition habituelle, et que M. Franchi n’était donc tenu de divulguer sa situation financière que sur demande.Il a conclu qu’il était déraisonnable pour la Commission nationale des libérations conditionnelles et la Section d’appel d’affirmer le contraire.Le juge des demandes a également conclu que la Commission et la Section d’appel n’avaient pas suffisamment de motifs pour conclure que M. Franchi avait manqué à la condition spéciale en ne divulguant pas suffisamment de renseignements, ce qui constitue un manquement à l’équité procédurale.

 

  • [7] Le procureur général et la Commission nationale des libérations conditionnelles ont interjeté appel de la décision du juge des demandes devant la Cour, et ils demandent maintenant la suspension de cette décision en attendant l’appel.Le critère d’octroi d’un tel sursis a été établi par la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt RJR-MacDonald c. Canada (A.G.), [1994] 1 R.C.S. 311, au paragraphe 43 [RJR-MacDonald].Pour qu’un sursis soit accordé, trois conditions doivent être remplies.Premièrement, il doit y avoir « une question sérieuse à juger » en appel.Deuxièmement, le demandeur doit prouver qu’il subirait un préjudice irréparable si le sursis n’était pas accordé.Enfin, le demandeur doit convaincre le tribunal que la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi du sursis.

 

  • [8] Comme la Cour suprême l’a reconnu, le seuil pour qu’une question sérieuse soit jugée est faible (RJR-MacDonald, au paragraphe 49).Un tel problème existe en l’espèce.La conclusion du juge des demandes selon laquelle M. Franchi n’avait pas violé la condition normalisée reposait sur le fait que selon lui, la condition habituelle et la condition spéciale étaient contradictoires, et que la condition spéciale avait eu pour effet de modifier la condition habituelle.On peut certainement soutenir que les deux conditions jouent un rôle différent et complémentaire dans la prévention de la récidive. La condition habituelle garantit que les autorités sont informées automatiquement des changements dans la situation d’un libéré conditionnel, et la condition spéciale donne aux autorités l’accès à des renseignements plus complets, au besoin.Sans exprimer d’opinion sur le caractère correct de la décision du juge des demandes, il est clair pour moi que cet appel n’est ni frivole ni vexatoire.Il y a donc une « question sérieuse » à trancher en appel (se reporter à RJR-MacDonald, au paragraphe 49).

 

  • [9] En ce qui concerne les deuxième et troisième facteurs, il est important de reconnaître que les tribunaux accorderont une attention particulière à l’intérêt public.Comme les juges Sopinka et Cory l’ont écrit dans RJR-MacDonald :

À notre avis, le concept d'inconvénient doit recevoir une interprétation large dans les cas relevant de la Charte.  Dans le cas d'un organisme public, le fardeau d'établir le préjudice irréparable à l'intérêt public est moins exigeant que pour un particulier en raison, en partie, de la nature même de l'organisme public et, en partie, de l'action qu'on veut faire interdire.  On pourra presque toujours satisfaire au critère en établissant simplement que l'organisme a le devoir de favoriser ou de protéger l'intérêt public et en indiquant que c'est dans cette sphère de responsabilité que se situent le texte législatif, le règlement ou l'activité contestés.  Si l'on a satisfait à ces exigences minimales, le tribunal devrait, dans la plupart des cas, supposer que l'interdiction de l'action causera un préjudice irréparable à l'intérêt public (au paragraphe 71).

 

  • [10] Je suis convaincu que le défaut d’accorder un sursis causerait un préjudice irréparable à l’intérêt public.Les appelants ont présenté des éléments de preuve selon lesquels la décision du juge des demandes pourrait avoir des effets extrêmement vastes.Entre le 1er avril et le 14 novembre 2010, la Commission a imposé des conditions spéciales à 627 délinquants exigeant une divulgation financière sur demande.La décision du juge des demandes implique que ces délinquants ne seront peut-être pas tenus d’informer proactivement les autorités des changements dans leur situation financière.Cette incertitude juridique limiterait la capacité de la Commission de s’acquitter de son mandat de surveillance des délinquants afin de prévenir la récidive.

 

  • [11] M. Franchi a soutenu que cela ne poserait pas de problème, parce que les autorités pourraient simplement demander la divulgation en vertu de la condition spéciale lorsque cela est nécessaire.Je ne peux pas être d’accord.Non seulement cela imposerait probablement un lourd fardeau aux agents de libération conditionnelle, mais cela passe à côté de l’objectif de la condition habituelle, qui vise à s’assurer que les autorités sont immédiatement avisées des activités financières qui pourraient indiquer la récidive.Même si les agents de libération conditionnelle adoptaient une politique de demandes mensuelles de divulgation complète, il est évident que cela ne résoudrait pas un problème créé par les actes d’un délinquant qui suivent de près cette divulgation.

 

  • [12] Je suis également convaincu que la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi du sursis.Comme je l’ai déjà dit, l’absence d’un sursis à la décision du juge des demandes créera de l’incertitude quant aux responsabilités de centaines de délinquants et limitera la capacité de la Commission de s’acquitter de son mandat.Il faut soupeser par rapport à cela la violation des intérêts de M. Franchi en matière de liberté causée par la perte de sa semi-liberté.Dans l’ensemble, je dois conclure que la capacité de la Commission de s’acquitter de son mandat et de protéger la société devrait avoir une importance primordiale, et que la prépondérance des inconvénients favorise donc l’octroi d’un sursis dans ces circonstances (Condo c. Canada (A.G.), 2010 CF 1286, au paragraphe 6; Kuipers c. Canada (1994), 74 F.T.R. 306, au paragraphe 28 (1re inst.)).

 

  • [13] La requête est donc accueillie sans dépens, et la décision du juge des demandes sera suspendue en attendant l’appel.J’ai consulté les parties, qui ont consenti à ce que l’audience soit accélérée, aux conditions suivantes.L’audience est fixée à 9 h 30 le 11 avril 2011 à Toronto, pour une durée de trois heures.Les documents des appelants, y compris le cahier d’appel et le mémoire des faits et du droit, doivent être déposés au plus tard le 14 mars 2011.Les documents de l’intimé, y compris le cahier d’appel et le mémoire des faits et du droit, doivent être déposés au plus tard le 28 mars 2011.

 

« J. Edgar Sexton »

j.c.a.

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :  A-483-10

 

(APPEL D’UNE ORDONNANCE DE L’HONORABLE M. LE JUGE HARRINGTON, RENDUE LE 24 NOVEMBRE 2010, DANS LE DOSSIER DE LA COUR FÉDÉRALE Nº T-662-10)

 

INTITULÉ :  PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et COMMISSION NATIONALE DES LIBÉRATIONS CONDITIONNELLES DU CANADA c.

  JOHN ANTHONY FRANCHI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  Le 17 février 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE SEXTON 

 

DATE DES MOTIFS :  Le 18 février 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael J. Sims

POUR LES APPELANTS

 

John Anthony Franchi

POUR L’INTIMÉ

(se représentant lui-même)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LES APPELANTS

 

 

S.O.

POUR L’INTIMÉ

(se représentant lui-même)

 

 

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