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Date : 20081204

Dossier : A-421-06

Référence : 2008 CAF 385

Vancouver (Colombie-Britannique), le 4 décembre 2008

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

 

 

ENTRE :

AIDAN BUTTERFIELD

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Comme le permet l’article 414 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, le demandeur sollicite la révision d’une taxation de dépens faite par un officier taxateur de la Cour  (Butterfield c. Procureur général du Canada, 2008 CAF 315 – ci-après, la taxation des dépens). Pour les motifs qui suivent, je conclus que la taxation des dépens ne contient aucune erreur susceptible de révision et que la décision doit être maintenue. 

 

 

I. Contexte

[2]               Les poursuites qui ont donné lieu à la taxation des dépens consistent en trois demandes de contrôle judiciaire connexes mais déposées séparément en 2004 et 2005 concernant une audience du Tribunal d’appel des transports du Canada et la décision du Tribunal de suspendre la licence de pilote du demandeur.

 

[3]               Par ordonnance en date du 25 mai 2005, les affaires ont été jointes en vue de l’audience. Le demandeur a présenté diverses requêtes de nature procédurale; par ailleurs, il s’est opposé inutilement aux requêtes présentées par le défendeur.

 

[4]               La juge Heneghan a rejeté la demande de contrôle judiciaire le 18 juillet 2006, accordant au défendeur des dépens « à être taxés selon la colonne III du tarif B, limités aux honoraires d’un seul avocat ».

 

[5]               Le demandeur a interjeté appel, lequel a été rejeté le 17 septembre 2007, avec dépens en faveur du défendeur.

 

II. Taxation des dépens

[6]               Le 22 août 2006, le défendeur a soumis une réclamation de 6 512,84 $ (dont 4 197,60 $ pour les honoraires d’avocat et 2 315,24 $ pour les débours) concernant les affaires traitées lors de l’instruction. Le 6 novembre 2007, le défendeur a réclamé 3 476,57 $ (dont 2 416 80 $ pour les honoraires d’avocat et 1 059,77 $ pour les débours) en ce qui touche l’appel. Le demandeur a présenté des observations détaillées.

 

[7]               Les montants réclamés par le défendeur ont été taxés par l’officier taxateur le 21 octobre 2008, et l’officier taxateur a :

  • réduit de 6 512,84 $ à 5 111,00 $ le mémoire de dépens du défendeur concernant les questions traitées en première instance;
  • réduit de 3 476,57 $ à 2 305,00 $ le mémoire de dépens du défendeur afférent à l’appel;
  • a attribué un nombre d’unités relevant de l’éventail prévu à la colonne III du tarif B;
  • a réduit les montants de débours réclamés par le défendeur en raison de l’absence de preuve quant à certains éléments de débours.

 

III. Analyse

[8]               La jurisprudence établit clairement que la Cour ne devrait intervenir dans la décision d’un officier taxateur que lorsque : a) celui-ci a commis une erreur de principe, ou b) le montant accordé est si déraisonnable qu’il doit être attribuable à une erreur de principe (voir, par exemple, Merck & Co. c. Apotex Inc., 2002 CFPI 1037, 224 F.T.R. 278, au paragraphe 6; Bellemare c. Canada (Procureur général), 2004 CAF 231, 327 N.R. 179, au paragraphe 3).

 

[9]               Bien que les prétentions du demandeur ne ressortent pas tout à fait clairement de ses observations, il semble bien qu’à son avis, l’officier taxateur a commis une erreur de principe en accordant des dépens sans exiger que le défendeur fasse la preuve des dépenses réclamées, tant pour ce qui est des honoraires d’avocat que pour ce qui est des débours. C’est là, avance-t-il, une condition essentielle pour assurer le respect du principe d’« indemnisation ».

 

[10]           Je comprends de l’argument du demandeur que celui-ci, en réalité, conteste l’attribution de dépens énoncée dans les décisions du juge de première instance et de la Cour d’appel. Le demandeur invoque l’arrêt rendu par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’affaire Gyles v. British Columbia (Superintendent of Motor Vehicles), 2004 BCCA 541, pour étayer la proposition selon laquelle il ne convient pas d’attribuer des dépens lorsqu’une contestation porte sur une décision d’un organisme gouvernemental. On peut se demander si cette décision devrait être suivie en Cour fédérale. Toutefois, de toute évidence, elle ne s’applique pas à la décision de l’officier taxateur. La question de l’attribution de dépens – par opposition au montant des dépens – doit être abordée au stade du contrôle judiciaire ou de l’appel, s’il y a lieu (comme dans Gyles, précité). Ayant omis de le faire, le demandeur ne peut maintenant faire valoir ses objections à l’attribution de dépens. Dès lors que des dépens ont été adjugés, l’officier taxateur est tenu de taxer le montant de ces dépens; en l’espèce, il n’avait d’autre choix que d’appliquer la colonne III du tarif B des Règles des Cours fédérales.

 

[11]           Outre l’attribution des dépens, il appert que le demandeur soulève aussi, relativement à la taxation même, la question de savoir si l’officier taxateur devait disposer d’éléments de preuve additionnels, en plus des deux mémoires de dépens et de l’affidavit y afférent déposés par le défendeur. Dans ses observations écrites, le demandeur déclare que le défendeur [traduction] « n’a fourni aucune preuve quant à l’indemnisation, au caractère raisonnable, à la nécessité ou à la pertinence ». Comme il l’a expliqué dans sa plaidoirie, le demandeur semble prétendre que l’officier taxateur devait disposer d’éléments de preuve attestant que le procureur général, qui représentait le ministre des Transports, a bien facturé son client, le ministre des Transports, pour les honoraires et débours réclamés. Le demandeur estime que sans cette preuve, l’officier taxateur n’avait aucun motif de conclure que le défendeur avait supporté des honoraires d’avocat ou des débours de quelque nature que ce soit

 

[12]           Le même argument a été exposé devant le juge von Finkenstein, qui l’a rejeté dans la décision Trevor Nicholas Construction Co. c. Canada (Ministre des Travaux publics), 2006 CF 42. Le juge von Finkenstein y a répondu comme suit, aux paragraphes 6 et 7 :

Cet argument est vicié à plusieurs égards. Premièrement, la règle 407 des Règles des Cours fédérales énonce qu’à moins d’ordonnance contraire, les dépens sont taxés en conformité avec la colonne III du tableau du tarif B. Deuxièmement, la règle 400(2) prévoit que les dépens peuvent être adjugés à la Couronne ou contre elle. Troisièmement, aucun élément de preuve n’établit que la taxation à 110 $ l’unité permettra à la Couronne de réaliser un profit. Enfin, le paragraphe 28(2) de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif porte que :

 

28(2) Les dépens adjugés à l’État ne peuvent être refusés ni réduits lors de la taxation au seul motif que l’avocat pour les services duquel ils sont justifiés ou réclamés était un fonctionnaire salarié de l’État, et à ce titre rémunéré pour les services qu’il fournissait dans le cadre de ses fonctions, ou bien n’était pas, de par son statut ou pour toute autre raison, admis à prélever les dépens sur l’État pour les services ainsi rendus.

 

[…] De toute évidence, des dépens peuvent être attribués à la Couronne sur le fondement de la colonne III du tableau du tarif B, et la défenderesse n’est pas tenue de révéler les honoraires qu’elle verse à ses avocats pour démontrer que la taxation n’excède pas la simple indemnisation. [Non souligné dans l’original]

 

 

[13]           Je souscris au raisonnement du juge von Finkenstein.

 

[14]           Le demandeur soutient qu’il est possible de distinguer la décision Trevor Nicholas, précitée, de l’espèce, en ce que cette affaire concernait une action, non un contrôle judiciaire. J’estime que ce facteur ne fait aucune différence dans l’application des principes énoncés par le juge von Finkenstein. Il importe peu que la taxation des dépens porte sur une action, un contrôle judiciaire, une requête ou une autre procédure. Dans tous les cas où la Cour ordonne que les dépens soient taxés suivant le tarif B, le procureur général n’est aucunement tenu de démontrer qu’il a facturé l’organisme ou le ministère client pour ses services juridiques ni qu’il a ou n’a pas été payé par ledit organisme ou ministère.

 

[15]           En conséquence, je conclus qu’il n’y a pas eu erreur de principe. De plus, je suis également convaincu que le montant accordé n’est pas déraisonnable au point qu’il doive être attribuable à une erreur de principe. Comme en témoignent les motifs donnés par l’officier taxateur pour justifier la taxation des dépens, l’officier taxateur a soigneusement et dûment examiné le caractère raisonnable du nombre d’unités réclamées pour chaque article dans les mémoires de dépens, les réduisant lorsqu’il jugeait approprié de le faire. Il a procédé à un examen tout aussi détaillé des montants réclamés comme débours. 

 

[16]           En conclusion, il n’existe en l’espèce aucune erreur susceptible de révision, et la requête en révision de la taxation des dépens sera rejetée. Exerçant mon pouvoir discrétionnaire, j’accorde au défendeur les dépens de la présente révision, que j’établis à 400 $.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.         la requête en révision de la taxation des dépens est rejetée;

2.         des dépens, établis à 400 $, sont adjugés au défendeur.

 

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                A-421-06

 

INTITULÉ :                                                               AIDAN BUTTERFIELD c.

                                                                                    LE PROCUREUR GÉNÉRAL

                                                                                    DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       Le 1er décembre 2008

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :       LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                                              Le 4 décembre 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Aidan Butterfield

POUR LE DEMANDEUR

(pour son propre compte)

 

B.J. Wray

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

s.o.

 

POUR LE DEMANDEUR

(pour son propre compte)

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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