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Date : 20081126

Dossier : A-235-08

Référence : 2008 CAF 370

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE EVANS

                        LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

ALLAN FENWICK

appelant

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 25 novembre 2008.

Jugement rendu à Toronto (Ontario), le 26 novembre 2008.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                          LA JUGE SHARLOW

Y ONT SOUSCRIT :                                                                     LE JUGE EN CHEF RICHARD

                                                                                                                             LE JUGE EVANS

                                               


 

Date : 20081126

Dossier : A-235-08

Référence : 2008 CAF 370

 

CORAM :      LE JUGE EN CHEF RICHARD

                        LE JUGE EVANS

                        LA JUGE SHARLOW

 

ENTRE :

ALLAN FENWICK

appelant

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LA JUGE SHARLOW

[1]               M. Allan Fenwick a interjeté appel du jugement par lequel la juge Woods de la Cour canadienne de l’impôt a rejeté son appel à l’encontre d’une cotisation d’impôt sur le revenu (2008 CCI 243). La question est de savoir si la juge Woods a commis une erreur en concluant que l’alinéa 8(1)b) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) ne permet pas de déduire les frais judiciaires ou extrajudiciaires engagés par M. Fenwick pour sa défense dans le cadre d’une action dérivée pour manquements allégués à des obligations légales et à des obligations fiduciaires, action dans laquelle la principale question en litige portait sur le caractère raisonnable de la rémunération que M. Fenwick a fait en sorte de recevoir. 

 

[2]               L’alinéa 8(1)b) est rédigé comme suit :

 

8. (1) Sont déductibles dans le calcul du revenu d’un contribuable tiré, pour une année d’imposition, d’une charge ou d’un emploi ceux des éléments suivants qui se rapportent entièrement à cette source de revenus, ou la partie des éléments suivants qu’il est raisonnable de considérer comme s’y rapportant :

8. (1) In computing a taxpayer’s income for a taxation year from an office or employment, there may be deducted such of the following amounts as are wholly applicable to that source or such part of the following amounts as may reasonably be regarded as applicable thereto

[…]

[…]

b) les sommes payées par le contribuable au cours de l’année au titre des frais judiciaires ou extrajudiciaires qu’il a engagés pour recouvrer le traitement ou salaire qui lui est dû par son employeur ou ancien employeur ou pour établir un droit à ceux-ci.

(b) amounts paid by the taxpayer in the year as or on account of legal expenses incurred by the taxpayer to collect or establish a right to salary or wages owed to the taxpayer by the employer or former employer of the taxpayer.

 

 

[3]               M. Fenwick a engagé les frais judiciaires ou extrajudiciaires en cause pour sa défense dans une demande présentée par ses sœurs pour obtenir l’autorisation d’engager contre lui une action dérivée au nom de 372116 Ontario Limited (aussi connue sous le nom de Hemispheres International Manufacturing Company, ou Hemispheres). Les réparations sollicitées dans la déclaration comprenaient l’attribution de dommages-intérêts. L’autorisation a été accordée et l’action, introduite. Finalement, l’action a été réglée.

 

[4]               Durant la période visée par les allégations de fait contenues dans la déclaration, Hemispheres était une société dont M. Fenwick était l’unique administrateur, président, secrétaire et premier dirigeant, et, partant l’unique âme dirigeante. Il possédait toutes les actions comportant droit de vote de Hemispheres, alors que ses sœurs possédaient des actions sans droit de vote. De 1982 à 1998, M. Fenwick a reçu environ 38 millions de dollars en rémunération, sous forme de traitement et salaire.

 

[5]               La déclaration invoque plusieurs causes d’action et sollicite diverses formes de réparation, mais pour les besoins du présent appel, il suffit de mentionner l’allégation selon laquelle M. Fenwick, en exerçant les pouvoirs que lui conféraient ses différentes fonctions au sein de Hemispheres au mépris de ses obligations légales et fiduciaires, a conduit Hemispheres à lui verser une rémunération excessive. Toutes les prétentions se rattachent à cette allégation principale, d’une manière ou d’une autre. Tous les frais judiciaires ou extrajudiciaires en cause, ou presque, ont été engagés dans le but précis d’établir que la rémunération payée à M. Fenwick par Hemispheres représente une juste compensation pour ses services.

 

[6]               L’avocat de M. Fenwick soutient que l’alinéa 8(1)b) devrait être interprété de manière à s’appliquer aux frais judiciaires ou extrajudiciaires assumés par l’appelant pour établir la légitimité du salaire que lui a versé Hemispheres, parce que l’appelant a dû démontrer que la rémunération qu’il a reçue était justifiée pour pouvoir prouver qu’il avait légalement le droit de la recevoir et de la conserver. Cet argument, ainsi que je le comprends, soulève une question d’interprétation de l’alinéa 8(1)b), une question de droit, ainsi que des questions sur la qualification des prétentions formulées contre M. Fenwick et sur l’application de l’alinéa 8(1)b) à cette qualification, des questions mixtes de droit et de fait. À moins que la juge Woods ait mal interprété l’alinéa 8(1)b) ou ait commis une erreur manifeste et dominante dans la qualification des allégations formulées contre M. Fenwick ou dans l’application de l’alinéa 8(1)b) aux faits, sa décision doit être maintenue.

 

[7]               La juge Woods n’a pas retenu l’interprétation large de l’alinéa 8(1)b) proposée au nom de M. Fenwick. J’estime qu’elle a eu raison. L’alinéa 8(1)b) a une portée relativement restreinte. Il vise les situations où un employé supporte des frais judiciaires ou extrajudiciaires pour tenter de recouvrer un salaire ou traitement impayé ou cherche à régler un différend avec un employeur ou un ancien employeur quant au montant de salaire auquel l’employé a droit (voir Loo c. Canada, 2004 CAF 249). Dans les cas de différends avec l’employeur, l’employé allègue généralement une rétribution insuffisante.

 

[8]               La question de savoir si l’alinéa 8(1)b) s’applique aussi aux frais judiciaires ou extrajudiciaires engagés par une personne poursuivie par un employeur ou un ancien employeur qui sollicite le remboursement d’un salaire ou de traitements payés en trop n’a pas encore été tranchée. Aux fins du présent appel, je présumerai, sans statuer sur la question, que l’alinéa 8(1)b) pourrait s’appliquer dans ces circonstances. Toutefois, la juge Woods a conclu, et je souscris à son point de vue, que l’alinéa 8(1)b) n’a pas pour objet de permettre la déduction de frais judiciaires ou extrajudiciaires afférents à un litige dans lequel des dommages-intérêts sont réclamés par suite de différends autres que ceux qui ont trait aux conditions d’emploi, du seul fait que le droit du défendeur à une rémunération donnée constitue un élément de la demande.

 

[9]               Compte tenu de cette interprétation de l’alinéa 8(1)b), la juge Woods a statué sur la nature essentielle des prétentions formulées contre M. Fenwick en se fondant sur la déclaration. L’avocat de l’appelant avance que la juge Woods a commis une erreur en faisant abstraction de la preuve présentée par les témoins de M. Fenwick qui ont expliqué comment et pourquoi des frais judiciaires ou extrajudiciaires ont été engagés pour établir que la rémunération versée par Hemispheres à M. Fenwick était une juste rémunération. Il n’y a aucune raison de conclure que la juge Woods a fait abstraction de cette preuve, mais je présume qu’elle n’y a accordé que peu de poids, s’il en est, parce qu’elle n’en a pas fait mention dans ses motifs. À mon avis, elle n’a commis aucune erreur à cet égard. Cette preuve ne permettait pas de mieux comprendre la nature essentielle des allégations énoncées contre M. Fenwick, laquelle ne pouvait être établie qu’à partir de la seule déclaration.

 

[10]           La juge Woods a interprété la déclaration comme un litige entre Hemispheres et M. Fenwick en sa qualité de seul dirigeant de la société exerçant un contrôle sur les affaires de celle-ci. Suivant cette interprétation de la déclaration, la seule conclusion possible était que, même si l’allégation de rémunération excessive constituait un élément de l’action intentée contre M. Fenwick, et même si ce dernier risquait de se voir imposer des dommages-intérêts établis en partie en fonction de cette rémunération, M. Fenwick en tant qu’employé ne risquait pas de devoir rembourser une partie de cette rémunération à Hemispheres en tant qu’employeur. Par suite de cette analyse, la juge Woods a conclu que les frais judiciaires ou extrajudiciaires engagés par M. Fenwick pour se défendre des prétentions formulées contre lui ne sont pas déductibles en vertu de l’alinéa 8(1)b). J’estime qu’il était raisonnablement loisible à la juge Woods d’interpréter les prétentions formulées contre M. Fenwick comme elle l’a fait et de conclure que l’alinéa 8(1)b) ne s’applique pas.

 

[11]           Selon l’avocat de M. Fenwick, le fait que les motifs de la juge Woods ne font aucune allusion aux allégations d’enrichissement sans cause dénote une erreur de fait manifeste et dominante. Je ne suis pas d’accord avec cet argument. À mon avis, les allégations d’enrichissement sans cause ne sauraient transformer une poursuite qui consiste essentiellement en une action en dommages‑intérêts intentée par une société, en un litige entre employeur et employé concernant le montant de salaire dû. 

 

[12]           Enfin, l’appelant soutient que la juge Woods a commis une erreur en fondant sa décision sur des motifs qui ne coïncident pas avec le fondement de la cotisation du ministre et qui n’ont été soulevés par le ministre ni dans les actes de procédure ni dans les plaidoiries, sans donner à M. Fenwick la possibilité de soumettre une preuve ou des arguments sur ces motifs pendant l’instruction. Cet argument est axé sur l’énoncé de la juge Woods selon lequel la déclaration ne met pas en cause le droit de M. Fenwick de conserver la rémunération qu’il a reçue de Hemispheres « en sa qualité d’employé ».

 

[13]           Il est vrai que la juge Woods n’a pas retenu l’interprétation de l’alinéa 8(1)b) que le ministre a proposée à titre de principal fondement juridique de sa cotisation et de principal argument en appel (à savoir que l’alinéa 8(1)b) s’applique seulement lorsqu’il est allégué qu’un salaire ou un traitement est dû mais n’a pas été payé). Cependant, la juge Woods n’était pas tenue pour autant d’approuver l’interprétation incorrecte avancée au nom de M. Fenwick. Ayant rejeté les positions de chacune des parties, elle devait adopter une interprétation de l’alinéa 8(1)b) qui n’avait été proposée par aucune des deux parties. Après avoir correctement adopté une interprétation, elle devait appliquer cette interprétation de l’alinéa 8(1)b) aux faits mis en preuve. À mon avis, il n’y a pas de fondement à l’argument selon lequel M. Fenwick a subi un préjudice du fait que son avocat n’a pu demander de façon précise à un témoin si l’action engagée contre M. Fenwick consistait pour l’essentiel en une action pour remboursement de salaire intentée contre M. Fenwick en sa qualité d’employé, alors que l’interprétation de l’alinéa 8(1)b) qu’il a proposée soulève justement cette notion.

 

[14]           Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

« K. Sharlow »

j.c.a.

« Je suis d’accord.

            J. Richard, juge en chef »

 

« Je suis d’accord.

            John M.Evans, j.c.a. »

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    A-235-08

 

APPEL DU JUGEMENT RENDU LE 25 AVRIL 2008 PAR LA JUGE J. WOODS DANS LE DOSSIER DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT PORTANT LE NUMÉRO 2005-3862(IT)G

 

INTITULÉ :                                                   ALLAN FENWICK c.

                                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 25 novembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LA JUGE SHARLOW

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE EN CHEF RICHARD

                                                                        LE JUGE EVANS      

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 26 novembre 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Irving Marks

Shawn Pulver

POUR L’APPELANT

 

Lorraine Edinboro

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Robins, Appleby & Taub s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANT

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR L’INTIMÉE

 

 

 

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