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Date : 20081008

Dossiers : A-410-07

A-411-07

Référence : 2008 CAF 301

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

A-410-07

JEAN-FRANÇOIS DUMAIS

Appelant

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

Intimé

 

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A-411-07

 

CHRISTIANE DUMAIS

Appelante

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

Intimé

 

 

Audience tenue à Québec (Québec), le 30 septembre 2008.

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 8 octobre 2008.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                     LE JUGE LÉTOURNEAU

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                           LE JUGE NADON

                                                                                                                       LE JUGE PELLETIER

 


Date : 20081008

Dossiers : A-410-07

A-411-07

Référence : 2008 CAF 301

 

CORAM :      LE JUGE LÉTOURNEAU

                        LE JUGE NADON

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

 

A-410-07

JEAN-FRANÇOIS DUMAIS

Appelant

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

Intimé

 

 

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A-411-07

 

CHRISTIANE DUMAIS

Appelante

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

Intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE LÉTOURNEAU

 

La question en litige et le cheminement procédural

 

[1]               Nous sommes saisis de deux appels (A-410-07 et A-411-07). Ceux-ci furent réunis pour fin d’audition commune. Les présents motifs serviront pour les deux dossiers, l’original étant déposé dans le dossier A-410-07 et une copie dans l’autre.

 

[2]               En litige se trouve la question de l’assurabilité de l’emploi exercé par les deux appelants. Le juge Bédard de la Cour canadienne de l’impôt (juge) a rejeté les appels de M. Jean-François Dumais et de Mme Christiane Dumais.

 

[3]               Ce rejet confirmait la décision du ministre du Revenu national (ministre) au terme de laquelle il déterminait que les appelants n’occupaient pas un emploi assurable au sens de l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploi, S.C. 1996, ch. 23 (Loi).

 

[4]               Le ministre était d’avis que les appelants avaient un lien de dépendance avec le payeur, M. Mario Dumais, lequel exploitait l’Auberge sur la Côte enr. (Auberge), sise dans le comté de Charlevoix. De fait, Mme Dumais est la conjointe du payeur alors que Jean-François Dumais est son fils. Par la suite, l’Auberge fut incorporée et devint le payeur. M. Mario Dumais en était le seul actionnaire et administrateur.

 

[5]               Le ministre était également d’opinion que, n’eût été de ce lien de dépendance avec le payeur, les appelants n’auraient pas conclu le contrat de louage de services qu’ils ont, de fait, convenu avec ce dernier. De là l’exclusion de ces deux emplois de la catégorie des emplois assurables conformément aux alinéas 5(2)i) et 5(3)a) et b) de la Loi :

 

5. (2) N’est pas un emploi assurable :

 

 

[…]

 

i) l’emploi dans le cadre duquel l’employeur et l’employé ont entre eux un lien de dépendance.

 

 

(3) Pour l’application de l’alinéa (2)i) :

 

a) la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance est déterminée conformément à la Loi de l’impôt sur le revenu;

 

b) l’employeur et l’employé, lorsqu’ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu’il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d’emploi ainsi que la durée, la nature et l’importance du travail accompli, qu’ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance.

5. (2) Insurable employment does not include

 

 

i) employment if the employer and employee are not dealing with each other at arm’s length.

 

 

(3) For the purposes of paragraph (2)(i),

 

(a) the question of whether persons are not dealing with each other at arm’s length shall be determined in accordance with the Income Tax Act; and

 

(b) if the employer is, within the meaning of that Act, related to the employee, they are deemed to deal with each other at arm’s length if the Minister of National Revenue is satisfied that, having regard to all the circumstances of the employment, including the remuneration paid, the terms and conditions, the duration and the nature and importance of the work performed, it is reasonable to conclude that they would have entered into a substantially similar contract of employment if they had been dealing with each other at arm’s length.

 

                                                                                                                                        [Je souligne]

 

 

La nature du travail exercé et les années en cause

 

[6]               M. Jean-François Dumais exerçait la fonction de chef cuisinier à l’Auberge alors que sa mère occupait un poste d’assistante-gérante avec des tâches diverses et multiples dont l’accueil, les réservations, les départs, l’assistance au personnel de chambre et la tenue des feuilles de temps ainsi que de la comptabilité de l’entreprise.

 

[7]               Tant pour Mme Dumais que pour son fils, les années en litige sont les années 1999, 2000, 2001, 2002 et 2003.

 

La décision de la Cour canadienne de l’impôt

 

[8]               Le juge s’est livré à une revue et une analyse détaillées de la preuve. Il a constaté le refus des appelants de collaborer avec l’enquêteur de la Commission et de lui fournir les documents pertinents à l’exploitation de l’entreprise, ce qui aurait permis, dit-il, une prise de décision plus éclairée tant pour le ministre que pour la cour chargée de réviser sa décision.

 

[9]               Il a rejeté les allégations des appelants que l’enquêteur était de mauvaise foi et ne visait qu’à les piéger. Il a souligné et déploré le fait que les appelants, qui avaient le fardeau de réfuter les présomptions établies par le ministre, n’aient pas produit en preuve certains documents, notamment les registres comptables et les registres de réservation du restaurant, alors qu’ils étaient en mesure de les produire. Il a conclu de cette omission délibérée que cette preuve documentaire aurait été défavorable aux appelants.

 

[10]           Le juge n’a pas retenu les prétentions des appelants que le travail bénévole qu’ils avaient accompli durant la période de cessation d’emploi était minime, marginal et peu fréquent. Au surplus, disaient les appelants, il s’agissait d’un travail non relié à leur emploi, qui n’était exécuté que pour des périodes très courtes. Au contraire, le juge a conclu à la fois que le travail bénévole était substantiel et qu’il faisait partie des tâches normalement confiées aux appelants par le payeur en vertu du contrat d’emploi qui les liait. Il a donc distingué les faits de la présente affaire de ceux énoncés dans l’affaire Théberge c. Canada (ministre du Revenu national – M.R.N.), [2002] A.C.F. no. 464 (Q.L.).

 

[11]           Voici comment, au paragraphe 35 des motifs de sa décision, s’exprime le juge en ce qui a trait au travail bénévole accompli par M. Jean-François Dumais :

 

[35]     À l'égard du travailleur, la preuve a révélé que le travail effectué bénévolement par le travailleur à l'extérieur des périodes pertinentes pendant chacune des années en cause, était substantiel et que ce travail faisait partie des tâches qui lui ont été confiées par les payeurs aux termes du contrat d'emploi qui les liait. Je rappelle à cet égard qu'avant le début de la haute saison, donc à l'extérieur des périodes pertinentes, pendant chacune des années en cause, le travailleur faisait le grand ménage de la cuisine, participait à l'embauche des employés de cuisine, élaborait chez lui de nouveaux menus, négociait le prix des aliments avec ses fournisseurs, établissait le coût des plats indiqués au menu et formait les employés de cuisine. Je rappelle aussi que la preuve a révélé que le travailleur avait consacré bénévolement un minimum de 150 heures à ces tâches, qu'il s'était engagé à effectuer aux termes de son contrat d'emploi tel qu'en fait foi la description des tâches du travailleur déposée en preuve par les appelants en cause. De plus, je rappelle que la preuve a révélé que le travailleur avait préparé des dîners à l'extérieur des périodes pertinentes, et ce, bénévolement. Les appelants en cause ont soutenu toutefois que le restaurant servait peu de dîners à l'extérieur des périodes pertinentes. À cet égard, les appelants ont prétendu que le registre des hôtes de l'auberge pour l'année 2001, ainsi que les déclarations de TPS produites par les payeurs, documents sur lesquels le ministre s'était fortement appuyé pour rendre ses décisions, ne démontraient nullement que le chiffre d'affaires des payeurs à l'extérieur des périodes pertinentes était lié à l'exploitation du restaurant. Les appelants ont ajouté à cet égard que si le ministre s'était donné la peine d'examiner le registre des réservations du restaurant et d'analyser le chiffre d'affaires des payeurs indiqué dans leurs registres comptables, il aurait constaté que le restaurant servait peu de dîners à l'extérieur des périodes pertinentes et il aurait conclu que le travailleur avait consacré peu d'heures à cette tâche. Je souligne que les appelants, sur qui reposait le fardeau de la preuve, avaient une occasion inespérée de me convaincre, en produisant ces documents qu'ils étaient en mesure de produire, que le ministre avait tiré des conclusions erronées des documents qu'il avait examinés et de son enquête. Malheureusement, les appelants n'ont pas jugé bon de produire ces documents alors qu'ils étaient en mesure de le faire. J'en infère que cette preuve aurait été défavorable aux appelants, car elle aurait démontré que le restaurant servait à l'extérieur des périodes pertinentes beaucoup plus de dîners qu'ils ont bien voulu me faire croire et qu'une partie importante du chiffre d'affaires des payeurs était liée à leur activité de traiteur, aux réceptions de mariage et de funérailles et aux dîners servis à des clients qui ne séjournaient pas à l'auberge, activités qui nécessitaient, à mon avis, la présence d'un chef cuisinier. J'en conclus qu'il serait totalement déraisonnable de penser qu'une personne non liée aux payeurs aurait accepté, en vertu de son contrat d'emploi, de travailler bénévolement pendant autant d'heures à l'extérieur des périodes pertinentes.

 

                                                                                                                                        [Je souligne]

 

[12]           Relativement à la conjointe du payeur, il écrit au paragraphe 36 :

 

[36]     Quant au travail accompli bénévolement par la travailleuse à l'extérieur des périodes pertinentes, les appelants ont soutenu qu’il était peu fréquent, minime et marginal. Ils ont prétendu que les services de la travailleuse n’étaient pas vraiment requis pendant la basse saison, puisque l’auberge était fort peu achalandée pendant cette période. Ils ont ajouté que l’essentiel des tâches accomplies par la travailleuse en haute saison étaient faites par monsieur Mario Dumais en basse saison. La preuve des appelants à cet égard reposait uniquement sur le témoignage de monsieur Mario Dumais et de sa conjointe, qui a témoigné dans le même sens que son conjoint. Je rappelle que monsieur Mario Dumais a témoigné que sa conjointe venait régulièrement à l’auberge en basse saison pour y passer le temps et non pour y travailler, si ce n’est que pendant 3 ou 4 heures par semaine. Je souligne immédiatement que ces témoignages ne m’ont pas convaincu, d’autant plus qu’ils ont été contredits par les témoignages très crédibles de plusieurs employés du payeur. De plus, même si la preuve a révélé que l’auberge était moins achalandée en basse saison, il n’en demeure pas moins qu’elle a révélé qu’un nombre important de clients y séjournaient pendant cette période et qu’ainsi l’exploitation de l'auberge avait nécessité, même si c’était à un degré moindre, la présence d’une personne pour répondre aux appels, pour prendre les réservations, pour superviser les employés de l'hébergement et de la restauration (serveurs et serveuses), pour laver les nappes et napperons, les plier et les ranger, pour agir à titre d’hôte à la salle à manger et au bar, pour effectuer le travail de comptabilité (entrées au grand livre et rapports de paie) et pour contrôler les arrivées et départs des clients, bien que moins nombreux pendant cette période. Compte tenu des témoignages très crédibles de plusieurs employés des payeurs, il m’apparaît plus probable qu’improbable que cette personne était la travailleuse et non monsieur Mario Dumais. À mon avis, la travailleuse avait en basse saison sensiblement les mêmes responsabilités qu’en haute saison, et ce, bénévolement. Je suis aussi d’avis que la travailleuse a consacré en basse saison un nombre important d’heures, bien que moindre qu’en haute saison, à assumer de telles responsabilités, et ce,

 

bénévolement. Pour ces motifs, je conclus qu’aucune personne non liée aux payeurs n’aurait accepté de telles conditions de travail.

 

                                                                                                                                        [Je souligne]

 

[13]           Enfin, le juge s’est penché sur la rémunération versée aux appelants en rappelant que ces derniers avaient également le fardeau de la preuve à cet égard. Même s’il a fait référence au fait que les appelants devaient établir que leur rémunération était raisonnable dans les circonstances, ce qui selon le procureur des appelants constitue une erreur quant au test à appliquer, il est évident, lorsque cette référence est mise dans le contexte du litige entre les parties et de la disposition législative qu’il avait à interpréter, qu’il s’est demandé s’il « est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée », que le payeur et les appelants « auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance » : voir le texte de l’alinéa 5(3)b). De toute façon, les appelants ont tenté d’établir par preuve d’expert que leur rémunération était raisonnable : voir le paragraphe 59 du mémoire des faits et du droit de l’appelant Jean-François Dumais. Le juge s’est aussi penché sur cette prétention des appelants.

 

[14]           Sur la foi de la preuve qui était devant lui, le juge a estimé le nombre d’heures travaillées respectivement par les appelants. Compte tenu du salaire hebdomadaire versé par le payeur, il a calculé le taux horaire de chacun et l’a comparé avec celui payé normalement pour des postes et fonctions équivalents. Il a conclu que le taux payé aux appelants était nettement inférieur à celui du marché et qu’en conséquence, aucune personne de même compétence, sans lien de dépendance avec le payeur, n’aurait accepté une rémunération aussi peu élevée.

 

[15]           Je reproduis les paragraphes 40 et 41 des motifs de la décision où apparaissent la démarche suivie et le différentiel des taux :

 

[40]     Toutefois, uniquement parce que la preuve a révélé que le travailleur avait travaillé généralement pendant un minimum de 975 heures pendant la haute saison et pendant un minimum de 150 heures en basse saison pendant chacune des années en cause, il m'est permis de conclure que le travailleur avait été rémunéré à un taux horaire de 7,84 $ en 1999, de 8,87 $ en 2000, de 9,23 $ en 2001, de 9,32 $ en 2002 et de 14,92 $ en 2003. Il m'apparaît évident à la face même de ces taux horaires et notamment à la lumière de l'étude publiée en mai 2001 pour le CQRHT (citée par l'expert des appelants) qui établissait que le taux horaire d'un chef cuisinier se situait alors entre 17 $ et 26 $, que la rémunération globale du travailleur n'était pas raisonnable compte tenu de toutes les circonstances. À mon avis, aucune personne non liée aux payeurs n'aurait accepté d'être rémunérée à un tel taux horaire, compte tenu de toutes les circonstances.

 

[41]     De plus, uniquement parce que la preuve a révélé que la travailleuse avait travaillé généralement pendant un minimum de 1 391 heures en haute saison, il m'est permis de conclure que la travailleuse avait été rémunérée à un taux horaire de 5,77 $ en 1999, de 5,51 $ en 2000, de 5,71 $ en 2001, de 5,71 $ en 2002 et de 5,09 $ en 2003. Je peux donc conclure qu'aucune personne non liée aux payeurs aussi compétente et ayant autant de responsabilités que la travailleuse n'aurait accepté d'être rémunérée à un taux horaire aussi peu élevé. Cette conclusion s'impose d'autant plus si je tiens compte des nombreuses heures de travail bénévole de la travailleuse en basse saison.

 

 

Analyse de la décision

 

[16]           L’Auberge où travaillent les appelants est apparue sur l’écran radar de la Commission par suite du fait qu’elle se livrait à ce que le procureur de l’intimé a appelé du « banquage » ou cumul d’heures. L’opération consiste à porter au crédit d’un employé des heures de travail exécutées pour le payeur, souvent en dehors de la période d’emploi rémunérée alors que l’employé touche des prestations d’assurance-chômage. Ces heures apparaissent au relevé d’emploi comme des heures rémunérées par l’employeur alors qu’elles ne l’ont pas été. Ainsi, l’employé accroît son nombre d’heures assurables pour fin d’admissibilité au bénéfice des prestations, le montant de ses gains admissibles et, par le fait même, le montant des prestations qu’il touchera lorsque l’emploi saisonnier prendra fin : voir Geoffroy c. Canada (ministre du Revenu national – M.R.N.), [2003] T.C.J. No. 102 par le juge Tardif et Proulx c. Canada (ministre du Revenu national – M.R.N.), [2003] T.C.J. No. 100. L’employeur y trouve également son compte puisqu’il obtient pour la durée concernée, sans coût, une prestation de services. Il est également possible pour le payeur de tenir compte, dans la fixation de la rémunération et des conditions de travail de la personne liée, du fait qu’elle recevra pour plusieurs mois des prestations d’assurance-emploi.

 

[17]           Une fois l’Auberge dans la mire de la Commission, l’enquête initialement portée sur le cumul d’heures s’est étendue à l’ensemble de l’organisation et des opérations de l’entreprise. De là la révision de l’assurabilité des emplois exercés par les appelants.

 

[18]           Le procureur de l’appelant prétend dans un premier temps que le juge a commis une erreur de droit en tenant compte, pour la détermination de l’assurabilité de l’emploi, du travail bénévole accompli par les appelants.

 

[19]           Deuxièmement, il soutient, fort habilement d’ailleurs, que le juge a mal appliqué, à l’analyse des conditions de travail des appelants, les règles de droit qui gouvernent la question du lien de dépendance. Plus précisément, au chapitre de la rémunération versée aux appelants, il reproche au juge d’avoir commis une erreur en ramenant la rémunération hebdomadaire des appelants à un taux horaire, pour ensuite le comparer à celui payé dans l’industrie.

 

[20]           Selon le procureur des appelants, ceux-ci occupaient des postes de cadre à l’Auberge. À l’instar d’autres cadres dans d’autres entreprises, ils étaient payés à la semaine, sans droit au temps supplémentaire pour les heures dépassant la semaine normale de travail. Ainsi, il était injuste de diviser leur rémunération hebdomadaire par le nombre d’heures de travail accompli et de les comparer avec d’autres employés de même catégorie pour des semaines normales de travail dont la durée moyenne était fixée à quarante (40) heures.

 

[21]           Enfin, les appelants font grief au juge d’avoir, d’une part, rejeté en partie le rapport de l’expert engagé par les appelants pour réviser les conditions de rémunération de postes comparables et, d’autre part, de ne pas avoir accepté sa conclusion que la rémunération des appelants était raisonnable dans les circonstances.

 

[22]           Compte tenu de la conclusion à laquelle j’en viens sur la question du bénévolat, il n’est pas nécessaire de traiter des deux derniers motifs d’appel.

 

 

 

 

Le travail bénévole et l’assurabilité de l’emploi

 

[23]           Je crois qu’il est opportun de rappeler le but de l’alinéa 5(2)i) de la Loi dont la sévérité est quelque peu tempérée par l’alinéa 5(3)b), aussi difficile d’application que soit ce dernier alinéa.

 

[24]           On se rappellera que l’alinéa 5(2)i), précité, exclut de la catégorie des emplois assurables l’emploi entre personnes liées, c’est-à-dire l’emploi pour lequel il y a un lien de dépendance entre l’employeur et l’employé. La Loi présume « que les personnes liées par le sang, le mariage ou l’adoption, sont davantage susceptibles de pouvoir et de vouloir abuser de la Loi » : voir Pérusse c. Canada (ministre du Revenu national – M.R.N.), [2000] A.C.F. no. 878 (Q.L.), par Madame la juge Desjardins. D’ailleurs, dans le même arrêt au paragraphe 29, le juge Décary dira :

 

[29]     Je ne pense pas que des personnes unies par des liens de famille, et donc assujetties à des obligations naturelles et légales les unes envers les autres, puissent raisonnablement s’étonner ou s’offusquer de ce que le législateur sente le besoin de vérifier, dans le cadre d’un contrat de louage de services, si ces liens n’ont pas, peut-être même à leur insu, influencé les conditions de travail qu’elles ont stipulées.

 

 

[25]           Un des objectifs, indéniable et certes louable, de la disposition est donc d’offrir au système d’assurance-emploi une protection contre des demandes de paiement de prestations fondées sur des artifices, des contrats d’emploi fictifs ou des contrats d’emploi réels, mais aux conditions fictives ou farfelues : voir Légaré c. Canada (ministre du Revenu national – M.R.N.) (1999), 246 N.R. 176, au paragraphe 12; Pérusse c. Canada, précitée; Paul c. M.R.N., [1986] F.C.J. No. 961 (C.A.F.); Crawford and Co. v. Canada (Minister of National Revenue – M.N.R.), [1999] T.C.J. No. 850 (Q.L.); Maldrik v. Canada (Minister of National Revenue – M.N.R.), [2006] T.C.J. No. 359 (Q.L.); Kabatoff v. Canada (Minister of National Revenue – M.N.R.), [2000] T.C.J. No. 822 (Q.L.). C’est dans cette perspective que se situe la problématique du travail qu’on allègue être bénévole et qui est accompli alors que son auteur reçoit des prestations d’assurance-emploi.

 

[26]           En soi, le fait d’exécuter du travail bénévole n’entraîne pas nécessairement l’exclusion en vertu de l’alinéa 5(2)i) de la Loi. Tout est question de circonstances et de degré. Chaque cas est un cas d’espèce. Il faut bien se garder de généraliser l’application de la conclusion prise dans l’affaire Théberge, précitée.

 

[27]           Comme la majorité le fait ressortir dans cet arrêt, il s’agissait d’une entreprise familiale agricole. Au paragraphe 19 des motifs de la décision, le juge Décary écrit :

 

Exclure un emploi saisonnier, dans une entreprise familiale agricole, au motif que la traite des vaches continue à l’année, c’est à toutes fins utiles priver d’assurance-chômage les membres de la famille qui se qualifient en travaillant pendant la période active et c’est ignorer les deux caractéristiques principales d’une telle entreprise, soit son caractère familial et son caractère saisonnier.

 

                                                                                                                                        [Je souligne]

 

Bien que je sois loin d’être disposé à l’ériger en principe justificatif, il y avait également dans cette affaire un impératif vital : les vaches laitières doivent être traites, leur survie en dépend. Sans qu’elle ne l’ait mentionné expressément, je crois qu’il s’agit d’une circonstance qui, comme elle se devait, fut prise en compte par notre Cour.

 

[28]           En outre, comme l’a souligné le juge Décary, le milieu agricole fait l’objet d’un traitement particulier en ce que, par exemple, le paragraphe 43(3) du Règlement sur l’assurance-chômage (maintenant devenu le paragraphe 30(4) du Règlement sur l’assurance-emploi, DORS/96-332 tel que modifié) fait en sorte que le prestataire exerçant un emploi dans l’agriculture n’est pas censé travailler une semaine entière pendant la période allant du 1 octobre au 31 mars s’il prouve qu’il a consacré si peu de temps à son travail que cela ne l’aurait pas empêché d’accepter un emploi à plein temps. Pour utiliser l’expression de mon collègue, ce traitement particulier relativement à la disponibilité ne fait pas moins partie de la toile de fond.

 

[29]           Je suis d’accord avec les propos du juge Archambault de la Cour canadienne de l’impôt dans l’affaire Bélanger c. Canada (ministre du Revenu national – M.R.N.), [2005] T.C.J. No. 16, aux paragraphes 73 à 75 où il rappelle que les travailleurs dans des entreprises familiales peuvent gagner jusqu’à 25% du montant de leurs prestations d’assurance-emploi sans qu’ils soient privés du régime de protection qu’offre l’assurance-emploi. Les personnes liées peuvent travailler dans l’entreprise familiale en basse saison alors que les heures de travail sont moindres et être rémunérées par le payeur. Il n’est pas nécessaire, pour utiliser son expression, « de tricher » en faisant alors, de connivence, assumer par le régime d’assurance-emploi le coût de la prestation de services offerte gratuitement au payeur.

 

[30]           Comme on peut le voir, la sanction d’un tel abus par des personnes liées est sévère. Un emploi qui, par ailleurs, était assurable cesse de l’être et, par son effet rétroactif, appelle un remboursement par le prestataire des sommes versées à titre de prestations, lesquelles peuvent être substantielles si plusieurs périodes de prestations sont en litige : voir Malenfant c. Procureur général du Canada, 2006 CAF 226. Mais il s’agit de l’élément dissuasif que le législateur a retenu pour assurer l’intégrité du système d’assurance-emploi qui repose sur la bonne foi et l’honnêteté des employeurs et des bénéficiaires.

 

[31]           Comme l’énonçait le juge Marceau au paragraphe 12 dans l’affaire Légaré, précitée, « ce sont sur les éléments essentiels du contrat de louage de services qu’il faut s’attarder pour se convaincre que l’existence du lien de dépendance entre les contractants n’a pas eu sur la détermination des conditions de l’emploi une influence abusive ».

 

[32]           Trois facteurs m’apparaissent primordiaux aux fins de l’alinéa 5(2)i) dans l’analyse de l’impact d’un travail bénévole entre personnes liées : la nature des tâches exécutées, leur nombre et leur fréquence. Ce sont là, en fait, ce que le juge Marceau dans l’affaire Pérusse, précitée, appelait les circonstances qui se rapportent aux modalités du contrat et à ses conditions d’exécution : voir le paragraphe 5 des motifs de cette décision. Plus les tâches exécutées bénévolement sont semblables à celles qui étaient prévues au contrat de travail rémunéré, plus elles sont nombreuses et plus elles sont répétées, moins il devient possible et raisonnable de conclure que l’employeur et l’employé « auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s’ils n’avaient pas eu de lien de dépendance ». Si, comme c’est le cas en l’espèce, on y ajoute l’élément de continuité dans la prestation des services, la conclusion que l’emploi doit être exclu devient inévitable.

 

[33]           De fait, au lendemain de la cessation allégué d’emploi, les appelants exerçaient durant la période alléguée de chômage précisément les mêmes tâches que celles qui, pour ainsi dire la veille, étaient rémunérées en vertu de leur contrat de travail.

 

[34]           Tel que déjà mentionné, le juge a conclu que le travail exécuté par les appelants, alors qu’ils recevaient des prestations d’assurance-chômage, était substantiel et que les tâches qu’ils exécutaient ainsi que les responsabilités qu’ils assumaient en basse saison étaient sensiblement les mêmes qu’en haute saison. En outre, il a conclu que, dans les faits, le travail de cuisinier effectué par M. Jean-François Dumais et celui d’assistante-gérante de Mme Christiane Dumais s’avéraient nécessaires aux opérations de l’Auberge en basse saison. Il y avait, à mon sens, une poursuite intégrale, quoique les heures de travail aient été réduites par rapport à la haute saison, de l’objet même du contrat de travail rémunéré. Il n’y avait pas véritablement d’arrêt de travail alors que la rémunération devenait assumée par le régime d’assurance-emploi.

 

[35]           Les conclusions et les inférences de fait du juge ainsi que celles fondées sur la crédibilité des témoins sont, il faut bien le dire, supportées par la preuve au dossier. D’ailleurs, le procureur des appelants a reconnu que la situation de Mme Dumais était beaucoup plus difficile à défendre que celle de son fils. En l’absence d’erreurs manifestes et dominantes, il ne m’est pas permis d’écarter ces conclusions et d’y substituer les miennes.

 

 

 

[36]           Pour ces motifs, je rejetterais les appels avec dépens, mais je limiterais ceux-ci à un seul jeu pour l’audition des appels qui fut commune.

 

 

« Gilles Létourneau »

j.c.a.

 

« Je suis d’accord

            Marc Nadon, j.c.a. »

 

« Je suis d’accord

            J. Denis Pelletier, j.c.a. »

 

 


 

COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A-410-07

 

 

INTITULÉ :                                                   JEAN-FRANÇOIS DUMAIS c. LE MINISTRE

                                                                        DU REVENU NATIONAL

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 30 septembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE NADON

                                                                        LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 8 octobre 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Sarto Veilleux

POUR L’APPELANT

 

Me Claude Lamoureux

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Langlois Kronström Desjardins, S.E.N.C.R.L.

Lévis (Québec)

 

POUR L’APPELANT

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

 

 


 

COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    A-410-07

 

 

INTITULÉ :                                                   CHRISTIANE DUMAIS c. LE MINISTRE

                                                                        DU REVENU NATIONAL

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 30 septembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE LÉTOURNEAU

 

Y ONT SOUSCRIT :                                     LE JUGE NADON

                                                                        LE JUGE PELLETIER

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 8 octobre 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Sarto Veilleux

POUR L’APPELANTE

 

Me Claude Lamoureux

POUR L’INTIMÉ

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Langlois Kronström Desjardins, S.E.N.C.R.L.

Lévis (Québec)

 

POUR L’APPELANTE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉ

 

 

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