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Date : 20081006

Dossiers : A-536-07

 A-537-07

Référence : 2008 CAF 299

 

CORAM :      LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE EVANS

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :                                                                                                                              A-536-07

RONALD CASEY

appelant

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

ENTRE :                                                                                                                              A-537-07

LAWRENCE J. LARAMEE

appelant

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 6 octobre 2008.

Jugement rendu à l’audience à Toronto (Ontario), le 6 octobre 2008.

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                                                         LA JUGE TRUDEL

 


Date : 20081006

Dossiers : A-536-07

A-537-07

Référence : 2008 CAF 299

 

CORAM :      LE JUGE LINDEN

                        LE JUGE EVANS

                        LA JUGE TRUDEL

 

ENTRE :                                                                                                                              A-536-07

RONALD CASEY

appelant

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

ENTRE :                                                                                                                              A-537-07

LAWRENCE J. LARAMEE

appelant

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR

(Prononcés à l’audience à Toronto (Ontario), le 6 octobre 2008)

LA JUGE TRUDEL

Considérations générales

 

[1]               Il s’agit d’un appel regroupant deux appels interjetés à l’encontre du jugement modifié (2007 CCI 635) rendu par le juge Miller de la Cour canadienne de l’impôt (le juge), en date du

5 novembre 2007 (remplaçant le jugement en date du 19 octobre 2007), qui a rejeté l’appel de la décision du ministre du Revenu de refuser la déduction au titre de perte d’entreprise demandée par les appelants pour l’année d’imposition 2001, permettant cependant la déduction d’une perte au titre d’un placement d’entreprise.

 

Question en litige

 

[2]               La seule question en litige en l’espèce est de savoir si les prêts que les appelants ont accordés par l’entremise d’une société de portefeuille à des sociétés dans lesquelles ils détenaient des actifs  faisaient partie d’un projet comportant un risque à caractère commercial ou s’ils constituaient un investissement ayant un caractère de capital.

 

[3]               Les appels doivent être rejetés, essentiellement pour les motifs formulés par le juge Miller dans son jugement.

 

Les faits

 

[4]               Les principaux faits qui ont conduit à ces appels sont très clairs. En 1999, Messieurs Laramee et Casey ont investi du capital dans un projet d’aménagement d’un terrain de golf. Ils soutiennent qu’ils étaient intéressés à réaliser un bénéfice rapide, dans un délai de quatre ou cinq ans, et qu’ils n’avaient pas l’intention d’exploiter le terrain de golf.

 

[5]               Les appelants et les deux autres parties, Robert Stevens et William Zaduk, qui ne font pas l’objet des appels, ont structuré le plan d’organisation du projet sous la forme d’un protocole d’entente (PE) de la façon suivante : la société Crosswinds Golf & Country Club (Golfco) allait construire et exploiter les installations du terrain de golf alors que la société Crosswinds Properties Ltd. (Propertyco) allait détenir les biens immobiliers. Les deux sociétés seront nommées « les sociétés de golf ».

 

[6]               Même si chacun des quatre actionnaires devait détenir un quart des actions de chaque société, les actions de Stevens et de Zaduk devaient être détenues en fiducie par les sociétés de golf, ce qui donnait aux appelants le contrôle effectif de toutes les actions (l’article 9 du PE et page 51 du dossier d’appel).

 

[7]               Les appelants et une tierce partie étaient également les actionnaires de Caslar Capital Limited (Caslar), une société de portefeuille qui détenait des actions d’autres sociétés de capitaux et qui avançait des fonds à ces sociétés. Messieurs Casey et Laramee détenaient chacun 50 actions de Caslar, la tierce partie détenant les 4 actions restantes des 104 actions mises en circulation de Caslar.

 

[8]               Selon l’avocat des appelants, Caslar devait agir comme simple moyen d’acheminement ou [TRADUCTION] « d’accès unique aux titres de placement et à la source unique de financement » (paragraphe 15 du mémoire des faits et du droit des appelants).

 

[9]               Cette structure étant mise en place, les appelants, par le biais de Caslar, prévoyaient financer les sociétés Golfco et Propertyco par un prêt personnel en fournissant 2 755 850 $ et 4 061 491 $ respectivement, ainsi que par un emprunt à la Banque Toronto-Dominion  au montant de 6 millions de dollars auquel s’ajoutait le montant additionnel de 1,2 million de dollars.

 

[10]           Les contrats de prêt stipulaient que les fonds personnels devaient être prêtés à Caslar à un taux d’intérêt de 6 %. Caslar, à son tour, a conclu un contrat de prêt avec Golfco et Propertyco en vertu duquel Caslar consentait un prêt pour le développement du projet à Golfco et un prêt hypothécaire à Propertyco. Le montant pour les fonds de développement était prêté à un taux d’intérêt de 10 % calculé et composé mensuellement, et ce jusqu’en juillet 2002 ou jusqu’à la première rentrée de revenus du terrain de golf. Le prêt hypothécaire ne portait pas intérêt pendant deux ans ou jusqu’à la première rentrée de revenus de location, pour se fixer ensuite à un taux

de 14 %. Le prêt devenait dû et exigible en cas de transfert de titre. 

 

[11]            Malgré un tournoi organisé en 2001, le terrain de golf n’était pas rentable. Au début de l’année 2002, le terrain de golf a été vendu à une tierce partie et le prêt contracté à la banque a été entièrement remboursé. Toutefois, il ne restait plus de fonds pour rembourser le montant que les appelants avaient avancé par l’entremise de Caslar. Comme il a déjà été mentionné, les appelants ont demandé la déduction de ce montant comme perte d’entreprise dans leur déclaration de revenus pour l’année 2001. Le ministre a refusé la déduction, admettant plutôt une perte déductible au titre d’un placement d’entreprise. Le juge a souscrit à la décision de l’intimée, d’où le présent appel.

 

Analyse

 

[12]           Le juge a cité l’arrêt de notre Cour Easton c. La Reine (Easton), 97 DTC 5464 (CAF), et il a énoncé à nouveau « les préceptes fondamentaux qui sous-tendent le traitement fiscal des avances et des dépenses faites par les actionnaires » (Easton, ibid. à la page 5468).

 

[13]            L’arrêt Easton nous a rappelé ce qui suit :

En guise d'énoncé général, il est raisonnable de conclure qu'une avance faite par un actionnaire à une société ou une dépense faite par un actionnaire au nom d'une société sera considérée comme un prêt consenti dans l'intention de fournir un fonds de roulement à cette société.

 

[14]           Il s’ensuit que, de façon générale, les pertes résultant d’une telle avance ou d’une telle dépense constituent des pertes en capital. Nous disons « de façon générale » parce qu’il y a deux exceptions notables à ce principe.  

 

[15]           Il n’y a pas lieu de présenter la première exception, étant donné que la présente affaire traite de la deuxième exception comme il a été conclu dans l’arrêt M.N.R. c. Freud, 68 DTC 5279 (SCC), et mentionné dans l’arrêt Easton, précité, à la page 5468:

Lorsqu'un contribuable possède des actions dans une société non pas comme un placement mais comme un actif commercial, la perte résultant d'une dépense accessoire, y compris un paiement effectué à l'occasion d'une garantie, sera imputable au compte de revenu. Cette exception s'applique aux personnes qui sont considérées comme des négociants en actions. Les personnes qui n'appartiennent pas à cette catégorie devront prouver qu'elles ont acquis les actions dans le cadre d'un projet comportant un risque de caractère commercial. Selon moi, cette « circonstance exceptionnelle » ne constitue pas une solution pour les contribuables qui cherchent à déduire des pertes. Je dis cela parce qu'il existe une présomption réfutable voulant que les actions aient été acquises à titre d'immobilisations : voir l'arrêt Mandryk c. La Reine, 92 D.T.C. 6329 (C.A.F.), à la p. 6634.

 

[16]           Bien que le juge ait conclu que les appelants avaient acquis les actions de Golfco et de Propertyco qu’ils détenaient à titre d’actif commercial et non d’investissement à long terme ayant un caractère de capital, il a également conclu que le financement des sociétés de golf par l’entremise de Caslar ne faisait pas partie de ce projet à risques, au titre de dépense accessoire.

 

[17]           Le point crucial de sa décision se trouve aux paragraphes 33, 35 et 36 de ses motifs : 

33     Si MM. Laramee et Casey avaient directement injecté des fonds dans Golfco et dans Propertyco, puisque j’ai conclu que l’acquisition d’actions de Golfco et de Propertyco était un projet comportant un risque de caractère commercial, il ne m’aurait pas été difficile d’appliquer les principes préconisés dans les arrêts Freud et Easton pour conclure que le prêt d’argent en pareil cas constituait une dépense accessoire au projet. Cependant, pour arriver à cette conclusion, lorsque des fonds sont acheminés par l’entremise d’une entité juridique distincte, qui n’agit pas à titre de mandataire, mais qui a clairement ses propres droits et ses propres responsabilités, en particulier une société ayant un autre actionnaire en plus de MM. Laramee et Casey, je me vois obligé de soulever le voile de la personnalité juridique et d’ignorer effectivement l’existence même de Caslar. Les appelants soutiennent qu’ils ne demandent pas que l’on soulève le voile de la personnalité juridique, mais qu’ils me demandent simplement de tenir compte de l’ensemble des circonstances entourant l’utilisation des sociétés; ils disent que Caslar est simplement un moyen de diversion. Je ne suis pas d’accord.

 

35     Il est vrai qu’en réalité, MM. Laramee et Casey ont perdu leur argent. L’acquisition des actions de Golfco et de Propertyco était un projet comportant un risque de caractère commercial. Pourquoi des sommes indirectement engagées dans le « projet » ne devraient-elles pas être considérées comme faisant partie de ce projet puisque, si elles y avaient été engagées directement, elles seraient considérées comme faisant partie du projet? Autrement dit, pourquoi l’introduction d’un intermédiaire devrait-elle influer sur la nature des sommes, de sorte qu’elles ne sont plus imputables au revenu, mais qu’elles sont plutôt imputables au capital? C’est parce que le paiement n’est plus accessoire à l’achat d’actions : il s’agit d’un prêt distinct consenti à un tiers, Caslar, dont MM. Casey et Laramee ne sont pas les seuls actionnaires, et qui, de son côté, consent un prêt commercial aux promoteurs du projet, le seul bénéfice réalisé étant composé des intérêts gagnés aux termes du prêt. La dépense n’est tout simplement pas accessoire à l’achat des actions de la société étant donné qu’elle n’est pas engagée en faveur de la société. Le fait que MM. Laramee et Casey ne détenaient que 100 des 104 actions émises de Caslar influe sans aucun doute sur ma décision. Je ne puis ignorer M. Weber, ou supposer qu’il fait partie du projet de MM. Casey et Laramee.

 

36      Je conclus que le prêt que Caslar a consenti à Golfco et à Propertyco est simplement un investissement en capital qui n’est pas accessoire au projet comportant un risque de caractère commercial de MM. Laramee et Casey : il donnera lieu au remboursement du principal ainsi qu’au paiement d’intérêts, sans plus. Le revenu est simplement constitué de la différence déterminable, calculée, entre les conditions de l’emprunt et les conditions du prêt. Ce prêt n’a rien d’exceptionnel; si le prêt avait été remboursé, Caslar aurait reçu, au titre des intérêts, un montant beaucoup plus élevé que le montant qu’elle aurait été obligée de verser à MM. Laramee et Casey, et elle aurait payé de l’impôt sur cette différence. Le bénéfice après impôt en résultant aurait été disponible en vue de sa distribution à tous ceux qui détenaient des actions ordinaires, et non pas uniquement à MM. Casey et Laramee. Les modalités du prêt ne sont pas extraordinaires au point que le prêt imputable au capital devienne imputable au revenu. Comme la cour l’a dit dans l’arrêt Freud :       

Il est bien entendu qu’un prêt consenti par une personne qui n’exerce pas le métier de prêteur est habituellement considéré comme un placement. Ce n’est que lorsqu’il existe des circonstances exceptionnelles ou inhabituelles qu’une telle opération peut être assimilée à de la spéculation.

 

 

[18]           Il est manifeste pour la Cour que le juge a procédé à une analyse approfondie des faits avant de décider que le prêt consenti à Caslar afin que celle-ci accorde un prêt à Golfco et à  Propertyco ne faisait pas partie intégrante du projet comportant un risque à caractère commercial, et de conclure ainsi que les appelants ne se sont pas acquittés de leur fardeau de preuve, à savoir de démontrer que les prêts accordés à Caslar afin de financer les sociétés de golf tombaient sous le coup de l’une des deux exceptions reconnues dans Easton. La preuve au dossier étayait sa conclusion.

 

[19]           Les appelants n’ont pas réussi à démontrer que le juge avait commis une erreur manifeste et dominante qui puisse justifier l’intervention de notre Cour.

 

 

 

[20]           Les appels seront rejetés avec dépens, l’intimée n’ayant droit qu’à un seul mémoire de dépens pour les deux appels.

 

 

 

« Johanne Trudel »

j.c.a.

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer

 

 

 

 

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIERS :                                                                        A-536-07

                      A-537-07

 

APPEL D’UN JUGEMENT MODIFIÉ DE MONSIEUR LE JUGE MILLER DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT, EN DATE DU 5 NOVEMBRE 2007 (REMPLAÇANT LE JUGEMENT EN DATE DU 19 OCTOBRE 2007), DOSSIERS (2006-2705 (IT) G, 2006-921 (IT) G)

 

INTITULÉ :                                                                          Dossier : A-536-07

 

RONALD CASEY c.

SA MAJESTÉ LA REINE

 

                        Dossier : A-537-07

 

LAWRENCE J. LARAMEE c.

SA  MAJESTÉ LA REINE            

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   LE 6 OCTOBRE 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE LA COUR :                        LES JUGES LINDEN, EVANS ET TRUDEL

 

PRONONCÉS À L’AUDIENCE PAR :                                 LA JUGE TRUDEL

 

COMPARUTIONS :

 

Matthew G. Williams

Mark A. Barbour

 

POUR LES APPELANTS

 

Martin Beaudry

POUR L’INTIMÉE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Thorsteinssons LLP

Toronto (Ontario)

POUR LES APPELANTS

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR L’INTIMÉE


 

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