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Date : 20080925

Dossier : A-81-07

Référence : 2008 CAF 285

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE BLAIS

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

JEFF EWERT

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

LE COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

 

intimés

 

 

 

Audience tenue par voie de vidéoconférence

entre Vancouver et Agassiz (Colombie-Britannique), le 17 septembre 2008

 

Jugement rendu à Ottawa (Ontario), le 25 septembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                 LE JUGE DÉCARY

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                                LE JUGE BLAIS

                                                                                                                                  LE JUGE RYER

 


 

Date : 20080925

Dossier : A-81-07

Référence : 2008 CAF 285

 

CORAM :      LE JUGE DÉCARY

                        LE JUGE BLAIS

                        LE JUGE RYER

 

ENTRE :

JEFF EWERT

appelant

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et

LE COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

 

intimés

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE DÉCARY

[1]               L’appelant a livré diverses batailles juridiques pour contester la procédure suivie pour évaluer les risques que représentent les détenus autochtones dans les établissements correctionnels fédéraux. Il s’agit en l’espèce de l’une de ces contestations.

 

[2]               L’appelant est incarcéré depuis 1984 dans un établissement fédéral. Il purge deux peines fédérales concurrentes d’emprisonnement à perpétuité pour meurtre au deuxième degré et tentative de meurtre. En avril 2000, il a déposé un grief dans lequel il affirmait que certains instruments d’évaluation utilisés par le Service correctionnel du Canada (le Service) font systémiquement preuve de discrimination à l’égard des détenus autochtones. Son grief a été rejeté à tous les paliers. Le 13 septembre 1984, l’appelant a déposé un deuxième grief de troisième niveau, qui a été rejeté le 10 juin 2005 dans les termes suivants :

[traduction] M. Ewert, vous avez déposé un grief concernant l’emploi de tests actuariels pour les délinquants autochtones au Service correctionnel du Canada. Nous avons tardé à répondre à votre grief et nous vous prions de nous en excuser.

 

Vous avez déposé un grief à propos de la question ci‑dessus en 2003. À cette époque, vous avez été informé par écrit que le Service correctionnel du Canada était en train de faire examiner et évaluer ces instruments par sa Direction de la recherche. Le 13 juin 2003, vous avez reçu une lettre de Mme Shereen Benzvy Miller, directrice générale, Droits, recours et résolutions, Service correctionnel du Canada. Cette lettre vous fournissait une explication détaillée de l’emploi d’instruments actuariels pour les délinquants, de la procédure d’évaluation que suit le SCC ainsi que du travail entrepris par la Direction de la recherche pour examiner l’à‑propos des instruments d’évaluation initiale employés par le SCC pour les délinquants autochtones. Ce processus suit son cours.

 

Après que le SCC aura procédé à l’évaluation de ces instruments de mesure, il verra si des changements ou modifications doivent être apportés aux échelles actuarielles actuellement employées à des fins d’évaluation.

 

Tant que cet examen n’aura pas été achevé, aucune autre mesure n’est requise ».

(Dossier d’appel, vol. 5, p. 1418)

[Souligné dans l’original.]

 

[3]               La décision porte la signature de M. Gerry Hooper, conseiller principal du commissaire du Service correctionnel du Canada. Juste au-dessus de sa signature se trouvent six cases qui indiquent le statut du grief : rejeté (ne peut faire l’objet d’un grief), rejeté, confirmé, confirmé en partie, résolu/aucune autre mesure n’est requise. C’est la case « Résolu/aucune autre mesure n’est requise » qui est cochée.

 

[4]               Le 1er novembre 2005, l’appelant a déposé un avis de demande de contrôle judiciaire

[traduction] […] à l’égard des violations, commises par les intimés, des lois et des politiques régissant les décisions du Service correctionnel du Canada (le SCC) pour évaluer le risque d’évasion du détenu, son degré d’adaptation au milieu carcéral, le risque pour la sécurité publique et sa cote de sécurité générale, en se fondant en tout ou en partie sur de soi‑disant instruments actuariels et non actuariels d’évaluation du risque qui n’ont pas été normalisés de manière à s’adapter aux contrevenants autochtones et dont la fiabilité et la validité sur le plan de la prévisibilité n’ont jamais été empiriquement prouvés.

(Dossier d’appel, vol. l, p. 59)

 

[5]               Le 3 avril 2006, l’appelant a déposé un avis de question constitutionnelle qui compte plus d’une dizaine de pages. La portée des questions est, pour employer un euphémisme, colossale. L’appelant y attaque notamment l’obligation de signifier un avis de question constitutionnelle au procureur général du Canada et aux procureurs généraux des dix provinces du Canada, alors qu’il n’y a [traduction] « aucune obligation semblable de signifier un tel avis aux procureurs généraux du Yukon, des Territoires du Nord‑Ouest et du Nunavut ». Il s’en prend à « la subordination et la “dévolution” du Yukon, des Territoires du Nord‑Ouest et du Nunavut à une autorité unique et centrale, alors que le Canada est un État fédéral ». Il conteste la validité [traduction] « des règles du Service correctionnel du Canada qui prévoient l’emploi d’instruments et de pratiques d’évaluation actuariels et non actuariels du risque sur les populations autochtones » et la constitutionnalité de l’article premier de la Charte [traduction] « étant donné que le Canada est partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques […] »

 

[6]               Le 12 janvier 2007, le juge Beaudry, de la Cour fédérale, a rejeté la demande de contrôle judiciaire (2007 CF 13).

 

[7]               Le juge consacre la première partie de ses motifs au grief. Si j’ai bien compris son raisonnement, le juge a conclu, d’une part, que l’appelant n’avait pas établi le bien-fondé de sa cause – les témoignages des experts se contredisaient sur l’applicabilité des instruments d’évaluation des contrevenants et le juge préférait la preuve présentée par l’intimé, et l’appelant n’avait pas soumis d’éléments de preuve démontrant qu’il aurait été classé à un niveau inférieur si les instruments d’évaluation ne lui avaient pas été appliqués. Le juge a, d’autre part, estimé que M. Hooper n’avait pas rejeté le grief dans sa décision, mais qu’il avait suspendu la prise de toute autre mesure parce qu’il aurait été prématuré de rejeter le grief ou d’y faire droit « parce que la procédure d’examen de l’à‑propos de l’application, par le SCC, des instruments d’évaluation initiale des délinquants autochtones se poursuivait » (paragraphe 66 des motifs). En d’autres termes, la demande de contrôle judiciaire a été rejetée pour cause d’insuffisance de la preuve et de prématurité.

 

[8]               Ces conclusions ne peuvent faire l’objet d’une révision en appel. Il est vrai, comme l’appelant l’a fait valoir, que le juge de première instance a commis une erreur en appliquant la norme de la décision manifestement déraisonnable, norme que la Cour suprême du Canada a abolie dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9. L’erreur du juge est toutefois davantage une erreur de forme que de fond. La norme de la décision raisonnable que la Cour suprême a finalement retenue dans l’arrêt Dunsmuir englobe une grande gamme de normes qui appellent la retenue judiciaire. On peut à juste titre affirmer que, dans le cas qui nous occupe, la décision de M. Hooper commandait un degré élevé de retenue judiciaire parce qu’elle reposait sur l’idée que le Service n’était pas encore pleinement en mesure de répondre aux plaintes de l’appelant. Dans les circonstances, le juge de première instance n’a pas commis d’erreur en faisant preuve de retenue à l’égard de la décision du Service.

 

[9]               La seconde partie des motifs porte sur les moyens de l’appelant fondés sur la Charte. Si l’on tient pour acquis, aux fins de la discussion, que le juge devait procéder à une analyse fondée sur la Charte malgré les conclusions qu’il avait tirées au sujet du grief lui-même et malgré la portée tous azimuts et excessive des questions constitutionnelles formulées par l’appelant, on constate que le juge s’est contenté de décider, là encore d’après les éléments de preuve dont il disposait, que l’appelant n’avait pas réussi à démontrer que la race était un motif de discrimination qui avait joué en l’espèce. Comme le groupe de comparaison n’était pas celui des détenus autochtones comme tel mais bien celui des détenus autochtones ayant les mêmes antécédents que des détenus non autochtones, le juge était justifié, faute de preuve de traitement discriminatoire, de refuser de pousser plus loin son analyse fondée sur la Charte.

 

[10]           Au paragraphe 67 de ses motifs, le juge suggère fortement au SCC d’« expliquer au demandeur les mesures prises par la Direction de la recherche et les résultats obtenus, le cas échéant ». À l’audience, l’avocat de l’intimé a informé la Cour que certaines explications seraient communiquées à l’appelant à l’automne. Il se peut que cette mesure s’avère insuffisante et tardive dans le cas de l’appelant, mais il ne s’agit pas d’une question que l’on peut aborder dans le cadre de la présente instance.

 

[11]           Pour les motifs que je viens d’exposer, je suis parvenu à la conclusion que l’appel devrait être rejeté. Je n’accorderais cependant pas aux intimés leurs dépens compte tenu du temps qui s’est écoulé depuis l’engagement qu’ils ont pris, il y a plus de trois ans, d’assurer un suivi.

 

[12]           Je tiens toutefois à préciser que les présents motifs ne doivent pas être interprétés comme un rejet des moyens de l’appelant fondés sur la Charte. Certains de ces arguments soulèvent des préoccupations légitimes et, selon l’évolution de la situation, il se peut qu’ils méritent un examen approfondi dans un cadre procédural approprié et avec des éléments de preuve actualisés. L’appelant aiderait sa cause ainsi que la Cour s’il limitait ses questions constitutionnelles à celles qui se rapportent directement au présumé traitement discriminatoire infligé par le Service correctionnel du Canada au cours du processus d’évaluation des risques.

 

« Robert Décary »

j.c.a.

 

 

« Je suis d’accord.

            Pierre Blais, j.c.a. »

 

« Je d’accord.

            C. Michael Ryer, j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                      A-81-07

 

 

INTITULÉ :                                                                     Jeff Ewert c. PGC et autre

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                               Vancouver (Colombie‑Britannique)

                                                                                          par vidéoconférence

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                             le 17 septembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                          LE JUGE DÉCARY

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                       LE JUGE BLAIS

                                                                                          LE JUGE RYER

 

DATE DES MOTIFS :                                                    le 25 septembre 2008

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeff Ewert

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Curtis Workun

Liliane Bantourakis

POUR LES INTIMÉS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LES INTIMÉS

 

 

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