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Cour d'appel fédérale

Federal Court of Appeal

Date : 20081006

Dossier : A-433-07

Référence : 2008 CAF 297

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LE JUGE EVANS

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

SASKFERCO PRODUCTS ULC

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 16 septembre 2008

Jugement rendu à l’audience à Ottawa (Ontario), le 6 octobre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                             LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                       LE JUGE NADON

LE JUGE PELLETIER

 


Cour d'appel fédérale

Federal Court of Appeal

Date : 20081006

Dossier : A-433-07

Référence : 2008 CAF 297

 

CORAM :      LE JUGE NADON

                        LE JUGE EVANS

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

SASKFERCO PRODUCTS ULC

appelante

et

SA MAJESTÉ LA REINE

intimée

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EVANS

A.        INTRODUCTION

[1]               Aux fins de l’impôt sur le revenu, les profits ou pertes de change réalisés lors du remboursement d’un prêt libellé en monnaie étrangère sont considérés, selon la nature du prêt, comme un gain ou une perte de revenu ou comme un gain ou une perte en capital. Donc, si le prêt sert à financer une immobilisation, les pertes de change subies lors du remboursement sont considérées comme des pertes en capital et ne peuvent servir à réduire sa dette fiscale. Voir, par exemple, CCLI (1994) Inc. c. La Reine, 2007 CAF 185, 2007 D.T.C. 5372.

 

[2]               Dans le présent appel, il s’agit de décider si, pour se prononcer sur la nature d’un profit ou d’une perte de change, il y a lieu d’écarter le « critère de la dette » lorsqu’une des raisons principales ayant porté à contracter l’emprunt en devises étrangères était de « couvrir » ou de neutraliser l’incidence d’éventuelles fluctuations monétaires sur les revenus libellés en cette devise sur l’emprunteur lors d’opérations n’ayant aucun lien avec le prêt en question.

 

[3]               Saskferco ULC fait appel d’une décision de la Cour canadienne de l’impôt (2007 CCI 462) par laquelle la juge Woods a rejeté l’appel que Saskferco avait interjeté de ses cotisations d’impôt pour les années 1995, 1996, 1998 et 1999. Dans ses déclarations d’impôt, Saskferco avait appliqué les principes de la comptabilité de couverture, comptabilisant les recettes de ses ventes en dollars américains jusqu’à concurrence de ses remboursements du prêt et les remboursements de ce prêt libellé en dollars américains au taux de change en vigueur à l’époque où le prêt a été contracté. Cela a effectivement éliminé le risque découlant des fluctuations des taux de change des monnaies américaine et canadienne au cours des années d’imposition en cause.

 

[4]               Par avis de nouvelle cotisation, le ministre a annulé les conséquences de l’application des principes de la comptabilité de couverture sur le calcul de la dette fiscale de Saskferco, comptabilisant les revenus de l’entreprise sur la base des taux de change en vigueur à la date où ont eu lieu les ventes et comptabilisant les remboursements du prêt au taux de change en vigueur le jour où ont été effectués ces remboursements. Cela a eu pour effet d’augmenter le montant des recettes des ventes de Saskferco libellées en dollars américains et de faire apparaître des pertes de change lors des remboursements. Cela résultait uniquement des fluctuations du taux de change au cours des années d’imposition en cause. Ainsi, si au lieu de baisser par rapport au dollar américain, la monnaie canadienne s’était, au cours des années en question, appréciée, le montant des ventes enregistrées par Saskferco aurait été moindre, mais l’entreprise aurait, par contre, enregistré des gains sur ses remboursements du prêt qu’elle avait contracté.

 

[5]               Le ministre a non seulement rectifié le calendrier des opérations de change, mais il a aussi accordé aux gains et aux pertes un traitement fiscal asymétrique, considérant comme revenu les profits de change réalisés lors des ventes, mais comme capital les pertes de change auxquelles a donné lieu le remboursement du prêt.

 

[6]               Saskferco a interjeté appel devant la Cour canadienne de l’impôt des avis de nouvelle cotisation signifiés par le ministre. Pour rejeter l’appel, la juge Woods a eu recours au principe voulant que la qualification des pertes de change subies lors de remboursements d’un prêt découlent de la qualification de la dette à laquelle elles se rapportent. La juge a écarté l’argument voulant que les principes de la comptabilité de couverture s’appliquent en l’occurrence de manière à annuler, aux fins de l’impôt, les gains et pertes de change découlant tant des remboursements que des ventes libellées en dollars américains. Comme les pertes de change étaient inscrites au compte de capital, elles ne sauraient compenser les profits de change que Saskferco avait tirés de ses ventes libellées en dollars américains pour réduire sa dette fiscale.

 

[7]               Dans le présent appel, Saskferco fait valoir que, selon les principes de la comptabilité de couverture, les profits ou pertes de change seront considérés comme revenu ou comme capital selon la qualification de l’opération couverte. Selon les avocats de l’appelante, la juge a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte du fait qu’une des raisons importantes à l’origine du prêt de 231 millions de dollars américains était le souci de couvrir les recettes de la Saskferco libellées en dollars américains et que les pertes de change enregistrées lors du remboursement du prêt avaient plus à voir avec l’opération de couverture qu’avec son objectif de financement. Les pertes en question devraient donc être inscrites au compte de capital et permettre par conséquent à Saskferco de réduire le montant des recettes « couvertes » provenant de ses ventes aux États-Unis.

 

[8]               Le ministre répond pour sa part que la dette fiscale doit être calculée en fonction des opérations menées et non l’ensemble de la situation financière. Comme le simple fait de libeller un prêt en devises étrangères ne constitue pas une opération, la seule opération dont il y ait lieu de tenir compte en l’espèce est l’emprunt contracté par Saskferco pour financer un projet d’investissement. Les pertes de change subies par Saskferco lors des remboursements doivent donc être elles aussi inscrites au compte de capital aux fins de l’impôt.

 

[9]               À mon avis, en parvenant à cette conclusion, la juge Woods n’a commis aucune erreur justifiant l’infirmation de sa décision. J’estime en conséquence que l’appel devrait être rejeté.

 

B.        LES FAITS DE LA CAUSE

[10]           Planifiant de se lancer dans la production d’engrais azotés, Saskferco a estimé qu’environ 50 % de ses ventes s’effectueraient aux États-Unis, et que les recettes annuelles de ses ventes totales seraient de 100 millions de dollars américains. Le partenaire avec lequel la province de la Saskatchewan envisageait de s’associer dans le cadre d’une coentreprise était préoccupé par les risques de change auxquels seraient exposées les recettes des ventes aux États-Unis. En effet, si le dollar canadien s’appréciait par rapport au dollar américain, les recettes des ventes effectuées par Saskferco aux États-Unis perdaient de la valeur une fois converties en dollars canadiens. Cette éventualité revêtait en l’occurrence une importance particulière étant donné que la plupart des frais d’exploitation et de construction de l’entreprise devaient être payés en dollars canadiens.

 

[11]           Se fondant sur un rapport de son conseiller financier, Saskferco a financé pour l’essentiel la construction de son usine par l’émission de billets d’un montant total de 231 millions de dollars américains, remboursables par paiements échelonnés. Le fait de libeller le prêt en dollars américains a permis à Saskferco de profiter des taux d’intérêt moins élevés en vigueur aux États‑Unis et, en même temps, de se protéger contre l’incertitude étant donné l’incidence que pourraient avoir sur le produit des ventes effectuées aux États-Unis les fluctuations monétaires entraînant un changement dans la valeur relative des devises américaines par rapport aux devises canadiennes. Les revenus en dollars américains provenant des ventes de Saskferco devaient servir au remboursement des billets. Ce couplage de recettes libellées en devises étrangères et de dettes ou autres engagements libellés en cette même monnaie est appelé « couverture naturelle ».

 

[12]           Saskferco a eu recours à ce moyen de réduire l’incidence des fluctuations monétaires sur les recettes de ses ventes car elle n’était pas parvenue à conclure à des conditions financièrement intéressantes des contrats d’achat à terme de devises américaines, ou d’autres types de contrats dérivés couramment employés pour se protéger contre les risques de change lors d’une opération en devises étrangères.

 

[13]           Pendant les quatre années d’imposition en cause dans le présent appel, au cours desquelles a été effectué le remboursement des billets, la devise canadienne a fortement baissé par rapport au dollar américain. Cela a entraîné pour l’entreprise des pertes de change de plus de 13 millions de dollars canadiens sur les versements effectués par Saskferco en remboursement du principal de sa dette.

 

[14]           Les vérificateurs de Saskferco ont fait savoir à l’appelante que si elle conservait, du produit de ses ventes aux États-Unis, suffisamment de devises américaines pour effectuer les remboursements du prêt, les profits de change découlant du produit des ventes effectuées aux États‑Unis et les pertes de change liées aux versements effectués en remboursement du prêt pourraient s’annuler. Étant donné que le produit des ventes de Saskferco était supérieur au montant de ses remboursements, le prêt ne permettait pas de couvrir intégralement le montant des recettes provenant des ventes effectuées aux États-Unis. La partie « non couverte » de ces recettes a donc été convertie en dollars canadiens au taux de change en vigueur à l’époque où ont été gagnées les sommes en question.

 

[15]           En fait, Saskferco a converti en dollars canadiens le produit des ventes effectuées en dollars américains car l’entreprise pouvait, au Canada, bénéficier de taux d’intérêt plus élevés. Afin de maintenir cette couverture, Saskferco a acheté des contrats dérivés lors de la conversion pour éliminer tout risque de change entre le moment où elle percevait le produit de ses ventes et le moment où était effectué le remboursement du prêt.

 

C.        LA DÉCISION DE LA COUR DE L’IMPÔT

[16]           La juge Woods a examiné deux questions. Premièrement, Saskferco a fait valoir que les principes de la comptabilité de couverture qu’elle avait appliqués pour calculer le montant des recettes de ses ventes dans ses états financiers étaient également applicables aux fins fiscales. Au cours des années où elle a effectué des remboursements du prêt en question, Saskferco a donc calculé en dollars canadiens tant la partie du produit de ses ventes qui permettait de couvrir les pertes de change provenant des remboursements que les versements effectués dans le cadre du remboursement en dollars canadiens au taux de change en vigueur lors de l’émission des billets. D’après l’entreprise, les principes de comptabilité de couverture étaient appropriés parce qu’ils rendaient compte de la réalité de la situation financière de l’entreprise en neutralisant les pertes de change liées aux remboursements et les profits de change découlant du produit de ses ventes.

 

[17]           La juge Woods a rejeté cet argument, qu’elle a appellé le « principal argument invoqué par l’appelante », et a statué que, même si cette méthode comptable était conforme aux principes comptables généralement reconnus, elle ne pouvait pas être employée pour calculer le bénéfice de l’entreprise visé par le paragraphe 9(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1.

9.(1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie, le revenu qu’un contribuable tire d’une entreprise ou d’un bien pour une année d’imposition est le bénéfice qu’il en tire pour cette année.

9.(1) Subject to this Part, a taxpayer’s income for a taxation year from a business or property is the taxpayer’s profit from that business or property for the year.

 

[18]           La juge de la Cour de l’impôt a estimé que cela était contraire au principe, étayé par la jurisprudence, voulant que le contribuable doit utiliser le taux de change en vigueur au moment où l’opération est conclue, c’est-à-dire, en l’occurrence, à l’époque où ont été signés les contrats de vente et ont été effectués les remboursements. Saskferco ne conteste pas cette conclusion dans le présent appel.

 

[19]           Deuxièmement, la juge Woods a refusé d’appliquer aux faits le principe suivant lequel  que la qualification d’un contrat de couverture découle de la qualification de l’opération couverte. Elle a fait remarquer que les principes de la comptabilité de couverture prennent en compte la situation financière véritable de l’entreprise, mais que la Loi de l’impôt sur le revenu fait une distinction essentielle entre revenu et capital.

 

[20]           Selon la juge de la Cour de l’impôt, contrairement à ce qu’il en est d’autres opérations « dérivées » (comme des contrats à terme de devises étrangères et « swaps » de devises) effectuées pour couvrir des sommes ayant un caractère de revenu, le prêt contracté par Saskferco a été libellé en dollars américains non seulement afin de couvrir les risques de change sur le produit de ses ventes, mais aussi pour réduire les frais de financement de la construction de son usine en raison de taux d’intérêt plus faibles. La juge de la Cour de l’impôt n’était pas convaincue que le prêt en question aurait été libellé en dollars canadiens même si l’entreprise n’avait pas souhaité se protéger contre les fluctuations monétaires.

 

[21]           Dans ces circonstances, la juge Woods a conclu que la jurisprudence, qui avait établi que la qualification des pertes de change découlent de la qualification de la dette, s’appliquait en l’espèce même si la protection contre les fluctuations monétaires constituait « un facteur important » (par. 80) dans la décision qu’avait prise Saskferco de libeller le prêt contracté en dollars américains. Par conséquent, Saskferco pouvait invoquer les pertes liées au prêt que pour réduire le montant de ses gains en capital, pas celui de ses revenus.

 

[22]           La juge Woods n’a pas été indifférente à la situation dans laquelle se retrouvait ainsi Saskferco, qualifiant (au par. 87) de « dures » les conséquences fiscales asymétriques provenant du fait de considérer que les pertes de change liées à la dette en question devaient être inscrites au compte de capital, mais les profits de change au compte de revenu. Elle a aussi semblé donner à entendre (au par. 80) que, si le prêt avait été libellé en dollars américains uniquement pour compenser les risques de change (c’est-à-dire que les taux d’intérêt applicables n’étaient pas entrés en ligne de compte), le résultat aurait été différent. Ces observations n’étant pas essentielles à sa décision, je ne souhaite pas me prononcer sur ce point. Cela dit, je tiens à faire deux observations.

 

[23]           Premièrement, lorsque le dollar canadien s’apprécie par rapport au dollar américain, les profits de change que fait Saskferco lors des remboursements doivent être inscrits au compte de capital, c’est-à-dire que ses profits seront imposés au taux moins élevé applicable aux gains en capital. J’estime que cela atténue l’éventuelle « dureté » des conséquences de l’asymétrie fiscale relevée en l’espèce en vertu de laquelle tous les profits de change liés au produit des ventes de Saskferco sont assujettis à l’impôt sur le revenu.

 

[24]           Deuxièmement, en ce qui concerne l’idée que la situation aurait été (ou aurait dû être) différente si Saskferco avait libellé le prêt en dollars américains uniquement pour atténuer les risques de fluctuation monétaire, je ferais remarquer que, contrairement aux autres moyens de couvrir les risques de change, comme les achats à terme de devises étrangères, le prêt contracté par Saskferco visait un but commercial indépendant (en l’occurrence le financement de la construction d’une usine) sans lien avec les contrats de vente. Le fait que Saskferco n’ait pas été en mesure de conclure un contrat dérivé à des conditions financières avantageuses ne justifie pas que les pertes de change liées au remboursement des sommes empruntées pour financer une dépense en capital soient inscrites au compte de revenu aux fins de l’impôt.

 

D.        QUESTIONS À TRANCHER ET ANALYSE

[25]           Étant donné qu’il s’agit de trancher une question de droit, la norme de contrôle applicable à la décision en cause est celle de la décision correcte. Cela est admis par les deux parties.

 

[26]           La question de droit à trancher dans le présent appel est assez restreinte. Saskferco ne fonde pas son argumentation sur l’interprétation d’une disposition de la Loi de l’impôt sur le revenu. Elle reconnaît que le paragraphe 39(2), selon lequel les pertes subies par suite de fluctuations monétaires sont réputées être une perte en capital, ne s’applique que si l’opération à l’origine de ces pertes est de par sa nature une opération en capital : Compagnie pétrolière Impériale Limitée c. Canada, 2004 CAF 361, 2004 D.T.C. 6702 au par. 16. Aucun précédent ne porte sur ce point précis.

 

[27]           L’avocat de Saskferco affirme qu’il s’agit d’une question de principe : le traitement fiscal des profits et gains de change découlant de contrats d’achat à terme de devises étrangères souscrits pour couvrir les risques de change d’autres opérations inscrites au compte de revenu devrait-il s’appliquer en l’espèce, où le souci de couverture était certes une raison importante, mais non l’unique raison de libeller le prêt en dollars américains. D’après lui, on y répond en décidant lequel des deux principes concurrents s’applique en l’espèce : celui voulant que les profits ou pertes de change soient inscrits au compte de revenu ou au compte de capital selon la nature du prêt qui en est à l’origine, ou celui qui veut que la qualification des profits ou pertes de change qui surviennent dans le cadre d’une opération de couverture découle de la qualification de cette opération.

 

[28]           Reconnaissant que la dette fiscale au regard de la Loi de l’impôt sur le revenu dépend des opérations en cause, Saskferco estime que l’opération qu’il y a lieu de retenir en l’espèce est le prêt libellé en dollars américains. Elle reconnaît que le fait de libeller un prêt en devises étrangères ne constitue pas une opération indépendante : Canada c. Canadien Pacifique Limitée, [2002] 3 C.F. 170, 2001 CAF 398, au par. 23 (Canadien Pacifique). Au contraire, Saskferco soutient que la devise dans laquelle est libellé le prêt qu’elle a contracté constitue un élément de ce prêt envisagé dans son intégralité, et que les pertes de change subies lors du remboursement ont davantage à voir avec la couverture du prêt qu’avec l’opération de financement.

 

[29]           L’avocat de l’appelante développe fort habilement cet argument, mais je dois néanmoins l’écarter. D’abord, je ne vois pas comment on pourrait ne pas conclure que l’opération pertinente en l’espèce est le prêt contracté pour financer la construction d’un projet d’investissement, le prêt ayant effectivement servi à cela. Le prêt en question n’avait rien à voir avec les ventes effectuées aux États-Unis, hormis le fait évident, mais sans pertinence, que Saskferco n’aurait pas effectué de ventes d’engrais sans l’usine. En fait, les gains de change découlant des recettes des ventes ne surviennent pas au même moment que les pertes découlant du prêt, c’est-à-dire que la conclusion des contrats de vente n’est pas contemporaine des versements effectués en remboursement du prêt. Le produit des ventes a été consigné au fur et à mesure tout au long de l’année, alors que le remboursement n’était comptabilisé qu’une fois par an.

 

[30]           Le fait que le prêt ait été libellé en dollars américains pour des motifs tenant à la fois au financement et au change ne modifie en rien sa nature essentielle. Il s’agit, en effet, d’argent emprunté afin de financer un projet d’investissement : Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, au par. 32. Par conséquent, les pertes ou gains de change liés au remboursement du prêt doivent être, eux aussi, inscrits au compte de capital.

 

[31]           Ensuite, la jurisprudence sur laquelle Saskferco fonde l’essentiel de sa position est la décision Netupsky c. La Reine, 92 D.T.C. 2282 (CCI), affaire dans laquelle un contribuable a pu déduire les pertes de change découlant d’un prêt libellé en francs suisses même si le produit du prêt, une fois converti en dollars canadiens, a servi au refinancement d’un immeuble à usage locatif.

 

[32]           Une distinction peut être faite entre Netupsky et la présente affaire parce qu’il ne s’agissait pas, dans Netupsky, d’une opération de couverture et que, même si cela n’est pas entièrement clair, la seule raison ayant porté le contribuable à contracter un emprunt libellé en francs suisses semble avoir été la perspective d’une fructueuse spéculation sur des marchandises. Fait important, cependant le fondement de la décision de la Cour dans cette affaire était que le contribuable s’était livré à deux opérations distinctes : l’emprunt libellé en francs suisses et leur conversion en dollars canadiens et utilisation pour l’hypothèque. Ce raisonnement est toutefois incompatible avec l’arrêt Canadien Pacifique rendu ultérieurement, où notre Cour a statué que le fait de libeller un prêt en devises étrangères ne constitue pas une opération distincte de l’emprunt. Netupsky n’est donc pas d’un grand secours pour Saskferco. Dans la mesure où la décision MacMillan Bloedel Ltd. c. La Reine, 90 D.T.C. 6219 (C.F. 1re inst.) repose sur le fait que contracter un emprunt et le fait de le libeller en telle ou telle devise constituent deux opérations distinctes, je ne vois pas non plus comment on pourrait  s’appuyer sur cette décision.

 

[33]           Enfin, le cadre législatif fiscal complexe repose davantage sur des dispositions très précises que sur des principes généraux. Par conséquent, les tribunaux devraient examiner avec beaucoup de circonspection tout argument faisant uniquement appel à des principes généraux, même dans les cas où, comme en l’espèce, la Loi de l’impôt sur le revenu ne règle pas complètement la question. On sait combien il est difficile pour les décideurs, à plus forte raison pour les juges, de prévoir les conséquences que peut avoir l’application de principes généraux pour calculer le montant des impôts à payer.

 

[34]           L’idée qu’en matière fiscale, les tribunaux admettent comme principe général la comptabilité de couverture, ainsi que l’affirme Saskferco, me paraît tout à fait contestable. Le fait qu’aux fins de l’impôt les gains ou pertes de change soient inscrits au compte de revenu lorsque l’on a recours à des contrats dérivés pour couvrir des opérations génératrices de revenus ne justifie pas que l’on accorde le même traitement à des opérations commercialement indépendantes et que l’on écarte par là même le principe bien établi selon lequel la qualification des pertes de change liées au remboursement d’un prêt découlent de la qualification du prêt.

 

[35]           L’avocat de l’appelante a fait valoir qu’il serait contraire à l’intérêt public que la Cour n’étende pas l’application des principes de la comptabilité de couverture et ne les applique pas aux fins de l’impôt. Il soutient notamment que le fait, pour le droit fiscal, de préférer certaines opérations de couverture (contrats dérivés) à d’autres opérations qui, elles aussi, sont effectuées dans un but de couverture (en l’occurrence le prêt) entraînerait des distorsions sur le marché au détriment du commerce international parce qu’une « couverture naturelle » ne supprime pas toutes les incertitudes liées aux fluctuations monétaires. Je ne suis pas en mesure de me prononcer sur le bien-fondé de cet argument; c’est une question de politique qu’il conviendrait plutôt de soulever auprès du ministère des Finances, voire auprès du législateur. Elle ne saurait, selon moi, justifier que la Cour étende, comme Saskferco l’y invite, des règles régissant le traitement fiscal des gains et des pertes découlant d’une opération de couverture.

 

[36]           Dans ce contexte, je tiens simplement à faire remarquer que, abstraction faite des incidences fiscales, les risques de change ont en fait été couverts comme prévu, même si, étant donné que le dollar canadien s’est déprécié au cours des années d’imposition en question, les gains de change liés au produit des ventes de Saskferco ont compensé les pertes subies lors des remboursements, et non vice versa. Des considérations d’ordre fiscal ne semblent avoir en rien influencé la décision de Saskferco de libeller son prêt en dollars américains.

 

E.        CONCLUSIONS

[37]           Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

 

 

« John M. Evans »

j.c.a.

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                            A-433-07

 

 

APPEL D’UNE ORDONNANCE RENDUE PAR MADAME LA JUGE WOODS, DE LA COUR CANADIENNE DE L’IMPÔT, LE 10 AOÛT 2007, DOSSIER N2004‑3592 (IT) G.

 

INTITULÉ :                                                                          SASKFERCO PRODUCTS INC. c.

SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                  Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                 le 16 septembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                               le juge Evans

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                           le juge Nadon

                                                                                                le juge Pelletier

 

DATE DES MOTIFS :                                                         le 6 octobre 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Ian S. MacGregor, c.r.

Pooja Samtani

 

POUR L’APPELANTE

 

L.P. Chambers, c.r.

Geneviève Léveillé

 

POUR L’INTIMÉE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Osler, Hoskin & Harcourt LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR L’APPELANTE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR L’INTIMÉE

 

 

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