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Date : 20080916

Dossier : A-336-08

Référence : 2008 CAF 265

 

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE EVANS

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

APOTEX INC.

appelante

(défenderesse)

et

 

LUNDBECK CANADA INC.

intimée

(demanderesse)

et

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimé

(défendeur)

et

 

H. LUNDBECK A/S

intimé

(défendeur/breveté)

 

Audience tenue à Toronto (Ontario), le 15 septembre 2008.

Jugement rendu à Toronto (Ontario), le 16 septembre 16 2008.

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                                                   LE JUGE EVANS

Y ONT SOUSCRIT :                                                                                   LA JUGE DESJARDINS

                                                                                                                         LE JUGE PELLETIER

 


 

Date : 20080916

Dossier : A-336-08

Référence : 2008 CAF 265

 

 

CORAM :      LA JUGE DESJARDINS

                        LE JUGE EVANS

                        LE JUGE PELLETIER

 

ENTRE :

APOTEX INC.

appelante

(défenderesse)

et

 

LUNDBECK CANADA INC.

intimée

(demanderesse)

et

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimé

(défendeur)

et

 

H. LUNDBECK A/S

intimé

(défendeur/breveté)

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EVANS

[1]                 Le présent appel fait suite à une ordonnance interlocutoire prononcée dans le cadre d’une demande d’interdiction présentée par Lundbeck Canada Inc. le 31 mai 2007 conformément au paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, et par laquelle la demanderesse cherchait à faire interdire au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Apotex Inc. relativement à un nouveau médicament générique proposé, tant que le brevet canadien 1,339,452 (le brevet 452) détenu par H. Lundbeck A/S, la société mère de Lundbeck Canada Inc, ne sera pas expiré. Les sociétés Lundbeck seront désignées collectivement sous le nom de Lundbeck dans les présents motifs.

 

[2]                 Apotex interjette appel d’une décision de la Cour fédérale (2008 CF 787) dans laquelle le juge Harrington a accueilli en partie l’appel d’une décision en date du 6 mars 2008 rendue par le protonotaire Morneau. Celui‑ci, qui était chargé de la gestion de l’instance dans le cadre de la demande d’interdiction de Lundbeck, avait rejeté une requête présentée par Lundbeck en vue de faire radier l’affidavit souscrit par M. Richard Kellogg et les pièces qui y étaient jointes ainsi que divers paragraphes de trois autres affidavits renvoyant à l’affidavit souscrit par M. Kellogg et les pièces y afférentes.

 

[3]                 Lundbeck a formé un appel incident de la partie de l’ordonnance dans laquelle le juge Harrington a rejeté l’appel que Lundbeck avait interjeté de la décision du protonotaire de rejeter une seconde requête présentée par Lundbeck en vue de faire radier certains paragraphes et certaines pièces relatifs à quatre autres affidavits. Lundbeck demande aussi, qu’elle obtienne ou non gain de cause dans sa requête en radiation, d’être autorisée, en vertu de l’article 312 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, à déposer sept affidavits en réponse.

 

[4]                 L’instruction de la demande d’interdiction de Lundbeck a été fixée au 8 décembre 2008, dans moins de trois mois, et elle devrait durer cinq jours. Le contre-interrogatoire sur les 17 affidavits relatifs à la validité du brevet 452 déposés par les parties dans le cadre de la présente procédure sommaire est en cours et devrait être terminé d’ici la fin de septembre.

 

[5]                 Je tiens d’entrée de jeu à insister sur un aspect qui est abordé dans la jurisprudence et qui est souvent repris par notre Cour dans des litiges interlocutoires, notamment, mais pas exclusivement, en ce qui a trait aux instances relatives aux avis de conformité. Il serait sage de la part des tribunaux d’appel (y compris de la part des tribunaux de première instance lorsqu’ils siègent en appel) de s’abstenir de modifier les décisions discrétionnaires rendues en matière interlocutoire, surtout dans une affaire comme la présente, à moins d’être convaincus que les questions en litige sont manifestement importantes pour trancher le litige de façon équitable et que la décision en question est entachée d’un vice fondamental.

 

[6]                 Le fait que la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, prévoie, en matière interlocutoire, la possibilité d’interjeter appel de plein droit de la décision rendue par un protonotaire ou par un juge de la Cour fédérale et de se pourvoir ensuite en appel devant la Cour d’appel fédérale, ne constitue pas une invitation générale à assujettir les décisions discrétionnaires rendues en première instance à une analyse scrupuleuse. Dans les procédures sommaires et, d’ailleurs, dans toute procédure, l’intérêt de la justice est normalement mieux servi si l’on réduit au minimum le temps écoulé avant de statuer sur le fond. Dans la mesure du possible, il est préférable de laisser au juge qui est saisi de la demande ou qui préside le procès le soin de trancher les différends portant sur la preuve (et sur certaines questions procédurales).

 

1. Appel d’Apotex : affidavit de Kellogg

            Norme de contrôle

[7]                 Il est acquis aux débats que l’ordonnance que le protonotaire a rendue en réponse aux requêtes de Lundbeck était de nature discrétionnaire et que les questions soulevées n’avaient pas une influence déterminante sur l’issue du principal. Le juge n’était donc justifié d’intervenir et d’exercer son pouvoir discrétionnaire en reprenant l’affaire depuis le début que si l’ordonnance était entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire avait exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits (Merck & Co. c. Apotex Inc. (2003), 30 C.P.R. (4th) 40, 2003 CAF 488, au paragraphe 19). Une norme de contrôle analogue s’applique dans le cas d’un appel interjeté devant notre Cour à l’encontre d’une décision discrétionnaire rendue par un juge de la Cour fédérale sur une question interlocutoire (Z.I. Pompey Industrie c. ECU-Line N.V., [2003] 1 R.C.S. 450, au paragraphe 18).

 

[8]                 Bien que je ne sois pas convaincu que le juge a commis une erreur de droit dans sa formulation de la norme de contrôle appropriée, je suis d’avis qu’il s’est mépris en concluant que l’ordonnance du protonotaire était [traduction] « entachée d’une erreur flagrante » dans l’un ou l’autre des sens susmentionnés. Il n’avait par conséquent pas le droit de radier l’affidavit de M. Kellogg dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire et sa décision ne peut être confirmée.

 

            Question à trancher et analyse

[9]                 Dans son long avis d’allégation, Apotex invoque plusieurs moyens, dont l’antériorité, pour soutenir que le brevet 452 est invalide. Voici ce qu’elle allègue dans son avis d’allégation au soutien de ce moyen :

[traduction]  En outre, les résultats de tests ont confirmé que la séparation du citalopram au moyen des méthodes conventionnelles (exposées dans le présent document) qui étaient connues avant le 13 juin 1987 [c.-à-d. lorsque le brevet 452 a été déposé] permettait d’obtenir du citalopram substantiellement pur (+).

 

 

[10]             L’objection essentielle que formule Lundbeck en ce qui concerne l’affidavit de M. Kellogg est que le rapport de M. Kellogg a été signé et que certains des tests qui y sont mentionnés ont été effectués après que la remise de l’avis d’allégation d’Apotex. Suivant Lundbeck, il n’est pas permis à Apotex de se fonder sur des faits qui débordent le cadre de son avis d’allégation pour appuyer son allégation que le brevet est invalide.

 

[11]             Lundbeck soutient également que l’affirmation que l’on trouve dans l’avis d’allégation selon laquelle [traduction] « les résultats de tests ont confirmé » est insuffisante parce qu’elle ne donne aucun détail sur les tests en question. Le protonotaire a toutefois conclu que l’avis d’allégation révélait de façon satisfaisante l’existence des résultats des tests effectués au sujet de la séparation du citalopram. Lundbeck n’a pas demandé à Apotex de lui donner des éclaircissements ou de lui préciser l’identité de la personne qui avait procédé aux tests, mais s’est contentée de déposer des affidavits en réponse à l’avis d’allégation. Dans ces conditions, je n’accorde aucune importance à ce point.

 

[12]             Il s’agit donc dans le présent appel de décider si l’ordonnance du protonotaire était « entachée d’une erreur flagrante » en raison de l’affidavit de M. Kellogg et si la procédure suivie pour administrer les tests et pour faire état des résultats dans une pièce jointe à l’affidavit débordait de façon irrégulière le cadre de l’avis d’allégation. Je ne suis pas convaincu que le protonotaire s’est mépris sur ce point.

 

[13]             Premièrement, M. Kellogg avait produit les résultats de tests pertinents avant que l’avis d’allégation ne soit déposé. Deuxièmement, les résultats qui ont été obtenus par la suite confirmaient simplement les résultats précédents et le protonotaire pouvait légitimement considérer qu’ils ne constituaient pas des « faits complémentaires » différents de ceux qui étaient énoncés dans l’avis d’allégation. Troisièmement, étant donné qu’il est acquis aux débats qu’Apotex n’était pas obligée de joindre le rapport de M. Kellogg à son avis d’allégation, le fait qu’il ait été rédigé après le dépôt de l’avis d’allégation ne le rend pas non pertinent quant à la présente instance.

 

2. Appel incident de Lundbeck

            Norme de contrôle

[14]             Cette partie de l’ordonnance attaquée dans l’appel incident a également un caractère discrétionnaire. Elle ne porte pas sur une question qui aurait une influence déterminante sur l’issue du principal étant donné qu’elle a trait à la radiation d’affidavits ainsi qu’à la demande présentée par Lundbeck en vue d’être autorisée à déposer des affidavits complémentaires. Elle est donc assujettie à la même norme de contrôle que celle qui s’applique à la partie de l’ordonnance visée par l’appel d’Apotex.

 

[15]             À mon avis, c’est à bon droit que le juge Harrington a conclu que le protonotaire Morneau n’avait commis aucune erreur justifiant notre intervention en rejetant la requête de Lundbeck.

 

            Question à trancher et analyse

[16]                     Lundbeck affirme que les paragraphes en question devraient être radiés parce qu’ils contiennent des faits qui débordent le cadre de l’avis d’allégation d’Apotex. Le protonotaire a toutefois conclu que les paragraphes contestés des affidavits se rapportaient à des faits qui se trouvaient dans l’avis d’allégation ou dans les affidavits déposés à l’appui de la tentative de Lundbeck de réfuter l’allégation suivant laquelle le brevet 452 est invalide. Je ne suis pas convaincu que cette conclusion était « entachée d’une erreur flagrante » en droit ou qu’elle reposait sur une mauvaise interprétation des faits. Ainsi que la juge Heneghan le dit avec justesse dans la décision GlaxoSmithKline Inc. c. Genpharm Inc. (2003), 30 C.P.R. (4th) 360, 2003 CF 1248, au paragraphe 59 :

La preuve par affidavit déposée par la défenderesse répondait à la preuve et à l’argumentation déposées par les demanderesses. […] Cette possibilité doit être autorisée pour permettre le bon fonctionnement du processus contradictoire.

 

[17]                     Je ne suis pas non plus convaincu que le protonotaire a commis une erreur qui justifierait l’intervention de notre Cour dans la façon dont il a formulé ou appliqué les critères régissant l’exercice de son pouvoir discrétionnaire lorsqu’il a rejeté la demande de Lundbeck en vue d’être autorisée à déposer des affidavits complémentaires en réponse à ceux des experts d’Apotex. Aucun des affidavits soumis au protonotaire ne constituait une « version définitive » et certains n’étaient que des « versions partielles ». Le contre-interrogatoire fournit une occasion appropriée pour Lundbeck de contester les éléments de preuve contenus dans les affidavits déposés par Apotex.

 

[18]             Je constate que, sur les deux questions litigieuses susmentionnées, le juge Harrington, qui exerçait son pouvoir discrétionnaire en reprenant l’affaire depuis le début par souci de prudence, a conclu que le protonotaire avait raison.

 

3. Conclusion

[19]             Pour ces motifs, je suis d’avis d’accueillir l’appel d’Apotex et de rejeter l’appel incident de Lundbeck, avec dépens dans les deux cas.

 

« John M. Evans »

j.c.a.

 

 

 

« Je suis d’accord. 

            Alice Desjardins, j.c.a. »

 

 

« Je suis d’accord.

            J.D. Denis Pelletier, j.c.a. »

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR D’APPEL FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                                            A-336-08

 

(APPEL DE L’ORDONNANCE PRONONCÉE LE 23 JUIN 2008 PAR LE JUGE HARRINGTON DE LA COUR FÉDÉRALE DANS LE DOSSIER T-991-07)

 

INTITULÉ :                                       APOTEX INC. c. LUNDBECK CANADA INC. et

MINISTRE DE LA SANTÉ et H. LUNDBECK A/S

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                     Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                   le 15 septembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                                le juge Evans

 

Y ONT SOUSCRIT :                                                             la juge Desjardins 

                                                                                                le juge Pelletier

 

DATE DES MOTIFS :                                                          le 16 septembre 2008

 

COMPARUTIONS :

Daniel Cappe

David E. Lederman

 

POUR L’APPELANTE

 

Marie Lafleur

Julie Desrosiers

 

POUR LES INTIMÉS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

GOODMANS s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

FASKEN MARTINEAU DuMOULIN s.r.l.

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR L’APPELANTE

 

 

 

POUR LES INTIMÉS

 

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